Essais cliniques : quand la France contribue à une meilleure protection des volontaires sains dans le monde


mardi 4 mars9 min
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Six mois après la publication de la « Charte éthique mondiale pour la protection des volontaires sains dans les essais cliniques » par VolREthics, une initiative portée par l’Inserm, la situation bouge… mollement. Or, si les patients inclus dans des essais cliniques bénéficient dans la plupart des pays d’un cadre réglementaire strict, les volontaires sains, eux, sont souvent moins protégés. Leur participation pose des questions éthiques et juridiques essentielles. Le point sur les enjeux et la situation vue de France.

Essais, investigations, études : les appellations sont nombreuses pour parler de la recherche clinique. Comme l’explique le site de référence notre-recherche-clinique.fr, il faut retenir « la notion de Recherche Impliquant la Personne Humaine (RIPH) » qui désigne les recherches « organisées et pratiquées sur des personnes malades ou non malades (appelées volontaires sains), en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales ».

La participation à un essai clinique est soumise à un certain nombre de droits qui s’appliquent aux volontaires sains comme aux patients : droit à une information claire et précise ; droit de refuser de participer ; droit à la confidentialité ; droit à l’anonymat ; droit de se retirer de l’essai à tout moment sans justification ; droit d’accès, de modification et de suppression des données recueillies ; droit d’être indemnisé en cas de préjudice ; droit à la communication des résultats. Le consentement éclairé de chaque participant doit avoir été recueilli via la signature d’un formulaire.

Une culture de la recherche bien française

La France est l’un des principaux pays européens en nombre de recherches réalisées. Dans le secteur du médicament, la recherche française s’illustre particulièrement dans les domaines de l’oncologie (et onco-hématologie) et des maladies rares. La raison ? « D’une part, nous avons des experts extrêmement forts dans ces spécialités, explique Ariane Galaup-Paci, directrice de la recherche clinique du LEEM, l’organisation professionnelle représentative des entreprises du médicament. Par ailleurs, la France a mis en place des plans cancer et une stratégie décennale, à quoi s’ajoute le Plan Cancer européen. Cela fait donc plus de 20 ans que le continuum de la recherche et de l’innovation des soins en la matière est structuré. Nous avons également des centres de recherche d’excellence avec une spécificité clinique que sont les centres labellisés INCa de phase précoce (CLIP2). » Les recherches qui y sont menées sont mondialement reconnues.

Mais en pratique, « en France, il y a très peu d’essais cliniques sur le médicament impliquant des volontaires sains, souligne Ariane Galaup-Paci. En effet, étant donné nos secteurs de recherche de pointe, l’immense majorité des participants sont des patients en situation d’échec thérapeutique. Les comités de protection des personnes (CPP) vont juger, sur le volet éthique, de la pertinence de la participation des patients et des volontaires sains ainsi que de l’adéquation entre le protocole et les moyens mis en œuvre. »

Des différences indéniables entre patients et volontaires sains

De fait, la démarche est, par nature, différente entre les patients et les volontaires sains, posant dès lors une question éthique puisque les risques inhérents à toute recherche médicale ne sont jamais nuls. « Justement parce que les volontaires sains le sont, leur balance bénéfice-risque est complètement différente, explique le docteur François Bompart, membre du comité éthique de l’Inserm et porteur du projet VolREthics. En effet, un patient qui participe à un essai clinique peut espérer un bénéfice pour sa propre santé ou, dans une démarche altruiste, pour d’autres patients. Un volontaire sain ne recherche pas un quelconque bienfait pour sa santé directement. » Bien que, pour certaines personnes vivant dans des pays sans protection sociale, participer à un essai clinique soit parfois le seul moyen d’avoir accès à un bilan, voire un traitement médical.

