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Alors que les 15-25 ans représentaient 35 % des condamnés en 2023, dans son rapport public annuel, la juridiction financière estime l’évolution de la délinquance juvénile « difficile à caractériser » en raison des évolutions législatives et d’outils d’analyse « insuffisants ». Elle en profite pour souligner les conditions de détention des jeunes majeurs, souvent propices à la récidive.
Une « surreprésentation
des jeunes dans la population pénale ». Voilà le constat que dresse la
Cour des comptes, dans le chapitre
« les jeunes et la justice pénale » de son rapport
public annuel, dédié cette année aux politiques publiques mises en œuvre à
l’égard des jeunes Français et rendu public le 19 mars.
Les chiffres que la
juridiction financière égrène parlent d’eux-mêmes : alors que les 8,2
millions de jeunes de 15 à 25 ans constituent 12 % de la population française,
ils représentaient 26 % des mis en cause, 34 % des poursuivis et 35 % des
condamnés en 2023. Une année marquée par les émeutes de l’été 2023, déclenchées
par la mort de Nahel Merzouk, cet adolescent tué par un policier après un refus
d’obtempérer.
A la suite de cet épisode de
violences urbaines, un rapport
conjoint de l’inspection générale de la justice et de l’inspection générale
de l’administration avait mis en lumière que 70 % des atteintes aux biens
publics avaient été commises par les 18 - 22 ans et que plus d’un quart des mis
en cause étaient mineurs ; proportion jugée « inhabituelle ».
En réponse, et tandis que « la
délinquance des jeunes de 15 à 25 ans occupe une place importante dans le débat
public », une proposition
de loi de Gabriel Attal visant à « restaurer l'autorité de la
justice à l'égard des mineurs délinquants et de leurs parents » a été déposée
en octobre dernier et adoptée en première lecture au Sénat le 26 mars.
Le nombre de jeunes mis en
cause tributaire de l’évolution de la loi
C’est dans ce contexte que la
Cour des comptes apporte son analyse sur la délinquance des jeunes, d’abord au
sujet de l’évolution de cette délinquance sur les 30 dernières années, qu’elle estime
« difficile à caractériser ».
En effet, si le ministère de
la Justice se base notamment sur le nombre d’affaires transmises aux parquets,
cet indicateur est « contesté », selon le rapport, car sa
courbe est liée à plusieurs facteurs. « Outre l’activité des forces de
sécurité, la facilité avec laquelle les victimes déposent plainte et les
orientations données localement par les parquets influent sur le nombre de
jeunes mis en cause ».
À
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bilan « décourageant » des inégalités de genre à l’entrée dans le monde
professionnel
L’évolution de la loi pénale
vient elle aussi brouiller les pistes. Première observation, « les
dernières décennies ont été marquées par une augmentation de la criminalisation »,
c’est-à-dire du nombre des qualifications pénales contenues dans la loi. Les
faits passibles de poursuites sont ainsi passés de 10 100 en 1994 à 13 350 en
2014. Par ailleurs, 42 % des condamnations prononcées en 2018 par les tribunaux
correctionnels et les juridictions pour mineurs portaient sur des infractions
routières, faits qui, quinze ans auparavant, « ne relevaient pas de la
sphère correctionnelle ».
Ces évolutions ont donc
contribué au doublement du nombre de mineurs mis en cause de 1992 à 2010. En
revanche, relève la Cour des comptes, le nombre de jeunes de 15 à 25 ans mis en
cause a quant à lui chuté de 18 % entre 2014 (630 629) et 2023 (515 517) ;
baisse qui a surtout concerné les infractions à la législation sur les
stupéfiants. En cause, la mise en place d’une amende forfaitaire délictuelle en
cas d’usage illicite de produits stupéfiants, via la loi du 24 décembre 2019,
qui éteint l’action publique en cas de paiement immédiat. En 2022, 143 000 amendes
pour consommation de stupéfiants ont été délivrées, soit 11 900 par mois en
moyenne.
Beaucoup d’infractions liées
aux stupéfiants mais peu de faits très violents
De l’avis de la Cour, les
jeunes de 15 à 25 ans restent néanmoins « surreprésentés »
pour les infractions liées aux stupéfiants, puisqu’ils représentent 61 % de la
population condamnée, « avec une augmentation significative »
dès 14 ans. Ils s’illustrent également tout particulièrement en matière d’infractions
liées à la circulation routière, lesquelles « se multiplient et
plafonnent à 22 ans ».
Quant aux faits très violents
(viols, homicides et violences volontaires, vols criminels…), si ces derniers
font souvent l’objet d’une forte médiatisation, et semblent pointer vers une explosion
de ce phénomène, le nombre de mineurs âgés de 15 à 17 ans condamnés dans ces
affaires est en réalité passé de 146 en 2012 à 57 en 2022. De quoi largement
relativiser, bien que la direction de la protection judiciaire de la jeunesse ait
fait état récemment « d’une tendance à la hausse du nombre et des
durées d’incarcération ».
