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Les actes suicidaires chez les jeunes ont explosé en 20 ans, en même temps que le recours aux médicaments. Plusieurs députés et l’économiste Jacques Attali, réunis par la Fondation Lyynk, ont dénoncé la semaine dernière l’inaction du gouvernement, estimant que la santé mentale est « profondément politique ».
Désignée grande cause nationale de l’année 2025, la santé mentale s’est
imposée comme un sujet incontournable, succédant à l’activité physique et
sportive mise en avant dans le sillage des Jeux olympiques et paralympiques de
Paris.
Si Michel Barnier et François Bayrou en ont fait mention à plusieurs
reprises lors de leurs discours de politique générale, peu d’initiatives
concrètes ont toutefois vu le jour jusque-là. Certes, le 12 juin, le ministère
de la Santé et de l’Accès aux soins a présenté un plan comportant 26 mesures
pour refonder la psychiatrie. Mais faute de précisions budgétaires, sa mise en
œuvre reste encore incertaine.
C’est dans ce contexte que la
Fondation Lyynk, à l’origine de l’application mobile éponyme pensée pour
améliorer la santé mentale et le bien-être des 10–25 ans, en partenariat avec
le laboratoire d’idées France Positive, a organisé le 17 juin à Clichy un
colloque entièrement dédié à la santé mentale des jeunes.
Un public particulièrement
concerné : selon une étude Harris commandée par le ministère de la Santé en
décembre 2024, 23 % des jeunes
déclaraient ne pas prendre soin de leur santé mentale. Et d’après une enquête
Odoxa/Mutualité française parue en septembre de la même année, 55 % des 18-24
ans disaient avoir déjà été confrontés à un trouble de santé mentale.
« Les tentatives de
suicide ont augmenté de 570 % depuis 2006 »
D’emblée, Sandrine Rousseau,
députée EELV-NFP, a donné le ton : « La situation est alarmante ! »
Corapporteure, avec la députée Renaissance Nicole Dubré-Chirat, d’un rapport parlementaire sur l’état de la psychiatrie en
France, elle a insisté sur l’urgence à trouver « des
solutions à la hauteur des enjeux ».
Pour l’élue écologiste, les
signaux de détérioration de la santé mentale des jeunes sont flagrants : « Si
on regarde les tentatives de suicide et les actes suicidaires des jeunes femmes
de 9 à 19 ans, ces derniers ont augmenté de 570 % depuis 2006. Pour les garçons
du même âge, c’est 350 % d’augmentation. C’est un enjeu de santé publique
absolument majeur ! »
Un mal-être massif, qui,
selon elle, se traduit aussi par un recours accru aux médicaments : « Sur
les trois dernières années, le nombre d’adolescents sous psychotropes,
antidépresseurs et anxiolytiques a grimpé de 25 % », a-t-elle déploré.
Pour l’économiste Jacques Attali, ex-conseiller de Mitterrand, président de France Positive, cette souffrance vient aussi d’un décalage entre les attentes d’une jeunesse en mutation et les réponses que la société peine à lui apporter. « Les jeunes deviennent adultes plus tôt, ils sont confrontés à d’autres défis que les générations précédentes ».
Un constat partagé par le
psychiatre Jamal Abdel-Nasser Abdel-Kader. À ses yeux, les jeunes sont
aujourd’hui privés des repères et des sécurités nécessaires à leur construction
: « Nous sommes une espèce qui naît totalement immature, et qui a besoin de
soins de réassurance. À l’adolescence, on désire de la liberté, de l’autonomie…
Mais sans filet de sécurité, cela peut devenir source d’angoisse et de solitude.
Il n’y a plus vraiment de liens solides avec les institutions ou même avec les
parents. Les adolescents deviennent comme des orphelins au milieu de l’océan. »
En écho, Sandrine Rousseau a
blâmé l’inaction politique : « La santé mentale n’est pas du tout prise en
compte, ni par les pouvoirs publics ni par la population. Or, quand les jeunes
vont mal, c’est tout le pays qui va mal. Et à force de négliger
leur avenir, leur place dans la société, on crée une jeunesse en grande
souffrance, qui retourne contre elle-même la violence d’un système économique
et social qui ne lui laisse pas de place. La santé mentale est profondément
politique. »
La société responsable avant
les réseaux sociaux ?
Également présent lors de la
conférence organisée par la Fondation Lyynk, Arthur Delaporte, député
socialiste et président de la commission d’enquête parlementaire sur les effets
psychologiques de TikTok sur les mineurs, a estimé que contrairement à ce
qu’avance souvent le gouvernement, les réseaux sociaux ne sont pas les premiers
responsables du mal-être des jeunes, même s’ils peuvent en être un facteur
aggravant.
« Il faut éviter une lecture
manichéenne qui dirait que les réseaux sont responsables de tout. Le vrai
problème est d’abord social et politique : c’est le rapport de notre société à
sa jeunesse et la manière dont elle la considère »,
a-t-il pointé. Arthur Delaporte l’a rappelé, l’adolescence est une période de
grande vulnérabilité où la socialisation se transforme, et les plateformes
peuvent devenir des amplificateurs redoutables de cette fragilité.
Mais l’algorithme de TikTok inquiète
le député : « Si on se sent triste, la plateforme va le détecter - parce
qu’on regarde des contenus liés à cet état - et elle va en proposer d’autres,
de plus en plus sombres. Jusqu’à ce que l’on tombe sur des vidéos qui
promeuvent le suicide, la scarification. Certains jeunes sont même exposés à
des tutoriels pour s’ôter la vie voire pour dissimuler leurs cicatrices. »
Une dérive récemment
illustrée par la tendance #SkinnyTok, qui faisait l’apologie de la maigreur
extrême et que le gouvernement français a contraint TikTok à censurer - du
moins l’hashtag, car de nombreuses vidéos, elles, restent en ligne.
Pour Jacques Attali,
l’environnement familial joue également un rôle central dans la santé mentale
des jeunes : « On suit des cours de préparation à l’accouchement, pourquoi
n’aurait-on pas un manuel de base pour la parentalité ? »
Le cadre familial peut même s’avérer
particulièrement néfaste pour le jeune, a souligné Sandrine Rousseau. « On
ne parle pas assez des violences subies par les enfants : harcèlement scolaire,
violences intrafamiliales… Pendant le Covid, on a confiné tout le monde en
partant du principe que les foyers étaient des lieux bienveillants. Or, ce
n’est pas toujours le cas. Certains enfants ont été confrontés à l’isolement,
des violences verbales, physiques, psychologiques ou sexuelles. D’autres ont vu
leurs parents se battre. »
À cela s’ajoute, selon l’ancienne
secrétaire nationale adjointe d'Europe Écologie Les Verts, une angoisse
généralisée, nourrie par un climat mondial incertain : « Crise climatique,
tensions géopolitiques… Les jeunes reçoivent chaque jour des messages
anxiogènes de la part des médias à la télévision. Et quand ils voient que les
adultes agissent comme si leur confort immédiat valait plus que les conditions
de vie des générations futures, il ne faut pas s’étonner qu’ils décrochent. »
Hausser le ton vis-à-vis des
plateformes
Arthur Delaporte se refuse toutefois
à faire porter toute la responsabilité du mal-être des jeunes sur les épaules
des parents. « La responsabilité, ce n’est pas forcément celle des parents,
qui ont évidemment un rôle à jouer, comme l’école, mais dont l’action reste
limitée face à l’ampleur du problème », a-t-il assuré.
Ce dernier a même salué
certaines familles « qui accompagnent très bien leur enfant avec des codes
de bonne conduite, du contrôle parental… mais une fois que la bascule est
faite, une fois que l’algorithme a happé l’adolescent, il est très difficile de
revenir en arrière. » Pour lui, le cœur du problème se trouve ailleurs : « C’est
avant tout la responsabilité des algorithmes, de ceux qui les conçoivent, et
des plateformes qui n’assurent pas leur rôle de modération. »
Face à ce constat, le député a
affirmé que le gouvernement et l’Union européenne doivent hausser le ton : « Des
procédures sont en train d’être mises en place à l’échelle européenne, mais
elles avancent trop lentement. Il faut du temps pour mener des études solides
et sérieuses permettant de condamner les plateformes. Mais il arrivera un
moment où il y aura des sanctions. »
Le parlementaire s’est
également montré critique vis-à-vis de la proposition, formulée par le
président de le République, d’instaurer une majorité numérique à 15 ans. Une
idée restée lettre morte, notamment en raison de doutes sur sa compatibilité
avec le droit européen, et plus particulièrement avec le DSA (Digital Services
Act), qui n’impose pas de vérification d’âge obligatoire. D’autres approches
émergent aussi dans d’autres pays.
Aux Pays-Bas, par exemple,
les autorités recommandent simplement aux parents d’interdire les réseaux
sociaux avant 15 ans, sans recourir à la loi. En France, deux députés - Jérémie
Patrier-Leitus (Horizons) et Ayda Hadizadeh (PS) - proposent d’interdire la
vente de smartphones aux moins de 15 ans. Emmanuel Macron s’est quant à lui dit
favorable à une interdiction de l’accès aux réseaux sociaux avant 11 ans.
Mais de l’avis d’Arthur
Delaporte, il ne suffit pas de fixer un âge légal : « L’idée que tout irait
bien à partir de 15 ans est fausse. TikTok, par exemple, a développé un modèle
profondément addictif. J’ai rencontré les parents d’une adolescente qui s’est
suicidée alors qu’elle n’avait eu accès à aucun réseau social avant ses 16 ans.
»
Une autre piste, selon lui,
pourrait être la vérification d’âge, à condition de résoudre les difficultés
d’application : « Il faut creuser cette idée, mais le vrai enjeu reste de
savoir comment connaître réellement l’âge d’un utilisateur. » Suffisant
pour enrayer la détérioration de la santé mentale chez les jeunes ?
Pour Jacques Attali, il est
temps en tout cas de s’inspirer de ce qui fonctionne ailleurs. Et de citer une étude de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) publiée
en 2024 qui révèle qu’en 2021, la Grèce et l’Italie figuraient
parmi les pays d’Europe affichant les taux de suicide les plus bas. « Peut-être
est-ce parce que la culture et le cadre familial y sont plus solides ? Il
faudrait que ceux qui légifèrent s’intéressent davantage à ce qui se fait du
côté des pays méditerranéens dans ce domaine », a-t-il recommandé.
Plaidoyer pour une « semaine
respire »
En dehors des réseaux sociaux, Guirchaume Abitbol, cofondateur de la Fondation Lyynk, était présent aux côtés de sa fille Miel Abitbol, également cofondatrice et influenceuse. Ce dernier a plaidé pour
des mesures concrètes en lien direct avec l’école. L’homme d’affaires a ainsi proposé
l’instauration d’une « semaine respire », une semaine sans devoirs par
trimestre, durant laquelle les élèves pourraient se consacrer à d’autres
activités, loin de la pression scolaire.
Ou encore la mise en place
d’un « repos santé mentale » : trois demi-journées par trimestre, à prendre sur
recommandation médicale, pour permettre aux élèves en difficulté de souffler un
peu.
Romain
Tardino
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