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Le changement climatique va engendrer d’importants flux migratoires dans les années à venir. Plusieurs pays commencent à légiférer pour anticiper ces mouvements de population. Une étape marquante a été franchie fin 2023 avec la signature d’un accord en vue d’un visa climatique entre l’Australie et Tuvalu.
Alors que le climat se réchauffe et le niveau des mers s’élève, l’avenir de millions de personnes à travers le monde est menacé. D’après l’ONU, le nombre de réfugiés climatiques atteindrait 250 millions en 2050, en particulier des habitants issus de zones côtières et de régions arides. Dans ce contexte, plusieurs questions cruciales se posent : quels pays doivent accueillir les réfugiés climatiques, dans quelles conditions et sous quel statut ?
L’objectif des visas
climatiques est de permettre à ces personnes d’être reçues par un autre pays,
en prévision ou après une catastrophe climatique, a expliqué Marine Denis,
docteure en droit à l’Université Paris 13. Elle est intervenue vendredi 16
février lors d’une conférence sur la mer et les enjeux climatiques, organisée à
la faculté de droit de l’Université Lyon 3.
Historiquement, ce sont essentiellement les pays du Pacifique qui ont commencé les premiers à réfléchir à la question des réfugiés climatiques. Leur particularité géographique les confronte directement à la montée des eaux, a-t-elle continué. D’autres pays du monde se sont également emparés de la question, comme les États-Unis, les nations d’Afrique de l’Est ou plus récemment l’Argentine.
Pendant de nombreuses années, l’attribution de visas dans le Pacifique a été fondée sur une approche économique, les pays d’accueil cherchant avant tout à s’ouvrir aux travailleurs pour faire fonctionner certains secteurs. La Nouvelle-Zélande a mis en place en 2002 les « Pacific Access » qui sont des catégories de visas se caractérisant par des quotas autorisés à destination de résidents de certains territoires insulaires alentour, comme les Îles Samoa. Ces visas permettent chaque année à plusieurs milliers de personnes de quitter le Pacifique pour s’installer en Nouvelle-Zélande, a expliqué Marine Denis.
Mais ces « Pacific Access ont à l’origine une vocation de migration économique, avec pour objectif de répondre aux besoins de la Nouvelle-Zélande en main-d'œuvre ». Il s’agit par exemple de visas saisonniers permettant de travailler six mois dans le secteur de l'agriculture. Ils sont donc « très limités » dans le temps et ne constituent pas une « alternative viable aux besoins de protection des îles concernées et impactées par les effets du changement climatique ». Les discussions entre la Nouvelle-Zélande et les îles du Pacifique ont ainsi longtemps été circonscrites au cadre économique en rejetant une « approche centrée sur le droit des réfugiés », du type « échange de bons procédés entre deux États ».
Une tentative de rupture de cette logique économique a cependant été observée récemment en Nouvelle-Zélande. La création d’un visa spécifique pour les personnes fuyant la montée du niveau des océans a longuement été réfléchie dans le pays et a fait l’objet de nombreux débats politiques. Des discussions ont notamment eu lieu à l’occasion de la présentation en 2017 d’un projet de visa qui prévoyait d’accueillir une centaine de réfugiés climatiques par an. Ce programme devait profiter aux personnes résidant dans les provinces insulaires du Pacifique, justifiant d’avoir été déplacées à cause du réchauffement climatique.
Ce « projet avait été élaboré en réponse à une demande d’asile formulée par un ressortissant des Kiribati ». Mais le président des Kiribati nouvellement élu en 2016, Taneti Maamau, a rejeté le projet de création du visa climatique expérimental proposé par la Nouvelle-Zélande. Il considère qu’accepter ce dispositif revient « à baisser les bras devant la disparition du territoire ». Sur ce point, il est important de noter que les États insulaires menacés du Pacifique « ne s'engouffrent pas dans la voie migratoire comme étant le seul salut » pour leur survie, a commenté Marine Denis.
Depuis 2017, la Nouvelle-Zélande a essentiellement abandonné ses projets de visas climatiques au bénéfice de financement d’aides à l’adaptation directement dans les pays voisins.
Aux États-Unis, des accords de libre association ont été conclus avec les Îles Marshall, ainsi qu’avec d’autres territoires de Micronésie et des îles Palaos. Cela permet à ces ressortissants de vivre et travailler sur le territoire américain sans visa ni limite de temps. Mais, là aussi, il s’agit d’un programme à visée économique afin de recevoir une main-d'œuvre. En avril 2021, un projet de loi a toutefois été présenté par le Sénateur démocrate américain Ed Markey visant à accueillir chaque année jusqu’à 50.000 personnes déplacées pour des raisons climatiques. Mais ce projet de loi ne s’est pas concrétisé, après l’opposition du camp républicain et d’une partie des démocrates. Ils considéraient que le projet aller provoquer un « appel d’air trop important », a expliqué Marine Denis.
