Cour de cassation : la démolition de la construction litigieuse, sanction disproportionnée


samedi 6 avril 20198 min
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Dans un arrêt du 22 novembre 2018 (D17-12.537), la Cour de cassation estime que la remise en l’état – consistant en la démolition - d’une construction litigieuse constituerait une sanction disproportionnée « au regard des travaux réalisés, et aujourd’hui quasiment achevés, et de la gravité des désordres », et que M. X reste redevable, « par le jeu des restitutions réciproques, du coût de la construction réalisée, sous déduction des malfaçons et moins-values et des sommes déjà versées ». Le JSS publie l’avis de l’avocat général Christophe Kapella.

 

Pourvoi n°D1712537

Décision attaquée : 8 décembre 2016, CA de Nîmes

 

Les faits et la procédure se trouvent complètement exposés au rapport. Il suffit juste de relever que M. A a confié les travaux de construction de sa maison à la société les 5 éléments.

Les travaux ont été interrompus.

La société les 5 éléments a été placée en liquidation judiciaire et son administrateur, après expertise, a réclamé le paiement des sommes restant dues.

M. A a assigné la société Les 5 éléments en requalification du contrat en contrat de construction de maison individuelle, sa résiliation aux torts exclusifs du constructeur en réclamant la réparation de son préjudice.

Par jugement du 1er septembre 2015, le tribunal de grande instance d’Avignon a fait droit à ses demandes lui octroyant une indemnisation de 50 0000 € pour perte de  chance de ne pas avoir bénéficié de la garantie de livraison.

Par arrêt du 8 décembre 2016 sur appel de M. A, la cour d’appel de Nîmes a confirmé le jugement et y ajoutant l’a condamné à payer à ladite société 172 520, 46 €, réduisant à 20 000 € les dommages-intérêts demandés.

C’est l’arrêt attaqué par le pourvoi formé par M. A.

Le pourvoi pose une problématique bien connue celle de la nullité tirée du non respect des dispositions de l’article L231-1 du code de la construction et de l’habitation

On sait que la sanction de la violation de ces règles de contrat de construction de maison individuelle (CCMI) d’ordre public destinées à protéger le maître de l’ouvrage est tout naturellement la remise en état des lieux c’est-à-dire la démolition de la construction édifiée en violation de la loi. Cette protection d’ordre public car l’intérêt général la commande, est relative dans la mesure où seul le maître de l’ouvrage peut la demander.

L’objectif poursuivi par le législateur est d’éviter que le maître de l’ouvrage se retrouve avec une construction inachevée sur son terrain et sans aucune garantie pour la terminer.

Notre 3ème chambre a dégagé quelques règles claires à ce sujet.

La réalité des contentieux signalée au rapport annuel de la Cour de cassation c’est que dans le cas d’ouvrages quasiment achevés hors quelques éléments de finitions et quelques désordres réparables, les maîtres d’ouvrage s’appuient sur ces dispositions d’ordre public pour échapper au paiement de ce qu’ils doivent. L’objectif est déplacé et les principes inversés.

Si en effet, la déduction de la violation des règles précitées, c’est la nullité absolue du contrat emportant remise en état et démolition, sanctions économiquement très lourdes, il est désormais admis que le maître de l’ouvrage peut ne pas la demander, le juge peut ne pas la prononcer, et statuer sur les seules compensations et indemnités sollicitées.

Il a été jugé que le comportement du maître de l’ouvrage doit être analysé avec soin pour savoir s’il a accepté de couvrir les nullités du contrat en toute connaissance de cause.

Enfin, il a été jugé également que la remise en état des lieux emportant démolition était d’autant possible en l’absence d’opposition du constructeur.

