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Alors
que l'AI Act a été adopté le 14 juin dernier et fait actuellement l'objet de
négociations entre les différentes instances européennes, retour sur un des colloques
que vient d’organiser la faculté de droit de l'Université Paris-Est Créteil. Du
15 au 24 novembre, la faculté était en effet le siège de la deuxième édition de
la Quinzaine du droit du numérique. Au menu, conférences et débats.
Après une ouverture originale
via un atelier intitulé « Démonter en juriste un ordinateur ou un
smartphone », une journée « Informatique et droit » a été
organisée le 16 novembre, par le Master Droit du numérique et le Master-Doctorat Numérique,
Politique, Droit, en collaboration avec le projet ANR Low Versioning :
Semantical and Executable. A cette occasion, le Centre d'essais juridiques et
informatiques de l'Université de Créteil a restitué les résultats d'une
campagne de tests sur les algorithmes publics, ainsi qu’une autre intitulée
« Décider avec les algorithmes », animée par Liane Huttner, maîtresse
de conférences en droit privé et sciences criminelles, à l'Université de
Paris-Saclay.
En 2022, cette dernière a
soutenu une thèse consacrée aux relations entre l'homme et la machine. Face au
développement des algorithmes d'aide à la décision et de prise de décision. Elle
questionne la manière dont le droit, qui encadre ces algorithmes décisionnels
depuis 1978, est confronté à de nouveaux enjeux. Alors que de nombreuses règles
s’orientent vers la protection du destinataire de la décision, une autre
question importante est celle de la protection de l'auteur de la décision, et
de son caractère humain.
Puis trois présentations se
sont succédé : « l'analyse des concepts juridiques assistée par l'IA
neurosymbolique » ; « l'analyse computationnelle du contentieux
de l'éloignement » ; et enfin « Calculer les textes de
loi ».
Parmi les temps forts de la
quinzaine du droit à l’UPEC, nous avons retenu la discussion autour de
l'ouvrage collectif Governance of
Artificial Intelligence in the European Union (Bruylant), écrit sous la
direction de Marion Ho-Dac et Cécile Pellegrini. En introduction, Marion Ho-Dac
a rappelé les tensions qui existent à cause des apports technologiques des
systèmes d'intelligence artificielle et les risques qu'ils engendrent. Des risques
pour les individus en tant que consommateurs numériques, qu'il s'agit de
protéger en vertu de l'article 12 du traité sur le fonctionnement de l'Union
européenne (TFUE), mais pas seulement.
La coauteure indique que du
fait de l'accélération et de l'augmentation des traitements de données, les
risques suscités pour les droits fondamentaux sont désormais davantage collectifs
qu'individuels, et même systémiques. L'occasion de rappeler que depuis que la
Commission européenne a présenté une stratégie pour l'IA en 2018, l'Union
européenne s'est positionnée sur une approche centrée sur l'humain, et notamment
sur les sujets que sont la surveillance humaine, la sécurité, la protection de
la vie privée, la transparence, la non-discrimination et le bien-être social et
environnemental.
Parmi les grandes notions
évoquées au cours de la conférence, il y a bien la souveraineté technologique,
mais aussi celle de l'éthique, parfois un peu « fourre-tout », estime la chercheuse. Revenant sur le
titre de l'ouvrage, elle explique que le terme de gouvernance vise à « élargir la réflexion au-delà du droit ».
En effet, si la réglementation relative à l'IA doit intégrer l'objectif
transversal européen de protection du consommateur, nous sommes aussi concernés
plus largement en tant que citoyens, explique-t-elle. Pour illustrer son
propos, elle donne l'exemple d'un système de vidéosurveillance, pour montrer
que l'utilisateur de l'IA n'est pas nécessairement son « destinataire ».
Aussi, la notion de
gouvernance utilisée dans le titre de l'ouvrage renvoie à la nécessité d'une
régulation engageant différentes parties prenantes, notamment « les développeurs, les ingénieurs, et les
écosystèmes pédagogiques nécessaires pour apprendre à utiliser et développer
les outils d'intelligence artificielle ». En citant l'exemple de la
norme ISO, Marion Ho-Dac rappelle ici que le législateur ne peut pas prévoir
toutes les règles techniques qui seront suivies par les développeurs.
Les deux dernières journées
ont porté sur un autre niveau de régulation. Ainsi, le 23 novembre s'est tenu
une journée d'étude intitulée « Constitutionalisme digital et approches
critiques en droit et technologie », pour appréhender divers impacts de la
technologie numérique sur les valeurs et principes constitutionnels, avec
notamment une table ronde autour de l'ouvrage Digital Constitutionalism. The Role of Internet Bills of Rights.
Enfin, le 24 novembre, c'est
un débat intitulé « À la recherche de la Constitution numérique de l'Union
européenne » qui a clôturé la quinzaine. Les enseignantes-chercheuses de
l'Université de Créteil Aikaterini ANGELAKI et Lamprini XENOU, accueillaient
les professeurs Edouard DUBOUT et Anastasia ILIOPOULOU-PENOT, qui exercent tous
deux à l'Université Panthéon-Assas.
Il a été question du Digital
Services Act (DSA), entré en vigueur à l'automne 2022, et qui a commencé à
produire ses effets, le 25 août dernier. Depuis cette date, les vingt-deux plus
grands réseaux sociaux, places de marché et autres moteurs de recherche
Internet doivent se conformer à cette législation les contraignant à mieux
réguler leur contenu.
Par ailleurs, le 6 septembre
dernier, la Commission européenne a désigné six contrôleurs d'accès numériques
(Alphabet, Amazon, Apple, ByteDance, Meta et Microsoft), qui seront tenus
d'appliquer un autre règlement européen, le Digital markets act (DMA). Permettant
l'accès à 22 services de plateformes considérés comme essentiels, ces
contrôleurs ont six mois pour se conformer à une série de nouvelles obligations.
De quoi abonder la formule
qui avance que « les Américains
innovent, et les Européens légifèrent », signale Anastasia
ILIOPOULOU-PENOT.
Cette semaine riche au cœur du
Val-de-Marne aura ainsi permis de prendre un peu plus conscience de
l'impérieuse nécessité à faire dialoguer le droit avec les innovations du
numérique, pour assurer la protection des citoyens.
Étienne
Antelme
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