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La chaire Enfance et familles du Centre de recherche sur les relations entre les risques et le droit (Faculté de droit de l’université catholique de Lille) a organisé un colloque pluridisciplinaire, les 1er et 2 avril derniers, sur le thème « Enfants et écrans ». Objectif : interroger l’ensemble des problématiques liées à ce sujet pour analyser et prévenir, d’une part, les mécanismes qui produisent des effets vérifiés sur la personne de l’enfant, et de proposer, d’autre part, des perspectives d’amélioration, notamment en matière de protection juridique.
« La question de l’exposition des enfants aux écrans n’est pas nouvelle. Elle s’est déjà posée, au milieu des années 1980, avec l’exposition des enfants à la télévision au sein des foyers. Mais, plus que l’exposition, avec la démocratisation des technologies numériques et la diversification des supports (tablettes, smartphones, ordinateurs…), c’est bien la question des usages des outils numériques qui se pose avec acuité. Celle-ci englobe de multiples problématiques qui interrogent le rôle des parents et de la famille, ainsi que celui de l’école. Plus largement, l’usage d’Internet par les enfants pose la question de leur protection. Des chercheurs mettent en lumière, de manière contradictoire parfois, les bénéfices et les dangers d’un usage non contrôlé d’Internet. Si l’hypothèse du lien entre les troubles médicaux et un usage abusif des outils numériques est récurrente, l’exposition de l’enfant à des images ou des messages violents ou pornographiques, le traitement des données personnelles, le risque d’être victime de la cybercriminalité ne sont pas des questions nécessairement conditionnées à une utilisation importante d’Internet.Ces situations imposent une certaine vigilance et appellent naturellement le droit comme réponse pour prévenir et protéger les droits de l’enfant. »
C’est en ces termes que la chaire de recherche Enfance et familles du centre de recherche sur les relations entre le risque et le droit (faculté de droit de l’université catholique de Lille) présente sur son site le colloque organisé en avril dernier. En réunissant chercheurs et professionnels de l’enfance, cet événement a pour ambition de mettre à jour, sous un angle pluridisciplinaire, les mécanismes qui produisent des effets vérifiés sur les enfants, les risques qu’encourent ces derniers face aux écrans, et de proposer des perspectives d’amélioration en matière de protection juridique des mineurs. Nous revenons ci-dessous sur les échanges qui ont eu lieu autour du thème suivant : « Lutte et prévention des dangers de l’usage d’Internet par les enfants : l’apport du droit », sous la présidence de Nadia Beddiar, maître de conférences HDR, université catholique de Lille. Au sein de cette thématique, nous nous sommes particulièrement intéressés à l’exposé de Monique Dagnaud, directrice de recherches CNRS, CEMS-Paris, et à celui d’Anne-Sophie Chavent-Leclere, maître de conférences HDR en droit privé, directrice de l’Institut d’études judiciaires de Lyon (IEJ), avocate, université Jean Moulin Lyon 3.
LES JEUNES FACE AUX ÉCRANS : OBSESSION POLITIQUE ET EMBARRAS DU DROIT
Dans son intervention, Monique Dagnaud a précisément mis en lumière les faiblesses du dispositif étatique en matière de régulation d’Internet et de protection des mineurs.
Depuis 30 ans, en tant que sociologue, Monique Dagnaud étudie les questions liées à la jeunesse et aux médias. L’après-midi du 2 avril, celle-ci est revenue sur son expérience au CSA dans les années 90 « où tout a commencé », selon ses propres termes. Les années 90, c’est en effet le début des télévisions commerciales et des réseaux sociaux qui se sont ensuite développés dans les années 2000.
À son avis, cette époque a marqué « une rupture anthropologique dans l’éducation des enfants ». Les pouvoirs publics ont alors tenté de réguler et d’encadrer l’essor des écrans, mais ils ont très vite été dépassés par le succès d’Internet et de la télévision commerciale.
