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Ce 3 novembre, le monde entier a les yeux rivés sur la plus grande puissance mondiale. Les 150 millions de citoyens américains élisent en effet leur 46e président (si Donald Trump n’est pas réélu). Le résultat final aura de lourdes conséquences sur la marche du monde, tant Donald Trump et Joe Biden, les deux candidats à la présidentielle, ont des conceptions politique et économique opposées. D’autant que cette année, en raison de la crise mondiale du coronavirus, il faut s’attendre à un scrutin particulièrement mouvementé, du fait notamment de l’explosion des votes par correspondance. Alors, connaîtra-t-on le nom du président aujourd’hui ?
Tous les quatre ans, le mardi suivant le premier lundi de novembre – l’Election Day, comme on l’appelle –, les citoyens américains sont appelés aux urnes pour désigner le locataire de la Maison-Blanche pour les quatre années à venir. En 2020, les citoyens doivent également renouveler l’ensemble de la Chambre des représentants et un tiers des membres du Sénat. Les électeurs sont aussi invités à participer à de nombreux scrutins à l'échelle des États fédérés et des collectivités locales (gouverneurs, juges, conseillers d’éducation, maires…).
Suffrage indirect et grands électeurs
Chaque État fédéré dispose d’autant de grands électeurs que d'élus au sein des deux chambres du Congrès, c’est-à-dire au Sénat et à la Chambre des représentants. Les États ont obligatoirement deux élus au Sénat, mais le nombre de membres à la Chambre des représentants varie en fonction de la population de l’État. Ainsi, plus un État est peuplé, plus il a d'élus à la Chambre des représentants.
Aux USA, la Californie et le Texas sont les États fédérés les plus peuplés, par conséquent, ces derniers ont le plus de représentants à la Chambre, soit 53 pour la Californie et 36 pour le Texas. Si l’on rajoute les deux sénateurs par États, cela fait donc 55 grands électeurs pour la Californie et 38 pour le Texas. Quant aux États les moins peuplés, l’Alaska et le Wyoming, ils n’en ont que trois.
Autre particularité des élections américaines : dans presque tous les États, le vainqueur du scrutin rafle tous les grands électeurs. Il s’agit de la règle du « winner-take-all ». Seuls le Maine et le Nebraska dérogent à la règle : les candidats se partagent les grands électeurs à proportion de leurs résultats à l'élection.
Quoi qu’il en soit, le candidat qui obtient la majorité des 538 grands électeurs, soit au moins 270, remporte l'élection présidentielle. Le vainqueur devra cependant attendre le vote des grands électeurs pour être effectivement élu président. En principe, ces derniers ne sont pas obligés d'honorer leur promesse de vote, mais jamais dans l’histoire des États-Unis l’abstention ou le revirement de certains d’entre eux n’a eu une vraie influence sur le résultat final de l'élection. C’est pourquoi l’on peut dire que le nom du président est en théorie connu le 3 novembre. Le scrutin des grands électeurs se déroule en général le premier lundi qui suit le deuxième mercredi du mois de décembre, en l’occurrence, ce sera le 14 décembre pour les élections de 2020. Les grands électeurs se réunissent dans la capitale de leur État pour élire le président et le vice-président. Le résultat des votes est ensuite envoyé au Sénat, à Washington DC, qui procède au décompte des voix. Le candidat qui a obtenu la majorité absolue des voix du collège électoral est élu président (sans pour autant remporter le vote populaire à l'échelle nationale).
Le futur président prendra ses fonctions à midi le jour de l’Inauguration Day, en principe le 20 janvier. Au cours d’une cérémonie en grande pompe, le président et le vice-président prêtent serment sur la Bible, tradition instituée par le premier président des États-Unis, George Washington (sans pour autant être inscrite dans la Constitution) devant le Capitole à Washington DC, et commencent ensuite leur mandat.
