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Actuellement contestée par de nombreuses PME et ETI, au point que le Gouvernement Barnier a récemment évoqué un potentiel moratoire sur son application, la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), directive européenne qui impose désormais aux entreprises la publication d’un reporting de durabilité détaillé, était au cœur des débats le 7 novembre dernier, au siège du Medef. Comment s’est déroulée, en France, la mise en œuvre pratique de cette directive ? Qu’impose concrètement la CSRD aux entreprises ?
Depuis
quelques semaines, la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) est
remise en cause par bon nombre d’organisations professionnelles des entreprises
comme le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti) ou la
Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Ces dernières s’inquiètent
notamment de l’impact de cette directive sur les plus petites entreprises.
Au début du
mois de novembre, il semblerait que leurs voix aient été entendues par les
pouvoirs publics. En effet, le ministre de l’Économie, Antoine Armand, a décidé
d’aller demander à la Commission européenne un assouplissement des règles de la
CSRD. En outre, selon un article paru dans Le Point le 14 novembre
dernier, Michel Barnier, le Premier ministre, aurait même évoqué l’idée d’un
moratoire sur son application.
Ce contexte
peu favorable à la CSRD n’a cependant pas découragé Valérie Delnaud, directrice
des affaires civiles et du Sceau, Florence Peybernes, présidente de H2A et
Robert Ophèle, président de l’Autorité des normes comptables à venir défendre cette
directive lors de la première table ronde – animée par Olivier Arthaud,
fondateur de FCI (Fédération des cabinets intermédiaires) et Marc Roussel,
président de Filiance - du colloque « Enjeux RSE & CSRD »
organisé au siège du Medef.
La France, premier
pays de l’UE à avoir transposé la directive CSRD
Publiée le 14
décembre 2022 par la Commission européenne, la transposition de la directive
CSRD s’est faite dans l’Hexagone seulement un an après, soit le 6 décembre 2023.
« Pour légiférer par voie d’ordonnance, nous ne disposions d’une
habilitation, de la part du Parlement, que pour une période de neuf mois. C’est
très court. Le Parlement voulait que cette ordonnance soit transposée très
rapidement. » a expliqué Valérie Delnaud. La France a donc été le
premier pays de l’Union européenne à transposer cette directive dans son
intégralité.
Applicable
depuis le 1er janvier 2024, la CSRD concerne à l’heure actuelle les
entreprises cotées ayant un bilan supérieur à 25 millions d'euros, un
chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros et un effectif
supérieur à 500 salariés. À partir du 1er janvier 2025,
ces sociétés devront publier un reporting de durabilité portant sur les
données ESG (Environnementaux, Sociaux et Gouvernance) de
l'entreprise. À partir du 1er janvier 2026, ce sera le cas pour les
entreprises de plus de 250 salariés, avec un CA de plus de 40 millions d’euros
et un bilan supérieur à 20 millions d’euros. Enfin, en 2027, l’obligation de
reporting s’appliquera aux micro-entreprises ne dépassant pas deux des critères
suivants : 10 salariés, 350 000 euros de bilan et 700 000 de CA.
À lire aussi : ENQUÊTE. Comment les entreprises se préparent-elles à l’évolution de la règlementation sur l'obligation de vigilance ?
Comme l’a
rappelé Valérie Delnaud, la CSRD s'inscrit dans le cadre du Pacte vert européen
qui vise à atteindre la neutralité carbone de l'Union européenne d'ici 2050.
Son objectif
est de garantir la publication d’informations de durabilité fiables et
comparables et d’inciter les entreprises à adopter des pratiques plus durables
pour la pérennité de leurs activités et de l’environnement.
En outre, la
CSRD met en avant le concept de « double matérialité », ce qui
signifie que les entreprises doivent évaluer les risques auxquels elles sont
exposées en matière de durabilité, mais aussi leur impact sur la société et
l’environnement.
