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Après deux années passées en tant que président de la Conférence des bâtonniers, l’heure est au bilan pour Maître Jérôme Gavaudan. Ce dernier revient pour le JSS sur les évènements qui ont marqué sa mandature, sur les difficultés rencontrées, sur les succès, également, tels que l’unité de la profession. Si les obstacles sont nombreux, l’avocat se montre globalement très optimiste pour l’avenir de la profession.
Comment qualifieriez-vous vos deux années de mandat ? Quels évènements en retenez-vous ?
Il s’agit de deux années intenses. L’année 2018 a été portée par le projet de loi Justice qui nous a beaucoup occupés, surtout sur la partie territoriale. Ce projet a quand même abouti à une modification de la carte judiciaire…
Au début, nous étions satisfaits de participer aux chantiers de la justice ainsi qu’aux concertations de préparation du projet de loi, mais rapidement, nous nous sommes rendu compte que les chantiers ne servaient strictement à rien. Ils n’ont pas servi de base pour la loi. Quant aux concertations, elles ont simplement permis aux pouvoirs publics de contourner nos arguments. En fait il s’agissait d’une sorte de « communication factice », je parlerais même d’une certaine hypocrisie. Certes, la ministre de la Justice nous a beaucoup reçus, mais sur le fond, ça ne change rien. Nous sommes très déçus et avons l’impression d’un grand gâchis. Ce projet de réforme a également démontré un certain mépris des pouvoirs publics à l’encontre des citoyens de province. Il semble qu’au ministère, ils ne soient que dans l’économie de juges et dans l’organisation territoriale au détriment des citoyens.
Je dirais même que, dans une certaine mesure, la crise des Gilets jaunes, nous l’avons ressentie dans les prémices du projet de loi Justice, dans cette volonté absolue de regrouper les lieux de justice, d’asphyxier les juges et les greffes. Or, l’accès au juge, c’est aussi l’accès au droit. Et s’il n’y a pas d’avocats dans un territoire, il n’y a pas de droit. C’est la mort des territoires. À mon sens, cette réforme de la justice a engendré un grand nombre de lois et de règlements qu’on peut qualifier de liberticides. On assiste à une forme de dérive autoritaire avec une caste qui veut imposer sa vision, qui plus est fausse, car fondée sur des a priori et non sur de véritables études d’impact.
Pareil en ce qui concerne les moyens alloués par le ministère de la Justice. Tous les présidents de la Cour de cassation ont toujours dit qu’il devrait y avoir deux budgets. Le budget prison et le budget fonctionnement de l’institution judiciaire. Bien entendu, ce n’est pas la faute immédiate du gouvernement en cours, cela fait des années que ça dure. Ce qui nous irrite en revanche, c’est que le pouvoir actuel nous appâte en nous répétant sans cesse qu’on va être consultés, écoutés. On se met donc au travail, et au final, nous n’avons rien. Quel gâchis ! Ce qui m’a étonné aussi, c’est qu’en général, les relations avec Madame Belloubet étaient assez faciles, respectueuses et fréquentes. Elle est brillante et comprend les choses tout de suite. Par contre, il y a ensuite comme une forme d’infirmité à mettre en œuvre nos demandes, et pas seulement par manque de moyens.
Et puis, en 2019, il y a eu cette « fausse bonne idée » du gouvernement : le régime des retraites.
C’est une fausse bonne idée, car en réalité, le principe d’universalité du régime de retraite par points est tout à fait inégalitaire. Pourquoi le gouvernement promeut-il ce régime ? D’aucuns diraient que c’est pour pouvoir baisser la valeur du point et faire en sorte qu’il n’y ait pas de déficit de retraite… Plus particulièrement, concernant les avocats, avec ce régime, c’est comme si l’État disait aux avocats qu’ils ne comptent pour rien. En effet, depuis 1945, nous avons un régime autonome. Ayant bien géré nos caisses, nous avons des provisions qui s’élèvent à 2 milliards d’euros. On s’attaque là au pacte convenu avec l’État. Celui-ci nous avait demandé de nous débrouiller. Et maintenant, il veut récupérer notre argent, baisser nos pensions et augmenter nos cotisations. Ce n’est pas normal, et, bien entendu, nous ne nous laisserons pas faire. C’est pourquoi nous avons fait grève le 5 décembre dernier.
Pour moi, cette réforme des retraites démontre, une fois de plus, l’aversion du pouvoir pour les indépendants, ce qui rejoint d’ailleurs la question de l’avocat salarié en entreprise, sur laquelle je reviendrai.