En Afrique de l’Est,
l’autorité intergouvernementale a adopté depuis plusieurs années un accord
interétatique permettant un accueil temporaire de réfugiés dans un pays
limitrophe en cas de catastrophe naturelle.
Dans le même esprit, l’Argentine a proposé en 2023 un « visa humanitaire spécial » pour faciliter l'admission de réfugiés après une catastrophe naturelle. Ce programme s’adresse à 23 pays d’Amérique Latine et des Caraïbes. Cependant, le « programme argentin comme celui d’Afrique de l’Est autorise la migration uniquement après une catastrophe climatique et non en prévision ».
La véritable rupture dans les programmes de visas est intervenue le 10 novembre 2023 avec la signature d’un traité en l’Australie et les Tuvalu. Cet accord est le premier de l’histoire « à faire clairement référence au changement climatique en tant que raison d’être du traité », a souligné Marine Denis. Il rompt ainsi avec les précédents accords dans le Pacifique dont la visée était essentiellement économique. Il prévoit l’accueil de 280 à 300 tuvaluans par an par anticipation de la montée des eaux dans ce petit État du Pacifique comptant 11.200 habitants. Le traité est également assorti d’une aide à l’adaptation de 16 millions de dollars australiens (9,7 millions) pour mener, à Tuvalu, des travaux de consolidation des côtes et de récupération des terres déjà sous l’eau.
Il « vient vraiment ouvrir l’espoir d’un accord fondé sur les enjeux climatiques », a commenté la conférencière. Dans le détail, l’accord prévoit que le gouvernement australien garantisse des titres de séjours aux ressortissants de Tuvalu avec un droit de résidence (la durée n’a pas été encore précisée), ainsi qu’un droit de travail, d’accès à la santé et à l’éducation. Il stipule par ailleurs un droit de regroupement familial.
Toutefois, le traité a un aspect beaucoup moins vertueux : le renforcement de la position stratégique de l’Australie dans le Pacifique face aux ambitions de la Chine, a relevé Marine Denis. En effet, si l’article 4 engage l’Australie à porter assistance aux Tuvalu en cas de désastre naturel, d’urgence sanitaire ou d’agression militaire, il confère dans le même temps un droit de veto australien sur « tout accord de sécurité ou de défense qui serait pris par Tuvalu avec un autre État ou entité ». Le champ d’application de cet article 4 est large. Il couvre aussi bien la protection des frontières que la cybersécurité, les ports, télécommunication, infrastructures ou la production d’énergies. Ainsi, « plusieurs politologues et juristes ont analysé cet accord comme un véritable objectif de prévention de l’escalade de tensions qu’il pourrait y avoir un jour entre l’Australie et la Chine » dans le Pacifique. Il peut de ce fait être interprété comme une « sécurisation des intérêts australiens » dans la région.
L’accord entre l’Australie et Tuvalu soulève également plusieurs questions éthiques en cas de disparition des atolls et d’une absorption de la population par l’Australie. « Est-ce que les territoires seront contrôlés par l’Australie ? Est-ce que l’Australie respectera bien l’engagement d’assistance humanitaire prévu dans l’article 4 ? Est-ce que les ressortissants seront uniquement pris en charge en Australie ou dans d’autres pays comme les États-Unis ? », s’est interrogée Marine Denis.
Plus largement, la question des visas climatiques « ne répond pas du tout aux enjeux » de réduction des gaz à effet de serre. Les États du Pacifique souhaitent avant tout pouvoir conserver leurs habitats, cultures et religions en restant sur place. S’ils constituent une opportunité économique, ce type d’accord « peut aussi contribuer à affaiblir le plaidoyer des États menacés dans la sphère des négociations climatiques », a analysé Marine Denis. Le fait d’aller vers des visas climatiques ne doit en rien délester les pays de l’urgence d’agir contre le réchauffement climatique et de prendre des mesures pour lutter directement contre.
En conclusion de son
intervention, Marine Denis a précisé que l'Agence des Nations Unies pour les
réfugiés (HCR) et l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) ont
largement contribué aux projets de création de visas d’accueil de réfugiés climatiques
ou après une catastrophe naturelle.
Depuis 2001, l’OIM travaille notamment sur le dialogue régional en Amérique du
Sud visant à délivrer des visas entre États voisins après une catastrophe
naturelle. Quant au HCR, il a stipulé en 2012 et 2013 (dans son guide des
orientations stratégiques pour l’octroi du statut de réfugiés) la nécessité de
mettre en place des dispositifs de protection temporaire à la suite de
catastrophes naturelles. Si tous ces dispositifs « ne
répondent évidemment pas » aux aléas climatiques sur le temps long,
ils « peuvent se généraliser et faciliter le déplacement de personnes à
la suite de catastrophes », a estimé Marine Denis.
D’autant plus après la
signature de l’accord entre l’Australie et Tuvalu qui semble avoir ouvert la
voie.
Sylvain Labaune
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