Retour sur la quinzaine du droit du numérique à l'Université Paris-Est Créteil


mardi 12 décembre 20234 min
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Alors que l'AI Act a été adopté le 14 juin dernier et fait actuellement l'objet de négociations entre les différentes instances européennes, retour sur un des colloques que vient d’organiser la faculté de droit de l'Université Paris-Est Créteil. Du 15 au 24 novembre, la faculté était en effet le siège de la deuxième édition de la Quinzaine du droit du numérique. Au menu, conférences et débats.

 

Après une ouverture originale via un atelier intitulé « Démonter en juriste un ordinateur ou un smartphone », une journée « Informatique et droit » a été organisée le 16 novembre, par le Master Droit du numérique et le Master-Doctorat Numérique, Politique, Droit, en collaboration avec le projet ANR Low Versioning : Semantical and Executable. A cette occasion, le Centre d'essais juridiques et informatiques de l'Université de Créteil a restitué les résultats d'une campagne de tests sur les algorithmes publics, ainsi qu’une autre intitulée « Décider avec les algorithmes », animée par Liane Huttner, maîtresse de conférences en droit privé et sciences criminelles, à l'Université de Paris-Saclay.

En 2022, cette dernière a soutenu une thèse consacrée aux relations entre l'homme et la machine. Face au développement des algorithmes d'aide à la décision et de prise de décision. Elle questionne la manière dont le droit, qui encadre ces algorithmes décisionnels depuis 1978, est confronté à de nouveaux enjeux. Alors que de nombreuses règles s’orientent vers la protection du destinataire de la décision, une autre question importante est celle de la protection de l'auteur de la décision, et de son caractère humain.

Puis trois présentations se sont succédé : « l'analyse des concepts juridiques assistée par l'IA neurosymbolique » ; « l'analyse computationnelle du contentieux de l'éloignement » ; et enfin « Calculer les textes de loi ».

La question de la gouvernance de l'intelligence artificielle dans l'UE

Parmi les temps forts de la quinzaine du droit à l’UPEC, nous avons retenu la discussion autour de l'ouvrage collectif Governance of Artificial Intelligence in the European Union (Bruylant), écrit sous la direction de Marion Ho-Dac et Cécile Pellegrini. En introduction, Marion Ho-Dac a rappelé les tensions qui existent à cause des apports technologiques des systèmes d'intelligence artificielle et les risques qu'ils engendrent. Des risques pour les individus en tant que consommateurs numériques, qu'il s'agit de protéger en vertu de l'article 12 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE), mais pas seulement.

La coauteure indique que du fait de l'accélération et de l'augmentation des traitements de données, les risques suscités pour les droits fondamentaux sont désormais davantage collectifs qu'individuels, et même systémiques. L'occasion de rappeler que depuis que la Commission européenne a présenté une stratégie pour l'IA en 2018, l'Union européenne s'est positionnée sur une approche centrée sur l'humain, et notamment sur les sujets que sont la surveillance humaine, la sécurité, la protection de la vie privée, la transparence, la non-discrimination et le bien-être social et environnemental.

Parmi les grandes notions évoquées au cours de la conférence, il y a bien la souveraineté technologique, mais aussi celle de l'éthique, parfois un peu « fourre-tout », estime la chercheuse. Revenant sur le titre de l'ouvrage, elle explique que le terme de gouvernance vise à « élargir la réflexion au-delà du droit ». En effet, si la réglementation relative à l'IA doit intégrer l'objectif transversal européen de protection du consommateur, nous sommes aussi concernés plus largement en tant que citoyens, explique-t-elle. Pour illustrer son propos, elle donne l'exemple d'un système de vidéosurveillance, pour montrer que l'utilisateur de l'IA n'est pas nécessairement son « destinataire ».

Aussi, la notion de gouvernance utilisée dans le titre de l'ouvrage renvoie à la nécessité d'une régulation engageant différentes parties prenantes, notamment « les développeurs, les ingénieurs, et les écosystèmes pédagogiques nécessaires pour apprendre à utiliser et développer les outils d'intelligence artificielle ». En citant l'exemple de la norme ISO, Marion Ho-Dac rappelle ici que le législateur ne peut pas prévoir toutes les règles techniques qui seront suivies par les développeurs.

Vers une Constitution européenne du numérique ?

Les deux dernières journées ont porté sur un autre niveau de régulation. Ainsi, le 23 novembre s'est tenu une journée d'étude intitulée « Constitutionalisme digital et approches critiques en droit et technologie », pour appréhender divers impacts de la technologie numérique sur les valeurs et principes constitutionnels, avec notamment une table ronde autour de l'ouvrage Digital Constitutionalism. The Role of Internet Bills of Rights.

Enfin, le 24 novembre, c'est un débat intitulé « À la recherche de la Constitution numérique de l'Union européenne » qui a clôturé la quinzaine. Les enseignantes-chercheuses de l'Université de Créteil Aikaterini ANGELAKI et Lamprini XENOU, accueillaient les professeurs Edouard DUBOUT et Anastasia ILIOPOULOU-PENOT, qui exercent tous deux à l'Université Panthéon-Assas.

Il a été question du Digital Services Act (DSA), entré en vigueur à l'automne 2022, et qui a commencé à produire ses effets, le 25 août dernier. Depuis cette date, les vingt-deux plus grands réseaux sociaux, places de marché et autres moteurs de recherche Internet doivent se conformer à cette législation les contraignant à mieux réguler leur contenu.

Par ailleurs, le 6 septembre dernier, la Commission européenne a désigné six contrôleurs d'accès numériques (Alphabet, Amazon, Apple, ByteDance, Meta et Microsoft), qui seront tenus d'appliquer un autre règlement européen, le Digital markets act (DMA). Permettant l'accès à 22 services de plateformes considérés comme essentiels, ces contrôleurs ont six mois pour se conformer à une série de nouvelles obligations.

De quoi abonder la formule qui avance que « les Américains innovent, et les Européens légifèrent », signale Anastasia ILIOPOULOU-PENOT.

Cette semaine riche au cœur du Val-de-Marne aura ainsi permis de prendre un peu plus conscience de l'impérieuse nécessité à faire dialoguer le droit avec les innovations du numérique, pour assurer la protection des citoyens.

Étienne Antelme

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