CHRONIQUE. (94) Tribunal de Créteil : « Je voulais juste rentrer chez moi »


jeudi 22 août 202412 min
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Un jeune étudiant est arrêté à Orly début août alors qu'il s'apprêtait à embarquer pour la Guyane. Dans ses affaires, les douaniers retrouvent une grosse somme en espèces saupoudrée de cocaïne.

En cette période de vacances judiciaires, c'est dans la salle normalement dédiée à la cour d'assises que sont audiencées les comparutions immédiates du tribunal de Créteil. Il faut dire que le thermomètre s'affole en ce début août, et cette salle au très haut plafond dispose d'un système de climatisation. Quand son tour vient, Thierry*, 20 ans et casier vierge, s'avance dans le box des accusés, la tête un peu basse, visiblement impressionné par la solennité des lieux.

Cet étudiant est soupçonné de blanchiment d'argent lié au trafic de drogue. On a trouvé sur lui un peu plus de 6 000 euros en espèces contenant des traces importantes de cocaïne. Il lui est aussi reproché d’avoir refusé de donner son code PIN aux enquêteurs. Soit respectivement dix ans et trois ans encourus.

Alors qu'il s'apprête à prendre l'avion pour repartir en Guyane, Thierry déclare aux douaniers qui le questionnent qu’il détient sur lui une somme de 2 000 euros. Dans ses bagages, les fonctionnaires trouvent bien ce montant en espèces, mais aussi un autre pactole de 4 000 euros, pour un total d’un peu plus de 6 000 euros. L’analyse montrera que le taux de cocaïne sur les billets dépasse de plusieurs centaines de fois la moyenne.

Quelques commissions pour des amis

Lors de l’audition, Thierry a assuré que l'argent lui avait été confié par des proches, certains pour acheter des vêtements, d'autres de l'or. Mais le président n'est pas convaincu : « Ce qui pose question, c'est que vous avez dit que vos amis, d'origine guyanaise, devaient retourner prochainement en Guyane. Or, on ne voit pas en quoi le fait d'attendre 15 jours [ou] trois semaines aurait modifié le cours de l'or. » Le juge est d’autant plus sceptique que les douaniers ont aussi trouvé une balance de précision dans la valise.

L'air penaud et sur un ton timide qui laisse entendre des regrets, le jeune homme explique qu’un ami lui a confié 3 000 euros pour les ramener en Guyane, en échange d'une commission de 100 euros. Une amie lui aurait aussi confié 200 euros, « pour acheter une paire de boucles d'oreilles », parce qu'il connaît « une bijouterie qui vend de l'or pas trop cher ». Là aussi, en échange d'une rémunération, soulignant que le reste de l'argent lui appartient.

Il détaille ses revenus : sa bourse d'étudiant, ses APL, l'argent qu'il a reçu pour son anniversaire récemment et qu'il est venu fêter en métropole. « Je n'ai aucun rapport avec le trafic, je n'ai rien à voir avec ça. Je suis juste étudiant », assure le jeune homme, qui reconnaît toutefois avoir fait l'erreur de mettre une partie des sommes dans sa valise. Quant à la balance, il est consommateur de cannabis et souhaite vérifier le poids de ce qu'il achète. En ce qui concerne les traces de cocaïne, un des propriétaires de l'argent officie comme DJ et anime régulièrement des soirées.

« J’ai pas réfléchi »

« La difficulté monsieur, c'est que contrairement à la quasi-totalité des délits, celui qui vous est reproché présente cette particularité que c'est presque à vous de démontrer l'origine honnête de l'argent, assène le président. Pour le blanchiment, on a presque inversé la charge de la preuve. Et cette charge, elle aurait pu être démontrée en montrant les éléments sur votre téléphone. »

Thierry a certes montré quelques informations stockées sur son appareil, mais sans jamais confier l’exploitation de son contenu aux enquêteurs. Le juge veut comprendre : « [Vos codes] auraient permis de retrouver éventuellement les coordonnées des personnes dont vous dites qu'elles vous ont confié cet argent, l'enquêteur les aurait appelées. Pourquoi avez-vous refusé ?

- Sur mon téléphone il y a des photos où on me voit avec mes amis consommer certaines substances. Et j'avais peur que ça rajoute des charges dans le dossier.

- Le résultat, c'est que vous avez été placé en détention !

- J'ai pas réfléchi, j'ai stressé sur le moment. Je me rendais pas compte de ce que je devais faire. Je voulais juste rentrer chez moi en Guyane, continuer ma petite vie, mes vacances. »

Naturellement, le procureur trouve les déclarations du prévenu « peu crédibles, et en tout cas peu vérifiées, invérifiables. Tous les consommateurs n'ont pas sur eux une balance de précision. »

L'avocat du prévenu assure lui qu’il s’agit de « quelqu'un de naïf, plutôt qu'un délinquant ». S'il n'a pas « l'outrecuidance de plaider la relaxe », il souligne la manière dont Thierry a réparti ses billets entre son sac banane et sa valise, ce qui correspondrait à la répartition entre son argent et celui de ses amis. S'il y avait eu un projet de blanchiment, il n'aurait pas placé son argent dans sa banane, celui-ci ayant été contaminé par les autres billets, avec lesquels il était groupé auparavant.

Il attire aussi l'attention du tribunal sur le fait que l'infraction de refus de communication de la « convention de cryptage » du téléphone n'est « quand même pas la plus facile à comprendre ». Comme la sollicitation du code PIN est passée par une question, les enquêteurs ont pu laisser au prévenu l’impression qu'il avait le choix. Thierry aurait donc eu l'impression d'être face à une « intox » des policiers, qui aurait conduit à alourdir le dossier.

Au regard de l'absence d'antécédents du jeune prévenu, le juge suit les réquisitions du parquet et condamne Thierry à une peine de dix mois de prison, intégralement assortie de sursis, et ordonne la confiscation de la somme de 6 135  euros trouvée sur lui. La constitution en partie civile des douanes a quant à elle été jugée irrecevable car le trafic de stupéfiants n'a pas pu être démontré.

*Le prénom a été changé

Etienne Antelme

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