Entretien avec Wahib Dahmani, nouveau président de l’ANECS Île-de-France


mardi 5 mars 201910 min
Écouter l'article

Le 17 janvier dernier, lors de l’Assemblée générale de l’Association nationale des experts-comptables et des commissaires aux comptes stagiaires (ANECS) d’Île-de-France, les membres ont procédé à l’élection de leur nouveau bureau, avec à sa tête Wahib Dahmani, à la présidence pour 2019. Quel regard porte-t-il sur l’évolution de la profession ? Et quelles seront les priorités de son mandat ? Réponses.

 


Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?


J’ai 26 ans. Après l’obtention de mon bac à 18 ans, j’ai réalisé un DUT GEA (Gestion des entreprises et des administrations) à Corte, en Corse, pendant deux ans ; diplôme que j’ai obtenu avec mention, en juillet 2012. J’ai continué mon cursus universitaire en validant une licence en management comptable et finance à Aix-en-Provence. J’ai, par la suite, réalisé un master 1 en Comptabilité, fiscalité, finance et patrimoine et un master 2 CCA (Comptabilité, contrôle, audit), toujours à Aix-Marseille, que j’ai validé en juillet 2015. 


Avant de réaliser mon stage de trois ans en cabinet, j’ai suivi une prépa intensive de deux mois pour préparer le DSCG (Diplôme supérieur de comptabilité et gestion), et notamment les 2 UE manquantes, validées en décembre 2015.


J’ai ensuite commencé mon stage au sein d’un cabinet d’audit et d’expertise comptable, Diagnostic & Investissement, un « cabinet 2.0 » comme on pourrait l’appeler, vivement tourné vers l’utilisation des nouvelles technologies, à Paris. J’interviens tant dans des missions d’expertise aux comptes que de CAC. Mon stage s’est terminé fin décembre 2018, et j’y officie toujours. 


Pour pouvoir exercer en tant qu’expert-comptable, il faut enfin s’inscrire à l’examen du DEC (Diplôme d’expertise comptable), lequel se compose de trois épreuves, dont la rédaction d’un mémoire sur le thème de notre choix. Le sujet que j’ai proposé a été accepté, je suis donc actuellement en pleine rédaction, avant la soutenance, en mai prochain. 


 


Pourquoi avoir choisi l’expertise comptable ?


C’est apparu comme une évidence ! J’ai eu la chance, au commencement de mon parcours universitaire, de rencontrer des professeurs talentueux qui m’ont transmis le goût de leur matière.
Par leur capacité d’enseigner avec passion, mais aussi grâce aux travaux de groupe réalisés avec d’autres étudiants, ils m’ont donné le goût de l’expertise comptable. J’aime en effet être entouré, et les travaux collectifs réalisés lors de mon cursus ont sur me « tirer vers le haut ». Cela a également développé ma curiosité, ce qui, à mon sens, est un véritable atout dans ce milieu. Oui, les chiffres sont importants dans cette profession, mais c’est surtout ma curiosité et mon dynamisme, associés à l’envie d’aider en apportant une valeur ajoutée, qui m’ont amené à choisir cette voie. Je pense aussi que cette profession correspondait parfaitement à ma personnalité. J’aime l’humain, j’aime les gens, et je dispose d’une fibre commerciale qu’il est nécessaire aujourd’hui de développer dans l’exercice de la fonction. L’expert-comptable et le commissaire aux comptes sont deux professions qui demandent des connaissances élevées, mais qui doivent également prendre l’aspect commercial en compte. Ils ne peuvent plus se reposer sur les obligations qui incombent aux entreprises, mais aller plus loin, en allant à la rencontre des clients.


J’ai donc trouvé dans ces professions du chiffre des missions qui raisonnaient avec les principaux traits de ma personnalité. J’ai l’impression d’être utile en étant le « médecin des entreprises ».


Enfin, mes parents ont également été un soutien dans ce choix, en me poussant à faire de longues études, eux qui n’ont pu avoir cette chance (mon petit frère a d’ailleurs choisi la même voie que moi, et ma soeur poursuit elle aussi de longues études, en médecine cette fois).


 


Quel est le rôle de l’Association nationale des experts-comptables et des commissaires aux comptes stagiaire IDF ?


L’association est réservée aux experts-comptables et commissaires aux comptes stagiaires, mais est aussi ouverte aux étudiants et salariés d’un cabinet d’expertise comptable. Le champ est large.


