Article précédent

Le 16 mars 2020, lors de son adresse à la Nation, le Président de la République a évoqué une « suspension des factures d’eau, de gaz ou d’électricité ainsi que des loyers » au profit des entreprises. Les commerçants, pour la plupart paralysés par les mesures de confinement, auront certainement apprécié cette attention portée à leur situation mais espéraient sans doute que davantage de précisions leur seraient apportées à ce sujet. Suivant l’impulsion présidentielle, le Parlement a habilité le Gouvernement1 à prendre toute mesure « permettant de reporter intégralement ou d’étaler le paiement des loyers », ce qui fût chose faite dès le 26 mars 2020, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance relative au paiement des loyers2. Il semblerait toutefois que la teneur des mesures prises s’avère moins rassurante, pour les commerçants, que la suspension ou le report annoncés.
L’article 4 de ladite ordonnance se borne en effet à neutraliser l’arsenal cœrcitif qu’offrent classiquement loi et contrat au bailleur insatisfait dans la perception du loyer puisqu’il ne pourra se prévaloir « de pénalités financières ou intérêts de retard, de dommages-intérêts, d’astreinte, d’exécution de clause résolutoire, de clause pénale ou de toute clause prévoyant une déchéance, ou d’activation des garanties ou cautions ». Le bénéfice de cette neutralisation des sanctions ne profite par ailleurs qu’à certains locataires, son champ d’application étant limité aux entreprises éligibles au fonds de solidarité3, à savoir celles respectant certaines conditions prévues par décret4 (moins de 10 salariés, chiffre d’affaires inférieur à 1 million d’euros…). Dans l’attente d’autres précisions, beaucoup de locataires ignorent encore dans quelle mesure le report et/ou l’étalement des loyers leur sera permis et, dans la même hâte, les bailleurs espèrent savoir, d’une part, comment et quand le loyer dû leur sera acquitté et, d’autre part, si, éventuellement, les banques se montreront indulgentes quant aux remboursements de prêts. Outre ces mesures nouvelles, le droit positif peut laisser entrevoir diverses voies, pas forcément plus adéquates, que complètent, au cas par cas, les clauses insérées au bail.
Cette situation exceptionnelle invite également à la bienveillance et à la cordialité ; l’incertitude juridique et économique qui en découle faisant des preneurs et bailleurs, non pas des associés, mais des partenaires dont le sort est, plus que jamais, étroitement lié.
La force majeure
Le ministre de l’Économie et des Finances s’est laissé dire qu’il s’agissait, pour les entreprises, d’un « cas de force majeure », et a ainsi fait germer l’idée selon laquelle cet argument suffirait à justifier le report et/ou l’étalement des loyers. En-dehors des clauses qui l’aménageraient différemment, l’invocation de la force majeure est soumise à nombre de restrictions, le principe essentiel du contrat demeurant sa force obligatoire5. Si ce motif d’inexécution est en principe applicable à tous les baux, les dispositions du Code civil6 exigent que le cas fortuit cause un réel empêchement de s’exécuter7. S’en déduit que le locataire, bien qu’entravé dans l’exercice de son activité, devra s’acquitter du loyer si sa trésorerie le lui permet, la jurisprudence distinguant entre l’impossibilité d’exécution et le simple fait qu’elle devienne plus onéreuse8. Dans l’hypothèse où ses fonds ne le lui permettraient pas, il lui faudrait d’abord prouver que cela procède des circonstances de cette crise sanitaire et, ensuite, que celle-ci revêt les caractéristiques de la force majeure, à savoir l’extériorité, l’imprévisibilité et l’irrésistibilité9. Il sera d’ailleurs plus aisé de se prévaloir de la force majeure pour les locataires exerçant les activités visées par l’arrêté du 15 mars 2020 et les décrets des 23 et 27 mars 2020, ces entreprises étant effectivement contraintes à l’inexploitation.
Pour les autres (exploitants hôteliers par exemple), une difficulté supplémentaire s’ajoute puisque la fermeture procède cette fois d’une décision personnelle du preneur, certes dictée par les circonstances (confinement de la clientèle potentielle, risques pour les salariés…) mais non imposée par les mesures gouvernementales. Il doit être rappelé que les juges apprécient souverainement et in concreto le caractère fortuit des situations et que, par le passé, aucune automaticité n’a été décelée entre l’admission de la force majeure et l’existence d’une situation exceptionnelle (état de guerre10, catastrophes naturelles11) fût-elle constatée par les autorités administratives12. Peuvent alors être recensées quelques-unes des décisions ayant dénié aux précédentes crises sanitaires (de moindres ampleurs) la qualification de force majeure13. Les caractères extérieur et imprévisible semblent ici flagrants ; en revanche, l’irrésistibilité sera certainement débattue, même si le bon sens conduit à la reconnaître, eu égard à la dangerosité du virus, la célérité de sa propagation et les mesures drastiques prises en conséquence par les autorités. Il serait par ailleurs loisible de se demander si une reconnaissance, aujourd’hui, ferait perdre, à l’avenir, le caractère imprévisible aux éventuelles crises sanitaires.
Autre hypothèse, encore moins souhaitable, celle de l’exploitant lui-même atteint par le virus. Si, en d’autres domaines, la maladie du débiteur peut suffire à caractériser la force majeure14, la jurisprudence rendue en matière de baux commerciaux est plus incertaine sur ce point15.
Il convient également de souligner que si cette crise venait à perdurer, l’article 1218 du Code civil ouvrirait au bailleur, certes à demi-mot, la faculté de se prévaloir d’un retard de loyer trop important et de poursuivre ainsi la résolution du contrat. Si les juges en reconnaissaient l’existence, la force majeure apparaîtrait donc comme une solution envisageable sous les réserves énoncées et à condition que les locataires s’en prévalant puissent justifier d’un empêchement total de payer le loyer et si, bien sûr, elle n’a pas été exclue contractuellement.
L’imprévision
Dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 10 février 2016, l’article 1195 du Code civil a consacré la théorie de l’imprévision qui, relevant des effets légaux des contrats, ne saurait en conséquence s’appliquer aux baux conclus et renouvelés avant le
1er octobre 201616. S’il peut être entendu que la présente crise sanitaire était imprévisible, il ne semble pas, à notre sens, que l’article susvisé ait vocation à résoudre immédiatement la problématique des loyers dus en temps de crise. Dans l’esprit des jurisprudences ayant amené sa codification17, l’imprévision permet seulement de remédier au
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *