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samedi 21 juin7 min
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21/06/2025 11:39:29 1 5 6558 73 0 © Cabinet François-Xavier Lucas 2238 5794 5992 (92) « Pas de justice sans ambitions » : Yves Badorc installé procureur de la République à Nanterre

L’ancien procureur de Metz avait été nommé pour succéder à Pascal Prache à la tête du parquet de Nanterre, que ce dernier avait quitté fin 2024. Officiellement installé ce 23 juin, le magistrat a dressé les priorités de son action, parmi lesquelles la surpopulation carcérale ou encore la lutte contre les trafics de stupéfiants.

« Bienvenue dans votre juridiction, cher Yves Badorc ! » C’est par ces mots que Benjamin Deparis, président du tribunal judiciaire de Nanterre, a accueilli, lundi 23 juin, le nouveau procureur de la République, à l’occasion de son audience d’installation, dans une salle des assises bondée.

Magistrats, avocats, représentants de la Chancellerie et autres professionnels du droit s’étaient en effet déplacés nombreux pour assister à l’événement, lequel a marqué officiellement la fin de plus de six mois d’intérim à la tête du parquet, après le départ de Pascal Prache, nommé directeur des services judiciaires, en octobre 2024.

L’ancien chef du parquet a laissé une empreinte forte, a souligné Benjamin Deparis, qui a rendu hommage à « un grand professionnel, capable de garder son calme en toutes circonstances, y compris face à des événements exceptionnels, comme les émeutes de juin 2023 consécutives à la mort de Nahel ». Incidents qui ont « conduit à des attaques contre la juridiction, certaines par incendie, obligeant à exfiltrer des magistrats sous protection et à transformer le tribunal en cellule de crise, jour et nuit », a-t-il rappelé.

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« Nous avons aussi partagé des moments plus joyeux, notamment dans le cadre sportif, a ajouté avec malice la magistrate Valérie Courtalon, qui a assuré l’intérim au parquet avec l’aide de la magistrate Nathalie Foy. À Nanterre, il faut être résilient… et endurant ! Notre ancien procureur est devenu triathlète pendant son passage, entraînant ses collègues dans des footings. Je précise toutefois que la pratique du triathlon n’est pas un prérequis pour devenir chef de parquet. »

Un clin d’œil auquel Yves Badorc a réagi lui aussi avec humour au moment d’évoquer son prédécesseur : « Son souvenir reste très présent tant il a marqué la juridiction. Lui succéder ne sera pas une mince affaire, et j’ai bien noté qu’il n’était pas nécessaire d’être triathlète, ce qui - vous en conviendrez - m’arrange. »

12e procureur du tribunal

Désormais à Nanterre, c’est donc dans un second département francilien qu’Yves Badorc prend ses nouvelles fonctions, « douzième procureur du tribunal judiciaire de Nanterre depuis sa création », a résumé Benjamin Deparis.

Après avoir occupé en 2004 les fonctions de substitut à l’administration centrale du ministère de la Justice auprès de la cour d’appel de Paris, Yves Badorc a été nommé en 2006 substitut du procureur de la République près le tribunal de Paris - alors encore tribunal de grande instance - puis promu vice-procureur dès l’année suivante. Il a ensuite poursuivi sa carrière à Nancy et à Nîmes, où il a exercé en tant que substitut du procureur général en 2009, puis en 2013.

Entre 2018 et 2021, Yves Badorc a occupé les fonctions de procureur adjoint à Paris, en charge notamment de la section de la presse, de la protection des libertés et du pôle national de lutte contre la haine en ligne (PNLH). En parallèle, en mai 2016, il avait été nommé chef du service de l’accès au droit, à la justice et de l’aide aux victimes au sein du secrétariat général du ministère. Le mois suivant, il avait intégré le conseil d’administration du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions.

Reconnu « pour ses compétences dans les domaines des droits humains et du parquet », Yves Badorc a été nommé en 2022 membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) pour un mandat de trois ans, qui s’achèvera en novembre prochain.

« Désormais il s’agit de réguler et punir »

Face à ses nouvelles fonctions, le procureur l’a assuré : « J’ai parfaitement conscience des attentes fortes exprimées par nos concitoyens en matière de justice et de la nécessité d’y répondre. » Et d’appeler à une dynamique collective, fondée sur le dialogue et la confiance, « seule manière d’assurer sereinement la bonne marche du tribunal », a-t-il insisté.

