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CHRONIQUE. Au tribunal judiciaire de Créteil, deux prévenus étaient jugés en comparution immédiate, pour des faits de transport de stupéfiants.
Au milieu d’une série de comparutions immédiates de la 12e
chambre correctionnelle du tribunal de Créteil, Damien* et William* se
retrouvent dans le box des accusés. Le juge président d’audience annonce la
couleur : « les faits sont un peu
particuliers ».
Avant même de présenter les chefs de prévention, il interpelle les
deux accusés :
-
« On aimerait bien que
vous nous disiez toute la vérité. Parce qu’on va être clair, vous vous
connaissez tous les deux ?
-
Oui.
-
Et vous vous êtes connus où ?
À Fleury-Mérogis ?
- À Bois d’Arcy, corrige Damien,
l’un des deux prévenus.
-
Mais c’était il y a longtemps
?
-
Oui. »
Une rencontre fortuite ?
Damien et William ont été arrêtés par la police avec 302 grammes
de cocaïne, alors qu’ils se trouvaient à proximité d’un hôtel, à
Nogent-sur-Marne. D’après leurs explications, ils étaient venus y déposer deux
jeunes femmes venues passer le week-end à Paris, et rencontrées un peu plus
tôt. Le juge les interroge sur cette rencontre :
- « Ce
qu'on n'arrive pas à savoir c'est : qu’est-ce que vous faisiez, tous les
deux, à la Gare de Lyon ?
William se lance :
-
On s’est croisé par hasard.
Moi, j’allais à mon assurance, juste à côté. Je me suis garé, j’y suis allé,
mais c’était samedi et il était midi passé, c’était fermé. Et en repartant vers
ma voiture, j’ai croisé Damien.
-
C’est par hasard que vous
vous êtes retrouvés tous les deux à Gare de Lyon ?
-
Oui. Et au début, quand la
police m'a arrêté, j’ai vu qu’il avait de la drogue, c’est pour ça que j’ai dit
que je ne le connaissais pas.
Le juge se renfrogne :
-
Et vous vous êtes suivis par
hasard ?
-
Non, ça c’est parce qu’il y a
ces filles qui cherchaient un hôtel. Et comme je n’habitais pas loin, je leur
ai dit que j’en connaissais un. »
William prétend donc qu’il ignorait tout de l’importante quantité
de cocaïne transportée par son ami. Mais, là où son cas se complique, c’est que
les policiers ont saisi, lors d’une perquisition chez lui, une plaquette de 100
grammes de cannabis.
Le juge continue à lire le procès-verbal, et remarque que William
semble avoir été assez coopératif avec les enquêteurs… pour ensuite se taire.
William conteste : il dit « avoir
répondu aux questions », et rappelle son patronyme au magistrat, comme
s’il craignait qu’on le confonde avec son compère. L’interrogatoire se poursuit
:
-
« Quand vous dites que
vous trouvez la résine dans la rue, on a du mal à y croire…
-
Oui, bien sûr, je l’ai
trouvée dans la rue, je pense que…
-
C’est pour votre consommation
ou vous l'avez trouvée dans la rue ?
-
Oui, je l'ai trouvée dans la
rue et je l'ai gardée pour ma consommation. Je pense que quelqu'un avait dû le
cacher là.
-
Ou s'en débarrasser chez vous
?
-
Non, c’était un peu plus loin.
Je ne me rappelle plus l’endroit exact, mais c’est entre Sevran et
Aulnay-sous-Bois. Je l’ai vue par terre et je l’ai ramassée, je consomme mais je
ne fais pas de trafic. »
En plus des 100 grammes de cannabis, les policiers ont aussi
trouvé « des petits sachets
», précise le juge. William précise avoir « tout trouvé en même temps » : « Dans le sachet, tout était ensemble, il y
avait la plaquette de résine, il y avait un petit bout dans un autre sachet,
c'est pour ça que la plaquette, elle est entamée. Je pouvais couper les petits
bouts, je les mettais dans les sachets pour ma consommation ». Malgré
les dires des enquêteurs sur la saisie, lors de sa perquisition, « d’éléments laissant penser à de la revente de
stupéfiants », William maintient que ce n'est pas le cas. Il
souligne le fait que les policiers n’ont rien trouvé sur son téléphone, et
n’ont pas trouvé d’argent chez lui. Le prévenu reconnaît néanmoins la détention
de cannabis, le transport, et l’acquisition - en l’ayant ramassé dehors.
Une mission de livraison
Le juge se tourne maintenant vers Damien, et l’interroge au sujet
de la cocaïne trouvée dans son véhicule. Celui-ci répond qu’il devait faire une
livraison, pour une rémunération de 200 euros :
-
« Vous l’aviez récupérée
le matin ?
-
Oui.
-
Et vous deviez la livrer où ?
-
Je ne savais pas encore, on
devait m’envoyer un message.
-
Et qu’est-ce que vous alliez
faire du côté de la gare de Lyon ?
-
J’allais acheter du soja.
-
Ça ne se trouve qu’à gare de
Lyon ?
-
…Et à gare du Nord aussi.
-
On n’en a pas trouvé dans la
voiture, je crois.
-
Non, parce que je n’ai pas
trouvé l’endroit. »
Concernant les 302 grammes de cocaïne trouvée par les forces de
l’ordre, Damien assure que William n’était pas au courant du contenu de cette « livraison ».
