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À l’occasion de la présentation du rapport annuel d’activité de l’institution, Claire Hédon a appelé à « sensibiliser et mobiliser pour que la lutte contre les discriminations liées à l’origine redevienne une priorité nationale », alors que le découragement des justiciables a conduit à une baisse des réclamations à ce titre en 2024.
La France est-elle en pleine
dérive démocratique ? « Nous constatons un discours préoccupant
sur les droits, en les faisant apparaître comme des obstacles et des
contraintes », a déploré la Défenseure des droits (DDD), Claire Hédon,
à l’occasion de la présentation du rapport annuel d’activité de l’institution,
mardi 25 mars.
Un discours accompagné d’une
« fragilisation et d’un éloignement des services publics, liés à une
dématérialisation excessive, à un désengagement de l’État des territoires »,
a regretté celle qui est à la tête de l’autorité depuis 2020. Claire Hédon a
estimé que « cette dynamique mine l’effectivité des droits, génère du
ressentiment contre les institutions, des tensions dans la société, et, in
fine, abîme le sentiment d’appartenance à la République ».
Une dynamique qui se ressent
dans le nombre de réclamations et demandes d’informations reçues par le
DDD : 141 000, contre 138 000 l’an dernier qui avait déjà connu
une forte augmentation. Pourtant, la Défenseure des droits a affirmé observer
« un découragement, une résignation », avec des justiciables
qui « ne croient plus en la force des droits et des institutions et
n’osent plus faire un recours ».
Une baisse paradoxale des
réclamations pour discriminations
Deux points posent
principalement problème selon Claire Hédon. La première alerte, « massive,
structurelle et qui affecte la société dans son ensemble », concerne
les discriminations.
Celles-ci sont globalement en
augmentation, selon les études : 28 % des 18-49 ans déclaraient avoir
été discriminés en 2020, rapporte l’enquête « Trajectoires et origines
2 » menée par l’Ined et l’Insee, contre 14 % en 2008 ;
45 % des personnes d’origine africaine ont rapporté avoir été victimes de
discrimination raciale dans l’Union européenne entre 2019 et 2023, contre 39 %
entre 2015 et 2019, d’après l’étude « Être noir dans l’UE ». En
tête des plaintes adressées à l’institution figurent les discriminations en
raison du handicap (22 %).
Paradoxalement, le nombre de
réclamations total concernant les discriminations a baissé de 15 % en 2024.
« Cette baisse met en lumière la difficulté des victimes à faire valoir
leurs droits », a constaté l’ancienne présidente d’ATD Quart Monde.
Claire Hédon a néanmoins souligné
qu’un pic d’appels avait été observé sur le sujet des discriminations liées à
l’origine réelle ou supposée des personnes, durant l’été 2024, avec une hausse
de 53 % entre mai et juin, au moment des campagnes pour les élections
européennes puis législatives. Sur l’année, ce type de réclamation représente
20 % du total des réclamations reçues en matière de discrimination.
« La
non-discrimination comme objectif politique a largement disparu du débat public »
Claire Hédon a reproché aux
politiques publiques d’adopter une approche « en silo », en ne
se concentrant que sur quelques domaines et en oubliant d’autres sphères de la
vie sociale, comme l’accès au logement. « La non-discrimination comme
objectif politique a largement disparu du débat public et des discours des
décideurs qui préfèrent parler de diversité, de lutte contre les discours de
haine. Mais ces enjeux, aussi importants soient-ils, ne peuvent se substituer à
la lutte contre les discriminations. »
Si la Défenseure des droits a
souligné l’« avancée » qu’avait marqué le plan national de
lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations liées à
l’origine, présenté en janvier 2023 par la Première ministre de l’époque Élisabeth
Borne, elle a pour autant regretté que plusieurs mesures « n’ont
toujours pas abouti, alors que nous sommes déjà en 2025 ».
