CHRONIQUE. (91) Tribunal d’Évry : « Il n’y a pas d’opération de blanchiment »


jeudi 17 octobre 20244 min
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Des policiers perquisitionnent chez Mohamed et trouvent dans un coffre une grosse somme en espèces et une arme de poing. L’intéressé tombe de sa chaise et nie savoir qui a mis cela chez lui. Il comparaît le 23 septembre devant le tribunal correctionnel d’Évry.

Le 18 septembre, dans le cadre d’une commission rogatoire délivrée par un juge d’instruction contre son frère Omar, les policiers de l’office anti-stupéfiants (OFAST) sont intervenus au matin chez Mohamed, à Athis-Mons. Ils lui ont demandé la combinaison d’un coffre qui trônait sur un meuble, et après s’être trompé plusieurs fois, Mohamed a finalement donné le code (composé à partir de la date de naissance du père). Les policiers l’ont ouvert et y ont trouvé 91 050 euros en espèces ainsi qu’un Signal Sauer « Mosquito » calibre 22. Mohamed a été interpellé.

« Pourquoi avoir refusé de donner votre code ? »

En garde à vue, il a refusé de s’exprimer. Les policiers lui ont demandé le code de déverrouillage de son téléphone, et il a refusé de le donner. Cinq jours plus tard, comparaissant libre pour « blanchiment : concours à une opération de placement, dissimulation ou conversion du produit d’un délit », « détention non autorisée d’armes de catégorie B », et « refus de remettre aux autorités judiciaires la convention secrète de déchiffrement d’un moyen de cryptologie », il est disert et fort poli devant les juges du tribunal correctionnel d’Évry, mais sincèrement, il n’a aucune idée de qui a bien pu mettre cet argent et cette arme dans son coffre, en tout cas sincèrement pas lui. « Je sais que ça ne tombe pas du ciel et que c’est forcément quelqu’un de mon entourage, mais je ne saurai vous dire qui.

-     Vous vivez comment ?

-    Modestement, je ne dépense pas beaucoup.

-    Vous voyez votre frère ?

-     Occasionnellement.

-     Et l’appartement est à qui ?

-     À mon oncle, je vis avec lui et je l’aide au quotidien. Aujourd’hui il est rentré au pays, en Égypte, donc de fait je vis seul.

-     Et le coffre-fort ?

-     Je l’avais acheté avec mon père simplement pour stocker mon passeport. D’habitude je l’ouvre avec la clef, c’est pour ça que j’ai mis du temps à me souvenir du code.

-     Qui a les clefs de l’appartement ?

-     Mon oncle, moi et mon frère.

-     Votre frère Omar. Et pourquoi ?

-     Parce que c’est mon frère.

-    Pourquoi avoir refusé de donner votre code ?

-    C’est parce que je n’y arrive pas, c’est plus fort que moi. Ils ont craqué le code de mon premier téléphone et il m’ont dit : t’es idiot, y’a rien dedans. Ils n’ont pas réussi à craquer le code du second.

-     Vous avez récemment fait un tour en Belgique.

-     Oui, pour aller déposer un ami à l’aéroport, et on en a profité pour faire un tour. »

Un procès étrange

Pendant les minutes qui suivent, la présidente et Mohamed cherchent ensemble qui aurait bien pu dissimuler l’argent et l’arme chez lui. Elle l'interroge : les virements sur son compte émanant de son frère ? Quelques centaines d’euros, pour des achats. Les feuilles ressemblant à des feuilles de compte retrouvées dans le tiroir ? « Je n’y comprends rien ». Mohamed a quelques condamnations et une incarcération qu’il décrit comme « un cauchemar ».

C’est un procès étrange. On ne sait pas si Mohamed est un honnête homme trahi par un frère trafiquant, ou son complice, auquel cas il joue à la perfection le clampin dupé, le naïf intégral qui prétend être l’incarnation de la vie modeste.

Le procureur estime qu’il n’a pas besoin de se poser toutes ces questions. « Le texte de l’infraction renverse la charge de la preuve. Dès l’instant qu’on a l’élément matériel, c’est le mis en cause qui doit prouver l’origine légale des fonds. » Il relève « beaucoup d’incohérences », une quantité importante de drogue sur les billets et un décalage, dit-il, entre son mode de vie et ses revenus (le RSA, ndlr). Il demande 8 mois de prison avec sursis.

« Je demande qu’il y ait de la rigueur »

L’avocat de Mohmard vient rappeler que tout cela commence par une affaire « JIRS du Havre » (juridiction inter régionale spécialisée) contre son frère Omar et finit en comparution immédiate avec Mohamed, un trentenaire modeste et de bonne volonté qui collabore immédiatement. Il rappelle que tous les billets comportent des traces de drogue, évoque ce test a couté 6 000 euros au contribuable et n’a apporté aucun élément utile à l’affaire. « Il n’y a pas d’opération de blanchiment, car il n’y a pas d’opération du tout ». « Je demande qu’il y ait de la rigueur, pas seulement dans la répression, mais aussi dans la démonstration », et plaide la relaxe pour les faits de blanchiment.

Après en avoir délibéré, le tribunal, avec rigueur, condamne Omar pour le tout à la peine demandée par le procureur.

Julien Mucchielli

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