Enfin, afin de
garantir la fiabilité et la crédibilité des informations divulguées par les
entreprises, le reporting fera l’objet d’une vérification obligatoire par un
commissaire aux comptes ou un organisme tiers indépendant (OTI). Les
investisseurs des entreprises seront d’ailleurs les premiers destinataires des
audits de durabilité.
Une
restructuration nécessaire du marché de l’audit
« L’avènement de ces
nouveaux audits a nécessité la restructuration du marché de l’audit » a
indiqué la directrice des affaires civiles et du Sceau. En outre, a-t-elle
ajouté, « les exigences à destination des CAC verts sont très élevées
avec 90 heures de formation, ce qui est plus que dans d’autres pays européens. »
En France, c’est la H2A
(Haute autorité de l’audit) présidée par Florence Peybernès qui est en charge
de l’homologation des formations qui permettent aux auditeurs de devenir
auditeurs de durabilité et d’être inscrits sur la liste. « Au
préalable, la Haute autorité a dû procéder à l’inscription de ces nouvelles
personnes physiques pour la certification des rapports. Nous avons aussi imposé
des formations à ces professionnels pour qu’ils puissent exercer cette mission
de certification » a rapporté Florence Peybernes.
La H2A est particulièrement
attentive aux formations suivies par les futurs auditeurs de durabilité. Ce
travail autour de la formation a commencé avec le H3C (ancien nom de la H2A) en
2023. Le H3C a commencé par constituer un groupe de travail pour établir la
liste des sujets devant être maîtrisés par un CAC ou un auditeur de durabilité.
« Ce document a été envoyé aux organismes de formations
professionnelles pour qu’ils construisent leur propre formation. » a
précisé Florence Peybernes.
Renommé par la suite « comité
scientifique », ce groupe de travail constitué de 14 personnalités a été
chargé de recevoir les candidatures des organismes de formation. « Ces
formations sont cependant très généralistes et théoriques. Nous avons demandé à
ce qu’elles soient améliorées par des cas pratiques rencontrés auprès des
entreprises. » a déclaré la présidente de H2A.
En juin 2023, la H2A a
également publié un Avis technique de 25 pages pour expliquer les démarches que
l’auditeur de durabilité doit suivre pour établir la certification. Cet Avis
technique a été mis à jour en septembre 2024 pour devenir Les lignes directrices de la
H2A relatives à la mission de certification des informations en matière de
durabilité.
« Dans cette mission
d’audit, le vérificateur n’est pas libre. Il doit suivre des normes d’audit. Or,
il n’existe pas encore de normes d’audit de durabilité. Les professionnels
avaient besoin de normes d’audit de durabilité en attendant que la Commission
européenne publie les siennes en 2026. » a expliqué la présidente de
H2A.
Mise en pratique difficile
Alors que les entreprises « croulent
déjà sous les réglementations liées à la compliance », a rappelé Olivier
Arthaud, comment cette nouvelle obligation a-t-elle été perçue par les
entreprises ?
« Nous avons des
échanges réguliers avec l’ensemble des acteurs du monde économiques. Nous
sommes conscients des inquiétudes que cette directive complexe peut faire naître.
Nous n’avons cependant pas vraiment le choix » a affirmé la directrice des affaires
civiles et du Sceau.
C’est notamment la rapidité
avec laquelle la CSRD a été transposée en droit français qui inquiète les
entreprises. Leurs inquiétudes sont également liées aux fameuses normes ESRS (European
Sustainability Reporting Standards) qui sont « ambitieuses et
nombreuses », selon les termes de Valérie Delnaud. Entièrement
pilotées par l’Union européenne, ces normes ne sont pas aux mains des pouvoirs
publics français.
À lire aussi : Critères ESG et politique de rémunération des dirigeants CAC 40
: quelles bonnes pratiques ?