S’agissant de la politique pénale qu’il entend mener à la tête du parquet de Nanterre, Yves Badorc a d’abord fait preuve de prudence : « Il me faut encore aller à la rencontre de chacun, vous n’entendrez pas de véritable programme », a-t-il prévenu son auditoire. Avant d’ajouter : « Pour autant, je voudrais vous faire part de quelques sujets de préoccupation. »

Parmi ces préoccupations, la question de la peine et de la surpopulation carcérale arrive en tête. « Le centre pénitentiaire de Nanterre connaît un taux d’occupation de presque 200 %, et en mai, la France a atteint un record avec plus de 83 000 détenus », a-t-il rappelé. Citant le philosophe Michel Foucault, le magistrat a souligné un glissement de paradigme : « Jadis, il était question de ‘surveiller et punir’, désormais il s’agit de réguler et punir. »

Un constat qui, selon lui, empêche le système carcéral de remplir les objectifs fixés par la loi : protection de la société, prévention des infractions, restauration de l'équilibre social dans le respect des intérêts de la victime dans le but de sanctionner l’auteur, favoriser sa réinsertion… « Il faut le dire : une prison surpeuplée ne pourra pas répondre à cette ambition », a-t-il insisté. Avant de conclure : « Limiter les entrées, favoriser les sorties dans les meilleures conditions, il s’agit là d’un choix de société qui doit être collectivement assumé, alors que parfois la valeur étalon de la réponse pénale demeure la prison. »

Des propos qui résonnent comme une critique de la politique initiée par le garde des Sceaux. Pour faire face à la surpopulation carcérale, Gérald Darmanin a récemment annoncé la création de 3 000 places en préfabriqué et ordonné, par instruction ministérielle, la suspension de toutes les activités en détention hors soutien scolaire, apprentissage de la langue, travail et sport.

Des décisions vivement critiquées par plusieurs organisations, qui dénoncent une approche punitive aux dépens de la réinsertion. Ces critiques ont toutefois, semble-t-il, été entendues, puisque Gérald Darmanin a finalement annoncé, le 24 mai à Paris, le lancement des États généraux de la réinsertion et de la probation, avec un rapport attendu pour décembre.

Lutte continue contre les trafics de stupéfiants

Autre sujet d’inquiétude pour le nouveau procureur de Nanterre : le trafic de stupéfiants. « Je crois qu’il est possible de parler de crise, non pas comme une urgence, mais plutôt comme une transformation de la société », a estimé Yves Badorc. Ce dernier a alerté sur les effets d’un affaiblissement des mécanismes de régulation. D’après lui, lorsqu’une société n’est plus en mesure de contenir certaines déviances, ces dernières peuvent s’enraciner au point de menacer l’équilibre collectif.

« Il ne faudrait pas que la déviance désorganisatrice que constituent les trafics de stupéfiants devienne, dans certains lieux, le système », a-t-il mis en garde. Un phénomène d’autant plus dangereux qu’il s’accompagne, dans certains territoires, d’une forme d’indifférence sociale : « Sans réprobation partagée, ce modèle peut s’installer comme une contre-culture, un contre-modèle. »

Le nouveau procureur a assuré que le parquet de Nanterre poursuivrait sa lutte contre les trafics « sans faillir », tout en rappelant l’importance d’un travail partenarial. « Il faut agir aussi sur le plan sanitaire, en tenant compte des usagers, et sur le terrain éducatif pour lutter contre le périple de l’ignorance (…) Au fond, il n’est de bonne politique pénale que celle adossée à une politique de prévention de la délinquance. Réprimer sans faiblesse, prévenir sans cesse. »

Le magistrat a ainsi fait part de sa volonté de s’investir pleinement dans les instances locales de prévention de la délinquance, qui, selon lui, « permettent non seulement de mieux cerner les réalités du terrain, mais aussi de définir les priorités de la politique pénale en lien avec les élus, un dialogue auquel je suis très attaché. »

Des épreuves traversées

Également dans le viseur d’Yves Badorc, la durée des audiences, les délais de convocation, et plus généralement les conditions dans lesquelles la justice est rendue, dans le droit fil des travaux ayant conduit à l’élaboration des protocoles d’audiencement. L’objectif étant de « répondre non seulement aux attentes des justiciables, mais aussi aux enjeux de la qualité de vie au travail, a-t-il souligné. L’acte de juger n’est rien sans une bonne administration de la justice. Il ne faut jamais oublier que la justice est un service public. »

Plusieurs chantiers restent également à mener, a-t-il poursuivi, qu’il s’agisse de la lutte contre la radicalisation et le repli communautaire, des violences intrafamiliales, de la protection de l’enfance ou encore des atteintes à l’environnement. Celui qui est également membre de la Commission nationale consultative des droits de l’homme a notamment souligné l’importance des enjeux économiques dans un territoire aussi dynamique que les Hauts-de-Seine, alors que l’expérimentation du tribunal des affaires économiques (TAE) est en cours, et que pôle « cold cases », dédié aux crimes sériels ou non élucidés (PCSNE), offre de nouvelles perspectives.

« Je suis convaincu qu’il n’existe pas de justice sans ambitions. Je suis ambitieux et lucide à la fois », a conclu Yves Badorc, qui a plaidé pour une justice ambitieuse. En des « temps parfois tourmentés », le nouveau procureur de Nanterre a appelé à la synergie, empruntant la devise de la ville de Toulon : « Par la concorde, les petites choses deviennent grandes ». « Toutes les actions comptent, à condition que la volonté soit commune. Alors il ne me reste qu’à agir pour le bien de tous, agir ensemble. »

Romain Tardino

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