Bref, en théorie, le processus
électoral en Amérique est bien rodé. Il reste que cette année, la situation est
très particulière en raison de la crise sanitaire. L’explosion annoncée du vote
par correspondance en particulier risque de rendre les élections tumultueuses,
et pire encore, de repousser l’annonce des résultats.
Covid-19 : un scrutin
compliqué
D’abord, l’épidémie va forcément avoir des répercussions sur le déroulement des votes physiques ou présentiels. D’interminables files d’attentes risquent de se former devant les bureaux de vote. Pour pallier ce problème, la NBA a proposé de mettre à disposition ses gigantesques locaux sportifs, et des salles de concerts vont sans doute être réquisitionnées. Mais cela ne suffira certainement pas à endiguer le flux des votants.
Autre solution mise en place depuis le 3 septembre, en Caroline du Nord, par exemple: le vote anticipé. Le 24 octobre, Donald Trump lui-même a voté de manière anticipée dans un bureau de vote de West Palm Beach, en Floride, à 10 jours de l’Election Day. La pandémie impose cependant de respecter les gestes barrières, les Américains devront donc attendre leur tour dans des queues interminables même s’ils vont voter en avance. Enfin, en cas d’impossibilité de déplacement, il reste le vote par correspondance qui, rappelons-le, n’est pas une nouveauté pour bon nombre d’Américains (en 2016, 33 millions de citoyens avaient envoyé leur bulletin de vote par courrier, soit près d’un électeur sur quatre). En raison de la crise sanitaire cette année, les conditions d’éligibilité du vote par voie postale ont été assouplies. Selon le New York Times, près de 84 % des Américains y sont éligibles, et selon les chiffres du Bipartisan Policy Center, 50 à 70 % des bulletins pourraient être des votes par correspondance en 2020. À ce jour, environ 55 millions d’Américains ont déjà voté en avance, que ce soit physiquement ou par correspondance.
Le vote par correspondance ne
fait toutefois pas l’unanimité, surtout dans le camp républicain qui dénonce
une démarche susceptible« de truquer» les résultats. Le vote par correspondance
aura-t-il un impact néfaste sur le déroulement des élections présidentielles ?
Alors que les Américains y sont habitués, pourquoi le vote par correspondance
pourrait poser un problème cette année?
Vote par correspondance :
fraudes en perspective ?
Le 15 août dernier, Donald Trump s’exclamait dans une allocution télévisée: «Il va se produire une situation catastrophique avec le vote universel par correspondance. (…) Le vote universel par correspondance va provoquer une énorme fraude.»
Pour l’instant, les statistiques ne vont pas dans ce sens. En effet, le risque de fraudes via le vote par correspondance est infime. D’abord parce que ce dispositif est très encadré aux USA. Le bulletin de vote est imprimé avec du papier spécial. Il doit ensuite être signé, puis scellé dans une enveloppe spécifique. Enfin, il doit être déposé à la Poste ou dans une boîte aux lettres spécifique. Le jour du scrutin, les bulletins envoyés par courrier sont émargés sur les listes électorales.
Le Wahington Post a démontré en juin dernier que sur 14,6 millions de votes entre 2016 et 2018, seuls 372 cas d’erreurs ou de fraudes avaient été comptabilisées, soit 0,0025 %. De même, selon The Heritage Foundation, un think tank très conservateur aux USA, entre 1979 et 2020, seulement 1 296 fraudes ont été enregistrées. On ne voit donc pas pourquoi il y aurait des fraudes massives pour les élections présidentielles 2020.
Donald Trump redoute en outre que le vote par correspondance favorise le camp des démocrates plutôt que le sien. A-t-il raison de s’inquiéter?
De nombreuses études ont passé au
crible des scrutins par correspondance dans trois États sur une durée de 22
ans. Conclusion : le vote par correspondance ne favorise pas un camp politique
plutôt qu’un autre. En revanche, il favorise le taux de participation des
Américains. Les risques de fraudes et de corruptions écartés, reste tout de
même une grande inquiétude : l’augmentation du nombre de bulletins envoyés par
voie postale à cause du coronavirus va indubitablement poser des problèmes
logistiques et ralentir le dépouillement.