L’efficacité de certaines
peines pose également question : « Les sanctions en cas de
victoire du plaignant sont peu dissuasives, surtout en matière pénale où,
souvent, l’entreprise est condamnée à verser ce qu’elle aurait dû verser si
elle n’avait pas discriminé. » Claire Hédon a appelé à « redoubler
d’efforts, sensibiliser et mobiliser pour que la lutte contre les
discriminations liées à l’origine redevienne une priorité nationale ».
Peur des représailles,
sentiment d’inutilité, découragement, difficultés à établir les faits,
méconnaissance des droits… Sont autant d’autres raisons citées par la
Défenseure des droits pour expliquer la baisse des réclamations. Pourtant,
« les répercussions économiques, sociales et psychiques sont bien
réelles », a assuré l’ancienne journaliste, entre temps de recherche
plus long pour l’accès au logement, harcèlement et carrières bloquées au
travail, ou encore parcours de soin plus complexe et accès à l’éducation et aux
loisirs plus difficile.
La dématérialisation du
service public à marche forcée entrave l’accès aux droits
Le second point particulièrement
scruté par la Défenseure des droits concerne les atteintes aux droits causées
par les lacunes de la dématérialisation du service public. Un sujet « qui
aggrave le désengagement de l’État » selon Claire Hédon, et sur lequel intervient
régulièrement l’institution, qui l’avait déjà évoqué l’an dernier dans le
précédent rapport annuel d’activité.
Car cette dynamique de
passage au tout-numérique, censée faciliter l’accès au droit, « peut
induire l’effet inverse », a plaidé la Défenseure des droits. En
cause : des dysfonctionnements persistants des différentes plateformes. La
part de réclamations concernant les relations des usagers avec les services
publics atteint encore cette année près de 90 %.
Les problèmes liés aux
procédures dématérialisées touchent notamment les personnes d’origine étrangère,
alors que 37 % des réclamations reçues par le Défenseur des droits concerne
le droit des étrangers. Un taux qui a presque quadruplé en cinq ans (10 %
en 2019). Et « les premiers chiffres sur 2025 ne montrent pas une
amélioration de la situation ».
Selon Claire Hédon, la
multiplication des dysfonctionnements de l’Administration numérique des
étrangers en France (ANEF) empêcherait les demandeurs de déposer ou compléter
un dossier. « Chaque année, ce sont donc des milliers de personnes qui
sont précarisées, mises en situation irrégulière faute de diligence de
l’administration à leur apporter une réponse », a déploré la DDD, qui
a aussi rappelé que ces défaillances concernent en majorité des renouvellements
de titres de séjours ou d’autorisation de travail.
« Des personnes déjà
intégrées dans la société, parfaitement en règle, perdent leurs droits ou leur
emploi, alors qu’elles travaillent bien souvent dans des secteurs il n’y a pas
si longtemps considérés comme essentiels et en tension », a-t-elle
regretté.
« Une forme de
maltraitance institutionnelle »
Une situation d’autant plus
absurde que la plupart des réclamant mis en situation irrégulière obtiennent
finalement leur carte de séjour. Dans les cas les plus extrêmes, des réclamants
ne récupèrent leur titre de séjour qu’un mois avant la fin de sa validité, les
contraignant à relancer des démarches de renouvellement immédiatement.
Et encore, l’institution
« ne voit pas toutes les difficultés », a assuré Claire Hédon.
Mais les retours de terrain ne sont guère plus réjouissants : « Une
préfète m’a dit que son administration n’avait pas vocation à être bêtatesteuse
du système de l’ANEF. » La DDD a appelé à la reconnaissance du droit à
un accès multicanal et la facilitation du renouvellement des attestations
provisoires d’instruction.
En fin d’année dernière,
l’institution avait publié un rapport accablant sur l’ANEF, dont la
dématérialisation est « à l’origine d’atteintes massives aux droits des
usagers ». « C’est une forme de maltraitance institutionnelle »,
a asséné la Défenseure des droits, qui voit dans l’effectivité de ces droits
« un marqueur essentiel du niveau de protection plus généralement
accordé aux droits et libertés dans notre pays ».
Alexis
Duvauchelle
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