Les entreprises françaises face à la pandémie de Covid-19 aux États-Unis


lundi 22 juin 20206 min
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Entretien avec Laurence Ruiz, experte-comptable depuis septembre 2019 chez Orbiss, cabinet spécialisé dans l’implantation des entreprises françaises aux États-Unis, et installée à New York depuis 2014.


 


Pouvez-vous présenter votre rôle auprès des entreprises françaises installées aux États-Unis ?


Mon rôle est d’accompagner les groupes de sociétés françaises pour les aider à implanter leur filiale sur le territoire américain et à comprendre la culture américaine comme le paiement des salaires, ou à faire en sorte qu’elles soient en règle sur la fiscalité.


 


Quel a été votre nouveau rôle pendant cette pandémie de Covid-19 ?


Il a fallu interpréter et vivre avec la culture américaine. Très clairement, quand le président Macron a annoncé le confinement et que, dans la foulée, le président Trump a fermé les frontières américaines, on a su que cela allait être la crise. Le lundi matin, tous mes clients m’ont appelée en disant : « Il faut que le gouvernement américain nous aide ». Sauf qu’aux États-Unis, si vous ne pouvez plus payer votre salarié, vous le licenciez. Alors que dans la culture française, on ne peut pas faire ça.


 


Comment alors « interpréter et vivre cette culture américaine » ?


On ne fait vraiment pas du business de la même façon, mais là, avec le coronavirus, cela a été très frappant. Il y a un autre pan de la crise que l’on ressent très fortement aux États-Unis : le système social américain n’est pas du tout fait pour surmonter ce genre de d’épreuve. Mais quand bien même il y a énormément de pauvreté, les gens restent très positifs. On ne les entend pas se plaindre. Il existe une pleine confiance dans le système américain par rapport à ce qu’ils vivent. Tout le monde se dit que cela va repartir, qu’il va y avoir du « mieux ». On n’est pas du tout dans le même sentiment français, toujours dans la complainte.


 


Quelles sont les conséquences provoquées par la fermeture des frontières ?


C’est un gros problème. On n’a plus de visa depuis deux mois et on n’en n’aura pas dans les prochains mois. Donc on n’a pas de recrutement de stagiaires ou de salariés expatriés.


Pour ceux qui sont déjà sur place, il n’y a pas de problèmes, mais ceux qui devaient arriver doivent attendre au moins janvier 2021. Ils ne peuvent pas venir pour faire des démarches commerciales, pour prendre le pouls… C’est complètement interdit.


Certains chefs d’entreprises sont revenus en France. Les quinze premiers jours de la crise ont vraiment été violents.


 


Vous suivez et accompagnez des entreprises de trois secteurs principaux : le retail, les start-up et l’industrie. Quels sont ceux qui sont plus impactés par la crise ?


Tous les magasins, les restaurants, tout ce qu’on appelle le retail, ceux qui payent un loyer pour lequel ils ont dû fermer parce que c’est le confinement, se retrouvent dans une situation catastrophique car ils doivent continuer à payer le loyer. Les conséquences sont très fortes et très dures.


Certains ont toutefois très bien tiré leur épingle du jeu sur le web, comme les entreprises BtoB, les start-up qui vendent des solutions, le secteur de la communication… Tous ont continué de fonctionner comme d’habitude.


On a aussi toute la partie industrielle. Dans le New Jersey, des entreprises ont continué à tourner avec des équipes réduites en respectant les distances, mais des pièces n’arrivaient pas. Car aux États-Unis, le confinement a été décidé selon chaque état, donc il suffit que les fournisseurs soient dans l’État de New York pour que cela pose problème. Mais maintenant, cela va beaucoup mieux.


 


On voit donc avec cette crise que les secteurs plus traditionnels, comme le retail, subissent de plein fouet les conséquences économiques du coronavirus. À l’avenir, les entreprises françaises auront-elles plutôt intérêt à s’implanter sur un marché en plein essor comme les start-up ?


Il va y avoir un avant et un après dans le retail dans les grandes villes. Le retail, cela va rester compliqué. C’était déjà le cas avant la crise.