En 2000, à sa sortie du CSA, Monique Dagnaud, également directrice de recherche au CNRS, a ainsi publié un livre qui résume sa pensée, L’État et les médias : fin de partie, dans lequel elle met très sérieusement en doute le modèle français en matière de régulation des médias. « Il y a eu une rupture anthropologique, et c’est normal qu’on ait voulu encadrer l’usage d’Internet. Cependant, rien n’arrête les images et les informations de toute sorte qui déferlent sur les écrans » a-t-elle expliqué.
Pour elle, l’arsenal législatif élaboré depuis 30 ans par les divers gouvernements pour tenter de lutter contre le harcèlement, les propos haineux, la diffamation, et protéger les enfants… est à la fois « immense et inutile ».
Mais tout d’abord, pourquoi en est-on arrivé là ? Pour Monique Dagnaud, pour comprendre ce qu’il s’est passé, il faut distinguer deux périodes du monde numérique : la période des années 90 au début des années 2000, et la période comprise entre 2005 à nos jours.
LE MONDE NUMÉRIQUE DES ANNÉES 90 AU DÉBUT DES ANNÉES 2000
Tout commence, comme nous l’avons dit, dans les années 90, période durant laquelle l’État a essayé de réguler. Cependant les méthodes choisies, la culture juridique qui régnait à ce moment, les difficultés à se mettre d’accord… tout cela a été profitable aux flux qui se sont étendus. L’État était alors « mou et hésitant », or, comme l’a très justement rappelé l’oratrice, la fabrication des lois se fait dans un contexte et culture juridique dans lequel intervient le législateur en fonction d’une certaine volonté politique. Cette volonté ferme étant absente, difficile de faire des lois efficaces.
Un premier problème public intervient cependant avec la pornographie. « Je ne suis pas sûre que la société était si bien préparée que ça à voir l’univers éducatif des jeunes envahi par les contenus pornographiques qui sont d’abord passés par les télévisions », affirme Monique Dagnaud.
Mais qu’est-ce qui a alors empêché qu’on encadre la pornographie ?
D’abord, le climat de l’époque était très proche de la culture permissive des années 70. Dès que les parents ou représentants de l’univers éducatif commençaient à mettre en garde, à dire que la pornographie pouvait nuire aux enfants et adolescents, il y avait en face des voix qui faisaient passer ces avertissements comme « ringards » et « vieux jeu ».
« Par les télévisions commerciales, on fait entrer les enfants dans l’univers des adultes, avec sa violence, ses tricheries, son intimité », dénonçait déjà à l’époque le célèbre sociologue Joshua Meyrowitz, dont les propos ont été repris par l’intervenante.
En résumé, la grande transformation apportée par les médias d’images est d’avoir fait sortir les enfants d’un cadre d’enfant, d’où la « rupture anthropologique dans l’éducation des enfants » évoquée par Monique Dagnaud. Une autre des raisons du manque de régulation dans les années 90 est liée au poids des lobbies économiques. En effet, Canal+ avait un « succès formidable » avec son film pornographique du milieu de la nuit le samedi : « un moment que les jeunes transgressaient ». Il y a alors eu des débats sur le cryptage. Les chaines généralistes souhaitaient réguler. C’était une façon pour elles de garder une relative bonne image, une image familiale à une époque où elles étaient dominantes dans le paysage audiovisuel.
Elles ont donc relativement bien reçu la proposition du CSA qui préconisait de mettre en place une politique de signalétique. Chaque chaine généraliste s’est dotée d’un comité de visionnage interne, qui contrôlait, estampillait les programmes et en fonction de cela décidait des horaires de diffusion.
Mais dans un contexte de complaisance avec les démonstrations de violence, de sexualité… le mieux que le CSA a pu faire a été d’organiser une co-régulation, c’est-à-dire une sorte d’équilibre entre les grands médias, les généralistes et les volontés de la société (« qui étaient assez molles »).