« C’est une nouvelle
mission. Personne ne sait vraiment comment l’accomplir », a admis de
son côté Florence Peybernes. Le reporting de durabilité sera difficile à
élaborer pour la première vague d’entreprises tenues à le faire, et, selon la
présidente de H2A : « ce sera encore plus complexe l’année
prochaine pour les entreprises de plus 250 salariés, car elles ont moins de
maturité. »
Robert Ophèle s’est voulu plus
rassurant : « L’Union européenne a décidé de ne pas se précipiter
pour établir les règles sectorielles, a-t-il expliqué, elle a commencé
par fournir des outils pédagogiques pour faire appliquer, en premier lieu, les
normes tous secteurs. »
En outre, le président de
l’Autorité des normes comptables a annoncé que des questions-réponses et des implementation
guidance existent afin d’aider les entreprises à mieux appréhender certains
thèmes comme la chaîne de valeur ou la double matérialité, notamment.
Pour Valérie Delnaud, à
terme, la directive permettra aux entreprises d’identifier les risques et les opportunités
pour leurs activités. En outre, « cela pourra leur ouvrir l’accès à des
capitaux, car ces informations ont un caractère public et peuvent faciliter les
investissements. » a-t-elle prédit.
Au-delà, des critiques sur la
complexité de sa mise en œuvre, la CSRD a fait récemment l’objet de critiques
quant à son existence même, en France, mais aussi au sein de l’Union
européenne.
La CSRD, frein ou atout pour
la croissance ?
Comme l’a rappelé Robert
Ophèle lors de cette table ronde, fin novembre 2022, la CSRD a été adoptée au
Parlement européen avec une majorité d’environ 90 % des voix. Un véritable
succès, donc. Or, à ce jour, seulement 12 États sur 27 l’ont transposée
intégralement alors que cela devait être fait à la fin du mois de juin 2024.
En représailles, la Commission européenne a donc décidé d’envoyer une lettre de
mise en demeure à 17 États membres récalcitrants – dont l’Allemagne où la
directive est vivement critiquée - qui n’ont pas encore transposé la directive
ou seulement partiellement.
Le 1er janvier
2025, les entreprises françaises risquent d’être les seules de l’Union
européenne à devoir publier leur reporting de durabilité. Elles souffriraient
alors d’un déficit de compétitivité par rapport à ses rivales européennes qui
rechignent à se plier aux exigences de l’UE. La CSRD pourrait donc être, dans
ce contexte, un frein à la croissance des entreprises tricolores. Cette
situation explique, en partie, les tentatives actuelles du Gouvernement Barnier
pour trouver un terrain d’entente avec la Commission européenne.
Récemment, le rapport Draghi
s’est également montré critique envers la CSRD. Pour rappel, le 9 septembre
dernier, Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne, a
remis à Ursula von der Leyen, son rapport sur le futur de la compétitivité de
l'Europe. Le document est sans équivoque : face à la Chine et aux États-Unis,
l’Union européenne est en train de subir un déclassement compétitif majeur.
Parmi les raisons de ce
déclassement : la multiplication des charges réglementaires qui s’abattent
sur les entreprises européennes, et notamment la CSRD : « Le cadre
de l’UE en matière de reporting sur la durabilité et de vigilance raisonnable
constitue une source majeure de fardeau réglementaire », peut-on
ainsi lire dans le rapport. Ce dernier préconise d’alléger ce cadre dans
l’intérêt de la croissance européenne.
Pour Robert Ophèle, cette
critique envers la CSRD « exprime un sentiment partagé par de très
nombreuses personnes. Il n’y a pas assez de proportionnalité et trop de
complexité. » D’après ce dernier, il faudrait en premier lieu relever
les seuils en matière d’obligation de reporting : « On ne peut
demander la même chose à un groupe de 300 personnes qu’à un Groupe de 100 000
personnes. » a-t-il déclaré.
En outre, il faudrait
également introduire davantage de simplicité : « Il ne faut pas
rajouter trop de normes sectorielles. Il faut que ce soient des indicateurs
vraiment spécifiques à un secteur. Les secteurs doivent être bien définis et
homogènes. » a-t-il préconisé.
La Commission européenne
restera-t-elle sourde à ces recommandations ?
Maria-Angélica Bailly
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