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Six mois après la publication de la « Charte éthique mondiale pour la protection des volontaires sains dans les essais cliniques » par VolREthics, une initiative portée par l’Inserm, la situation bouge… mollement. Or, si les patients inclus dans des essais cliniques bénéficient dans la plupart des pays d’un cadre réglementaire strict, les volontaires sains, eux, sont souvent moins protégés. Leur participation pose des questions éthiques et juridiques essentielles. Le point sur les enjeux et la situation vue de France.
Essais, investigations,
études : les appellations sont nombreuses pour parler de la recherche clinique.
Comme l’explique le site de référence notre-recherche-clinique.fr, il faut
retenir « la notion de Recherche Impliquant la Personne Humaine (RIPH) »
qui désigne les recherches « organisées et pratiquées sur des personnes
malades ou non malades (appelées volontaires sains), en vue du développement
des connaissances biologiques ou médicales ».
La participation à un essai
clinique est soumise à un certain nombre de droits qui s’appliquent aux
volontaires sains comme aux patients : droit à une information claire et
précise ; droit de refuser de participer ; droit à la confidentialité ; droit à
l’anonymat ; droit de se retirer de l’essai à tout moment sans justification ;
droit d’accès, de modification et de suppression des données recueillies ;
droit d’être indemnisé en cas de préjudice ; droit à la communication des
résultats. Le consentement éclairé de chaque participant doit avoir été
recueilli via la signature d’un formulaire.
La France est l’un des
principaux pays européens en nombre de recherches réalisées. Dans le secteur du
médicament, la recherche française s’illustre particulièrement dans les
domaines de l’oncologie (et onco-hématologie) et des maladies rares. La raison ?
« D’une part, nous avons des experts extrêmement forts dans ces spécialités,
explique Ariane Galaup-Paci, directrice de la recherche clinique du LEEM,
l’organisation professionnelle représentative des entreprises du médicament. Par
ailleurs, la France a mis en place des plans cancer et une stratégie décennale,
à quoi s’ajoute le Plan Cancer européen. Cela fait donc plus de 20 ans que le
continuum de la recherche et de l’innovation des soins en la matière est
structuré. Nous avons également des centres de recherche d’excellence avec une
spécificité clinique que sont les centres labellisés INCa de phase précoce
(CLIP2). » Les recherches qui y sont menées sont mondialement reconnues.
Mais en pratique, « en
France, il y a très peu d’essais cliniques sur le médicament impliquant des
volontaires sains, souligne Ariane Galaup-Paci. En effet, étant donné
nos secteurs de recherche de pointe, l’immense majorité des participants sont
des patients en situation d’échec thérapeutique. Les comités de protection des
personnes (CPP) vont juger, sur le volet éthique, de la pertinence de la
participation des patients et des volontaires sains ainsi que de l’adéquation
entre le protocole et les moyens mis en œuvre. »
De
fait, la démarche est, par nature, différente entre les patients et les
volontaires sains, posant dès lors une question éthique puisque les risques
inhérents à toute recherche médicale ne sont jamais nuls. « Justement parce
que les volontaires sains le sont, leur balance bénéfice-risque est
complètement différente, explique le docteur François Bompart, membre du
comité éthique de l’Inserm et porteur du projet VolREthics. En effet, un
patient qui participe à un essai clinique peut espérer un bénéfice pour sa
propre santé ou, dans une démarche altruiste, pour d’autres patients. Un
volontaire sain ne recherche pas un quelconque bienfait pour sa santé
directement. » Bien que, pour certaines personnes vivant dans des pays sans
protection sociale, participer à un essai clinique soit parfois le seul moyen
d’avoir accès à un bilan, voire un traitement médical.
