Tribunal de Créteil : « Je savais que c'était quelque chose d'interdit »


vendredi 13 décembre 20247 min
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CHRONIQUE. Au tribunal judiciaire de Créteil, deux prévenus étaient jugés en comparution immédiate, pour des faits de transport de stupéfiants.

Au milieu d’une série de comparutions immédiates de la 12e chambre correctionnelle du tribunal de Créteil, Damien* et William* se retrouvent dans le box des accusés. Le juge président d’audience annonce la couleur : « les faits sont un peu particuliers ».

Avant même de présenter les chefs de prévention, il interpelle les deux accusés : 

-       « On aimerait bien que vous nous disiez toute la vérité. Parce qu’on va être clair, vous vous connaissez tous les deux ?

-       Oui.

-       Et vous vous êtes connus où ? À Fleury-Mérogis ?

-       À Bois d’Arcy, corrige Damien, l’un des deux prévenus.

-       Mais c’était il y a longtemps ?

-       Oui. »

Une rencontre fortuite ?

Damien et William ont été arrêtés par la police avec 302 grammes de cocaïne, alors qu’ils se trouvaient à proximité d’un hôtel, à Nogent-sur-Marne. D’après leurs explications, ils étaient venus y déposer deux jeunes femmes venues passer le week-end à Paris, et rencontrées un peu plus tôt. Le juge les interroge sur cette rencontre : 

                       - « Ce qu'on n'arrive pas à savoir c'est : qu’est-ce que vous faisiez, tous les deux, à la Gare de Lyon ?

William se lance :

-       On s’est croisé par hasard. Moi, j’allais à mon assurance, juste à côté. Je me suis garé, j’y suis allé, mais c’était samedi et il était midi passé, c’était fermé. Et en repartant vers ma voiture, j’ai croisé Damien.

-       C’est par hasard que vous vous êtes retrouvés tous les deux à Gare de Lyon ?

-       Oui. Et au début, quand la police m'a arrêté, j’ai vu qu’il avait de la drogue, c’est pour ça que j’ai dit que je ne le connaissais pas.

Le juge se renfrogne : 

-       Et vous vous êtes suivis par hasard ?

-       Non, ça c’est parce qu’il y a ces filles qui cherchaient un hôtel. Et comme je n’habitais pas loin, je leur ai dit que j’en connaissais un. »

William prétend donc qu’il ignorait tout de l’importante quantité de cocaïne transportée par son ami. Mais, là où son cas se complique, c’est que les policiers ont saisi, lors d’une perquisition chez lui, une plaquette de 100 grammes de cannabis. 

Le juge continue à lire le procès-verbal, et remarque que William semble avoir été assez coopératif avec les enquêteurs… pour ensuite se taire. William conteste : il dit « avoir répondu aux questions », et rappelle son patronyme au magistrat, comme s’il craignait qu’on le confonde avec son compère. L’interrogatoire se poursuit : 

-       « Quand vous dites que vous trouvez la résine dans la rue, on a du mal à y croire…

-       Oui, bien sûr, je l’ai trouvée dans la rue, je pense que…

-       C’est pour votre consommation ou vous l'avez trouvée dans la rue ?

-       Oui, je l'ai trouvée dans la rue et je l'ai gardée pour ma consommation. Je pense que quelqu'un avait dû le cacher là.

-       Ou s'en débarrasser chez vous ?

-       Non, c’était un peu plus loin. Je ne me rappelle plus l’endroit exact, mais c’est entre Sevran et Aulnay-sous-Bois. Je l’ai vue par terre et je l’ai ramassée, je consomme mais je ne fais pas de trafic. »

En plus des 100 grammes de cannabis, les policiers ont aussi trouvé « des petits sachets », précise le juge. William précise avoir « tout trouvé en même temps » : « Dans le sachet, tout était ensemble, il y avait la plaquette de résine, il y avait un petit bout dans un autre sachet, c'est pour ça que la plaquette, elle est entamée. Je pouvais couper les petits bouts, je les mettais dans les sachets pour ma consommation ». Malgré les dires des enquêteurs sur la saisie, lors de sa perquisition, « d’éléments laissant penser à de la revente de stupéfiants », William maintient que ce n'est pas le cas. Il souligne le fait que les policiers n’ont rien trouvé sur son téléphone, et n’ont pas trouvé d’argent chez lui. Le prévenu reconnaît néanmoins la détention de cannabis, le transport, et l’acquisition - en l’ayant ramassé dehors.

Une mission de livraison

Le juge se tourne maintenant vers Damien, et l’interroge au sujet de la cocaïne trouvée dans son véhicule. Celui-ci répond qu’il devait faire une livraison, pour une rémunération de 200 euros : 

 

-       « Vous l’aviez récupérée le matin ?

-       Oui.

-       Et vous deviez la livrer où ?

-       Je ne savais pas encore, on devait m’envoyer un message.

-       Et qu’est-ce que vous alliez faire du côté de la gare de Lyon ?

-       J’allais acheter du soja.

-       Ça ne se trouve qu’à gare de Lyon ?

-       …Et à gare du Nord aussi.

-       On n’en a pas trouvé dans la voiture, je crois.