Bref, à la place qui est la mienne, durant ces deux années, en ce qui concerne la législation, je n’ai hélas constaté que des régressions : recul sur le droit de manifester, recul sur la procédure pénale, recul de l’indépendance de la justice avec la perspective émise par le ministère de la Justice et le Premier ministre de supprimer les juges d’instruction en fonction des résultats électoraux de la majorité actuelle... C’est stupéfiant ! Là, on s’attaque vraiment au fondement de la démocratie, à l’indépendance des magistrats, des avocats, et des juges d’instruction.
Quels sont les points positifs de votre mandature ? Êtes-vous globalement satisfait de ces deux années à la tête de la Conférence des bâtonniers ?
Le point positif des débats sur la réforme de la justice, c’est que ces derniers ont permis aux confrères de retrouver, en leur bâtonnier, la personne la mieux à même de les défendre. Ils ont également pu voir en la Conférence des bâtonniers une institution proche des territoires, des cabinets de province, apte à être force de propositions.
Le bilan de mon mandat, c’est aussi l’unité. Nous avons eu la chance, Christiane Féral-Schuhl, la présidente du CNB, Marie-Aimée Peyron, bâtonnier du barreau de Paris et moi-même, de commencer nos mandats en même temps, ce qui a rendu les choses plus faciles. Nous avions la volonté de trouver le bon fonctionnement pour l’intérêt de la profession d’avocat, et nous avons décidé de mettre en place des mécanismes de discussion, de prévention des difficultés et surtout d’unité. Il faut aussi reconnaître que durant toute cette période, le Conseil national des barreaux a été très à l’écoute et ne cherchait pas à s’ériger en institution super-nationale… Cette période troublée a permis de démontrer que l’organisation de la profession est pertinente, avec une organisation représentative qui est le Conseil national des barreaux, le barreau de Paris qui est un énorme barreau sur la place de Paris, et les barreaux de province regroupés autour de la Conférence des bâtonniers. Chaque institution est pertinente et l’équilibre se trouve dans l’unité.
Malgré les difficultés rencontrées, je suis très heureux de ce mandat, car il nous a permis de réfléchir, de nous concerter… Par exemple, nous avons quand même passé toute une journée, lors des Assises de l’Ordinalité (NDLR voir JSS n° 85 du 27 novembre 2019), à réfléchir sur des sujets de fond comme la qualité. À réfléchir ensemble autour des Ordres, et à envisager des prospectives. Humainement, je me suis régalé dans cette maison. J’y étais bien.
« La
profession se bâtit jour après jour et continue à se bâtir
sans se détruire ».
Tout d’abord, l’avocat en entreprise est un point de divergence important entre la Conférence des bâtonniers et le barreau de Paris. Un point de divergence, mais pas un point de conflit. On en parle avec le barreau de Paris sans problème.
À la Conférence, nous ne sommes pas fermés au fait que les juristes puissent bénéficier du legal privilege, par contre, il ne nous semble pas du tout pertinent de créer un avocat salarié en entreprise. À notre sens, cela risque d’affaiblir le secret professionnel, de rendre l’avocat dépendant, puisque celui-ci devra signer un contrat de travail. Or, l’avocat est et doit rester indépendant.
En outre, il me semble que ce n’est pas l’avocat salarié en entreprise que les pouvoirs publics sont en train de créer, mais l’avocat de tiers. C’est-à-dire l’avocat d’une association, d’un syndicat, et pourquoi pas d’un particulier. Le risque c’est que si je suis un escroc, je vais faire bénéficier du secret professionnel mon avocat, et celui-ci risque peut-être de profiter de cela.
De plus, contrairement à ce qu’affirme Monsieur le député Gauvain, la création d’avocats salariés en entreprise ne va pas protéger les entreprises françaises. En effet, dans les pays où il existe des avocats en entreprise, ces dernières ne sont pas plus protégées. Depuis 200 ans, la profession se bat pour être détentrice d’un secret professionnel et d’un privilège de confidentialité forts. Ce n’est pas pour les brader maintenant.
En ce qui concerne l’ubérisation de la profession, l’État ne cesse de la promouvoir, mais pour moi, il s’agit d’un auto entrepreneuriat de pauvres. Avec celui-ci, les individus ont un petit revenu, ne cotisent à aucune caisse, ils n’ont donc pas de retraite et ont une couverture sociale limitée.