« Il
peut y avoir une certaine dose d’altruisme de la part des volontaires sains,
mais, dans la plupart des pays où la participation aux essais cliniques est
rémunérée, la raison première est pécuniaire si bien que l’on constate de
nombreuses dérives, car ce sont les populations les plus marginalisées qui
participent, en tant que volontaires sains, aux études », poursuit le Dr Bompart. Une compensation financière
qui peut également biaiser la notion de consentement éclairé qui devrait être
donné en toute liberté…
Par
ailleurs, « les volontaires sains sont soumis à des contraintes bien plus
drastiques que les patients, notamment en termes d’enfermement, de visites, de
consignes à respecter, etc., pointe encore François Bompart. La question
de leur bien-être peut être problématique, surtout si l’on a affaire à des
personnes défavorisées. »
À cet
égard, la France fait figure à la fois de pionnière et d’exception puisque le
pays dispose d’une loi en la matière depuis la loi Huriet-Sérusclat (décembre
1988) qui pose un cadre juridique pour les RIPH et prévoit des clauses très
spécifiques pour les volontaires sains. « La France fut le premier pays à
adopter une telle loi, rappelle François Bompart. Une de ses principales
avancées est de limiter le recours aux volontaires sains pour proscrire toute
professionnalisation. Une démarche qui s’inscrit dans notre philosophie
nationale de participation gratuite à la recherche, tout comme le don du sang,
par exemple. »
Ce
qui n’a pas empêché le législateur de considérer nécessaire de mettre en place
un dédommagement au regard des contraintes qu’implique la participation à une
recherche clinique, mais fixant un montant maximum. Cette indemnisation est
aujourd’hui plafonnée à 6000 euros par an maximum.
« La
loi institue également un fichier national des volontaires sains – la
plateforme VRB pour Volontaires Recherches Biomédicales – où doivent être
enregistrés tous les volontaires sains et qui permet aux investigateurs de
contrôler à la fois le nombre de participations, les délais entre deux essais
et le montant des indemnités perçues par un même volontaire », poursuit François Bompart.
Au
niveau international, la recherche biomédicale est encadrée par la déclaration
d’Helsinki de l’association médicale mondiale signée en 1964, plusieurs fois
amendée depuis. Le règlement (UE) n°536/2014 relatif aux essais cliniques de
médicaments à usage humain vient compléter ce cadre juridique au niveau
européen. Seul instrument juridique international contraignant, la Convention
sur les droits de l’homme et la biomédecine signée à Oviedo en Espagne en 1997
(et son protocole additionnel entré en vigueur en 2007) vise à protéger et à
faire respecter le droit des personnes en matière biomédicale. Cependant, aucun
de ces textes ne fait de distinguo entre la protection des participants aux
essais cliniques malades et celle des volontaires sains, ces textes ayant été
pensés de facto pour des personnes malades participant à des essais cliniques.
Seuls
deux pays ont rejoint la France et adopté un registre national obligatoire des
volontaires sains. Il s’agit du Royaume-Uni au début des années 2010, puis de
la Malaisie au début des années 2020. « Dans les autres pays, on applique
par défaut la même législation aux volontaires sains et aux patients »,
regrette François Bompart. La France est, en outre, le seul pays à avoir
instauré un plafond d’indemnités.
Problème
: ces divergences, voire cette absence de réglementations peuvent inciter les
volontaires à multiplier leurs participations à des études cliniques – y
compris en se déplaçant d’un pays à un autre – avec les risques que cela
comporte pour leur santé, mais aussi pour la validité des résultats qui peuvent
ainsi être biaisés. « Aux États-Unis et en Inde, il y a par exemple une
véritable industrie liée à la participation des volontaires sains qui brasse
énormément d’argent et engendre une concurrence entre certaines entreprises
spécialisées qui proposent la constitution de panels très rapidement, à moindre
coût, illustre François Bompart. Leurs sirènes peuvent être attirantes.
Ce n’est pas le cas de toutes les entreprises, mais cela existe. Face à cette
réalité, la Malaisie a donc cherché à se positionner comme pays d’excellence en
Asie du Sud-Est en adoptant un cadre réglementaire spécifique ».