« Il peut y avoir une certaine dose d’altruisme de la part des volontaires sains, mais, dans la plupart des pays où la participation aux essais cliniques est rémunérée, la raison première est pécuniaire si bien que l’on constate de nombreuses dérives, car ce sont les populations les plus marginalisées qui participent, en tant que volontaires sains, aux études », poursuit le Dr Bompart. Une compensation financière qui peut également biaiser la notion de consentement éclairé qui devrait être donné en toute liberté…

Par ailleurs, « les volontaires sains sont soumis à des contraintes bien plus drastiques que les patients, notamment en termes d’enfermement, de visites, de consignes à respecter, etc., pointe encore François Bompart. La question de leur bien-être peut être problématique, surtout si l’on a affaire à des personnes défavorisées. »

La France, pionnière sur le plan réglementaire

À cet égard, la France fait figure à la fois de pionnière et d’exception puisque le pays dispose d’une loi en la matière depuis la loi Huriet-Sérusclat (décembre 1988) qui pose un cadre juridique pour les RIPH et prévoit des clauses très spécifiques pour les volontaires sains. « La France fut le premier pays à adopter une telle loi, rappelle François Bompart. Une de ses principales avancées est de limiter le recours aux volontaires sains pour proscrire toute professionnalisation. Une démarche qui s’inscrit dans notre philosophie nationale de participation gratuite à la recherche, tout comme le don du sang, par exemple. »

Ce qui n’a pas empêché le législateur de considérer nécessaire de mettre en place un dédommagement au regard des contraintes qu’implique la participation à une recherche clinique, mais fixant un montant maximum. Cette indemnisation est aujourd’hui plafonnée à 6000 euros par an maximum.

« La loi institue également un fichier national des volontaires sains – la plateforme VRB pour Volontaires Recherches Biomédicales – où doivent être enregistrés tous les volontaires sains et qui permet aux investigateurs de contrôler à la fois le nombre de participations, les délais entre deux essais et le montant des indemnités perçues par un même volontaire », poursuit François Bompart.

Des divergences internationales persistantes

Au niveau international, la recherche biomédicale est encadrée par la déclaration d’Helsinki de l’association médicale mondiale signée en 1964, plusieurs fois amendée depuis. Le règlement (UE) n°536/2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain vient compléter ce cadre juridique au niveau européen. Seul instrument juridique international contraignant, la Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine signée à Oviedo en Espagne en 1997 (et son protocole additionnel entré en vigueur en 2007) vise à protéger et à faire respecter le droit des personnes en matière biomédicale. Cependant, aucun de ces textes ne fait de distinguo entre la protection des participants aux essais cliniques malades et celle des volontaires sains, ces textes ayant été pensés de facto pour des personnes malades participant à des essais cliniques.

Seuls deux pays ont rejoint la France et adopté un registre national obligatoire des volontaires sains. Il s’agit du Royaume-Uni au début des années 2010, puis de la Malaisie au début des années 2020. « Dans les autres pays, on applique par défaut la même législation aux volontaires sains et aux patients », regrette François Bompart. La France est, en outre, le seul pays à avoir instauré un plafond d’indemnités.

Problème : ces divergences, voire cette absence de réglementations peuvent inciter les volontaires à multiplier leurs participations à des études cliniques – y compris en se déplaçant d’un pays à un autre – avec les risques que cela comporte pour leur santé, mais aussi pour la validité des résultats qui peuvent ainsi être biaisés. « Aux États-Unis et en Inde, il y a par exemple une véritable industrie liée à la participation des volontaires sains qui brasse énormément d’argent et engendre une concurrence entre certaines entreprises spécialisées qui proposent la constitution de panels très rapidement, à moindre coût, illustre François Bompart. Leurs sirènes peuvent être attirantes. Ce n’est pas le cas de toutes les entreprises, mais cela existe. Face à cette réalité, la Malaisie a donc cherché à se positionner comme pays d’excellence en Asie du Sud-Est en adoptant un cadre réglementaire spécifique ».