Au milieu de ces forces contradictoires, l’État a quant à lui choisi une position très médiane : « Il a laissé la pornographie être diffusée sur des chaines publiques. »
Au niveau européen, il y a également eu des débats pour tenter d’encadrer la pornographie. Le principal d’entre eux – qui illustre très bien le climat léger de l’époque – qui a occupé pendant longtemps les sphères gouvernementales et éducatives portait sur la question suivante : « La pornographie nuit-elle gravement aux mineurs ou est-elle simplement susceptible de nuire aux mineurs ? »
Les pays européens avaient des sensibilités différentes. L’Hexagone avec le poids de Canal+ derrière elle se rangeait du côté du second avis. Elle préférait donc laisser une marge de manœuvre aux télévisions.
Ainsi, le 12 décembre 2002, lors d’un vote au Parlement pour réguler plus sévèrement la pornographie, les parlementaires ont finalement renoncé à prendre une position forte sur le sujet.
LE MONDE NUMÉRIQUE DEPUIS 2005
L’essor considérable des outils de communication et des plateformes de diffusion tels que Facebook (en 2008, 90 % des jeunes avaient un compte Facebook), Twitter, Instagram, YouTube, les jeux en ligne ou les applications mobiles… a fait évoluer les mentalités. En quelques années, la société française est passée de la « cyber béatitude » (Internet et médias = développement de l’individu, curiosité, ouverture à la connaissance…) à une critique très nette – notamment depuis 2013 – de l’univers d’Internet. Une « cyber critique » très violente, confortée par des révélations comme celles de Snowden (les USA surveillent la terre entière via ces réseaux), a précisé la sociologue. La société française est devenue beaucoup plus anxieuse quant à l’explosion des réseaux et notamment tout ce qui concerne la cyber surveillance, les fake news, etc. L’idée d’une vie démocratique minée, en tout cas fragilisée, par les réseaux a également fait surface. Du côté des adultes est apparue une inquiétude quant aux effets délétères d’Internet sur les jeunes, notamment sur l’apprentissage affectif de la sexualité. Bref, la société est devenue beaucoup moins favorable à ce déferlement d’informations, car elle s’est rendu compte de la façon dont cela modifiait la vie et les comportements des jeunes. Durant cette deuxième période, les individus sont aussi de plus en plus angoissés par l’idée des atteintes aux libertés publiques (ciblage via des algorithmes par exemple) d’où la mise en œuvre, en avril 2016, du RGPD par la Commission européenne.
Concernant la protection de l’enfance, la question a basculé de la pornographie au cyber harcèlement, c’est-à-dire à la question de l’enfant fragilisé par les rencontres qu’il peut faire au cours de ses interactions numériques. On parle davantage de cybercriminalité. Pour lutter contre ces phénomènes, on a recours aux associations, aux hotlines, aux signalements et à l’organisation de nombreux débats dans les milieux éducatifs.
L’État dans cette période est cependant assez désemparé, et d’une certaine façon « très peu puissant », a affirmé Monique Dagnaud. Dans les années 90, les pouvoirs publics pouvaient encore réguler (même s’ils ont choisi de ne pas vraiment le faire), mais à l’heure actuelle, dans un monde globalisé, avec des géants de la tech qui fonctionnent avec d’autres cultures juridiques que les nôtres (liberté d’expression totale, libertarisme…), c’est quasiment peine perdue.
On constate en outre que via ces géants de la tech, une nouvelle culture juridique – venue de Californie – est en train de s’imposer en France. Le seul recours de l’État pour avoir une certaine prise juridique sur Internet sur le plan des libertés publiques, de l’information, et de la protection de la jeunesse est de distribuer des amendes.
Ainsi les GAFA, comme Facebook, en ont eu plusieurs fois. L’inquiétude face à ces géants est devenue mondiale, c’est pourquoi même aux États-Unis, ces derniers écopent parfois de lourdes pénalités. Toutefois, ces grands groupes n’hésitent pas à aller de recours juridiques en recours juridiques (ils ont beaucoup d’argent !). Par conséquent, ils n’ont jamais payé les milliards qu’ils auraient dû payer.