Le pourvoi paraît à l’envi reproduire les situations ainsi décrites y ajoutant celle inédite d’un constructeur qui s’oppose à la démolition arguant d’un immeuble quasiment achevé en grande partie par le maître de l’ouvrage lui-même qui ne sollicite la remise en état des lieux, certes dans la continuation de ses demandes de résiliation, qu’à hauteur de la cause d’appel. L’arrêt attaqué fait droit mais refuse de prononcer la remise en état/démolition pourtant de droit en se fondant sur le principe de proportionnalité, l’énonçant de la façon suivante :

« En cet état, la mesure de remise en état des lieux, seule expressément formulée par l’appelant au terme de ses dernières conclusions, alors qu’il a pris lui-même l’initiative de faire achever l’ouvrage, à la supposer loyalement proposée alors que le constructeur sur lequel pèserait une telle obligation de faire est en liquidation judiciaire, constituerait si elle emportait démolition une sanction disproportionnée, au regard des travaux réalisés, et aujourd’hui quasiment achevés, et de la gravité des désordres et dans tous les autres cas un enrichissement sans cause, comme le font justement valoir les intimés».

Qu’en est-il d’une telle formulation ?

Trois considérations sont à formuler avant d’y répondre :

1- Les règles dégagées doivent conduire à analyser le comportement du maître de l’ouvrage qui a décidé de continuer lui-même les travaux trop souvent et trop longtemps interrompus alors que l’arrêt énonce qu’il vivait avec sa famille en caravane durant ceux-ci : le maître de l’ouvrage a t-il ainsi couvert sciemment les nullités du contrat ou répondu tout simplement à l’instinct du castor ?

On sait que le commencement d’exécution du contrat ne saurait avoir à lui seul pour effet de couvrir cette nullité sans la connaissance préalable de celle-ci par le maître de l’ouvrage,  depuis votre arrêt du 20 novembre 2013 no  12-27041.

L’arrêt attaqué décrit à cet égard, l’état « avancé » de la construction de l’immeuble et ne permet pas d’apprécier l’attitude du maître de l’ouvrage contraint de loger sa famille et de se débrouiller pour finir les travaux interrompus. Le constructeur à l’origine de la fraude à la loi au détriment de la personne protégée le maître de l’ouvrage tire ainsi le bénéfice des travaux accomplis sous le fouet de la seule nécessité.

2- La remise en état emportant démolition constituerait-elle un enrichissement sans cause ?

Là encore, par un arrêt maintenant ancien du 9 décembre 1992, il a été jugé que l’action contre le maître de l’ouvrage en paiement des travaux ne peut être fondée sur l’enrichissement sans cause.

Gwenaëlle Durand-Pasquier souligne la réalité dramatique du maître de l’ouvrage face à une telle construction inachevée :

« L’on parviendrait à une telle solution en s’inspirant peu ou prou de la théorie de l’enrichissement sans cause, parfois appelée au soutien de l’estimation des restitutions. Mais dans ce cas, la question se poserait encore de savoir si une distinction serait à opérer selon que les constructions présentent ou non des malfaçons. La réponse serait peut-être toutefois négative. L’on peut admettre en effet que même correctes, des constructions non achevées et surtout non réceptionnées ne permettront pas au maître de solliciter par la suite, en cas de désordres, les garanties et assurances décennales du constructeur. La revente du bien dans les dix ans se ferait par exemple aux risques et périls du maître. Ainsi pourrait-on considérer que chaque fois que l’anéantissement du contrat le laisse propriétaire non plus d’un terrain vierge, mais d’un fond sur lequel est venu s’incorporer un ouvrage qu’à moitié terminé, le maître s’en trouverait en quelque sorte « appauvri ». Une conception large des effets de la nullité lui permettrait ainsi de réclamer la disparition de tous les stigmates en quelque sorte, même purement matériels, du contrat annulé ».

Depuis votre arrêt du 26 juin 2013 no 12-18121, on sait que la condamnation à démolition interdit au constructeur de réclamer le coût des travaux effectués. Le principe de proportionnalité qui s’y oppose impose au maître de l’ouvrage le choix de l’indemnisation, dispensant l’entrepreneur indélicat des frais de remise en état du terrain et le rendant créancier des travaux accomplis au mépris de la loi.