De
ces constats est née, en juin 2022, l’initiative VolREthics, portée par le
Comité d’éthique de l’Inserm. Fondée sur l’expérience et surtout le recul
historique de la France, son objectif est de protéger les volontaires sains et
de reconnaître leur statut de personnes vulnérables : « Dans presque tous
les pays du monde, la participation des volontaires se situe dans un angle
mort, explique François Bompart. À travers VolREthics, nous souhaitons
faire savoir que certains pays ont mis en place des systèmes pour protéger ces
participants et de répertorier et faire connaître ces bonnes pratiques pour que
chaque pays, en connaissance de cause, puisse décider des actions à mettre en
place et développe son propre arsenal réglementaire en s’en inspirant et en
fonction de ce qui existe déjà chez eux. C’est important car il y a une réelle
méconnaissance ».
Pour
ce faire, le réseau VolREthics, qui compte aujourd’hui entre 150 et 200
personnes relais dans le monde, a publié en juin dernier une « Charte
éthique mondiale pour la protection des volontaires sains dans les essais
cliniques », disponible en plusieurs langues.
Issu
d’une démarche totalement inédite, le texte établit un cadre éthique propre aux
volontaires sains via quinze droits fondamentaux et spécifiques. D’où la raison
d’être de cette charte qui liste les droits des volontaires sains : « Elle
doit servir de base de discussion dans chaque pays en fonction de ses
spécificités, détaille François Bompart. Des États disposent ainsi d’une
législation qui couvre certains aspects, par exemple liés à l’assurance ou à la
garantie de l’anonymat : comme la législation offre ces droits aux patients, on
l’applique également aux volontaires sains. Mais ce n’est pas le cas partout
et/ou ce n’est pas toujours exhaustif. »
C’est
pourquoi la charte recommande notamment aux pays de veiller à ce que leurs
lois, règlements et recommandations protégeant les participants à la recherche
comportent des dispositions spécifiques aux volontaires sains ainsi que la
formation d’associations les représentant, à l’image des associations de
patients.
La
charte préconise également de mettre en place des mécanismes de surveillance
pour « s'assurer que les sites d'essais cliniques sont équipés correctement
et dotés d'un personnel dûment formé et qualifié », la priorité étant de
s’assurer du consentement éclairé, de la sécurité et du bien-être des
volontaires sains tout en garantissant la qualité et l’intégrité de la
recherche. Le suivi à court et long terme des participants, notamment en cas
d’événement indésirable, doit être assuré tout comme la prévention de la
sur-participation, des pratiques de recrutement et d’indemnisation (y compris
en cas de préjudice postérieur et lié à l’essai) équitables.
Quelques
mois après la publication du texte, « les choses bougent… mais un peu
lentement, constate François Bompart. Nous avons des relais, mais ils
sont malheureusement peu visibles car ce domaine, quelque peu négligé, manque
de financements dédiés ». En outre, hormis dans quelques rares pays comme
aux États-Unis par exemple, il n’existe pas d’équipes académiques qui
effectuent des recherches et publient à ce propos. « C’est d’ailleurs l’une
des raisons d’être de VolREthics que de chercher à accumuler davantage de
données, par exemple sur les motivations des volontaires sains qui n’ont pas ou
peu été étudiées jusqu’ici », explique François Bompart. « La dimension
internationale de cette démarche est essentielle, pointe Ariane
Galaup-Paci. De fait, l’activité de recherche étant internationale, il est
nécessaire d’avoir un cadre éthique commun. » Et de fait, du côté des
laboratoires, « on trouverait assez logique que les bonnes pratiques soient
partagées et le registre et le plafonnement des indemnités soient étendus, ne
serait-ce qu’au sein de l’Union européenne – voir le règlement
européen relatif aux essais cliniques de médicaments. Cela fait sens et
c’est une garantie supplémentaire à l’échelle individuelle comme collective
notamment pour la qualité des données collectées. »
Camille Grelle
Pi+
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