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Si la médiation animale, qui consiste en un accompagnement à visée thérapeutique d’un animal auprès d’une personne vulnérable, ne date pas d’hier, son développement ne cesse toutefois de croître et de gagner en adhésion auprès des professionnels et publics concernés. Le milieu judiciaire ne fait pas exception et voit poindre de nouvelles initiatives aux bénéfices prometteurs. Cette série revient sur quelques-unes des actions menées par des professionnels passionnés.
· Les chiens d’assistance judiciaire, un dispositif « victime de son succès »
· Quand les animaux de ferme au passé difficile aident les détenus à se réinsérer
· Devant un chien, un mineur incarcéré « n’est plus un délinquant, c’est un enfant »
En place depuis
2019, cette initiative permettant de mettre gratuitement à disposition d’une
victime d’infractions pénales un chien formé pour l’accompagner dans son
parcours judiciaire s’attire l’intérêt croissant des juridictions, obligées
pour certaines de mutualiser ces animaux, faute de chiens disponibles. Un
succès qui a amené le ministre de la Justice à signer une convention nationale
pour étendre le dispositif dans toute la France, reconduite en février dernier.
Lol, Rumba,
Rancho, Orphée, Ouchi, Suki… ces golden retrievers et ces labradors ont tous un
point commun : ce sont des chiens d’assistance judicaire (CAJ). À ces noms
s’ajoute notamment celui de Tiwi, jeune chienne qui a fraichement rejoint le
dispositif ce 5 juillet et fait désormais partie des auxiliaires de justice aux
Sables-d’Olonne et à La Roche-sur-Yon.
Mais c’est en
2019 que ce dispositif prend vie en France – faisant d’elle une pionnière en
Europe –, avec l’arrivée – non sans peine – au tribunal de Cahors de Lol, jeune
golden retriever noir alors âgé de deux ans et demi, qui a fait ses premiers
pas en tant que chien d’assistance judicaire, pour accompagner des personnes
victimes d’infractions pénales dans leurs parcours judiciaire.
Une assistance
canine notamment rendue possible par Frédéric Almendros, alors procureur de la
République de ce tribunal, qui s’est battu pour le projet, et qui, grâce à la
fondation Adrienne et Pierre Sommer, a pu entrer en contact avec l’association
formatrice de chiens accompagnant des personnes porteuses de handicap,
Handi’chiens.
Sensibilisés à
la médiation animale, ces derniers ont entrepris un voyage d’études aux
États-Unis, où un dispositif similaire existe depuis plusieurs années et où
près de 300 chiens sont déployés à cet effet, dans le système judiciaire
Nord-américain. L’objectif de ce voyage, nous explique Jean-Luc Vuillemenot,
co-fondateur d’Handi’chiens, a été de mieux comprendre le fonctionnement de ce
dispositif, les méthodes, son déploiement, mais également d’échanger avec des
fonctionnaires du FBI travaillant avec ces animaux. Plusieurs milliers de
kilomètres, de nombreux échanges et démarches plus tard, est alors mis en place
en France ce dispositif, avec l’arrivée progressive de plusieurs CAJ.
Depuis
l’arrivée de Lol à Cahors, une vingtaine de chiens ont rejoint le dispositif,
nous indique Jean-Luc Vuillemenot, et interviennent dans 14 juridictions, parmi
lesquelles Orléans, Nîmes, Nancy, Grenoble, Nevers ou encore
Brive-la-Gaillarde, mais également dans des commissariats, hôpitaux et unités
d’accueil pédiatriques enfants en danger (UAPED), structures qui associent des
médecins, psychologues et enquêteurs pour entendre les enfants dans un cadre
sécurisé.
Spécialement
formés par l’association Handi’chiens, ces chiens d’assistance judiciaire,
toujours accompagnés d’un référent professionnel travaillant pour les
associations France Victimes (psychologues, juristes), interviennent donc
auprès des victimes, mineures comme majeures. Si le chien peut être proposé par
une juridiction à la personne victime, celle-ci peut également en faire la
demande. Dans les deux cas, elle se fait accompagner par l’animal à certains
moments de son parcours judiciaire (à l’audition au commissariat ou dans un
UAPED, devant le magistrat instructeur ou à la barre du tribunal si la présence
du chien est autorisée par les chefs de juridiction ou de cour), voire sur la
totalité de celui-ci, comme cela a déjà pu être le cas, pointe Jean-Luc
Vuillemenot.