Les objectifs de l’association sont :


d’aider les stagiaires à avoir leur diplôme (DSCG, DEC et CAFCAC). Nous offrons un accompagnement et proposons dans ce sens des formations de qualités, dispensées par des professeurs agrégés reconnus ;


d’accompagner les membres, notamment dans la réalisation de leurs stages à l’étranger. En effet, dans le cadre de notre cursus, il est possible d’effectuer un stage dans un autre pays, mais le manque d’informations à ce sujet peut parfois en freiner certains. Nous avons ainsi réalisé une rencontre sur le sujet, le 21 dernier prochain, durant laquelle certains sont venus témoigner de leur expérience, afin d’apporter un point de vue pratique et concret ;


de tenir informés nos membres de l’actualité du chiffre. Pour y répondre, nous organisons 6-7 conférences dans l’année. Nous avons d’ailleurs eu la chance d’accueillir dans ce cadre Monsieur Philippe Arraou, ancien président du Conseil supérieur de l’Ordre des experts-comptables, et Arthur Renaud, représentant la banque Qonto, qui sont intervenus pour parler du digital dans les petites entreprises, le 6 février dernier. En mai, une conférence sur la Loi Pacte sera également proposée. Une prochaine, consacrée au « CAC, un Homme commercial ? » sera présentée à nos membres. Ce sujet est en effet actuel, il n’est pas interdit au CAC de se vendre, en démontrant que sa présence est indispensable même si elle n’est plus obligatoire. Une autre conférence sera consacrée à l’interprofessionnalité, avec des témoignages concrets. L’entrepreneuriat et le « Leader au féminin et au masculin » seront également des thèmes qui seront traités durant l’année. Ce métier offre en effet, la possibilité d’exercer en étant indépendant, laissant une large flexibilité. Chaque année, il y a d’ailleurs de plus en plus de femmes au sein de la profession. 


enfin, d’organiser, en collaboration avec nos partenaires, des événements et ateliers sur des thèmes d’actualité au sens large, et ce, tout au long de l’année.


 


La profession est actuellement en pleine mutation (avec la loi Pacte notamment). Quelles seront les priorités de votre mandat ?


En mai prochain, de concert avec le Club des jeunes experts-comptables et commissaires aux comptes, nous organiserons un événement durant lequel nous ferons le récapitulatif des impacts de la loi Pacte. Mais ce qu’il nous intéresse aussi, c’est de débattre sur l’avenir de la profession, et comment en redessiner les contours. Dans ce contexte, j’appelle, durant mon mandat, à l’unité de la profession, à la confraternité entre les experts-comptables et les commissaires aux comptes. 90 % des CAC sont d’ailleurs experts-comptables. Il faut un soutien partagé, un esprit commun, une cohésion. On peut travailler ensemble, sans que l’un ne vienne empiéter sur la profession et les missions déjà engagées de l’autre.


L’autre priorité concernera le CAFCAC, le Certificat d’aptitudes aux fonctions de commissaire aux comptes. Les chiffres nous prouvent que celui-ci, assurément difficile, n’est pas suffisamment réussi, car insuffisamment préparé. À travers l’association, nous souhaitons accompagner les inscrits en dispensant des formations adaptées.


 


Vous succédez à Julien Le Puil à la présidence de l’ANECS IDF. Que retenez-vous du mandat de votre prédécesseur ?


Il a fait un très bon mandat ! Le nombre d’adhérents a augmenté de 30 % sous sa présidence. Nous accueillons désormais en Île-de-France 680 adhérents. Dans ce contexte de débat au sujet de la loi Pacte, il a vivement participé, avec ANECS nationale, à la mobilisation de nos membres, le 26 avril dernier, au palais Brongniart. Julien Le Puil a été très communicant, et dans ce cadre, c’est doublement important de bien communiquer.


Mon prédécesseur a également su attirer de nombreux participants aux conférences organisées par l’association grâce à la qualité des manifestations et le choix des sujets : celle consacrée à la blockchain a réuni 120 personnes, celle sur la RSE, plus d’une centaine.


 


Olivier Salustro, président de la CRCC Paris, présent à l’AG de l’ANECS IDF le 17 janvier dernier, vous a invité à « développer des compétences à haute valeur ajoutée dans un monde en mutation ». Quel regard portez-vous en effet sur l’avenir de la profession ?


Olivier Salustro porte une vision réaliste sur la mutation de la profession, et surtout envisageable, dans le sens où, évidemment, les auditeurs et comptables vont devoir développer leurs compétences pour répondre à ces nouveaux besoins. En effet, avec la loi Pacte, des prestations dites « obligatoires » seront supprimées, mais pour autant, l’audit n’en demeure pas moins utile. Le CAC va devoir développer une appétence commerciale, et ce développement passe inévitablement par la formation. Elle peut être proposée par des intervenants externes, bien sûr, mais être aussi dispensée par des personnes en interne, des forces vives et pédagogues du cabinet. Il faut savoir tirer profit des connaissances et des atouts de chacun. 


