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Au Medef, la CSRD en question


vendredi 15 novembre 20248 min
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Actuellement contestée par de nombreuses PME et ETI, au point que le Gouvernement Barnier a récemment évoqué un potentiel moratoire sur son application, la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD), directive européenne qui impose désormais aux entreprises la publication d’un reporting de durabilité détaillé, était au cœur des débats le 7 novembre dernier, au siège du Medef. Comment s’est déroulée, en France, la mise en œuvre pratique de cette directive ? Qu’impose concrètement la CSRD aux entreprises ?

Depuis quelques semaines, la Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD) est remise en cause par bon nombre d’organisations professionnelles des entreprises comme le Mouvement des entreprises de taille intermédiaire (Meti) ou la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME). Ces dernières s’inquiètent notamment de l’impact de cette directive sur les plus petites entreprises.

Au début du mois de novembre, il semblerait que leurs voix aient été entendues par les pouvoirs publics. En effet, le ministre de l’Économie, Antoine Armand, a décidé d’aller demander à la Commission européenne un assouplissement des règles de la CSRD. En outre, selon un article paru dans Le Point le 14 novembre dernier, Michel Barnier, le Premier ministre, aurait même évoqué l’idée d’un moratoire sur son application.

Ce contexte peu favorable à la CSRD n’a cependant pas découragé Valérie Delnaud, directrice des affaires civiles et du Sceau, Florence Peybernes, présidente de H2A et Robert Ophèle, président de l’Autorité des normes comptables à venir défendre cette directive lors de la première table ronde – animée par Olivier Arthaud, fondateur de FCI (Fédération des cabinets intermédiaires) et Marc Roussel, président de Filiance - du colloque « Enjeux RSE & CSRD » organisé au siège du Medef.

La France, premier pays de l’UE à avoir transposé la directive CSRD

Publiée le 14 décembre 2022 par la Commission européenne, la transposition de la directive CSRD s’est faite dans l’Hexagone seulement un an après, soit le 6 décembre 2023. « Pour légiférer par voie d’ordonnance, nous ne disposions d’une habilitation, de la part du Parlement, que pour une période de neuf mois. C’est très court. Le Parlement voulait que cette ordonnance soit transposée très rapidement. » a expliqué Valérie Delnaud. La France a donc été le premier pays de l’Union européenne à transposer cette directive dans son intégralité.

Applicable depuis le 1er janvier 2024, la CSRD concerne à l’heure actuelle les entreprises cotées ayant un bilan supérieur à 25 millions d'euros, un chiffre d'affaires supérieur à 50 millions d'euros et un effectif supérieur à 500 salariés. À partir du 1er janvier 2025, ces sociétés devront publier un reporting de durabilité portant sur les données ESG (Environnementaux, Sociaux et Gouvernance) de l'entreprise. À partir du 1er janvier 2026, ce sera le cas pour les entreprises de plus de 250 salariés, avec un CA de plus de 40 millions d’euros et un bilan supérieur à 20 millions d’euros. Enfin, en 2027, l’obligation de reporting s’appliquera aux micro-entreprises ne dépassant pas deux des critères suivants : 10 salariés, 350 000 euros de bilan et 700 000 de CA.

Comme l’a rappelé Valérie Delnaud, la CSRD s'inscrit dans le cadre du Pacte vert européen qui vise à atteindre la neutralité carbone de l'Union européenne d'ici 2050.

Son objectif est de garantir la publication d’informations de durabilité fiables et comparables et d’inciter les entreprises à adopter des pratiques plus durables pour la pérennité de leurs activités et de l’environnement.

En outre, la CSRD met en avant le concept de « double matérialité », ce qui signifie que les entreprises doivent évaluer les risques auxquels elles sont exposées en matière de durabilité, mais aussi leur impact sur la société et l’environnement.

Enfin, afin de garantir la fiabilité et la crédibilité des informations divulguées par les entreprises, le reporting fera l’objet d’une vérification obligatoire par un commissaire aux comptes ou un organisme tiers indépendant (OTI). Les investisseurs des entreprises seront d’ailleurs les premiers destinataires des audits de durabilité.

Une restructuration nécessaire du marché de l’audit

« L’avènement de ces nouveaux audits a nécessité la restructuration du marché de l’audit » a indiqué la directrice des affaires civiles et du Sceau. En outre, a-t-elle ajouté, « les exigences à destination des CAC verts sont très élevées avec 90 heures de formation, ce qui est plus que dans d’autres pays européens. »

En France, c’est la H2A (Haute autorité de l’audit) présidée par Florence Peybernès qui est en charge de l’homologation des formations qui permettent aux auditeurs de devenir auditeurs de durabilité et d’être inscrits sur la liste. « Au préalable, la Haute autorité a dû procéder à l’inscription de ces nouvelles personnes physiques pour la certification des rapports. Nous avons aussi imposé des formations à ces professionnels pour qu’ils puissent exercer cette mission de certification » a rapporté Florence Peybernes.

La H2A est particulièrement attentive aux formations suivies par les futurs auditeurs de durabilité. Ce travail autour de la formation a commencé avec le H3C (ancien nom de la H2A) en 2023. Le H3C a commencé par constituer un groupe de travail pour établir la liste des sujets devant être maîtrisés par un CAC ou un auditeur de durabilité. « Ce document a été envoyé aux organismes de formations professionnelles pour qu’ils construisent leur propre formation. » a précisé Florence Peybernes.

Renommé par la suite « comité scientifique », ce groupe de travail constitué de 14 personnalités a été chargé de recevoir les candidatures des organismes de formation. « Ces formations sont cependant très généralistes et théoriques. Nous avons demandé à ce qu’elles soient améliorées par des cas pratiques rencontrés auprès des entreprises. » a déclaré la présidente de H2A.