Mi-mars, le tribunal pour
enfants de Bourgoin-Jailleu a prononcé une peine de 12 ans d’emprisonnement,
assortie de sept ans de suivi socio-judiciaire, contre Valentin, 17 ans aujourd’hui,
qui avait tué ses parents en novembre 2023, et dont le discernement a été
reconnu comme « altéré » au moment des faits. A compter du 26
mai, c’est le tribunal pour enfants de Châteauroux qui statuera sur le meurtre
de Matisse, 15 ans, tué de coups de plusieurs coups de couteau en avril dernier.
Détenu depuis un an, le principal suspect était âgé de 15 ans au moment des
faits.
Rupture dans la procédure après
18 ans
Dans son rapport, la Cour des
comptes s’attache à démontrer la « rupture brutale » qui s’opère
à la majorité en termes de procédures de jugement, et les conséquences que cela
peut avoir. Elle le rappelle : pour les mineurs, la justice pénale
respecte des principes et des droits spécifiques (jugement des mineurs par un
tribunal spécialisé, primauté de l’éducatif, atténuation de responsabilité…),
qui émanent en partie du droit international.
Stage de sensibilisation, rappel
à la loi ou travail non rémunéré au lieu d’une inscription au casier judiciaire :
la réponse pénale privilégie ainsi davantage les alternatives aux poursuites
pour les mineurs que pour les jeunes majeurs (55,5 % en 2023 contre 29,8 % ;
des chiffres en baisse dans les deux cas).
Par ailleurs, en 2022, sur la
totalité des peines prononcées par les juridictions pénales, 22,5 % de personnes
majeures ont été condamnées à des peines d’emprisonnement ferme, et seulement 6,6
% de mineurs. « Moins nombreux à être incarcérés, les mineurs le sont
généralement pour des peines ne pouvant être aménagées, en particulier en
raison du niveau élevé de gravité des crimes commis », souligne la
juridiction financière.
Elle ajoute que cette
différence reflète aussi la typologie des infractions commises. Par exemple, les
18-25 ans font, logiquement, beaucoup plus souvent l’objet de poursuites pour
les infractions routières (61,7 % en 2023) que les 15-18 ans (22,5 %). C’est
aussi une question de « progressivité de la réponse pénale et d’aggravation
de la récidive », qui contribue à ce que « la probabilité
d’incarcération progresse avec l’âge », explique-t-elle. Une étude de
l’Insee parue en 2016 a montré qu’après 18 ans, la probabilité d’être condamné
à de la prison ferme est multipliée par 2,4 à 24 ans par rapport à 17 ans.
Les jeunes majeurs face au « choc
carcéral »
S’ajoute à cela un suivi « moins
individualisé » pour les jeunes majeurs, constate la Cour des comptes.
Jusqu’à 18 ans, les jeunes sont pris en charge par les éducateurs de la
protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), sous le contrôle d’un juge pour
enfants. À partir de 18 ans, la prise en charge est assurée par les agents des
services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), sous l’autorité du
juge d’application des peines (JAP).
Un changement qui peut s’avérer
« boulevers[ant] », estime la juridiction. D’autant qu’un
éducateur a en charge entre 25 et 30 mineurs, soit deux fois moins d’individus que
les personnels des SPIP, lesquels suivent en moyenne 66 condamnés majeurs. Ce, avec
« des écarts parfois importants », en conséquence de quoi « certaines
situations peuvent être plus dégradées, notamment en milieu fermé ».
À
lire aussi : La proposition de loi sur la
justice pénale des mineurs ne convainc ni les magistrats, ni les éducateurs
Par ailleurs, alors qu’en
détention, les mineurs bénéficient d’un cadre jugé « protecteur »
- encellulement individuel, enseignement encadré, accès aux parloirs fréquent, promenades
plus longues… -, pour les jeunes majeurs, les modalités de détention s’avèrent « très
différentes », « a fortiori pour ceux qui sont incarcérés dans
des maisons d’arrêt dont le taux d’occupation est élevé ». Ces
modalités se répercutent sur les conditions de vie au quotidien, marquées par l’inactivité
et la « grande promiscuité ».
Pour toutes ces raisons, en
prison, le passage à la majorité constitue un véritable « choc carcéral
», pointe la Cour des comptes, qui reprend la terminologie employée par les
professionnels du secteur. Ce cap est également mal vécu par les jeunes car ces
derniers ont également peur d’être victimes de violences, révèle aussi une
enquête de l’Institut national de la jeunesse et de l’éducation populaire.
Afin de limiter cet impact,
des mesures ont été prises. Par exemple, les jeunes condamnés peuvent continuer
à bénéficier d’un suivi de la direction de la protection judiciaire de la
jeunesse jusqu’à 21 ans, comme c’est le cas à Marseille. À Bourg-en-Bresse et à
Villepinte, un « quartier jeunes majeurs » a été aménagé. Toutefois, la Cour des
comptes déplore que ces mesures « restent peu nombreuses ». « Dans
un contexte d’aggravation de la suroccupation dans les maisons d’arrêt, la
direction de l’administration pénitentiaire n’envisage pas de les promouvoir ».