Quant aux plateformes de médiation en ligne, le ministère ne souhaite pas qu’elles soient labellisées. Bref, tout est fait pour que ça ne soit pas cher, pour éviter qu’on aille voir un juge ou un avocat. Dans la mécanique qui est en train d’être mise en place, il y a toujours des gens qu’on laisse sur le bord de la route.
Le numérique est une chance pour la profession et pour le justiciable, mais les développements du numérique doivent se faire au service du justiciable, et non pas l’inverse. Par exemple, la mise en place de la communication électronique entre les avocats et les juridictions ne fonctionne pas bien. Le personnel peut difficilement communiquer ses pièces. Nous n’avons clairement pas les moyens, tout a été fait à la hâte.
Vous vous êtes beaucoup investi sur la question des discriminations durant votre mandat. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Nous avons en effet organisé, fin septembre, une journée de formation lors de laquelle la Conférence, le barreau de Paris et le CNB ont signé une charte relative à la lutte contre les discriminations et le harcèlement dans la profession (NDLR voir JSS n° 77 du 23 octobre 2019). Cette journée de lutte contre le harcèlement dans la profession d’avocat a abouti à la mise en place de référents harcèlement et discrimination dans tous les barreaux, ce qui est une très bonne chose, car c’est localement que cela doit se faire.
La loi permettra à la fois de faire monter plus rapidement certaines femmes en haut de la hiérarchie et évitera également que les postes à responsabilité soient occupés uniquement par ces dernières, la profession s’étant globalement féminisée.
Pour moi, la journée sur le harcèlement et la discrimination a été très intéressante également, car la Conférence des bâtonniers a su montrer que c’est d’abord vers les ordres que les avocats peuvent et doivent se tourner.
Êtes-vous optimiste quant à l’avenir de la profession ?
Je suis très optimiste, puisque nous avons une nouvelle présidente qui va mener avec brio notre Conférence pendant les deux ans qui viennent. Tous les deux, nous avons des personnalités différentes, mais, fondamentalement, nous sommes d’accord sur tout. Hélène Fontaine est par nature dans une démarche de concertation, ce sera donc assez facile pour elle de préserver l’unité que nous avons construite avec le CNB et le barreau de Paris. Obtenir la confiance de ses pairs sera essentiel pour la nouvelle présidente, d’autant plus que depuis cette année, le président de la Conférence des bâtonniers est élu en juin et non plus en janvier, il ne subit donc plus « l’épreuve de la confirmation » (l’assemblée générale qui se rassemblait autrefois en novembre ne confirme plus son élection). Mais je n’ai aucune inquiétude à ce sujet. La présidente aura en revanche beaucoup à faire. Déjà, il va falloir régler le sujet des retraites, et également mettre en place de manière concrète la réforme de la justice.
Bref, je suis globalement optimiste. De toute façon je suis toujours optimiste. La profession se bâtit jour après jour et continue à se bâtir sans se détruire. J’ai à l’esprit l’image d’un bouquet qui refleurit sans cesse. Cela tient, à mon avis, au fait que nos mandats se renouvellent régulièrement, il y a toujours un bâtonnier qui vient derrière l’autre, comme une chaine de continuité. En outre, les nouveaux arrivants sont de plus en plus jeunes, et il y a de plus en de femmes.
L’unité de la profession, les Assises de l’Ordinalité, la solidarité qui est née dans nos barreaux suite à nos rassemblements, la vivacité de nos assemblées générales, tout cela constitue des points de réussite.
Président de la Conférence des bâtonniers, c’est un job magnifique, presque aussi beau que le bâtonnat. Je pense cependant que ce mandat est un peu court, même si, humainement, c’est mieux, car en termes de fatigue, c’est très difficile.
Au terme de ces deux années, je suis heureux, car j’ai le sentiment d’avoir rendu service à la profession. C’était d’ailleurs ma devise de candidature à la présidence de la Conférence : « Réussir pour servir et servir pour réussir. » Il me semble aujourd’hui que mon objectif de janvier 2017 est finalement atteint.
Quels sont vos projets pour l’avenir ?
Tout d’abord, le président de la Conférence des bâtonniers reste membre du bureau de la Conférence, je vais donc continuer à en faire partie. Je suis également dans le comité de pilotage de la préparation de la Convention nationale des avocats 2020 qui se déroulera cette année à Paris en octobre prochain ; je vais avoir le plaisir d’être présent dans l’équipe de Catherine Jonathan Duplaa, vice-présidente du CNB, qui s’en occupe.
Propos recueillis par Maria-Angélica Bailly
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