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Le 23 octobre 2017, Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances, lançait une consultation sur le thème : "Partage de la valeur et engagement sociétal des entreprises". Cette annonce a été le point de départ d’un véritable déferlement médiatique portant sur les entreprises dites "à mission ". Alissa Pelatan, avocate aux barreaux de Paris, Californie et Washington DC et Nicolas Mitton, juriste et consultant en affaires publiques, nous apportent un éclaircissement sur la question.
La formule ne cesse de faire couler de l’encre, et qu’ils soient juristes, acteurs de la RSE1, entrepreneurs ou consultants en transition environnementale, tous ont un avis ou une proposition à faire valoir.
« Entreprises à mission », « nouvelles gouvernances », « objet social étendu » ou « élargi », « entreprises nouvelles », « entreprises engagées »…
Les termes et les appellations se multiplient, et il ne se passe pas un jour sans qu’une nouvelle intervention médiatique vienne porter une voix ou un éclairage nouveau sur le sujet, alimentant un peu plus la confusion.
Car au final, qu’en retenir ?
Une proposition claire et attractive émerge-t-elle de cette accumulation de littérature et de formules abstraites ?
Nous allons ici tenter d’envisager la question de manière pragmatique, en établissant tout d’abord un inventaire des principaux dispositifs existants en matière d’entrepreneuriat engagé puis en posant la question de la nécessité d’une réforme.
I. Panorama de l’économie engagée en
France
A. Le droit positif
L’objet de cette étude est de dresser un panorama des mécanismes entrepreneuriaux permettant de concilier activité économique et objectifs extrafinanciers mais ne traite pas, de fait, du secteur associatif ou des organismes sans but lucratif, lesquels représentent la majeure partie des activités dites « sociales » dans notre pays.
Sans prétendre à l’exhaustivité, trois mécanismes principaux peuvent être évoqués.
1. Les sociétés coopératives
Si elles n’ont pas expressément une vocation sociale, leur actionnariat et leur mode de gouvernance, lesquels sont en principe confiés à leurs salariés, placent les coopératives dans le champ des acteurs de l’économie sociale.
Institué durant l’année 1947 par la loi Ramadier2, le modèle des sociétés coopératives repose sur trois principes fondateurs que sont la double qualité, la gestion démocratique et le réinvestissement dans l’entreprise.
Le dispositif se verra complété en 19783 et 20014 par la création, successivement, des sociétés coopératives ouvrières de production, qui deviendront, en 20145, les sociétés coopératives de production (ou « SCOP ») puis des sociétés coopératives d’intérêt collectif (ou « SCIC »), lesquelles renforcent la dimension sociale des coopératives. La loi dispose en effet que les SCIC « ont pour objet la production ou la fourniture de biens et de services d’intérêt collectif, qui présentent un caractère d’utilité sociale ».
Dans l’esprit du public, les sociétés coopératives, et plus particulièrement les SCOP, ont gagné leurs galons d’entreprises sociales car elles se trouvent régulièrement placées sous le feu des projecteurs et présentées comme des véhicules de reprise par les salariés d’entreprises en faillite. Si cette vocation de sauvetage, a, lors d’affaires très médiatisées (Lejaby, SeaFrance, FraLib ou encore Goodyear), été soulignée par certains médias ou décideurs politiques, parfois de façon caricaturale ou opportuniste, les succès en la matière restent rares.
2. La responsabilité sociétale des entreprises (« RSE »)
La notion a été introduite en droit français par la loi NRE6 qui pose l’obligation pour les sociétés cotées d’inclure dans leur rapport de gestion annuel « des informations […] sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité » ;
Cette obligation se verra renforcée par la loi Breton7, laquelle transpose la directive européenne « Prospectus8 », et permet à tout intéressé (actionnaire, commissaire aux comptes…) d’obtenir sous astreinte que le conseil d’administration ou le directoire, selon le cas, communique dans son rapport annuel toutes informations non financières nécessaires, y compris les informations environnementales et sociales.
En 2008, et de nouveau sous impulsion communautaire9, il est fait obligation au président du Conseil de surveillance des sociétés faisant offre au public, de rendre compte de la composition, des conditions de préparation et d’organisation des travaux du conseil, ainsi que des procédures de contrôle interne et de gestion des risques mises en place par la société.
Les lois Grenelle I et II10 prévoient pour les sociétés répondant à certains critères l’obligation de rendre compte des conséquences sociales et environnementales de leurs activités et d’inclure, dans leur rapport de gestion annuel « des informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité », ainsi que, pour certaines de ces sociétés, « les effets de cette activité quant au respect des droits de l’homme et à la lutte contre la corruption »
Ces obligations se verront une nouvelle fois étendues et complétées par la loi du 22 mars 2012, dite loi Warsmann II, qui introduit des dispositions spécifiques aux sociétés mères et filles.
Malgré plus de quinze années d’existence dans les textes, la RSE est parfois décriée comme simplement descriptive, sans réelle incidence sur les pratiques des entreprises et ne permettant pas de comparer les résultats de chaque structure.
3. L’économie
sociale et solidaire (ou « ESS »)
La loi Hamon du 31 juillet 2014 sur l’économie sociale et solidaire marque un tournant en ce qu’elle crée un véritable statut des entreprises engagées dans la poursuite d’un objectif d’utilité sociale. Cette loi est imprégnée d’un principe fondateur lié à l’absence (ou du moins à la faiblesse) de recherche de lucrativité par les sociétés regroupées sous les statuts « ESS » (entreprise sociale et solidaire) et « ESUS » (entreprise solidaire d’utilité sociale).
Faisant suite à une promesse de campagne du candidat Emmanuel Macron, ce pan de l’économie a récemment été renforcé lors de l’annonce, le 19 janvier 2018, par le haut-commissaire à l’Économie sociale et solidaire et à l’Innovation sociale, Christophe Itier, de la création d’un fonds public de financement de l’économie sociale dénommé « French Impact », abondé à hauteur d’un milliard d’euros sur cinq ans.
Toutefois, certaines entreprises n’attendent pas après le législateur pour développer des initiatives hors de tout cadre juridique. Ces réflexions et expérimentations amènent à définir de nouveaux modèles d’entreprises engagées, lesquels constituent aujourd’hui la matière première animant les discussions sur le futur projet de loi PACTE.
B. Les propositions et initiatives privées
Parmi ces nouveaux modèles issus de l’univers académique ou de la pratique entrepreneuriale, ne seront évoqués ici que les plus aboutis ou les plus visibles.
1. Les entreprises à mission
La Société à Objet Social étendu (ou « SOSE ») est issue des travaux de chercheurs de l’école MINES ParisTech, publiés en 201512.
La SOSE se caractérise par :
• La définition d’une mission spécifique, inscrite dans les statuts (mission sociale, scientifique ou environnementale qu’ils assignent à leur société en plus de l’objectif de profit). Elle n’impose toutefois pas l’obligation d’avoir une mission générale d’utilité sociale.
• Point notable du modèle SOSE, le mécanisme dit du « Mission lock » : la mission définie ne peut être modifiée que selon des modalités spécifiquement prévues par les statuts. La révision des statuts pourra nécessiter le vote à l’unanimité des associés, ou à la majorité.
• La création d’un comité de l’objet social étendu (ou « COSE ») dont la mission est de valider l’
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