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L’ancien procureur de Metz avait été nommé pour succéder à Pascal Prache à la tête du parquet de Nanterre, que ce dernier avait quitté fin 2024. Officiellement installé ce 23 juin, le magistrat a dressé les priorités de son action, parmi lesquelles la surpopulation carcérale ou encore la lutte contre les trafics de stupéfiants.
« Bienvenue dans votre juridiction, cher Yves
Badorc ! » C’est par ces mots que Benjamin Deparis, président du tribunal
judiciaire de Nanterre, a accueilli, lundi 23 juin, le nouveau procureur de la
République, à l’occasion de son audience d’installation, dans une salle des
assises bondée.
Magistrats,
avocats, représentants de la Chancellerie et autres professionnels du droit
s’étaient en effet déplacés nombreux pour assister à l’événement, lequel a
marqué officiellement la fin de plus de six mois d’intérim à la tête du
parquet, après le départ de Pascal Prache, nommé directeur des services
judiciaires, en octobre 2024.
L’ancien
chef du parquet a laissé une empreinte forte, a souligné Benjamin Deparis, qui
a rendu hommage à « un grand
professionnel, capable de garder son calme en toutes circonstances, y compris
face à des événements exceptionnels, comme les émeutes de juin 2023
consécutives à la mort de Nahel ». Incidents qui ont « conduit
à des attaques contre la juridiction, certaines par incendie, obligeant à
exfiltrer des magistrats sous protection et à transformer le tribunal en
cellule de crise, jour et nuit », a-t-il rappelé.
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Le tribunal de Nanterre poursuit sa pédagogie sur la justice auprès des
citoyens
«
Nous avons aussi partagé des moments plus
joyeux, notamment dans le cadre sportif, a ajouté avec malice la magistrate Valérie Courtalon, qui a
assuré l’intérim au parquet avec l’aide de la magistrate Nathalie Foy. À Nanterre, il faut être résilient… et
endurant ! Notre ancien procureur est devenu triathlète pendant son passage,
entraînant ses collègues dans des footings. Je précise toutefois que la
pratique du triathlon n’est pas un prérequis pour devenir chef de parquet. »
Un
clin d’œil auquel Yves Badorc a réagi lui aussi avec humour au moment d’évoquer
son prédécesseur : « Son souvenir reste
très présent tant il a marqué la juridiction. Lui succéder ne sera pas une
mince affaire, et j’ai bien noté qu’il n’était pas nécessaire d’être
triathlète, ce qui - vous en conviendrez - m’arrange. »
12e procureur du tribunal
Désormais
à Nanterre, c’est donc dans un second département francilien qu’Yves Badorc
prend ses nouvelles fonctions, « douzième
procureur du tribunal judiciaire de Nanterre depuis sa création », a résumé
Benjamin Deparis.
Après
avoir occupé en 2004 les fonctions de substitut à l’administration centrale du
ministère de la Justice auprès de la cour d’appel de Paris, Yves Badorc a été
nommé en 2006 substitut du procureur de la République près le tribunal de Paris
- alors encore tribunal de grande instance - puis promu vice-procureur dès
l’année suivante. Il a ensuite poursuivi sa carrière à Nancy et à Nîmes, où il
a exercé en tant que substitut du procureur général en 2009, puis en 2013.
Entre
2018 et 2021, Yves Badorc a occupé les fonctions de procureur adjoint à Paris,
en charge notamment de la section de la presse, de la protection des libertés
et du pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNLH). En parallèle, en
mai 2016, il avait été nommé chef du service de l’accès au droit, à la justice
et de l’aide aux victimes au sein du secrétariat général du ministère. Le mois
suivant, il avait intégré le conseil d’administration du Fonds de garantie des
victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.
Reconnu
« pour ses compétences dans les domaines
des droits humains et du parquet », Yves Badorc a été nommé en 2022 membre
de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) pour un
mandat de trois ans, qui s’achèvera en novembre prochain.
« Désormais
il s’agit de réguler et punir »
Face
à ses nouvelles fonctions, le procureur l’a assuré : « J’ai parfaitement conscience des attentes fortes exprimées par nos
concitoyens en matière de justice et de la nécessité d’y répondre. » Et d’appeler à une dynamique
collective, fondée sur le dialogue et la confiance, « seule manière d’assurer sereinement la bonne marche du tribunal »,
a-t-il insisté.
