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Faut-il abolir le devoir conjugal ?
La question – qui n’est pas nouvelle – est posée par la chroniqueuse Maïa Mazaurette, en titre d’un article écrit pour Le Monde et publié en juin 2020, dans lequel elle rappelle d’ailleurs qu’il s’agit d’une notion issue du droit canonique de l’Église catholique remontant au Moyen Âge. On imagine aisément qu’à l’époque, ce « devoir » renvoyait bien sûr uniquement à la nécessité de procréer et de perpétuer sa lignée.
Le mariage a aujourd’hui été laïcisé, il n’est (heureusement) plus considéré comme le seul berceau de la reproduction, et le « devoir conjugal » n’existe pas dans la loi ; il n’y a d’ailleurs jamais figuré. Mais la tradition résiste tant et si bien que l’expression est toujours utilisée par les juges. Car c’est bien la jurisprudence qui a consacré l’obligation d’entretenir des relations sexuelles entre époux, rattachée à une autre obligation, prévue, elle, par le Code civil. En effet, en vertu de l'article 215 dudit code, les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie – traduite en fait par les magistrats, au fil de leurs décisions, comme une communauté de lit. L'article 212 dispose quant à lui que les époux se doivent (entre autres) fidélité, là encore extrapolée comme fidélité... dans les rapports sexuels.
Mariage et sexe semblent donc, aujourd’hui encore, indissociables. Si au XXIe siècle, les juges ne vont tout de même pas jusqu’à considérer que l’époux(se) non désireux(se) de se livrer à l’acte charnel doit s’y obliger, le refus de relations sexuelles peut en revanche constituer un motif légitime de divorce aux torts exclusifs du/de la partenaire, et donner lieu à des dommages et intérêts. À ce titre, la jurisprudence a instauré un ensemble de conditions, et décrété que, pour que torts il y ait, l’absence de relations intimes devait être prolongée, résulter d’une décision unilatérale, et ne pas être justifiée par une raison médicale. C’est à l’époux(se) victime de prouver l’absence de rapports, le dommage causé, et le lien de causalité entre les deux. La preuve n’est donc pas spécialement évidente à établir, force est de le constater. Reste toutefois que le divorce « aux torts exclusifs » revêt une dimension extrêmement moralisatrice, appliquée pourtant à une question aussi délicate que l’absence de rapports intimes liée à un refus de la part de l’un des deux conjoints.
Pourtant, les juges n’en démordent pas : « Les rapports sexuels entre époux sont notamment l'expression de l'affection qu'ils se portent mutuellement, tandis qu'ils s'inscrivent dans la continuité des devoirs découlant du mariage », retient la cour d’appel d’Aix-en-Provence en 2011. En 1996, un arrêt estime par ailleurs de façon très mathématique que « s’il est admissible de refuser des relations sexuelles à son conjoint pendant quelques semaines, cela ne l'est plus quand le refus s'est installé pendant plus d'une année et qu'il n'était pas prévu d'y mettre fin un jour ». Inadmissible est aussi, a-t-il pu être jugé, le refus répété de partager le même lit.
Les décisions précitées datent, certes, de quelques années. Les années 2020 portent toutefois l’espoir d’une nouvelle conception... Non ? Eh bien pas vraiment : en septembre dernier, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi d’une femme contre un arrêt qui avait prononcé un divorce à ses torts exclusifs. En cause : elle n’aurait pas « honoré le devoir conjugal » à l’égard de son époux.
Décision de la Cour de cassation : entre rétropédalage et antagonisme ?
Pour la Fondation des Femmes, la décision est « choquante ». D’autant plus choquante que la Cour de cassation avait fait figure de « pionnière » en étant la première, il y a 30 ans de cela, à reconnaître l’existence du viol conjugal durant le mariage, dans un arrêt historique du 5 septembre 1990. Et donc à considérer que le sexe n’est pas un dû du fait de l’union.
Auparavant, elle s’était contentée de l’admettre de façon détournée, pour des circonstances particulières – lorsque les époux étaient en instance de divorce et en résidence séparée, ou bien en raison de pratiques sexuelles déviantes imposées. Même dans cet arrêt du 5 septembre, il a fallu que les relations sexuelles imposées par le mari à sa femme soient constitutifs d’actes de torture et de barbarie pour que la Cour dise qu’il y avait viol sur conjoint. Mais l’avancée est considérable, puisque la cour suprême affirme ici que la présomption de consentement aux relations sexuelles entre époux n’a rien d’irréfragable et qu’elle « n’autorise nullement l’un d’entre eux à imposer à l’autre par violence un acte sexuel s’il n’y consent ».
Pour rappel, le viol est décrit à l’article 222-23 du Code pénal comme « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, commis sur la personne d’autrui, par violence, contrainte, menace ou surprise. » Jusqu’alors, il était communément accepté que ce terme ne pouvait être utilisé dans le cadre du mariage ; comme si la violence, la contrainte, la menace ou la surprise n’existaient pas dans le couple (marié ou non, d’ailleurs), tandis que les statistiques montrent aujourd’hui que dans la moitié des affaires de viols et de tentatives de viols, l’agresseur est le conjoint ou l’ex-conjoint de la victime.
La notion de viol existe dans le Code pénal depuis 1791, mais il faut donc attendre plusieurs siècles pour que celui entre conjoints soit reconnu entre les murs d’une juridiction, puis quelques années encore afin qu’il soit inscrit dans la loi, celle du 4 avril 2006. Cette dernière est venue ajouter à l’article 222-22 du Code pénal un alinéa 2, lequel apporte une précision fondamentale : le viol peut être commis par un individu sur un autre individu « (...) y compris s’ils sont unis par les liens du mariage ». Le viol sur conjoint devient par ailleurs une circonstance aggravante de la peine et fait encourir jusqu’à 20 ans d’
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