Toutefois
précise-t-il, la présence du référent du chien, son binôme, peut quant à elle
être interdite, notamment dans certaines situations du parcours pénal. « Dès
lors que l’on est dans une phase judiciaire, le chien sera conduit par exemple
jusqu’à l’entrée du bureau de l’officier de police judiciaire, mais
l’intervenant de France victimes ne pourra peut-être pas pénétrer dans le
bureau pour le recueil de parole de la victime », illustre-t-il. Un
moment souvent crucial et délicat où l’intervention du CAJ va s’avérer
capitale.
Le co-fondateur
d’Handi’chien nous l’explique, la force de ses chiens aux côtés des victimes
réside dans leur capacité à être empathiques et bienveillants. Ces êtres qui
« ne jugent ni ne condamnent », argue-t-il, apportent une
présence réconfortante et apaisante. Véritables « éponges émotionnelles »,
comme les qualifie Jean-Luc Vuillemenot, ils absorbent les émotions et savent
décrypter les états émotionnels de l’humain, assure le co-fondateur
d’Handi’chiens, qui ajoute que ces animaux ont une capacité à « déverrouiller
des situations de blocage après une agression par exemple », et à
faciliter la libération de la parole, étape parfois délicate pour les victimes
et notamment les enfants. De quoi faire de ces chiens de véritables médiateurs
à quatre pattes.
Une présence
bénéfique observée aussi bien par les victimes qu’ils accompagnent que par les
professionnels de la chaine pénale ainsi que par les associations du
dispositif. Julien Simon-Delcros, magistrat au tribunal d’Orléans qui a vu
arriver Suki en mars dernier, indique par exemple que « la présence
d’un CAJ dans un commissariat, une brigade de gendarmerie, une unité d’accueil
pédiatrique d’enfants en danger, un tribunal… modifie profondément
l’ambiance : curiosité, moindre stress et souvent même de l’apaisement ».
En témoigne le
cas d’une jeune femme, victime d’un accident de la route, qui a pu être
accompagnée par Suki pour affronter l’interrogatoire du prévenu en comparution
immédiate. Prise de court par la rapidité de cette procédure, la victime, qui
n’avait pas pu se préparer psychologiquement, selon son témoignage, a vu en
Suki un effet « tranquillisant ».
De son côté,
Cédric Logelin, porte-parole du ministère de la Justice, qui a démontré son vif
intérêt pour le dispositif en signant en février 2023 une convention nationale
relative à son déploiement à tous les départements à horizon 2027, mentionne
des retours « unanimement positifs ». « Toutes les
personnes qui ont pu bénéficier d’un chien d’assistance judiciaire soulignent
l’importance de l’aide que celui-ci leur a apportée », et notamment
s’agissant du recueil de la parole. Le chien « réhumanise beaucoup de
choses » confiait pour sa part Sabrina Bellucci, directrice de Viaduc
– France Victimes de Strasbourg travaillant avec Orphée, à Actu Strasbourg, l’année
dernière. De son côté, Jean-Luc Vuillemenot se félicite entre autres du « rayonnement régional »
de Rancho « qui intervient au TJ de Nîmes », et souligne que
si le chien est un soutien pour les victimes, il l'est aussi pour les
professionnels qui l'accompagnent, confrontés à des témoignages de victimes
parfois difficiles à entendre. « Le
chien est extrêmement positif au sein même de l'équipe » confie-t-il.
Si la présence
du CAJ vient apaiser les victimes dans le cadre du parcours judicaire, le
co-fondateur d’Handi’chiens rappelle qu’il s’agit aussi d’un travail d’équipe
avec le référent, et insiste sur la complémentarité des savoirs. « La
prise en charge des victimes, c’est un métier. Nous avons noué un partenariat
très fort avec France Victimes du fait des compétences complémentaires entre
les professionnels de l’association et des chiens d’Handi’chiens. Il s’agit
véritablement d’un binôme », martèle-t-il.