De son côté, la Commission européenne n’hésite pas non plus à mettre des amendes aux grands groupes multimédias.
En ce qui concerne la régulation des contenus, Monique Dagnaud a expliqué que la voie qui a été prise est celle de la co-régulation. On a demandé à ces géants de réguler eux-mêmes les contenus qui circulent. Pour le faire, ces derniers adoptent plusieurs méthodes : les hotlines, la régulation algorithmique et l’emploi de milliers de régulateurs – extérieurs à l’entreprise – qui repèrent les contenus illicites.
Bref, selon la sociologue, notre époque est marquée par de nombreuses inquiétudes, pas seulement concernant la protection de la jeunesse, mais sur plein d’autres sujets (surveillance, fake news, libertés publiques…). En ce qui concerne le cyber harcèlement et la cybercriminalité, on se heurte à de nombreuses problématiques, et notamment à des difficultés sémantiques. Si certains cas sont flagrants, a pointé la chercheuse, il est parfois difficile de donner une qualification juridique précise d’un contenu illicite, d’un propos diffamatoire, d’un propos raciste…. Au CSA, les professionnels eux-mêmes n’étaient pas toujours d’accord sur la qualification d’un contenu, a-t-elle raconté.
Au niveau pratique, ce n’est pas non plus facile, car quand on repère un contenu illicite, il faut ensuite retrouver le pays, la région, la ville, le quartier où l’infraction a été commise. Ça revient à chercher une aiguille dans une botte de foin. Quoi qu’il en soit, nous sommes passés d’une époque permissive à une autre où l’on se rend compte des dégâts que peuvent causer la violence et la pornographie.
À l’heure actuelle, le moindre problème sur le Net surprend et indigne le public. Sans doute, selon Monique Dagnaud, parce qu’on a conscience qu’on a laissé mûrir – au début du net – quelque chose d’inquiétant sur le plan affectif et sexuel.
On parle en effet aujourd’hui de cette génération comme de la « génération youporn », ce qui, pour la sociologue, est assez vrai quand on étudie les comportements des adolescents.
Ce laisser-aller a pu amener à des difficultés dans les rapports hommes-femmes, dont #metoo est une des conséquences. À Sciences-Po ont récemment été organisées des manifestations d’étudiantes qui s’insurgent contre la « culture du viol ». Ayant elle-même étudié à Sciences-Po, Monique Dagnaud a confié trouver incroyable qu’il puisse aujourd’hui y avoir ce genre de problème dans cette école autrefois réservée à une certaine élite.
Pour finir, selon la chercheuse, des instruments de régulation existent, mais « ils ne touchent que le détail d’un flot de contenus que nous avons laissé s’échapper sans trop réfléchir ».
En outre, à son avis, si on fait une rétrospective des 30 dernières années, la protection de l’enfance n’a jamais vraiment été au cœur des capacités d’action de l’État.
Chaque fois qu’il y a un événement lié à du cyber harcèlement, les télévisions en parlent pendant plusieurs jours, a-t-elle admis, mais au fond, l’État concentre plutôt ses efforts sur les libertés publiques (ce qui en soi n’est pas mauvais). La question de la protection de l’enfance est toujours passée au second plan.
« Heureusement, ce qui est remarquable chez les jeunes qui aujourd’hui commencent à avoir des enfants, c’est qu’ils sont les plus vigilants en ce qui concerne le contexte éducatif, et le visionnage. Il y a une réaction forte d’une partie de la société contre ce flot d’images peu contrôlé dont on a affaire aujourd’hui » a-t- elle conclu sur une note d’optimisme avant de laisser la parole à Anne-Sophie Chavent-Leclere qui a abordé le douloureux sujet des atteintes pédosexuelles en ligne.
LA PROTECTION PÉNALE DU MINEUR CONTRE LES ATTEINTES PEDOSEXUELLES COMMISES EN LIGNE
La directrice de l’Institut d’études judiciaires de Lyon a commencé par préciser que les atteintes pédosexuelles en ligne n’impliquent aucun contact physique entre un majeur et un mineur, mais elles ont en commun de « porter atteinte de façon indirecte à l’intégrité sexuelle du mineur ».