En juin 2023, la H2A a également publié un Avis technique de 25 pages pour expliquer les démarches que l’auditeur de durabilité doit suivre pour établir la certification. Cet Avis technique a été mis à jour en septembre 2024 pour devenir Les lignes directrices de la H2A relatives à la mission de certification des informations en matière de durabilité.

« Dans cette mission d’audit, le vérificateur n’est pas libre. Il doit suivre des normes d’audit. Or, il n’existe pas encore de normes d’audit de durabilité. Les professionnels avaient besoin de normes d’audit de durabilité en attendant que la Commission européenne publie les siennes en 2026. » a expliqué la présidente de H2A.

Mise en pratique difficile

Alors que les entreprises « croulent déjà sous les réglementations liées à la compliance », a rappelé Olivier Arthaud, comment cette nouvelle obligation a-t-elle été perçue par les entreprises ?        

« Nous avons des échanges réguliers avec l’ensemble des acteurs du monde économiques. Nous sommes conscients des inquiétudes que cette directive complexe peut faire naître. Nous n’avons cependant pas vraiment le choix » a affirmé la directrice des affaires civiles et du Sceau.

C’est notamment la rapidité avec laquelle la CSRD a été transposée en droit français qui inquiète les entreprises. Leurs inquiétudes sont également liées aux fameuses normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards) qui sont « ambitieuses et nombreuses », selon les termes de Valérie Delnaud. Entièrement pilotées par l’Union européenne, ces normes ne sont pas aux mains des pouvoirs publics français.

« C’est une nouvelle mission. Personne ne sait vraiment comment l’accomplir », a admis de son côté Florence Peybernes. Le reporting de durabilité sera difficile à élaborer pour la première vague d’entreprises tenues à le faire, et, selon la présidente de H2A : « ce sera encore plus complexe l’année prochaine pour les entreprises de plus 250 salariés, car elles ont moins de maturité. »

Robert Ophèle s’est voulu plus rassurant : « L’Union européenne a décidé de ne pas se précipiter pour établir les règles sectorielles, a-t-il expliqué, elle a commencé par fournir des outils pédagogiques pour faire appliquer, en premier lieu, les normes tous secteurs. »

En outre, le président de l’Autorité des normes comptables a annoncé que des questions-réponses et des implementation guidance existent afin d’aider les entreprises à mieux appréhender certains thèmes comme la chaîne de valeur ou la double matérialité, notamment.

Pour Valérie Delnaud, à terme, la directive permettra aux entreprises d’identifier les risques et les opportunités pour leurs activités. En outre, « cela pourra leur ouvrir l’accès à des capitaux, car ces informations ont un caractère public et peuvent faciliter les investissements. » a-t-elle prédit.

Au-delà, des critiques sur la complexité de sa mise en œuvre, la CSRD a fait récemment l’objet de critiques quant à son existence même, en France, mais aussi au sein de l’Union européenne.

La CSRD, frein ou atout pour la croissance ?

Comme l’a rappelé Robert Ophèle lors de cette table ronde, fin novembre 2022, la CSRD a été adoptée au Parlement européen avec une majorité d’environ 90 % des voix. Un véritable succès, donc. Or, à ce jour, seulement 12 États sur 27 l’ont transposée intégralement alors que cela devait être fait à la fin du mois de juin 2024. En représailles, la Commission européenne a donc décidé d’envoyer une lettre de mise en demeure à 17 États membres récalcitrants – dont l’Allemagne où la directive est vivement critiquée - qui n’ont pas encore transposé la directive ou seulement partiellement.

Le 1er janvier 2025, les entreprises françaises risquent d’être les seules de l’Union européenne à devoir publier leur reporting de durabilité. Elles souffriraient alors d’un déficit de compétitivité par rapport à ses rivales européennes qui rechignent à se plier aux exigences de l’UE. La CSRD pourrait donc être, dans ce contexte, un frein à la croissance des entreprises tricolores. Cette situation explique, en partie, les tentatives actuelles du Gouvernement Barnier pour trouver un terrain d’entente avec la Commission européenne.

Récemment, le rapport Draghi s’est également montré critique envers la CSRD. Pour rappel, le 9 septembre dernier, Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne, a remis à Ursula von der Leyen, son rapport sur le futur de la compétitivité de l'Europe. Le document est sans équivoque : face à la Chine et aux États-Unis, l’Union européenne est en train de subir un déclassement compétitif majeur.

Parmi les raisons de ce déclassement : la multiplication des charges réglementaires qui s’abattent sur les entreprises européennes, et notamment la CSRD : « Le cadre de l’UE en matière de reporting sur la durabilité et de vigilance raisonnable constitue une source majeure de fardeau réglementaire », peut-on ainsi lire dans le rapport. Ce dernier préconise d’alléger ce cadre dans l’intérêt de la croissance européenne.

Pour Robert Ophèle, cette critique envers la CSRD « exprime un sentiment partagé par de très nombreuses personnes. Il n’y a pas assez de proportionnalité et trop de complexité. » D’après ce dernier, il faudrait en premier lieu relever les seuils en matière d’obligation de reporting : « On ne peut demander la même chose à un groupe de 300 personnes qu’à un Groupe de 100 000 personnes. » a-t-il déclaré.

En outre, il faudrait également introduire davantage de simplicité : « Il ne faut pas rajouter trop de normes sectorielles. Il faut que ce soient des indicateurs vraiment spécifiques à un secteur. Les secteurs doivent être bien définis et homogènes. » a-t-il préconisé.

La Commission européenne restera-t-elle sourde à ces recommandations ?

Maria-Angélica Bailly

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