L’éducation et
la formation du chien avec ses compétences et qualités couplé au
professionnalisme du référent contribuent à un accompagnement renforcé auprès
des victimes, estime-t-il. Ce dernier prend notamment l’exemple de Rumba qui
forme un binôme « absolu » avec l’officière qui
l’accompagne : « Les enfants victimes trouvent en elles deux
quelque chose de très sécurisant. »
Concrètement,
le chien peut soit accompagner le travail des professionnels de la prise en
charge et va le renforcer, ou le déplacer sur le terrain affectif, ou bien il
va se substituer complétement et solliciter du regard un enfant qui a été
victime. Dans ce cas, le rôle du professionnel sera alors d’observer l’enfant
et de l’encourager. C’est pourquoi « il est important que le chien soit
à la main d’un bon professionnel. »
Et pour que
cette collaboration fonctionne aussi bien, il est aussi important pour l’animal
qu’il vive sa vie de chien. Or, alors que le CAJ ressent les émotions,
positives comme négatives, ce n’est pas sans l’affecter – pour rappel, les
chiens sont doués de sensibilité (notion introduite dans le Code civil en 2015,
ne considérant plus les animaux comme des « biens meubles »). C’est
aussi tout l’enjeu de la formation dont se charge Handi’chiens, et du binôme travaillant
avec lui. « Il faut que le chien soit bien dans ses quatre pattes
puisqu’il va être confronté à des situations difficiles, et c’est d’autant plus
vrai pour les chiens d’assistance judiciaire avec la charge mentale, d’où la
nécessité pour le référent de respecter sa vie de chien, de le faire courir,
autrement il ne pourra pas faire le job », pointe le co-fondateur
d’Handi’chiens.
Que ce soit
pour devenir CAJ ou chien d’assistance auprès de personnes en situation de
handicap, le cursus de formation débute par le placement du chiot dans une
famille d’accueil (des personnes bénévoles) pour 16 mois. Une période durant
laquelle le chiot pourra faire toutes les bêtises qu’il veut, plaisante
Jean-Luc Vuillemenot, et où il devra également suivre tous les 15 jours des
cours avec un délégué ou un éducateur en charge de faire socialiser et
prééduquer le chiot. Il partira ensuite pour environ 6 à 8 mois dans le centre
d’éducation d’Handi’chiens pour recevoir une formation spécifique à
l’assistance judiciaire, auprès d’éducateurs canins professionnels.
L’équipe de l’association VIADUQ – France Victimes 67 qui intervient avec Orphée ©VIADUQ-67
Mais il existe toutefois des limites dans la capacité des chiens choisis à remplir à la tâche qui leur incombera. Si les golden retrievers et labradors sont les uniques races choisies pour l’accompagnement (races sélectionnées par l’homme et conditionnées depuis des décennies et dont leur mobilisation est encadrée par un décret), 35 % d’entre eux sortent néanmoins du programme à un moment, pour des raisons d’allergies ou bien de comportement, explique Jean-Luc Vuillemenot.
La formation
permet d’ailleurs d’affiner les binômes et de trouver le ou les meilleurs
référents pour le chiens (souvent deux pour un CAJ). Mais surtout, la tâche qui
sera confiée au chien doit correspondre à son tempérament. Un chien très actif
devant assumer une mission où il le sera très peu risque de le rendre
malheureux, par exemple. Il s’agit donc de trouver le « bon » chien,
à l’instar de Lol, « gros ours empathique noir parfaitement adapté à sa
mission [qui a pu accompagner plus de 200 victimes depuis ses débuts]. Le
simple fait de le caresser, de le regarder, d’être à côté de lui suffit à
apaiser une personne victime d’infractions pénales. »
La convention
signée en 2023 par les différents acteurs du dispositif et Éric Dupond-Moretti –
en présence de la chienne Orphée, reçue place Vendôme dans le bureau personnel
du garde des Sceaux, « complétement sous le charme du chien et
convaincu du dispositif » – prévoit notamment que « la
priorité doit être donnée au bien-être de l’animal » ; les signataires
s’engageant ainsi à y veiller et à retirer un chien du dispositif au moindre
signe de mal-être apparent. Le document prévoit notamment la remise de 20 CAJ
par an.
