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Une soixantaine de députés estimaient que certains articles de la proposition de loi sur l’amélioration de l’efficacité des dispositifs de saisies et de confiscations des biens criminels étaient inconstitutionnels. Des considérations en partie balayées par le Conseil constitutionnel, permettant la validation définitive de ce texte qui espère faire entendre que le crime ne paie pas.
Cela
fait de nombreux mois que les parlementaires se sont accordés sur un constat :
la loi qui a longtemps encadré les saisies (par définition temporaires) et les
confiscations (définitives) des biens criminels comporte des faiblesses. C’est
ainsi qu’est votée la loi « améliorant l’efficacité des dispositifs de
saisie et de confiscation des avoirs criminels ». Un vote à l’unanimité en
première lecture le 5 décembre 2023 à l’Assemblée nationale, avant un second
vote, également à l’unanimité, par le Sénat. L’adoption définitive du texte est
ensuite actée les 13 et 15 mai, par le Parlement.
Jean-Luc
Warsmann, député (Libertés et Territoires) des Ardennes est à l’origine de la
proposition de loi. Une proposition qui fait suite au rapport qu’il a mené,
avec son homologue Laurent Saint-Martin (LREM), intitulé « Investir pour
mieux saisir, confisquer pour mieux sanctionner », et soumis en 2019 au
gouvernement.
Ce
besoin de mieux sanctionner les auteurs de crimes s’illustre par les chiffres.
Selon Crim’HALT, une association de lutte contre la grande criminalité,
seulement 32 % des biens saisis par la justice sont définitivement confisqués,
en France. « A contrario, en Italie, les confiscations définitives
représentent 63,6?% des saisies provisoires », précise l’association. Un
autre chiffre préoccupant : 80 % des réseaux criminels européens utilisent « des
structures légales en appui de leurs activités criminelles », d'après Europol, l’agence européenne de police criminelle.
Pour
ce qui est du montant global des saisies françaises, ce dernier dépasse 1,4
milliard d’euros en 2023, soit une hausse de 87% en un an. À titre comparatif,
en 2011 (année de la création de l’Agrasc, l’Agence de gestion et de
recouvrement des avoirs saisis et confisqués), le premier bilan ne concernait
que 109 millions d’euros. Le total des saisies a donc fortement progressé, mais
« reste modeste au regard des revenus générés par la délinquance »,
précise le gouvernement sur son site internet. En effet, à lui seul, le «
chiffre d’affaires » annuel du narcotrafic français est estimé à au moins 3,5
milliards d’euros.
La
disposition majeure de cette récente loi réside dans la confiscation
automatique de certains biens saisis, notamment ceux qui sont « l’objet, le
produit ou l’instrument de l’infraction ». Des infractions pouvant
s’étendre du trafic de drogues, à la traite d’êtres humains, à l’extorsion ou
encore au blanchiment. La confiscation, qui est à l’origine une peine
complémentaire, est donc rendue obligatoire afin de rendre la réponse judiciaire
plus dissuasive. L’objectif est d’envoyer le message que le crime ne paie pas.
« Les mafieux ont moins peur de la prison que de la confiscation. Si les
enquêteurs n’avaient pas réalisé d’enquête de patrimoine, une partie de
celui-ci échappait à la justice, car la personne incriminée avait la
possibilité de le vendre. Là, ce n’est plus possible, elle devient obligatoire,
sauf motivation. Tout sera bloqué dès la mise en examen », détaille
Jean-Toussaint Plasenzotti, le porte-parole du collectif antimafia « Massimu
Susini », lors du vote de la loi en première lecture.
L’autre
volet prévu par ce texte est l’extension de l’affection gratuite de biens
saisis et confisqués. Auparavant, le procureur de la République ou le juge
d’instruction étaient autorisés à confier gratuitement des biens mobiliers
saisis, en se référant à une liste limitée de bénéficiaires. Les services
judiciaires, de police, de gendarmerie, l’Office français de la biodiversité et
les services du budget effectuant des missions de polices judiciaires pouvaient
bénéficier de ce type de dons, issus de confiscations et saisies. Avec
l’extension de l’affection gratuite, la liste des bénéficiaires s’allonge et
intègre l’administration pénitentiaire, l’Agrasc, les parcs naturels régionaux
et nationaux, les fondations ou associations d'utilité publique et les
fédérations sportives. De ce fait, si des motos sont confisquées, elles
pourront désormais être mises à la disposition de la Fédération Française de
Motocyclisme, par exemple.
