Archives

Entreprises à mission - Réalité et perspectives


mardi 10 avril 201810 min
Écouter l'article
10/04/2018 09:58:22 1 1 1233 10 0 28324 1187 1228 Université Régionale du Notariat 2018 - Avant-contrats de vente immobilière : juste une mise au point sur les conditions suspensives

Le 6 mars dernier, le Palais des Congrès de Paris accueillait quelque 2 000 notaires et leurs collaborateurs à l’occasion de la nouvelle édition de l’Université Régionale du Notariat (URN). Au programme, tout une série de conférences, des divisions foncières au droit de la famille. Charles Gijsbers, professeur à l’Université de Rouen-Normandie, est notamment intervenu sur les avant-contrats de vente immobilière. Dans le viseur : les conditions suspensives, objet d’une évolution du droit positif et d’une jurisprudence abondante, à manier avec précaution.



Les promesses bien rédigées sont pourvoyeuses de sécurité juridique : Charles Gijsbers l’a assuré lors de la conférence consacrée aux clauses dans les avant-contrats de vente immobilière, à l’occasion de l’édition 2018 de l’Université Régionale du Notariat, le 6 mars dernier. Pour autant, ce spécialiste en droit des obligations et des sûretés a reconnu que les notaires étaient confrontés à une actualité juridique riche et à un environnement juridique versatile. Conséquence de cette abondance de lois et de jurisprudences nouvelles, ils n’ont d’autre choix que d’adapter les clauses. Et en matière de clauses, Charles Gijsbers a tenu à s’étendre sur la notion de condition suspensive, ce « merveilleux outil, selon lui, qui permet de gérer l’incertain, d’avancer vers la perfection de la vente en canalisant les facteurs aléatoires, en les enfermant dans certaines clauses, et en suspendant la bonne fin de l’opération aux seuls éléments érigés en condition suspensive ». En effet, est suspensive la condition dont l’accomplissement rend l’obligation pure et simple. Le professeur de droit est ainsi revenu sur les conditions de validité attachées à cette dernière, rappelant notamment qu’elle ne saurait être purement potestative. Or, sur ce point, Charles Gijsbers a salué l’effort de simplification contenu dans la réforme des contrats réalisée par l’ordonnance du 10 février 2016. « Auparavant, sous l’empire de l’ancien code Napoléon, les conditions suspensives pouvaient être casuelles, mixtes, potestatives ou purement potestatives : nous avions tout un écheveau de distinctions, a précisé Charles Gijsbers. Finalement, le législateur a fait table rase de tout cela au profit d’une solution claire ». La loi dispose donc désormais à l’article 1304-2 du Code civil qu’« est nulle l’obligation contractée sous une condition dont la réalisation dépend de la seule volonté du débiteur ». Ce qui signifie que si un événement érigé en condition suspensive dépend de la volonté du débiteur et d’un facteur extérieur, alors la condition sera valable. À cet effet, le professeur de droit a cité l’exemple de la signature d’une promesse unilatérale d’achat sous condition suspensive de parvenir soi-même à vendre le bien dont on est actuellement propriétaire : ici, la condition est valable, car elle ne dépend pas que de la volonté, mais également de l’état du marché et de la décision de celui qui se porte acquéreur. Mais si la réforme a eu un effet de simplification, Charles Gijsbers a cependant prévenu que le débat risquait de se déplacer sur le « réputé accompli ». En effet, l’article 1304-3 du Code civil indique que la condition suspensive est réputée accomplie si celui qui y avait intérêt en a empêché l’accomplissement. En gros, si celui qui est engagé sous condition suspensive « force le destin » et fait en sorte que cette dernière soit défaillante, alors, à titre de sanction, la condition sera réputée accomplie. En reprenant l’exemple précédent, « si l’on s’aperçoit que le bénéficiaire de la promesse a mis son bien en vente à un prix tel qu’il ne trouverait jamais preneur, ou alors s’il ne fait pas le nécessaire pour répondre aux offres d’acquisition qui lui sont faites, et que l’on arrive à démontrer qu’il n’a pas joué le jeu, la condition sera réputée accomplie, a illustré le spécialiste. Et dans ce cas, pour se désengager de la promesse, il n’y a pas d’autre sortie que de ne pas lever l’option – c’est-à-dire, de payer l’indemnité d’immobilisation ».