On a deux cas de figure : soit le mineur est sujet de l’image véhiculée par l’écran sans en être le destinataire, soit il est spectateur de cette image et est donc le destinataire.
Dans le domaine de la cyber pédosexualité, Anne-Sophie Chavent-Leclere a précisé que depuis le nouveau Code pénal (1992), les lois pour réprimer ceux qui tentent de près ou de loin d’entrainer le mineur dans des jeux sexuels (et in fine de commettre des agressions sexuelles réelles) se sont déchainées. Il y a donc à cette époque un véritable décalage entre le monde judiciaire et la société plutôt permissive décrite par Monique Dagnaud ci-dessus.
En général, a-t-elle ajouté, les actes de cyber pédosexualité sont découverts à l’occasion des perquisitions numériques en lien avec des plaintes préalables pour atteintes ou agressions sexuelles sur mineurs dans la vie réelle.
Le droit européen est aussi particulièrement sévère en la matière pour obliger les États à incriminer dans le sens d’une protection optimale de l’enfant.
On pense ainsi à la convention sur la cybercriminalité de Budapest en 2001, la décision-cadre 2004/68/JAI du Conseil du 22 décembre 2003 relative à la lutte contre l'exploitation sexuelle des enfants et la pédopornographie, la Convention du Conseil de l’Europe sur la protection de l’enfance en 2007, la directive relative à la lutte contre les abus sexuels en 2011.
En France, la dernière réforme visant à réprimer davantage les atteintes pédosexuelles en ligne date du 30 juillet 2020 avec la loi visant à protéger les victimes de violences conjugales.
Le ministère de l’Intérieur a aussi participé à cette lutte en dotant la direction centrale de la police judiciaire d’une section nationale a vocation opérationnelle destinée à lutter contre la criminalité via l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) qui met à la disposition des internautes une plateforme pour signaler des comportements illicites.
En outre, la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN ou LEN), articles 6 et 6-1, permet aussi d’aller chercher la responsabilité des hébergeurs, et rend possible la fermeture et/ou poursuite des sites incriminés.
Concernant l’incrimination justement, il faut distinguer deux choses : la prohibition pénale de l’image pédosexuelle, et la prohibition de l’incitation du mineur à la débauche sexuelle via l’écran.
LA PROHIBITION PÉNALE DE L’IMAGE PÉDOSEXUELLE
Les sanctions prises contre la diffusion, l’enregistrement, la transmission… de l’image pédosexuelle sont décrites à l’article 227-23 du Code pénal.
Le législateur a incriminé pour la première fois en 1992, a rappelé Anne-Sophie Chavent- Leclere. À partir de 1998, l’infraction a été revue plusieurs fois et a énormément évolué. En effet, une dizaine de lois sont venues élargir cette infraction dans le sens d’une plus large appréhension des comportements susceptibles de rentrer dans ce champ, jusqu’à la loi du 30 juillet 2020 – évoquée ci- dessus – qui a considérablement augmenté les sanctions pour ce type de comportement. On est ainsi passé d’une répression du producteur de l’image pédopornographique – avec les notions de fixation, d’enregistrement et de transmission –, à la répression du consommateur (celui qui détient et consulte des images de « pornographie enfantine »).
Concernant la notion de pornographie en général, en France il n’existe pas de véritable définition dans la loi. Le terme est beaucoup trop large. On se réfère donc à la Convention européenne sur la cybercriminalité de 2001, et particulièrement à l’article 9.
La pornographie enfantine désigne le cas d’un mineur qui se livre à un comportement sexuellement explicite. L’article 100 du rapport explicatif de cette Convention précise qu’un comportement sexuellement explicite désigne la relation sexuelle classique entre mineurs, entre un mineur et un adulte et a minima, l’exhibition des parties génitales ou de la région pubienne d’un mineur.