Malgré les relances du juge, il reste évasif sur le moment où il a récupéré le
colis. Selon lui, c’est la première fois qu’il acceptait une telle
mission : « Je n’ai pas le temps. Si vous regardez bien, je suis tout
le temps au travail. Et si je ne suis pas au travail, je suis dans les
transports. J’ai deux heures aller, et deux heures retour. »
À lire aussi : CHRONIQUE. (94) Tribunal de Créteil : « Les papiers qu'on lui a
volés ont été revendus »
Une juge assesseure s’exclame : « 302 grammes, c'est énorme. » William
soutient qu’il ignorait ce poids, et ce que contenait le colis.
- « Vous pensiez que c’était quoi, alors ? demande la juge.
-
Je sais pas, je n’ai pas posé
de question
-
D’accord. »
Le juge président d’audience rebondit, ironique :
-
Vous pensiez qu’on allait
vous donner 200 euros pour livrer du soja ?
-
Non, ça j’allais l’acheter.
-
Mais vous saviez que c’était
quelque chose d’interdit ?
-
Bien sûr, je savais que ce
qu’était quelque chose d’interdit.
-
Et, vu la taille et le poids,
ça ne pouvait pas être de la résine de cannabis…
-
J’y connais rien…
-
Bon, si vous le dites. »
Des antécédents divers
En 2016, Damien avait été condamné à un an de prison ferme pour
des faits de violences aggravées. En 2017 et 2018, il avait été condamné à deux
amendes et à un stage de sensibilisation, pour conduite d’un véhicule après
avoir fait usage de stupéfiants.
Damien explique au juge qu’il travaille depuis un an et demi à
l’aéroport de Roissy. Le juge l’interroge sur sa « personnalité ». Père de trois enfants, il dit être un « travailleur », « motivé »,
qui aime son travail. Le juge lui rétorque qu’il doit avoir conscience qu’avec
une condamnation pour les faits qui lui sont reprochés, il ne pourra plus travailler
à l'aéroport. Interrogé par la juge assesseure sur ses antécédents, le père de
famille répond avoir cessé toute consommation de stupéfiants.
William, quant à lui, avait été condamné en 2016 à dix-huit mois
d’emprisonnement, pour des infractions à la législation sur les stupéfiants. Il
exerce le métier de livreur. Interrogé, il dit avoir cessé tout trafic depuis
ses condamnations, et être un « simple
consommateur », qui « travaille ».
Au vu des éléments recueillis lors de l’enquête, pour la
procureure, il y a « ce qu’on
veut bien nous faire croire », et d’autre part, « la réalité de cette procédure ».
Elle remarque que les policiers ont passé du temps à observer les « interactions » des deux
prévenus. Et estime « qu’on
ne saurait dire si l’un a amené les stupéfiants à l’autre »,
soulignant « qu'à un moment
donné, ils ont été ensemble avec cette cocaïne dans le véhicule ».
Elle pointe également la balance de précision, retrouvée avec la poudre
blanche. De quoi fustiger la défense de Damien, qui soutient qu’il ignorait ce
qu’il devait livrer. Ce type de délit est lourd d’implication, rappelle la
procureure : « Quand
on participe à ces livraisons, c'est la mort aussi que l'on transporte ! »
Pour Damien, elle requiert une peine de 16 mois de prison ferme, avec mandat de
dépôt, et pour William, 20 mois d’emprisonnement ferme.
L’avocat de William a « du mal à corréler les réquisitions avec le rôle effectif de Damien
concernant la cocaïne ». Il mentionne « des recherches de traces papillaires sur
l’emballage, qui n’ont rien donné”, ainsi qu’une recherche infructueuse dans
son téléphone, pour affirmer “qu’aucun
élément ne permet objectivement de relier Damien à ce pain de cocaïne trouvé
dans le véhicule”. Il appelle donc à ce que la condamnation porte seulement
sur les faits relatifs au cannabis trouvé chez lui.
L’avocate de Damien, en réponse à la procureure, affirme quant à
elle « ne pas avoir le
sentiment qu’il banalise », et qu’il a « conscience de la gravité des faits reprochés ». Elle
pointe le rôle circonscrit de livreur dans le trafic, pour expliquer que son
client n’avait réellement que très peu d’informations. Elle demande une peine
aménageable, arguant qu’il a bien réglé les amendes des ordonnances pénales
dont il avait fait l’objet. L’avocate met aussi en avant son insertion
professionnelle, et son rôle auprès de ses enfants.
À lire aussi : CHRONIQUE. (91) Tribunal d’Évry : « Espérons que je ne sois pas
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Après une suspension de séance d’une quarantaine de minutes, le
tribunal rend les délibérés de la série d’audiences. Damien est condamné à une
peine d’un an d’emprisonnement ferme, aménagée en détention à domicile sous
surveillance électronique, et à une amende de 1000 euros, avec l’obligation de
payer les sommes dues au Trésor public. William est relaxé sur les faits qui
concernent la cocaïne. Il est en revanche condamné, pour le cannabis trouvé
chez lui, à une peine de 120 jours-amendes à 15 euros. Le juge précise que
cette somme de 1 800 euros sera réduite de 20% s’il la règle dans le délai d’un
mois. A l’inverse, si au bout de 120 jours le prévenu n’a pas payé, il risque 120
jours de prison.
Etienne Antelme
*Les prénoms ont été modifiés
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