Obtention d’un prêt : la condition suspensive la plus répandue


L’une des conditions suspensives types faisant l’objet de la jurisprudence la plus fournie : l’obtention d’un prêt. « Sans mentir, cela représente plus de la majorité de tous les arrêts que j’ai pu voir en matière de contentieux sur les promesses de vente notariées »,
a révélé Charles Gijsbers, qui a par ailleurs admis que la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière semblait évoluer de manière relativement sévère pour les acheteurs. « Pourtant, sous l’ancienne jurisprudence, la Cour avait un raisonnement subtil : si la raison véritable pour laquelle le prêt n’était pas obtenu était indépendante de la volonté de l’acheteur, la condition suspensive était réputée défaillante sans sanctionner l’acheteur, alors même qu’il ne se serait pas conformé scrupuleusement aux termes de la promesse », a précisé le professeur de droit. Ainsi, dans un arrêt du 5
janvier 2017, un emprunteur avait eu un mois pour déposer un dossier de prêt ; lorsque la deadline avait été atteinte, bien que la plupart des pièces avaient été réunies, il manquait une pièce capitale : la demande d’adhésion à l’assurance décès, versée au bout deux mois. En effet, l’acheteur souffrant d’une pathologie cardiaque, l’assurance lui avait imposé une batterie de tests, et il lui avait été impossible de récupérer toutes les pièces requises dans le délai. La cour d’appel s’était montrée impitoyable : la promesse n’ayant pas été respectée, l’indemnité d’immobilisation avait été perdue. La Cour de cassation avait en revanche considéré que la cour d’appel aurait dû rechercher si l’acheteur, compte tenu de son état pathologique, n’aurait pas, de toute façon, essuyé un refus de prêt. Le raisonnement était le suivant : si la cause véritable du refus de prêt est liée à un élément extérieur à l’acquisition, quand bien même ce dernier n’aurait pas été rigoureusement respectueux des diligences contenues dans la promesse, on estime que la condition suspensive est défaillante, et on rejette la sanction du réputé accompli. Cependant, dans des arrêts plus récents, la Cour de cassation change de raisonnement. Dans un arrêt rendu en juin dernier, l’acquéreur avait demandé un prêt sur dix ans à un taux d’intérêt de 4 % au lieu 4,5 % – prêt qu’il n’avait finalement pas obtenu. Le juge du fond l’a condamné à payer l’indemnité d’immobilisation en considérant qu’il s’agissait de sa faute. L’acquéreur s’est pourvu en cassation en utilisant la jurisprudence de la Cour. Mais, la haute juridiction a changé d’opinion, en considérant qu’il suffit de montrer que l’acquéreur n’a pas suffisamment respecté les diligences imposées par la promesse. « Le message est de dire que les diligences qu’accepte l’acheteur – délai de remboursement, taux, montant, durée dans laquelle il doit déposer la demande de prêt – l’engagent, et si le prêt n’est pas obtenu, on lui imputera la faute, quand bien même ce refus de prêt serait lié à une circonstance extérieure à sa volonté », a expliqué Charles Gijsbers. Le professeur de droit en a profité pour dispenser quelques conseils à l’égard de son auditoire : « On doit aviser les acheteurs que ces diligences sont obligatoires. Au-delà, il faut faire accepter par les parties des diligences raisonnables : ne pas indiquer dans la promesse des conditions financières définies de manière trop compréhensive, avec une durée de remboursement trop longue, ou un montant emprunté trop en-deçà des véritables besoins de l’acquéreur. Il faut avoir en tête qu’un acheteur, quand il signe la promesse, se lie les mains dans le cadre des négociations avec le banquier ».



Gérer les délais


Autre point soulevé par Charles Gijsbers : la question de la gestion des délais a, elle aussi, fait l’objet d’une évolution. Comment faire pour aboutir à la vente définitive lorsqu’on sait que l’on ne tiendra pas le délai fixé par la promesse ? Jusqu’à la réforme des contrats, la Cour de cassation se montrait plutôt souple pour la pratique notariale, comme en témoigne un arrêt du 27 octobre 2016 cité par le professeur. Ce dernier a précisé que l’on avait ici une promesse de vente signée sous condition suspensive d’obtention d’un prêt pour le 9?septembre, et que la banque ne faisait son offre de prêt qu’en octobre. Sauf que les vendeurs, entre-temps, avaient constaté que le marché avait bougé et ne souhaitaient plus faire suite à cette promesse. Ils soutenaient que la condition suspensive à la date fixée était défaillante, et qu’ainsi la promesse n’existait plus. La Cour de cassation avait considéré que lorsque la condition suspensive est stipulée dans l’intérêt exclusif de l’une des parties, seule celle-ci peut se prévaloir des conséquences juridiques de la défaillance de cette condition. « Ainsi, alors qu’il faut normalement être deux pour renoncer au bénéfice d’une condition suspensive, on pouvait renoncer unilatéralement à une telle condition quand elle était stipulée dans l’intérêt exclusif. Par ailleurs, la renonciation au bénéfice de la condition pouvait avoir lieu après la défaillance. L’acheteur avait le choix entre se prévaloir de la caducité de la promesse, ou renoncer à la condition suspensive et persévérer dans la promesse en vigueur », a noté Charles Gijsbers. Toutefois, a-t-il nuancé, cette solution n’est plus de mise, puisque le Code civil, avec son nouvel article?1304-4, dispose qu’une partie est libre de renoncer à la condition suspensive stipulée dans l’intérêt exclusif d’une partie, tant que cette condition n’est pas accomplie ou défaillie. « Ce qui signifie que l’on peut renoncer unilatéralement à une condition suspensive stipulée dans son propre intérêt uniquement tant que cette condition est pendante. Une fois qu’elle est défaillie, il est trop tard », a commenté le professeur, jugeant par ailleurs que cette nouvelle solution débouchait sur des « situations inimaginables qui alourdissent la pratique ». Alors quelles ripostes adopter pour parer à ce durcissement ? Charles Gijsbers l’a bien souligné : le texte n’étant pas d’ordre public mais supplétif de volonté, il se prête à des clauses contraires qui en neutraliseraient l’effet. Le but : éviter que la condition suspensive ne produise son effet couperet aussitôt la date fixée survenue.