Mais si le maître d’ouvrage décide librement de conserver la maison, il doit régler les débours au constructeur, selon votre arrêt du 17 juin 2015 no 14-14372, les dispositions de l’article 555 du code civil n’étant pas applicables, selon votre autre arrêt du 24 avril 2013 no 12-11640.

3- Enfin, la sanction de la remise en état serait-elle une sanction disproportionnée ?

Le principe de proportionnalité n’est pas à discuter en soi cependant qu’en l’espèce, cela revient à vider de son sens les conséquences de la nullité du contrat en refusant la remise en état demandée en considération de la personne à l’origine des dommages et préjudices alors que la loi entend protéger le maître de l’ouvrage. Cela revient à imposer d’emblée le choix d’une indemnisation et en définitive, de traiter les désordres et la construction comme si elle relevait d’un cadre dès l’origine conforme à la loi. C’est le cas du désordre résultant de la mauvaise implantation irrémédiable de l’immeuble que l’arrêt attaqué indemnise comme dans un contrat loyal, l’arrêt du 12

avril 2018 no   17-26906 cité au rapport, relevant tout de même d’un contrat de

construction dont seule l’exécution était contestée (défaut d’altimétrie) mais non sa conclusion.

D’un point de vue d’ordre public, il est possible de s’interroger sur la pertinence de l’application du principe qui fait échapper l’entrepreneur indélicat aux sanctions prévues par la loi et introduit un calcul favorable des risques pour les entrepreneurs en mal de dupes à la construction encore que des dispositions pénales existent.

Il reste que dans l’expression précitée, les termes "la mesure de remise en état des lieux, (...) alors qu’il a pris lui-même l’initiative de faire achever l’ouvrage, à la supposer loyalement proposée..." renvoient aux constatations de l’expertise selon lesquelles des devis différents ont été souscrits en peu de temps pour les mêmes travaux, passant pratiquement du simple au double sans aucun motif plausible si bien que la loyauté des contrats interroge. Mais quand bien même y a t-il eu collusion entre l’entrepreneur et le maître de l’ouvrage pour soustraire le coût des travaux à la fiscalité (travail dissimulé, TVA, etc.), il convient de prendre en compte que le corrupteur initial c’est l’entreprise de construction qui accepte de tels arrangements. La sauvegarde de la loi consisterait plutôt à prononcer la remise en état demandée de sorte que les entreprises frauduleuses s’exposeraient à ne pas être payées de leurs travaux.

La difficulté du pourvoi tient à ce que coïncide dans le même dossier une demande de remise en état qui n’est pas satisfaite en raison du principe de proportionnalité  et  une  indemnisation  qui ne prendrait pas en compte  vraiment la situation faite au maître de l’ouvrage comme exposé précédemment (absence de garantie décennale, revente impossible ou à risques, achèvement des travaux non financé, etc.).

Laisser par ailleurs le choix à l’entreprise à l’origine de graves manquements au CCMI de s’opposer à la remise en état revient à notre sens à vicier le mécanisme d’ordre public instaurée par la loi au seul profit du maître de l’ouvrage.

Cependant, et au total, la cour d’appel a fourni les éléments de contrôle suffisants pour apprécier la justesse de son raisonnement.

L’un tient à l‘état de la construction pratiquement achevée, l’expert ayant évalué à 89,5% les travaux accomplis du gros oeuvre, l’autre mentionnant le comportement du maître de l’ouvrage qui malgré le défaut d’implantation manifeste perceptible dehors comme dedans, provenant selon l’expert de causes multiples dont aucune ne peut être attribuée avec certitude à l’entreprise s’agissant après requalification d’un CCMI sans plan, a fait poser un carrelage de qualité.

Certes, l’ampleur de l’indemnisation des chefs de préjudice peut toujours être critiquée mais elle relève de la souveraineté des juges du fond.

Je suis au rejet.  

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