Les entreprises BtoB, start-up, elles, sentent le vent tourner avec la digitalisation. Beaucoup de gens ont souffert de ne pas avoir d’application pour les citoyens par exemple, et on est très forts en France dans ces secteurs. Les Français sont déjà dans les starting-blocks, puisque les principaux appels téléphoniques que l’on reçoit proviennent de ce type de sociétés. Ils veulent profiter de la vague ; il y a vraiment une carte à jouer.


 


Comment les sociétés qui souhaitaient s’implanter en 2020 peuvent-elles appréhender la crise ?


Rien ne les empêche de s’implanter aujourd’hui. Les Français ont du temps en ce moment pour réfléchir et préparer leur projet. Ça n’a pas arrêté le flux. On n’aura pas d’expatriés français, mais cela ne nous empêche pas de créer la structure. Et les embauches restent possibles si elles sont faites sur le territoire américain. C’est moins fluide que si les sociétés venaient à New York une semaine, mais cela ne veut pas dire que c’est impossible.


 


Pour soutenir l’économie fortement touchée par l’épidémie de la Covid-19, le gouvernement américain a voté fin mars un plan d’aide historique de 2 000 milliards de dollars pour aider les entreprises, et notamment les entreprises fragiles. Parmi elles, le « Paycheck Protection Program » (PPP) ou encore le « Families First Coronavirus Act ». Les entreprises françaises que vous accompagnez sont-elles concernées par ces plans d’aide ?


Le « Paycheck Protection Program », c’est le programme qui a été le plus mis en avant. Un principe selon lequel, si vous aviez payé 10 000 dollars de salaires mensuels en 2019, le gouvernement vous donne 2,5 fois ce montant en emprunt. Cela fait donc à peu près 25 000 dollars. Une fois cet emprunt sur le compte bancaire, vous avez huit semaines pour le dépenser : au moins 75 % de dépenses pour les salaires et 25 % pour les « utilities » – téléphone et loyer. Si vous respectez ces règles, l’emprunt est annulé, donc cela revient à une subvention.


Par rapport au PPP, la limite initiale de l’enveloppe de 350 milliards de dollars a été rapidement atteinte… Certains entrepreneurs n’ont pas pu en bénéficier. Une rallonge de 320 milliards de dollars a été votée le 23 avril. Qu’en est-il à l’heure actuelle ?


Lors du premier round, on a eu très peur. Quand la loi est sortie, elle ne prévoyait rien sur les aides aux entreprises étrangères. Cela a été trop compliqué à gérer, donc le gouvernement a finalement autorisé l’ouverture des aides à tout le monde. Une semaine après, si les salariés d’une entreprise étaient aux États-Unis, alors l’entreprise pouvait bénéficier du programme. Sauf qu’une semaine plus tard, l’intégralité de la première enveloppe avait été complètement épuisée. Quand on a voulu en bénéficier, personne n’a pu l’avoir.


Il y a eu une deuxième enveloppe dix jours après, qui est toujours en cours. Tous les clients qui pouvaient y prétendre l’ont eue. Cela aide pendant huit semaines, mais ce n’est pas exceptionnel.


Il semblerait que le gouvernement remette la main à la poche pour les mois de juillet et d’août.


 


Hors pandémie, quels conseils donneriez-vous à une société qui souhaiterait s’installer aux États-Unis ?


Il faut bien appréhender la culture, avoir du temps et des moyens.


Premièrement, il faut pouvoir subvenir aux frais et coûts sans avoir de chiffre d’affaires, car le premier contrat est en moyenne signé au bout de 18 mois. Il faut donc avoir un bon business plan et un compte bancaire bien rempli.


Deuxièmement, envoyer un Français aux États-Unis qui a la culture française et qui peut faire le pont entre les deux pays. On aime bien les sociétés à deux têtes : un Français et un Américain qui connaissent bien le marché et le client. Un va avoir la culture française, et l’autre va avoir la culture américaine. Ils doivent collaborer de façon intelligente.


Et troisièmement, se donner le temps et se laisser surprendre. Souvent, on a des clients qui ont du succès en France, mais quand ils viennent aux États-Unis, ils doivent ouvrir leur structure, parce qu’il faut s’en imprégner pour pouvoir réussir. Cela nous demande du temps de faire évoluer tous les concepts pour être en lien avec ce marché américain, mais une fois qu’on le maîtrise, tout se passe très bien.

 

 

Propos recueillis par Jadine Labbe Pacheco

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