-       Non, parce que je n’ai pas trouvé l’endroit. »

Concernant les 302 grammes de cocaïne trouvée par les forces de l’ordre, Damien assure que William n’était pas au courant du contenu de cette « livraison ». Malgré les relances du juge, il reste évasif sur le moment où il a récupéré le colis. Selon lui, c’est la première fois qu’il acceptait une telle mission : « Je n’ai pas le temps. Si vous regardez bien, je suis tout le temps au travail. Et si je ne suis pas au travail, je suis dans les transports. J’ai deux heures aller, et deux heures retour. »

Une juge assesseure s’exclame : « 302 grammes, c'est énorme. » William soutient qu’il ignorait ce poids, et ce que contenait le colis.

-       « Vous pensiez que c’était quoi, alors ? demande la juge.

-       Je sais pas, je n’ai pas posé de question

-       D’accord. »

Le juge président d’audience rebondit, ironique : 

-       Vous pensiez qu’on allait vous donner 200 euros pour livrer du soja ?

-       Non, ça j’allais l’acheter.

-       Mais vous saviez que c’était quelque chose d’interdit ?

-       Bien sûr, je savais que ce qu’était quelque chose d’interdit.

-       Et, vu la taille et le poids, ça ne pouvait pas être de la résine de cannabis…

-       J’y connais rien…

-       Bon, si vous le dites. »

Des antécédents divers

En 2016, Damien avait été condamné à un an de prison ferme pour des faits de violences aggravées. En 2017 et 2018, il avait été condamné à deux amendes et à un stage de sensibilisation, pour conduite d’un véhicule après avoir fait usage de stupéfiants.

Damien explique au juge qu’il travaille depuis un an et demi à l’aéroport de Roissy. Le juge l’interroge sur sa « personnalité ». Père de trois enfants, il dit être un « travailleur », « motivé », qui aime son travail. Le juge lui rétorque qu’il doit avoir conscience qu’avec une condamnation pour les faits qui lui sont reprochés, il ne pourra plus travailler à l'aéroport. Interrogé par la juge assesseure sur ses antécédents, le père de famille répond avoir cessé toute consommation de stupéfiants. 

William, quant à lui, avait été condamné en 2016 à dix-huit mois d’emprisonnement, pour des infractions à la législation sur les stupéfiants. Il exerce le métier de livreur. Interrogé, il dit avoir cessé tout trafic depuis ses condamnations, et être un « simple consommateur », qui « travaille ».

Au vu des éléments recueillis lors de l’enquête, pour la procureure, il y a « ce qu’on veut bien nous faire croire », et d’autre part, « la réalité de cette procédure ». Elle remarque que les policiers ont passé du temps à observer les « interactions » des deux prévenus. Et estime « qu’on ne saurait dire si l’un a amené les stupéfiants à l’autre », soulignant « qu'à un moment donné, ils ont été ensemble avec cette cocaïne dans le véhicule ». Elle pointe également la balance de précision, retrouvée avec la poudre blanche. De quoi fustiger la défense de Damien, qui soutient qu’il ignorait ce qu’il devait livrer. Ce type de délit est lourd d’implication, rappelle la procureure : « Quand on participe à ces livraisons, c'est la mort aussi que l'on transporte ! » Pour Damien, elle requiert une peine de 16 mois de prison ferme, avec mandat de dépôt, et pour William, 20 mois d’emprisonnement ferme.

L’avocat de William a « du mal à corréler les réquisitions avec le rôle effectif de Damien concernant la cocaïne ». Il mentionne « des recherches de traces papillaires sur l’emballage, qui n’ont rien donné”, ainsi qu’une recherche infructueuse dans son téléphone, pour affirmer “qu’aucun élément ne permet objectivement de relier Damien à ce pain de cocaïne trouvé dans le véhicule”. Il appelle donc à ce que la condamnation porte seulement sur les faits relatifs au cannabis trouvé chez lui.

L’avocate de Damien, en réponse à la procureure, affirme quant à elle « ne pas avoir le sentiment qu’il banalise », et qu’il a « conscience de la gravité des faits reprochés ». Elle pointe le rôle circonscrit de livreur dans le trafic, pour expliquer que son client n’avait réellement que très peu d’informations. Elle demande une peine aménageable, arguant qu’il a bien réglé les amendes des ordonnances pénales dont il avait fait l’objet. L’avocate met aussi en avant son insertion professionnelle, et son rôle auprès de ses enfants.

Après une suspension de séance d’une quarantaine de minutes, le tribunal rend les délibérés de la série d’audiences. Damien est condamné à une peine d’un an d’emprisonnement ferme, aménagée en détention à domicile sous surveillance électronique, et à une amende de 1000 euros, avec l’obligation de payer les sommes dues au Trésor public. William est relaxé sur les faits qui concernent la cocaïne. Il est en revanche condamné, pour le cannabis trouvé chez lui, à une peine de 120 jours-amendes à 15 euros. Le juge précise que cette somme de 1 800 euros sera réduite de 20% s’il la règle dans le délai d’un mois. A l’inverse, si au bout de 120 jours le prévenu n’a pas payé, il risque 120 jours de prison.

Etienne Antelme

*Les prénoms ont été modifiés


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