Entretien avec Jean-Michel Rey, fondateur et président de POSITHÔT, la Manufacture d’Antimatière


vendredi 6 novembre 20207 min
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La Manufacture d’Antimatière (POSITÔT) est la première start-up issue du CEA/IRFU (l’Institut de Recherche sur les lois Fondamentales de l’Univers). Elle a vocation à industrialiser les technologies utilisant l’antimatière, dans un premier temps pour l’analyse des défauts dans les matériaux. Au moment de sa création, POSITHÔT était lauréate du concours ILab 2014 de BPI France. Elle a été, depuis lauréate du concours Innov’Up Leader 2018 de la Région Île-de-France, et plus récemment du concours R&D lanceurs de demain 2020 organisé par le CNES. Entretien avec son fondateur et président, Jean-Michel Rey.

Comment vous est venue l’idée de cette entreprise ?

À partir de 2005, un programme de développement a été lancé par le CEA pour définir une expérience destinée à mesurer la constante gravitationnelle de l’antimatière. Ce programme de R&D a été un succès, et a conduit à l’approbation de l’expérience GBAR (pour Gravitationnal Behavior of Antihydrogen at Rest) par le conseil scientifique du CERN en 2012. Ce développement avait permis de démonter la capacité de produire des positons (le positon est l’antiparticule de l’électron, et se présente comme un électron de charge électrique positive), sans radioactivité. Cette technologie, développée au CEA et protégée par un brevet, représente une valeur intrinsèque, car les positons sont aussi les sondes ultimes des défauts dans la matière, avec une résolution allant d’un volume équivalent à un million d’atomes manquant à l’absence jusqu’à la taille d’un seul atome.

L’innovation réside dans la capacité à produire les positons par un procédé non radioactif, c’est-à-dire ne consommant pas et ne produisant pas d’éléments radioactifs. Cette innovation de rupture, unique au niveau mondial et protégée, permet de développer les applications industrielles d’analyse des défauts par spectrométrie positons. Cette technique est pour la recherche des défauts dans les matériaux ce qu’est le TEP-Scan (TEP : tomographie par émission de positons) en médecine pour la localisation des tumeurs cancéreuses.

L’analyse des défauts avec une très haute résolution représente aussi une rupture technologique. En effet, toutes les techniques ayant une résolution comparable à la spectrométrie positon sont destructives pour l’échantillon analysé. Les techniques de CND ont toutes une sensibilité de plusieurs ordres de grandeur inférieure.

POSITHÔT commercialise actuellement des prestations de services, à l’attention de clients industriels et institutionnels, de mesure de densité de défauts à très haute résolution. À l’issue de la mise en service du générateur AM Gen, premier générateur de positons transportable et non radioactif, POSITHÔT commercialisera plusieurs types d’équipements :

  • des générateurs de positons ;

  • des systèmes d’analyse des défauts dans les matériaux ;

  • des équipements de contrôle non destructif (CND). 

Quand et comment l’avez-vous créée ?

POSITHÔT a été créée en décembre 2015, avec neuf associés disposant de connaissances scientifiques, techniques, et financières pointues, parmi lesquels se trouvent les porteurs de l’expérience GBAR. POSITHÔT est constituée en SAS, car c’est une structure simple et facile à faire évoluer.

Quels sont les intervenants qui vous ont accompagnés ? Avez-vous eu recours à des professionnels (avocat, notaire, expert- comptable…) ?

Avant même la création, j’ai bénéficié du dispositif d’essaimage du CEA et de la formation Challenge+ d’HEC. Une fois créée, POSITHÔT a été accompagnée par l’incubateur Incuballiance, et fait appel à un cabinet comptable et à l’assistance régulière d’un avocat.

Quel est votre marché ? Visez-vous un public spécifique ou un grand public ?

POSITHÔT s’adresse à un public constitué d’industriels et de laboratoires institutionnels. Le marché de la prestation de service en caractérisation de matériaux est très dynamique. Il représente plus de 1,8 milliard d’euros par an et est en croissance de 18 % par an.

Le marché sur lequel POSITHÔT va évoluer pour la vente de ses autres équipements se situe entre le marché des équipements de contrôle non destructif et celui des équipements de laboratoire à haute valeur ajoutée, intégrant la microscopie électronique. Ces marchés représentent respectivement 800 millions d’euros et 3,7 milliards d’euros annuel au niveau mondial, avec des croissances respectives de 15 et 3,5 %.

Les cibles privilégiées sont les industries développant des matériaux innova ts ou à fonctionnalité innovante telles que :

  • l’industrie des semi-conducteurs ; les polymères et membranes ;

  • la production et le stockage de l’énergie (stockage de l’hydrogène, photovoltaïque) ; la filtration, dépollution et désalinisation ; l’optique et couches minces ;

  • l’aéronautique et spatial réutilisable ;

  • la fabrication additive (dans les phases de mise au point de procédés).

Quels sont vos arguments, vos points forts qui vous ont permis d’être primé ?

POSITHÔT dispose d’un savoir unique au niveau international dans la capacité de produire des positons par une méthode non radioactive. Ce procédé permet de construire des générateurs transportables qui sont exploitables sur des sites industriels, à la différence des solutions radioactives. De plus, POSITHÔT a rendu le système transportable, une qualité essentielle par rapport aux réacteurs nucléaires de recherche.