Pas assez d’outils d’évaluation
La Cour des comptes opère aussi
un focus intéressant sur la récidive des jeunes. Sur la période 2010 à 2022, le
taux de 15 - 25 ans condamnés en état de récidive ou de réitération légales est
resté stable, autour de 45 % ; taux plus élevé que dans le reste de la
population condamnée.
Selon une étude de 2022, 54 %
des personnes condamnées une première fois quand elles étaient mineures ont été
de nouveau condamnées dans les cinq années suivantes. Pour celles condamnées
plus d’une fois, le taux de récidive atteint 79 %. « Le niveau élevé se
retrouve quelles que soient les formes de condamnation », ajoute la
juridiction financière, qui constate : « La prévention de la récidive
est inscrite dans la loi comme l’un des objectifs de la peine, [mais celui-ci] peut
difficilement être considéré comme atteint. »
Au terme de son analyse, la
Cour des comptes conclut son rapport en mettant en exergue les moyens
lacunaires à l’œuvre. « Alors
que la justice pénale ne parvient pas à endiguer le parcours délinquant des
jeunes de 15 à 25 ans, majoritairement multirécidivistes, (…) le ministère [de
la Justice] manque d’outils d’évaluation qui permettraient de comprendre les
ressorts de ce phénomène ».
Ledit ministère a certes
tenté d’y remédier en structurant son service statistique ministériel et en
créant des pôles spécialisés au sein des directions de l’administration
pénitentiaire et de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse. Mais
« les défaillances de ses applicatifs « métiers » et les aléas
budgétaires freinent la mise en place des outils », regrette la
juridiction financière.
Pour l’heure, et parce que les
statistiques disponibles ne « reflètent qu’imparfaitement » la
réalité de la délinquance des jeunes, elle l’appelle à se doter d’un « appareillage
statistique ». Objectif, notamment : « mieux comprendre
qui sont les récidivistes, comment et quand ils repassent à l’acte »,
le tout via des techniques économétriques « pour limiter les biais
d’analyse liés à l’hétérogénéité des profils ».
Le souhait d’une action
publique « plus partenariale »
Autre axe d’amélioration
identifié par la Cour : la prise en charge judiciaire doit être « mieux
articulée » avec les autres politiques publiques, affirme-t-elle. Face
aux difficultés auxquelles sont confrontés les jeunes délinquants (scolarité,
santé, logement, travail, etc.), le ministère de la Justice noue de nombreux
partenariats avec les acteurs qui interviennent en la matière. Pourtant, « en
dépit de ces efforts, des insuffisances subsistent », remarque-t-elle.
En effet, les jeunes
incarcérés restent particulièrement touchés par les troubles cognitifs,
l’illettrisme et le décrochage scolaire. Parmi les mineurs, seulement 36,8 %
suivent des cours de remise à niveau, 7,1 % d’alphabétisation et 15,5 % des
cours de français langue étrangère. Une étude de l’Institut national de la
jeunesse et de l’éducation populaire (Injep) indique que « près de la moitié
des jeunes rencontrés ont arrêté leur scolarité avant 15 ans ».
Le Contrôleur général des
lieux de privation de liberté constate de son côté que le temps d’enseignement
hebdomadaire théorique est de 12 heures dans les quartiers pour mineurs et de
20 heures dans les établissements pénitentiaires pour mineurs, alors que la
durée d’enseignement hebdomadaire pour un collégien français est de 26 heures. Ces
durées seraient, en pratique, « très variables » et « toujours
inférieures à celles théoriquement prévues ».
À
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ban ?
Par ailleurs, bien que la
préparation à l’insertion professionnelle revête un enjeu majeur pour les
jeunes condamnés, l’accès à un emploi stable « contribuant à limiter
les risques de récidive », rappelle la Cour des comptes, et malgré
l’obligation de formation après 16 ans, les données du ministère de la Justice
suggèrent que peu de mineurs en détention bénéficient d’une formation
professionnelle. Par ailleurs, d’après la direction de l’administration
pénitentiaire, l’accès à la formation est très hétérogène selon les régions, le
taux de bénéficiaires variant 18 %.... à 0,6 %.
Pourtant, une étude de la
direction de l’administration pénitentiaire de 2011, « seule référence
disponible », a montré que les sortants de prison sans emploi sont
recondamnés dans les cinq ans après leur libération pour 61 % d’entre eux (dont
49 % à de la prison ferme), contre 55 % pour les sortants avec emploi (dont 39
% à de la prison ferme).
La juridiction financière appelle donc de ses vœux une action publique « plus partenariale » afin d’apporter « une réponse plus précoce et plus complète, dès les premiers signes d’alerte ».
Bérengère
Margaritelli
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
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