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Pierre-Ann Laugery est un « bâtonnier qui plaide ». à la tête du barreau des Hauts-de-Seine depuis le 1er janvier 2017, cet avocat pénaliste veut soutenir ses confrères et rendre à « cette profession qui [lui] a beaucoup donné ». Il a accordé un entretien au Journal Spécial des Sociétés.
Quelles sont les spécificités de votre barreau et de son territoire ?
C’est un territoire très contrasté. Il y a à la fois de l’« hyperargent » et de l’« hyper-pauvreté, de l’hyperguetto ». Il y a la Défense, évidemment très riche, et d’autres zones beaucoup plus pauvres où des contingents entiers sont arrivés d’Afrique du Nord à la fin de la guerre d’Algérie. Ils ont été logés à Nanterre dans ce que l’on appelait des cités de transit. Elles ont perduré 30 ou 40 ans…
Cette réalité se reflète dans le barreau. Il y cinq grands cabinets, soit français, soit anglo-saxons, qui représentent 1 700 avocats sur un peu plus de 2 200. Les 600 restants sont dits « judiciaires ». Parmi eux, dont je suis issu, il y en a la moitié qui vit grâce à l’aide juridictionnelle. Les derniers recensements en 2015 ou 2016 montraient qu’il y avait à peu près 250 à 300 d’entre eux qui gagnaient moins de 2 500 euros par mois. Deux réalités, mais une seule profession, unifiée depuis 1992.
Quel a été votre parcours avant de devenir bâtonnier ?
J’ai prêté serment en 1980?et très rapidement j’ai fait du pénal. Je me suis intéressé à cette matière parce que j’aime les gens. Pour moi c’était naturel d’être en soutien de personnes qui sont soit en délinquance soit en difficulté. Je considère d’ailleurs que la délinquance creuse son lit dans la souffrance sociale. J’ai fait ça pendant 36 ans. Et c’est encore une activité dominante dans mon cabinet.
Je suis un bâtonnier qui plaide. Je continue de faire des permanences. La semaine dernière j’étais à la cour d’assises de Rennes, la semaine prochaine je suis à celle de Charlevilles-Mézières. C’est très important de ne pas être déconnecté de la réalité, il faut se confronter à ça. Je ne suis pas un homme de pouvoir. Je suis là parce que cette profession m’a beaucoup donné et que je trouve normal de lui rendre et de prendre un peu de temps dans ma vie pour venir au soutien de mes confrères et faire de choses positives, conviviales et intéressantes.
L’aide juridictionnelle a récemment été revalorisée pour l’année 2017. Le montant est-il suffisant d’après vous ? Pourquoi ?
Totalement insuffisant. Des calculs ont été faits. Pour qu’un cabinet d’avocat fonctionne normalement, c’est 60 euros qu’il faudrait. Nous sommes à 32 euros. Dans un certain nombre de matières, le nombre d’UV, qui était avant servi au titre de l’indemnisation, a baissé. Nous sommes toujours dans un système largement inégalitaire. Aujourd’hui notre profession s’appauvrit et nous devons faire face aux legaltech, aux start-ups qui se multiplient et viennent nous concurrencer.Elles sont à la porte de nos cabinets. C’est une concurrence débridée sans déontologie, sans secret professionnel. On assiste au développement d’une forme « d’autojudication » comme il existe de l’automédication. Mais il y a aussi des sociétés faites par des avocats en direction des justiciables avec un vrai respect de la notion d’accès au droit et à la justice. Le barreau de Lille par exemple a mis en place récemment un dispositif qui permet d’évaluer les chances de gain d’un procès, une sorte de justice prédictive.
La conférence des bâtonniers a récemment rendu un rapport sur l’accès aux droits avec 47?propositions. Que faites-vous en la matière au barreau de Nanterre ?
Ici à Nanterre, nous avons un service de l’ordre dédié à l’accès au droit. Il nous met en relation avec de nombreux points d’accès au droit situés dans le département y compris la maison d’arrêt de Nanterre où deux personnes y donnent des consultations.
Aujourd’hui, la dotation qui permet de rémunérer les avocats qui remplissent ces missions se réduit puisque récemment elle a été diminuée d’un peu plus de 5?%. De plus en plus, il y a des missions que nous faisons et qui sont directement payées par l’ordre alors que c’est à l’État de prendre ça en charge. Nous nous retrouvons à devoir abonder les fonds pour pouvoir payer les avocats parce que l’État ne respecte pas ses engagements. Nous sommes obligés de le faire sinon ça ne fonctionnerait pas. C’est la même situation en ce qui concerne l’aide juridictionnelle et la commission d’office.
En matière d’accès au droit, nous sommes aussi en « concurrence » avec les associations. Beaucoup d’entre elles sont présentes dans les points d’accès au droit et vivent également de subventions. Il devrait y avoir au contraire une synergie entre tous ces intervenants. Nous sommes beaucoup plus longs que les associations dans les conseils que nous dispensons. Résultat : ça coûte plus cher et nous sommes moins concurrentiels. Nous devons réorganiser ça. Dans le cadre du droit des victimes, nous allons reprendre contact avec des associations pour essayer de créer une synergie.
Il y a bien d’autres choses dans le domaine de l’accès au droit. Une trentaine de confrères sont mobilisés par exemple pour amener des classes de collégiens ou de lycéens assister à un procès et pour débriefer ensuite dans les classes.
Propos recueillis par Victor Bretonnier
Retrouvez la suite de cet entretien dans le Journal Spécial des Sociétés n° 14 du 18 février 2017
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