 

Comment rédiger ces clauses ?


Plusieurs méthodes sont alors envisageables. D’abord, par une clause, autoriser celui dans l’intérêt exclusif duquel la condition suspensive a été stipulée à y renoncer postérieurement à la défaillance. Une telle clause supposerait d’enfermer dans un délai la faculté de renoncer à la condition suspensive, par exemple prévoir que dans les X jours de la date fixée, le bénéficiaire fera savoir qu’il renonce au bénéfice de la condition suspensive.
Le tout, par lettre recommandée. « Mais cette solution n’est pas très satisfaisante, car exiger d’un acquéreur qu’il renonce au bénéfice de la condition suspensive après qu’elle est défaillie, c’est lui dire qu’il poursuit l’avant-contrat, et qu’il demeure enchaîné dans les liens de la promesse, mais sans la condition suspensive. C’est donc obliger l’acheteur à avancer vers l’inconnu et sans filet pour le supporter s’il tombe, car s’il n’obtient pas le prêt, il aura renoncé à la condition suspensive, la promesse ne sera pas caduque pour cette clause, et il perdra son indemnité d’immobilisation », a nuancé le professeur de droit. Une autre stratégie consiste donc à proroger le délai de la condition suspensive, en rédigeant un avenant au contrat impliquant l’accord des deux parties, qui admettent qu’elles ont surestimé leur capacité à tenir les délais, et préfèrent les étendre. « Cet accord de volontés nécessite deux précautions de la part du notaire, si ce dernier prête son concours à cet acte. Il doit faire attention à ne pas prolonger le délai de réalisation de la promesse, mais bien celui de la condition suspensive », a alerté Charles Gijsbers, faisant référence à un arrêt dans lequel la cour d’appel avait donné droit à l’acquéreur qui estimait que la promesse n’était ainsi plus valable. Autre précaution à prendre : pour proroger efficacement le délai, il faut se situer avant son écoulement – d’où la nécessité d’un avenant où la prorogation devrait être régularisée avant que le délai ne soit écoulé. « Or, on sait qu’il est difficile de réunir les parties dans un délai court. Il arrive donc qu’un accord soit postérieur à la date utile où il aurait pu être conclu. Il n’y a alors qu’une manière de sauver la promesse : rédiger cet avenant en indiquant qu’il est antérieur au délai utile pour proroger, mais constaté dans un écrit qui, lui, est postérieur. Et, en cas de difficultés, on peut alors prouver cet accord par des preuves écrites telles que des échanges de mails », a affirmé le professeur. Oui mais, et ce dernier l’a reconnu, tout cela est un peu alambiqué. N’y aurait-il pas stratagème plus simple ?


« Il existe un système plus subtil qui consiste à dire : vous avez jusqu’à telle date pour obtenir un prêt. Si le délai n’est pas respecté, passé ce délai, c’est au vendeur de prendre l’initiative et de mettre en demeure le bénéficiaire de la promesse de prendre parti, c’est-à-dire soit renoncer à la défaillance de la condition, soit de persévérer dans les liens de la promesse », a estimé Charles Gisjbers, qui a également considéré que ce système gagnerait à être généralisé, puisqu’il repose sur un mécanisme de prorogation tacite du délai de la condition suspensive. Ainsi, si le délai est écoulé et que le vendeur reste taisant, la promesse est toujours sous le coup de la condition suspensive. « Cette solution paraît permettre d’éviter les renonciations unilatérales aussitôt le délai écoulé, mais aussi d’éviter que les parties ne se hâtent de se retrouver pour rédiger un avenant. Et puis, cela épouse de surcroît la psychologie des parties : si le vendeur ne réagit pas quand le délai est écoulé, c’est qu’il laisse un peu d’oxygène à son bénéficiaire qui lui fait confiance », a conclu le professeur. Avec cette solution, en résumé, si rien ne s’est passé, les parties retrouveront chacune leur liberté, et débattront ensuite du sort de l’indemnité d’immobilisation. Une technique d’ailleurs transposable à la promesse synallagmatique (aussi appelée « compromis »), sous réserve d’adapter le « délai couperet », a conseillé Charles Gisjbers.



Bérengère Margaritelli


 


Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.