Une charte internationale et inspirante

De ces constats est née, en juin 2022, l’initiative VolREthics, portée par le Comité d’éthique de l’Inserm. Fondée sur l’expérience et surtout le recul historique de la France, son objectif est de protéger les volontaires sains et de reconnaître leur statut de personnes vulnérables : « Dans presque tous les pays du monde, la participation des volontaires se situe dans un angle mort, explique François Bompart. À travers VolREthics, nous souhaitons faire savoir que certains pays ont mis en place des systèmes pour protéger ces participants et de répertorier et faire connaître ces bonnes pratiques pour que chaque pays, en connaissance de cause, puisse décider des actions à mettre en place et développe son propre arsenal réglementaire en s’en inspirant et en fonction de ce qui existe déjà chez eux. C’est important car il y a une réelle méconnaissance ».

Pour ce faire, le réseau VolREthics, qui compte aujourd’hui entre 150 et 200 personnes relais dans le monde, a publié en juin dernier une « Charte éthique mondiale pour la protection des volontaires sains dans les essais cliniques », disponible en plusieurs langues.

Bâtir un cadre éthique et protecteur

Issu d’une démarche totalement inédite, le texte établit un cadre éthique propre aux volontaires sains via quinze droits fondamentaux et spécifiques. D’où la raison d’être de cette charte qui liste les droits des volontaires sains : « Elle doit servir de base de discussion dans chaque pays en fonction de ses spécificités, détaille François Bompart. Des États disposent ainsi d’une législation qui couvre certains aspects, par exemple liés à l’assurance ou à la garantie de l’anonymat : comme la législation offre ces droits aux patients, on l’applique également aux volontaires sains. Mais ce n’est pas le cas partout et/ou ce n’est pas toujours exhaustif. »

C’est pourquoi la charte recommande notamment aux pays de veiller à ce que leurs lois, règlements et recommandations protégeant les participants à la recherche comportent des dispositions spécifiques aux volontaires sains ainsi que la formation d’associations les représentant, à l’image des associations de patients.

La charte préconise également de mettre en place des mécanismes de surveillance pour « s'assurer que les sites d'essais cliniques sont équipés correctement et dotés d'un personnel dûment formé et qualifié », la priorité étant de s’assurer du consentement éclairé, de la sécurité et du bien-être des volontaires sains tout en garantissant la qualité et l’intégrité de la recherche. Le suivi à court et long terme des participants, notamment en cas d’événement indésirable, doit être assuré tout comme la prévention de la sur-participation, des pratiques de recrutement et d’indemnisation (y compris en cas de préjudice postérieur et lié à l’essai) équitables.

Une démarche qui doit gagner en ampleur

Quelques mois après la publication du texte, « les choses bougent… mais un peu lentement, constate François Bompart. Nous avons des relais, mais ils sont malheureusement peu visibles car ce domaine, quelque peu négligé, manque de financements dédiés ». En outre, hormis dans quelques rares pays comme aux États-Unis par exemple, il n’existe pas d’équipes académiques qui effectuent des recherches et publient à ce propos. « C’est d’ailleurs l’une des raisons d’être de VolREthics que de chercher à accumuler davantage de données, par exemple sur les motivations des volontaires sains qui n’ont pas ou peu été étudiées jusqu’ici », explique François Bompart. « La dimension internationale de cette démarche est essentielle, pointe Ariane Galaup-Paci. De fait, l’activité de recherche étant internationale, il est nécessaire d’avoir un cadre éthique commun. » Et de fait, du côté des laboratoires, « on trouverait assez logique que les bonnes pratiques soient partagées et le registre et le plafonnement des indemnités soient étendus, ne serait-ce qu’au sein de l’Union européenne – voir le règlement européen relatif aux essais cliniques de médicaments. Cela fait sens et c’est une garantie supplémentaire à l’échelle individuelle comme collective notamment pour la qualité des données collectées. »

 

Camille Grelle
Pi+

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