CHRONIQUE. (91) Tribunal d’Évry : « Je méritais pas d’être fracassée »


samedi 19 octobre 20244 min
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Une femme d’une cinquantaine d’années a été tabassée dans le bus par un homme de 47 ans, qui n’explique pas son passage à l’acte et se rebelle face au tribunal, qui l’a jugé le 23 septembre. La victime, elle, relate son traumatisme.

Claudine prend souvent ce bus. Jamais à cette heure-ci, mais ce 19 septembre, à Juvisy-sur-Orge, elle avait rendez-vous pour une prise de sang. Elle y est allée à jeun, bien sûr, puis elle a pris son bus et s’est assise au fond. Il y avait du monde, elle était serrée. Elle a remarqué que l’homme à sa gauche s’étalait un peu trop et parlait trop fort, alors elle lui a demandé s’il pouvait décaler ses jambes un peu trop écartées pour laisser de la place, et parler moins fort, car on est dans un bus, merci.

L’homme l’a regardée, et, d’un ton farouche, lui a dit qu’il allait « l’enculer » avant de lui asséner un coup de poing sur la tête. Claudine n’a rien vu venir et a juste eu le temps de mettre ses mains sur sa tête pour se protéger de la pluie de coups qui lui tombaient dessus. Il lui secouait la tête et tapait en même temps. Plusieurs témoins sont intervenus et ont pris des coups. Le chauffeur s’est retourné, a regardé la scène et a continué à conduire son bus.

L’homme a été interpellé. Il s’agit de Mamadou, 47 ans, qui se tient raide dans le box, les bras croisés et l’air renfrogné. Il s’assoit. La présidente lui demande de se lever, il refuse. Il ne la regarde pas dans les yeux et marmonne. On dirait qu’il boude ou qu’il est sur le point d’exploser, seulement aujourd’hui ce n’est pas une frêle quinquagénaire assise à côté d’elle, mais deux solides policiers qui l’ont à l’œil. Mamadou marmonne tandis que la présidente parle. « Va falloir arrêter, Monsieur, sinon le procès va se dérouler mais vous serez de l’autre côté de la porte », menace la juge.

Expulsion du prévenu

La présidente déroule les faits. Le prévenu l’interrompt : « Où sont les témoins ? » Puis il se rassoit. « Levez-vous, Monsieur ! » Elle regarde l’avocate du prévenu. « Ça a été, au dépôt, avec votre client ? » L’avocate, dépitée, secoue la tête. « Non. » La présidente poursuit son récit des faits et doit augmenter le volume pour couvrir les bruits de bouche produits par Mamadou qui tente de parasiter l’audience, avant de se lasser, puis de reprendre de plus belle. La présidente craque : « Monsieur ! Sortez-le, Messieurs », demande-t-elle aux policiers. Le prévenu est expulsé.

Quand elle a fini de rapporter les faits, en prenant soin de préciser qu’ils avaient été filmés par la vidéo surveillance, la présidente devrait interroger le prévenu, mais comme elle vient de le faire évacuer, elle retourne dans son dossier. Elle lit alors ses déclarations de garde à vue. D’abord : « Je ne veux rien dire, vous pouvez me mettre un an, faites ce que vous voulez. » Au début, dit-elle, « il est agressif et insultant, l’insultant de ‘pétasse de merde’ et la qualifiant de raciste, puis il s’excuse quand il voit les photos des blessures de la plaignante, avant de carrément se jeter par terre, à genoux. »

« Je vous jure, il m’a tabassée »

Elle lâche la main de son mari et encore tremblante, le cou dans une minerve, Claudine vient raconter son agression, qui lui a valu 5 jours d’ITT, mais compte tenu des répercussions, elle demande un renvoi sur intérêts civils afin d’évaluer dans le temps le retentissement de l’agression sur son psychisme. Claudine est très ébranlée. « Il me touche avec sa jambe, et moi on me touche pas. Il m’insulte, et moi on m’insulte pas, c’est pas parce que je suis une femme que je dois m’écraser, alors je l’insulte, mais après il me frappe et je ne peux rien faire. » Elle se met à pleurer. « Je vous jure, il m’a tabassée (…) Je peux vous jurer que j’ai rien fait et je méritais pas ça, je méritais pas d’être fracassée. Vous imaginez une noix de coco et vous enfoncez un clou dedans ? Ben la noix de coco, c’était ma tête. Je suis pas près de remonter dans un bus. »

Claudine reste assez longtemps à la barre. Parler semble la soulager, mais elle ne comprend pas comment un tel déversement de haine a pu lui tomber dessus, de manière si injuste. La personnalité de Mamadou ? On n’en saura pas plus que : « intolérant à la frustration et instabilité comportementale », c’est ce qu’a écrit le psychiatre lorsqu’il l’a examiné en garde à vue. On connait aussi son casier, pourvu de six mentions, qui font dire à la présidente qu’il est « très irrespectueux dans l’espace public ».

« Je crois qu’il faut lui mettre un coup derrière les oreilles »

Comme s’il prenait au mot ses déclarations de garde à vue, le procureur décide de proposer une peine d’un an avec mandat de dépôt contre le prévenu. Il analyse : « Je crois qu’il a un problème avec les femmes. C’est un passage à l’acte violent et impulsif, et pour ça, je crois qu’il faut lui mettre un coup derrière les oreilles, d’un point de vue institutionnel. »

L’avocate n’a pas la tâche facile. Elle fait remarquer qu’il est intolérant à la frustration et c’est pour cela qu’il se comporte ainsi devant le tribunal. « C’est quelqu’un de fruste qui aurait bien besoin d’une obligation de soins. Je ne suis pas psy, mais ça se voit », plaide-t-elle.

Le tribunal donne raison aux deux parties : 18 mois de prison dont 6 mois avec sursis probatoire (obligation de soins), maintien en détention pour les douze mois restants.

Julien Mucchielli

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