Toutefois, le
dispositif présente une autre imite : la capacité pour Handi’chiens de
former et de mettre des chiens à disposition. Comme le détaille Jean-Luc
Vuillemenot, émerge progressivement un « grand intérêt pour cette
initiative », avec « tout doucement, la montée en puissance de
l’intérêt de juridictions, de certaines unités de police et un intérêt
manifeste du garde des Sceaux ». Par ailleurs, l’intervention d’Outchi
et Rancho dans le procès sur l’affaire de l’accident de car scolaire à Millas
survenu en décembre 2017, ayant entrainé la mort de six enfants et fait 17
blessés, a donné un coup de projecteur sur le dispositif au moment du procès,
en septembre 2022.
Aujourd’hui,
Handi’chiens compte 450 dossiers d’attribution en attente, avec une capacité à
former 140 chiens par an, toutes spécialités confondues ; le calcul est
donc vite fait. « On peut dire que le dispositif a été victime de son
succès » sourit le co-fondateur de l’association obligée de revoir ses
formations et à réfléchir puisqu’initialement, les chiens qui y sont éduqués le
sont pour des missions « extrêmement spécifiques auprès de typologies
particulières de bénéficiaires en situation de vulnérabilité ».
Le succès est tel que
certaines juridictions vont même devoir mutualiser un CAJ, comme ce sera le cas
à pour les tribunaux de Dax et Mont-de-Marsan qui se verront prochainement
attribuer un chien, nous indique le porte-parole du ministère de la Justice, à
l’instar des tribunaux des Sables-d’Olonne et de la Roche-sur-Yon qui vont
conjointement collaborer avec Tiwi. « Il y a une solidarité avec ce
dispositif qui fait que les CAJ sont mis à disposition là où il y en a besoin »
ajoute Cédric Logelin. Et l’intérêt ne décroît pas, d’autant que comme nous
l’indique Frédéric Almendros, aucune juridiction n’y semble défavorable.
Heureusement
pour l’association, la question de la prise en charge financière de ses chiens
d’assistance judiciaire remis gratuitement ne se pose plus depuis la signature
de la convention tacitement reconduite chaque année – la formation des autres
chiens d’assistance chez Handi’chiens dépendant des dons –, puisqu’elle encadre
le financement. Celui-ci est en effet pris en charge par le service d’aide aux
victimes du ministère de la Justice, (SAVMJ), à hauteur de 17 500 € pour
la formation d’un CAJ, indique Cédric Logelin. Jusqu’en 2023, c’est la
fondation Adrienne et Pierre Sommer qui supportait cette charge, pointe pour sa
part l’ancien procureur de la République, désormais en poste au tribunal de
Cayenne.
Un dispositif
qui n’est donc pas près de perdre de son intérêt au sein des institutions
judiciaires, mais aussi auprès d’autres institutions et professions,
particulièrement du domaine du soin. On soulignera notamment l’arrivée d’un
chien assistant dans un cabinet dentaire en novembre 2023 pour apaiser les
patients qui ne se soignaient plus par peur d’être auscultés. Par ailleurs, le
jeune golden retriever Tonka (issu d’Handi’chiens) est devenu membre de l’unité
d’accueil médico-judiciaire du centre hospitalier d’Alençon le 6 juin dernier,
quand l’UAPED du CHU Montepellier a pour sa part débuté une collaboration avec
Ragnar, qui interviendra prochainement à la cour d’appel de Montpellier et sur
tout le ressort après signature d’une convention. Une
douzaine de projets potentiels pour le stage du mois de novembre 2024 sont à
l’étude, selon Jean-Luc Vuillemenot, et six nouvelles juridictions, dont Rodez
et Chartres, devraient prochainement accueillir l’un de ces médiateurs à quatre
pattes.
Allison Vaslin
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