On peut cependant se poser la question suivante : la simple nudité du mineur suffit-elle à rendre l’image pédopornographique ? Non, certaines jurisprudences ont ainsi admis que la nudité « s’il ne s’y ajoute rien » n’est pas de la pédopornographie.
En revanche, il y a quelques années, la cour d’appel de Montpellier a condamné une personne qui avait pris en photo des enfants nus sur une plage. Il ne s’agissait pas d’un projet artistique, et l’individu se focalisait en outre sur les parties génitales des enfants.
À noter que dans l’article 227-23 du Code pénal, on parle de l’image d’un mineur réel, mais aussi de l’image d’un mineur « virtuel », c’est-à-dire toute représentation de mineur même si celui-ci n’existe pas en vrai. En outre, la loi vise un enfant mineur, mais également ceux qui ont « l’apparence de mineur » sauf si on peut démontrer qu’ils ne le sont pas.
Pour débusquer les pédophiles en ligne, les forces de l’ordre déduisent des mots clés, des logiciels d’effacements, etc., les comportements illicites de certains consommateurs.
Quant aux sanctions, celles-ci ont énormément augmenté au fil des lois. On est ainsi passé d’une peine qui était à l’origine d’un an d’emprisonnement et de 300 000 francs d’amende à une peine de cinq ans de prison et de 75 000 euros d’amende depuis la loi du 30 juillet 2020 pour tous les comportements (auparavant la peine pour la détention d’images et la consultation de sites était plus faible).
La peine est portée à sept ans de prison et 100 000 euros d’amende lorsque les faits sont commis par réseaux (ce qui en fait est toujours le cas avec le web qui signifie justement « toile mondiale »), et à dix ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende quand il existe une bande organisée. S’ajoutent à ces sanctions des peines de suivis socio-judiciaires.
On le voit, le mineur fait l’objet d’une protection particulièrement large dans le domaine de la pédosexualité en ligne même si, selon la professeure, il y a un manque d’efficacité dans la pratique.
LA PROHIBITION DE L’INCITATION DU MINEUR À LA DÉBAUCHE SEXUELLE VIA L’ÉCRAN
La seconde incrimination est l’incitation à la débauche sexuelle du mineur. Pour rappel, le mot « débauche » ne figure plus dans la loi, mais y paraissait dans l’ancien Code pénal.
Cette incrimination correspond à deux faits, deux infractions : la diffusion de message illicite accessible à un mineur d’une part, et la corruption de mineur d’autre part.
Diffusion de message illicite accessible à un mineur
Concernant, la diffusion de message, il faut se référer à l’article 227-24 du Code pénal qui explique que le fait de fabriquer, transporter et diffuser un support à caractère violent incitant au terrorisme, pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine... est puni de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende lorsque ce message est vu ou susceptible d’être vu par un mineur.
Au fil du temps et des lois, le contenu de ce message s’est élargi, a précisé l’intervenante, la notion de pornographie y a toujours figuré, mais s’y sont ajoutés la violence, l’incitation au terrorisme, aux jeux dangereux…
Concernant le message pornographique, il peut s’agir d’un texte, d’une image, d’un film ou même d’un support musical. Le législateur insiste : une condamnation peut advenir si cette image est vue ou simplement susceptible d’être vue par des mineurs.
On pense ainsi à la décision de la cour d’appel de Grenoble qui a condamné un professeur remplaçant (en CM1) qui consultait des sites pornographiques sur son lieu de travail. Un jour, sur le tableau mural qui projetait l’écran de son ordinateur, les élèves ont pu voir un onglet avec des images pornographiques. Le professeur ne voulait pas que les élèves voient ces images, mais il a tout de même été sanctionné.
Bien entendu, la plupart du temps, l’adulte pédophile fait directement voir des films pornographiques à des mineurs.
