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En augmentant de 600 milliards d’euros son PEPP (Pandemic Emergency Purchase Programme) et en portant la date de fin à 2021 (re-investissement à 2022), la BCE reprend l’initiative sur des attentes de marchés qui étaient déjà très ambitieuses. Ses vues sur l’économie paraissent beaucoup plus pessimistes que celles du consensus pour 2020 (-8,7 % versus -7,6 %) et peut-être craint-elle aussi une approbation un peu plus difficile du « recovery fund » sur les prochains mois avec une résistance plus forte de la part des pays dits « frugaux ». Les prévisions sur l’inflation ne sont pas plus optimistes car elle devrait s’établir à 1,3 % en 2022, soit très en dessous de l’objectif de 2 %. L’argument d’une inflation en dessous de ses objectifs pourra donc être utilisé à loisir les prochains trimestres si la BCE doit de nouveau adapter ses mesures et ainsi imposer un consensus au sein du Conseil des gouverneurs.
L’action de la BCE se concentre sur ses achats d’actifs et laisse de côté les taux d’intérêt déjà en territoire négatif ; elle attend de l’assouplissement programmé des conditions de TLTRO3 (targeted longer-term refinancing operations) en juin une nouvelle baisse des conditions financières.
Le PEPP a été accru de 600 milliards pour clairement gagner du temps et retrouver une certaine visibilité sur les marchés financiers et l’économie ; les rythmes des achats récents risquent de venir rapidement à bout du fond, encore plus si des tensions nouvelles revenaient sur le marché financier à l’occasion des négociations sur le « recovery fund ».
La BCE présente le PEPP comme un outil très flexible dont les composantes (temps, classe d’actifs et pays) devraient pouvoir être adaptées très rapidement. Cela en fait certes une force d’intervention rapide, mais sa gestion courante et les derniers achats réalisés semblent assez conservateurs malgré l’ambition affichée. La règle de répartition des achats selon le capital de la BCE est marginalement remise en cause, au profit de l’Italie et au détriment de l’Allemagne et de la France. L’ensemble reste dans les fluctuations déjà observées lors des achats mensuels d’obligations (PSPP). De plus, les achats d’obligations d’entreprises risquées (high yield) ne sont toujours pas programmées ni discutées. La BCE semble réserver l’agressivité potentielle du PEPP pour des conditions de marchés ou de transmission de politique monétaire beaucoup plus difficiles que celles en place. Il en est de même concernant des achats d’actifs bancaires ou des prêts directs aux entreprises, dispositifs adoptés par la Fed.
Sur la question de la constitutionnalité et de la proportionnalité des achats de la BCE (PSPP), la réponse de la BCE semble plus modérée que les réactions initiales, renvoyant au gouvernement et Parlement allemand le soin de répondre à cette réserve sur son action. La pression passe donc du côté politique. La BCE ré-affirme son indépendance arguant des décisions passées de la Cour européenne de justice. La question est donc politique quand l’Allemagne doit justement prendre la présidence tournante de l’UE cet été.
En somme, la BCE gagne du temps et se prépare à un « gros temps » économique et politique.
La mutualisation de la dette européenne commence à apparaître et la BCE, gardienne de la liquidité, garante d’un bas coût du capital essaie de maîtriser en partie le calendrier. Elle évolue vers une gestion plus active de la dette aussi bien publique que privée et de son refinancement, l’inflation faible justifiant une certaine monétisation de la dette.
Patrice Gautry,
Chef économiste à l’Union Bancaire Privée
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