Je prends comme exemple un cabinet de 10 salariés, au sein duquel les collaborateurs vont devoir être plus « vendeurs ». Toutefois, il se peut que cette qualité ne soit pas partagée par tous, ne soit pas dans l’ « ADN » de chacun. Faut-il pour autant s’en séparer ? Deux d’entre eux suffisent et pourront s’occuper de cette partie commerciale, quand d’autres, plus utiles ailleurs, apporteront leurs atouts sur la mission à réaliser, par exemple. Le but étant d’être complémentaire, tout en valorisant le travail de chacun. Il est également du devoir de l’associé de ne pas seulement mettre en avant celui qui commercialise, mais d’utiliser les qualités de tous au service du cabinet. Nous pouvons même envisager une rémunération des collaborateurs avec un variable, visant à mobiliser les forces vives au sein de l’équipe. La valorisation financière a son importance. Rémunérer les collaborateurs en fonction de leur performance, avec pourquoi pas l’intégration d’une prime collective pouvant favoriser le travail d’équipe au sein du cabinet. Les associés doivent montrer le cap, préparer l’avenir du cabinet et rassurer ceux qui seraient sceptiques quant aux mutations à venir.


Winston Churchill disait : « Un pessimiste voit la difficulté dans chaque opportunité, un optimiste voit l’opportunité dans chaque difficulté ». Cette phrase résume bien la vision que doit adopter un cabinet aujourd’hui. Le chiffre d’affaires dit « obligatoire » peut être transformé par un audit non obligatoire, soit, mais demeurant utile. Le commissaire aux comptes devient ainsi l’acteur de ses missions, car sa présence sera décrétée seulement parce que le client l’aura voulu, et non par obligation. L’expert-comptable aussi est amené à ouvrir ses missions, réaffirmant ainsi son statut d’expert. Nous devons redécouvrir notre clientèle ; les clients vont nous suivre.


 


Les legaltechs et nouvelles technologies investissent de plus en plus la profession. En tant que représentant de la nouvelle génération des professionnels du chiffre, comment accueillez-vous l’arrivée de l’intelligence artificielle au sein de la profession ? Comment devrait-elle, selon vous, être utilisée ?


L’avènement des nouvelles technologies représente une véritable avancée pour notre profession. Nous ne devons pas en avoir peur. Personne ne remplacera l’homme, parce que la confiance qui réside entre le professionnel et le client ne peut être effective seulement par sa présence. Le client a besoin d’être rassuré par l’humain, et la proximité qui s’établit lors des échanges est irremplaçable. Ces solutions numériques permettent aux professionnels de passer moins de temps sur des tâches chronophages ou administratives, et lui libèrent alors du temps pour exercer des missions dites à haute valeur ajoutée. Chaque demande a sa spécificité, et seul l’homme peut y répondre, en créant une vraie relation.


Dans la loi Pacte, il n’y a pas que l’article 9 – dont on a en effet beaucoup parlé –, il y a aussi l’article 10, lequel prévoit les honoraires au succès. Pourquoi ne pas utiliser les services offerts par le numérique pour pouvoir « mieux » facturer auprès de nos clients ? En digitalisant l’ensemble des process, on pourrait ainsi ne plus facturer au forfait ou au temps passé, mais au succès que l’expert à su mesurer, au résultat.


 


Le 21 novembre dernier, les professions du chiffre ont organisé la 18e grande journée pédagogique, visant à attirer les futurs diplômés vers des métiers qui souffrent d’un manque d’intérêt, bien qu’ils ne connaissent pas le chômage. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?


À ce sujet, il faudrait, à mon sens, revoir les programmes pédagogiques des cursus dits « traditionnels », en rajoutant des matières concrètes, comme la vente, le digital. Il faut moderniser les programmes pour répondre aux évolutions actuelles de la profession.


Prochainement se tiendra le Salon de l’étudiant. L’ANECS y sera naturellement présente, et s’engage à communiquer dans ce sens, de ce qu’est l’exercice de la profession, aujourd’hui.


L’expert-comptable et le commissaire aux comptes sont souvent dehors, et doivent se former, s’informer et communiquer. Il y a aussi la possibilité d’enseigner, de s’investir dans les instances (commissions, compagnies et ordres, syndicats) pour s’interroger sur l’avenir de la profession et participer à la construction de son futur. Quelles professions aujourd’hui accordent autant d’importance au numérique ? Les professions du chiffre évoluent dans l’ère du temps. La définition de l’expert-comptable et du CAC est en effet souvent incomprise, mais l’ANECS a pour objectif de modifier cette image, afin qu’elle colle davantage avec la réalité. 


 


Quel regard portez-vous sur la loi Pacte ?


Comme j’ai pu l’évoquer plus haut, il y a l’article 9, qui a beaucoup fait parler de lui. Il concerne le relèvement des seuils de certifications légales des comptes (4 millions d’euros de bilan, 8 millions d’euros de chiffre d’affaires et 50 salariés). Les petites entreprises situées sous ces seuils ne seront plus soumises à une obligation d’audit. Bien que cette mesure ait été votée par le Sénat, sa mise en place reste assez floue. Je place beaucoup d’espoir dans la mission d’audit légal optionnel sur trois ans (ALPE), où les CAC pourront « séduire » les parties prenantes (investisseurs, associés, entreprise) en leur présentant les forces et avantages qu’ils pourront malgré tout retirer de cette mission, même optionnelle.

Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.