Très récemment, la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales a ajouté un nouvel alinéa à l’article 227-24 en précisant que les infractions sont constituées « y compris si l'accès d'un mineur aux messages mentionnés au premier alinéa [message à caractère violent, incitant au terrorisme, pornographique... NDLR] résulte d'une simple déclaration de celui-ci indiquant qu'il est âgé d'au moins 18 ans. »
Cela signifie que désormais, le législateur met à la charge des plateformes une obligation de s’assurer – au moyen d’une pièce d’identité par exemple – que c’est bien un majeur qui regarde un site pornographique et non un mineur.
La loi du 30 juillet 2020 constitue une grande avancée dans la protection des enfants, selon la directrice de l’IEJ de Lyon, même si elle a oublié les nudes et les snapchat qui disparaissent automatiquement, a-t-elle ajouté. On le voit, la diffusion d’images illicites aux mineurs est sanctionnée de plus en plus sévèrement. Cependant, a regretté Anne- Sophie Chavent-Leclere, cela n’est vrai qu’en théorie, « en pratique ce n’est sans doute pas le cas ».
En effet, le législateur est complètement dépassé, ne serait-ce que par le nombre de messages diffusés par jour (même un JT est souvent violent pour les enfants). « L’absence d’efficacité d’un tel dispositif est criante » a déploré la professeure.
La corruption de mineur
La dernière infraction concerne la corruption de mineur.
Selon l’article 227-22 du Code pénal, la corruption de mineur consiste à se livrer à des actes immoraux devant des personnes mineures ou sur des mineurs à travers l’écran, et notamment au moyen de l’utilisation par des majeurs de webcam.
Dans ce cas de figure, le mineur peut être soit spectateur d’une scène, soit acteur d’une scène.
Si on se réfère aux décisions de justice récentes, la corruption de mineurs renvoie à de nombreux faits : incitation de mineurs à des gestes obscènes, réunion de mineurs pour des prises de vue, mais aussi le fait pour un majeur de parler de sexe, de demander à un mineur de se déshabiller… Bref, la corruption de mineurs est extrêmement large avec un dol spécial qui est celui de la « perversion de la jeunesse ». En effet, si le parquet ne parvient pas à démontrer que l’objectif de l’adulte était la perversion de la jeunesse, alors il ne peut pas qualifier ça de corruption.
Si par exemple une personne commet des actes pédophiles pour ses « propres pulsions sexuelles », l’infraction de corruption de mineurs, à proprement dite, ne sera pas retenue (ce qui n’empêchera pas d’autres incriminations bien entendu !).
En ce qui concerne les sanctions et les peines, pour la corruption de mineur, le législateur prévoit cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende, sept ans de prison et 100 000 euros d’amende quand il y a eu utilisation d’un réseau ou que le délit a été commis dans un établissement scolaire, et dix ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende quand le fait a été commis en bande organisée.
En outre, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a créé le délit de proposition sexuelle, c’est-à-dire le fait pour un majeur de faire des propositions sexuelles à un mineur de 15 ans ou moins. Si en plus la proposition est suivie d’une rencontre, la peine est aggravée, et s’il y a une agression sexuelle, on rentre dans le domaine des infractions sexuelles et du crime.
Quant à la loi du 3 juillet 2020, dans laquelle il est beaucoup question de l’inceste, celle-ci a contribué à la création de deux délits : le délit de cyber provocation à commettre un acte sexuel impliquant un mineur de 15 ans, et le fait pour un majeur d’user sur un mineur de pressions, violences, contraintes, etc., pour que ce dernier réalise un acte de nature sexuelle.
En conclusion, le législateur a mis en œuvre un arsenal judiciaire très développé pour lutter contre les atteintes pédosexuelles de toute sorte. Encore une fois, la difficulté réside dans la pratique. Comment mettre en place des poursuites systématiques alors que les instances de répression manquent de personnel pour le faire ? Comment retrouver les internautes, les hébergeurs dans cette immensité qu’est l’univers numérique ?
Bref, qu’en est-il de l’efficacité de ce gigantesque dispositif de répression ?
Maria-Angélica Bailly
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