S’agissant
de la politique pénale qu’il entend mener à la tête du parquet de Nanterre,
Yves Badorc a d’abord fait preuve de prudence : « Il me faut encore aller à la rencontre de chacun, vous n’entendrez pas
de véritable programme », a-t-il prévenu son auditoire. Avant d’ajouter : «
Pour autant, je voudrais vous faire part
de quelques sujets de préoccupation. »
Parmi
ces préoccupations, la question de la peine et de la surpopulation carcérale
arrive en tête. « Le centre pénitentiaire
de Nanterre connaît un taux d’occupation de presque 200 %, et en mai, la France
a atteint un record avec plus de 83 000 détenus », a-t-il rappelé. Citant
le philosophe Michel Foucault, le magistrat a souligné un glissement de
paradigme : « Jadis, il était question de
‘surveiller et punir’, désormais il s’agit de réguler et punir. »
Un
constat qui, selon lui, empêche le système carcéral de remplir les objectifs
fixés par la loi : protection de la société, prévention des infractions,
restauration de l'équilibre social dans le respect des intérêts de la victime
dans le but de sanctionner l’auteur, favoriser sa réinsertion… « Il faut le dire : une prison surpeuplée ne
pourra pas répondre à cette ambition », a-t-il insisté. Avant de conclure :
« Limiter les entrées, favoriser les
sorties dans les meilleures conditions, il s’agit là d’un choix de société qui
doit être collectivement assumé, alors que parfois la valeur étalon de la
réponse pénale demeure la prison. »
Des
propos qui résonnent comme une critique de la politique initiée par le garde
des Sceaux. Pour faire face à la surpopulation carcérale, Gérald Darmanin a
récemment annoncé la création de 3 000 places en préfabriqué et ordonné, par
instruction ministérielle, la suspension de toutes les activités en détention
hors soutien scolaire, apprentissage de la langue, travail et sport.
Des décisions vivement critiquées
par plusieurs organisations, qui dénoncent une approche punitive aux dépens de la réinsertion. Ces
critiques ont toutefois, semble-t-il, été entendues, puisque Gérald Darmanin a
finalement annoncé, le 24 mai à Paris, le lancement des États généraux de la
réinsertion et de la probation, avec un rapport attendu pour décembre.
Lutte continue contre les trafics de
stupéfiants
Autre
sujet d’inquiétude pour le nouveau procureur de Nanterre : le trafic de
stupéfiants. « Je crois qu’il est
possible de parler de crise, non pas comme une urgence, mais plutôt comme une
transformation de la société », a estimé Yves Badorc. Ce dernier a alerté
sur les effets d’un affaiblissement des mécanismes de régulation. D’après lui,
lorsqu’une société n’est plus en mesure de contenir certaines déviances, ces
dernières peuvent s’enraciner au point de menacer l’équilibre collectif.
«
Il ne faudrait pas que la déviance
désorganisatrice que constituent les trafics de stupéfiants devienne, dans
certains lieux, le système », a-t-il mis en garde. Un phénomène d’autant
plus dangereux qu’il s’accompagne, dans certains territoires, d’une forme
d’indifférence sociale : « Sans
réprobation partagée, ce modèle peut s’installer comme une contre-culture, un
contre-modèle. »
Le
nouveau procureur a assuré que le parquet de Nanterre poursuivrait sa lutte
contre les trafics « sans faillir »,
tout en rappelant l’importance d’un travail partenarial. « Il faut agir aussi sur le plan sanitaire, en tenant compte des
usagers, et sur le terrain éducatif pour lutter contre le périple de
l’ignorance (…) Au fond, il n’est de
bonne politique pénale que celle adossée à une politique de prévention de la
délinquance. Réprimer sans faiblesse, prévenir sans cesse. »
Le
magistrat a ainsi fait part de sa volonté de s’investir pleinement dans les
instances locales de prévention de la délinquance, qui, selon lui, « permettent non seulement de mieux cerner
les réalités du terrain, mais aussi de définir les priorités de la politique
pénale en lien avec les élus, un dialogue auquel je suis très attaché. »
Des épreuves traversées
Également
dans le viseur d’Yves Badorc, la durée des audiences, les délais de
convocation, et plus généralement les conditions dans lesquelles la justice est
rendue, dans le droit fil des travaux ayant conduit à l’élaboration des
protocoles d’audiencement. L’objectif étant de « répondre non seulement aux
attentes des justiciables, mais aussi aux enjeux de la qualité de vie au
travail, a-t-il souligné. L’acte
de juger n’est rien sans une bonne administration de la justice. Il ne faut
jamais oublier que la justice est un service public. »
Plusieurs
chantiers restent également à mener, a-t-il poursuivi, qu’il s’agisse de la
lutte contre la radicalisation et le repli communautaire, des violences
intrafamiliales, de la protection de l’enfance ou encore des atteintes à
l’environnement. Celui qui est également membre de la Commission nationale
consultative des droits de l’homme a notamment souligné l’importance des enjeux
économiques dans un territoire aussi dynamique que les Hauts-de-Seine, alors
que l’expérimentation du tribunal des affaires économiques (TAE) est en cours,
et que pôle « cold cases », dédié aux crimes sériels ou non
élucidés (PCSNE), offre de nouvelles perspectives.
« Je suis convaincu qu’il n’existe pas de
justice sans ambitions. Je suis ambitieux et lucide à la fois », a conclu
Yves Badorc, qui a plaidé pour une justice ambitieuse. En des « temps parfois tourmentés », le nouveau
procureur de Nanterre a appelé à la synergie, empruntant la devise de la ville
de Toulon : « Par la concorde, les
petites choses deviennent grandes ». « Toutes les actions comptent, à
condition que la volonté soit commune. Alors il ne me reste qu’à agir pour le
bien de tous, agir ensemble. »
Romain
Tardino
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