À
l’issue de l’adoption définitive du texte, les associations antimafias, qui ont
activement participé aux discussions durant le processus législatif, se sont
félicitées de cette « grande victoire ». Et pour cause, l’association
Crim’HALT et le collectif « Massimu Susini » étaient à l’origine de
l’amendement adopté, rendant obligatoire les confiscations des biens issus de
trafics criminels. Dans un communiqué de presse publié le 30 avril dernier, les
deux collectifs saluaient « une avancée majeure dans la lutte contre la
criminalité organisée en France ».
Les
deux organisations ajoutent que ce texte valorisera « le travail des
enquêteurs, des policiers et des magistrats instructeurs, menant des enquêtes
patrimoniales qui demandent un important travail en plus des enquêtes
classiques ». Ainsi, ces confiscations désormais automatiques, « permettront
de réduire le pouvoir économique des groupes criminels en luttant plus
efficacement contre le blanchiment », poursuivent-ils, dans le même
communiqué de presse.
L’alinéa
8 du texte n’a pas su faire l’unanimité dans l’hémicycle. Cette partie du
texte stipule que la confiscation d’un bien immobilier issu de trafics
criminels vaut expulsion de la personne condamnée et des « occupants de son
chef », notamment sa famille. L’objectif de cette disposition étant de « libérer
le bien », comme l’avait défendu Jean-Luc Warsmann, en novembre 2023, lors
de la présentation du texte en commission des lois. Le Sénat précisera ensuite,
au cours de la lecture du texte, que la confiscation vaudra effectivement titre
d’expulsion « à l'exception des titulaires d'une convention d'habitation
conclue à titre onéreux dès lors que cette convention est antérieure à la
confiscation et que le locataire s'est acquitté de ses obligations
contractuelles ».
Mais
cette clarification ne suffit pas pour une soixantaine de députés, qui ont
décidé de renvoyer le texte en déféré, le 22 mai dernier, au Conseil
constitutionnel. La députée Mathilde Panot (LFI-NUPES), en charge de la
rédaction de la saisine, y développe : « Cette proposition de loi est
manifestement contraire a` plusieurs principes a` valeur constitutionnelle et
plusieurs droits et libertés constitutionnellement garantis », tels que le
droit à la vie privée, de mener une vie familiale normale et le principe de
l’inviolabilité du domicile. De plus, pour les députés signataires de la
saisine, ce volet de la loi autoriserait « une décision arbitraire » en
permettant l’expulsion de personnes qui ne sont pas responsables des actes
criminels du condamné.
Le
20 juin dernier, soit un mois après la saisine des députés, le Conseil
constitutionnel rendait sa décision, globalement favorable à la loi
initialement proposée. Le Conseil des sages a tout d’abord clarifié les
questionnements rédigés par Mathilde Panot, s’agissant des « occupants de
son chef ». Les Sages ont répondu qu’il « appartiendra au juge qui
prononce la peine de confiscation de prendre en compte, au regard des éléments
dont il dispose, la situation personnelle et familiale de la personne condamnée
», faisant référence au cas des familles des condamnés, occupant les lieux
confisqués. Le Conseil constitutionnel précise, en revanche, que les « occupants
du chef de la personne condamnée », telle que sa famille, ne peuvent être
expulsés qu’à l’expiration d’un délai de deux mois, après en avoir été
informés. Ces occupants peuvent saisir le juge pour obtenir des délais
renouvelables si le relogement ne peut avoir lieu dans « des conditions
normales ».
Néanmoins,
le Conseil constitutionnel a jugé « partiellement conforme à la Constitution
» le texte car « il peut conduire à expulser des occupants de bonne foi
ayant conclu une convention d’occupation après la décision de saisie » par
méconnaissance de cette même décision. Afin de trancher la question, le Conseil
constitutionnel déclare qu’il reviendra au juge d’interpréter la situation et
de définir si les occupants signataires après une décision de saisie, avaient
eu connaissance ou non de ladite décision. Cette « réserve d’interprétation
» permet aux Sages de valider une disposition qui, sans cette réserve, aurait
pu être censurée.
Enfin,
le Conseil constitutionnel clarifie toute ambiguïté en affirmant que le texte
renforce « l’efficacité de la peine de confiscation en facilitant
l’expulsion des occupants du bien concerné » et participe ainsi à la « sauvegarde
de l’ordre public ». La loi du 24 juin 2024 « améliorant l’efficacité
des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels » a donc
été publiée au Journal officiel du 25 juin 2024 et est finalement entrée
en vigueur.
Inès Guiza
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