POSITHÔT réalise une activité de prestation de services par spectrométrie positons pour la caractérisation des défauts dans les matériaux et des surfaces. Cette technique est la plus sensible des techniques d’analyse existantes pour la détection des manques de matière à l’intérieur de la matière. Pour les pièces mécaniques fortement sollicitées, elle donne la possibilité de quantifier les états d’endommagement précoces dans les matériaux, ce qui ouvre des perspectives pour le spatial réutilisable et l’aéronautique. Les facteurs de différentiation de la solution proposée par POSITHÔT sont spécifiques sur chacune des applications :

  • pour la génération des positons, le fait de disposer d’une solution non radioactive est unique au monde, et est protégée par le brevet ;

  • pour l’analyse de surface, les éléments de différentiation sont la résolution, le fait d’être non intrusif et non destructif, et la capacité à faire une analyse spectrale en profondeur. La technique positon permet aussi une différenciation entre les porosités ouvertes et les porosités fermées, une particularité très utile pour l’étude des matériaux de basse densité (catalyseurs) et ceux utilisés dans les applications de filtration et dépollution ;

  • pour le contrôle non destructif, le niveau de résolution de la technique est nettement supérieur à toutes les autres méthodes existantes. Elle permet en particulier de quantifier l’état d’endommagement d’un matériau avant l’apparition des fissures sur des pièces mécaniques fortement sollicitées :par rapport aux autres techniques de caractérisation ayant une résolution au niveau de la taille des atomes, le fait d’être non destructif est une spécificité unique. En effet, les deux techniques concurrentes, la microscopie électronique en transmission (MET) et la sonde atomique tomographique (SAT) sont toutes les deux destructrices pour les échantillons analysés.

POSITHÔT dispose d’un savoir unique au niveau international dans la capacité de produire des positons par une méthode non radioactive.

Quelle est votre stratégie pour vous faire connaître ?

POSITHÔT participe régulièrement à des salons ou des forums technologiques pour faire connaître ses développements. Un « Innovation Award » lui a été décerné lors du forum d’innovation américain TechConnect, en 2019 à Boston.

Quels sont vos principaux concurrents ?

POSITHÔT n’a pas de concurrence directe. Quatre types de concurrences indirectes peuvent être considérés :

  • la génération des positons d’une autre manière ;

  • les autres techniques d’analyse de surface ;

  • les autres méthodes de contrôle non destructif ;

  • les autres outils d’analyse des matériaux ayant une résolution à la taille des atomes.

Les laboratoires menant des recherches à l’aide des positons utilisent des sources radioactives au sodium 22. Celles-ci sont produites par le laboratoire sud-africain ITHEMBA. L’autre option est d’accéder à un des 6 réacteurs de recherche équipés de ligne de faisceau de positons dans le monde.

Les techniques d’analyse de surface de haute résolution servent dans l’industrie des semi- conducteurs, des nano poudres, et pour le développement des procédés de filtration et de dépollution : l’analyse spectrométrique d’absorption dans l’infra-rouge transformée de Fourier, l’ellipsométrie, l’analyse par réflexion de rayons X, la microscopie à force atomique. Ces techniques donnent des informations sur la couche de surface mais pas sur les défauts.

Plusieurs techniques sont employées pour le contrôle non destructif des pièces mécaniques fortement sollicitées : l’analyse par rayons X, la magnétoscopie, le contrôle par courant de Foucault, le ressuage, et le contrôle par ultrasons. Toutes ces techniques ont une résolution ultime pour l’analyse des défauts supérieure au micron, soit quatre ordres de grandeur supérieurs à la spectrométrie positons. Les seules techniques d’analyse des matériaux donnant une résolution au niveau de la taille des atomes sont la microscopie électronique en transmission et la sonde atomique tomographique. Toutes les deux sont destructives pour l’échantillon analysé. Elles ne peuvent donc pas donner d’application en contrôle non destructif. Aucune des différentes méthodes de CND et d’analyse ne permet de déceler des défauts dont la taille caractéristique est celle de la lacune atomique ou de l’amas de lacunes.

Quelle est votre politique sociale ? Combien avez-vous de salariés ?

POSITHÔT a trois collaborateurs, et cinq des associés de départ sont très activement et régulièrement impliqués dans son activité. Cinq nouveaux collaborateurs doivent être embauchés dans l’année qui vient.

Avez-vous reçu une formation spécifique pour créer votre entreprise lors de vos études ?

Non, mais mes études datent du siècle dernier, et à cette époque, l’entrepreneuriat étudiant n’était pas envisagé sérieusement. J’ai par contre bénéficié d’un accompagnement très efficace par le CEA, la formation Challenge+ d’HEC et Incuballiance.

Quels conseils donneriez-vous aux créateurs d’entreprises ?

Deux points me semblent particulièrement importants : ne jamais baisser les bras, et écouter avec attention l’avis de ceux qui ont créé, avec succès, une entreprise.

Quels sont vos objectifs de développement ?

Le business plan de POSITHÔT a été établi en prenant pour référence l’évolution des ventes d’appareils innovants pour l’analyse des matériaux depuis 2005. Ces appareils s’adressent à une clientèle similaire et sont destructifs. L’objectif de croissance de POSITHÔT est de réaliser une croissance similaire, après une première vente réalisée dans l’année qui suit la mise en service des équipements dans les locaux de la société.

À échéance de 5 à 6 années après la mise en service du premier générateur de positons, l’activité devrait générer un chiffre d’affaires de 17,6 millions d‘euros pour la vente des équipements, avec la subdivision suivante :

  • la vente de deux générateurs de positons, soit un chiffre d’affaire de 4,8 millions d‘euros ;

  • la vente de quatre systèmes d’analyse des matériaux, soit un CA de 9,7 millions d‘euros ;

  • la vente de un système de CND, soit un CA de 3,1 millions d‘euros.

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