Des retards dans le dépouillement des bulletins
Les USA sont un État fédéral : les critères de vote par correspondance varient donc selon les États. Dans 9 États, voter par correspondance est chose aisée, car tous les bulletins de vote sont envoyés par courrier ; dans 36 autres, les citoyens peuvent voter par correspondance, mais doivent d’abord en faire la demande, dans 5 autres enfin, il faut remplir certaines conditions pour être éligible au vote par courrier (ce dispositif est en réalité réservé aux individus qui ne peuvent faire autrement, comme les militaires en mission ou les personnes handicapées). De nombreux États fédérés n’ont donc pas l’habitude de traiter une grande masse de courriers en un temps restreint. Lors des primaires démocrates de 2020, plus de 500 000 bulletins de vote ont ainsi été invalidés à cause de multiples erreurs (comme le rapporte le Washington Post). Et en général, le taux de rejet des votes par correspondance est plus élevé que celui des votes en présentiel.
Pour l’édition 2020, une des principales inquiétudes consiste en ce que les bulletins de vote n’arrivent pas à temps aux centres de dépouillement. La Poste américaine a en effet connu de gros problèmes d’acheminement du courrier à partir de juin 2020. Le patron de la Poste américaine, Louis Dejoy, a en effet décidé à cette date de mettre en place une politique de réduction des coûts, ce qui a provoqué de grandes manifestations dans tout le pays. Donald Trump avait alors été accusé d’avoir affaibli la Poste par l’intermédiaire de Louis Dejoy, qui se trouve être un de ses amis. Certes, le président de la Poste américaine avait renoncé à son projet, mais les craintes de retard massif demeurent.
Selon Benjamin Ginsberg, co-président de la commission présidentielle sur l’administration électorale en 2013, dans une vidéo postée sur le site du quotidien Le Monde, le risque est aussi de découvrir, après la date limite posée dans les États, « plein de bulletins que les services postaux auraient égarés».
Les inquiétudes portent également
sur le recrutement du personnel en charge du dépouillement des bulletins, et du
niveau d’équipement mis à disposition des volontaires. De nombreux experts
estiment que le comptage des voix sera beaucoup plus long que d’habitude et qu’il
pourrait même dépasser le 3 novembre. Sans compter les actions en justice et
potentielles contestations qui pourraient encore davantage ralentir le
processus de dépouillement.
De la vigilance des médias
Les données disponibles dans la nuit du 3 au 4 novembre pourraient même donner une vision biaisée des résultats. En effet, les démocrates sont généralement plus attirés par le vote par correspondance que les républicains. Selon Josh Mendelsohn, PDG d’Hawkfish dont les propos ont été rapportés dans Le Figaro, on pourrait assister, le soir du 3 novembre, à un « red mirage». Donald Trump pourrait apparaître comme le grand vainqueur le soir de l’élection, avant que le dépouillement des votes par correspondance n’inverse les choses, quelques heures ou jours plus tard.
Bref, ce qui est certain est que
rien n’est joué d’avance. À ce sujet, comme le rapporte Le Figaro, les médias américains ont été sommés de « prendre leurs responsabilités », et ne
pas se précipiter dans l’annonce des résultats. On se souvient encore du séisme
provoqué par l’élection de Donald Trump en 2016. Les médias avaient été accusés
de partis pris et d’un manque de clairvoyance dans cette campagne. « Une nouvelle fois, le journalisme est à la
traîne de l’histoire, à la traîne du reste du pays » avait même avoué
l’éditorialiste du New York Times. Le
soir du 3 novembre, les médias sont invités à être plus pondérés et à préparer
les citoyens américains (et le reste du monde) à une soirée électorale inédite.
Maria-Angélica Bailly
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