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Les
ministres Éric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin se sont rendus dans le
chef-lieu de la Dordogne, le 1er février dernier, à l’occasion des
États généraux de la Justice, pour un échange au sein d’une école de police.
Préfet, politiques locaux, chefs de Cour et de juridictions, étudiants, magistrats,
avocats, policiers et gendarmes participaient à ce débat. Dans le viseur :
les rapports entre la police, la gendarmerie et l’institution judiciaire.
Mardi 1er février, le ministre de l’Intérieur
Gérald Darmanin accompagnait le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti en
Dordogne. D’abord en visite dans un Centre d’éducation fermé (CEF) à Bergerac,
les deux hommes se sont rendus à l’école
de police de Périgueux pour une série de questions-réponses dans le cadre des
États généraux de la Justice, lancés le 18 octobre 2021 par le président de la
République. Un lieu qui n’était pas dû au hasard, puisque le thème du jour
était consacré à la relation entre la police, la gendarmerie et la justice.
Pour Gérald Darmanin, l’existence de cette réunion en ce lieu « montre
à la fois l’ouverture à la discussion et le respect qu’a le garde des Sceaux
envers les policiers et les gendarmes, qui sont des auxiliaires de
justice ».
«
Dans la même barque républicaine »
« Cette réunion revêt pour moi
une importance particulière,
a assuré quant à lui le ministre de la Justice. Parce que j’ai la certitude
absolue que la justice n’est rien sans la police et que la police n’est rien
sans la justice. » Avec un souhait pour cette réunion : « échanger
sur tous les sujets sans aucun tabou ». Éric Dupond-Moretti a rappelé
qu’un comité indépendant avait été mis en place pour garantir le bon
déroulement de ces États généraux, composé notamment de la Première présidente
de la Cour de cassation Chantal Arens, ainsi que du président du Conseil
national des barreaux Jérôme Gavaudan.
Le ministre de l’Intérieur a
cependant regretté un certain « recroquevillement » de son
administration. « Dans les écoles de police, je dis toujours aux
policiers et aux gendarmes la même phrase : intéressez-vous au monde
extérieur de la police et de la gendarmerie. Il ne faut pas rester dans son
monde, et il faut s’intéresser au débat public lorsqu’on est fonctionnaire de
police et de gendarmerie. Dans une école de police, ce qui est intéressant
c’est aussi construire demain, quelle sera la délinquance de demain, quelle
sera la relation avec l’autorité judiciaire de demain. »
Frédéric Ménard, le directeur de l’école nationale de police de Périgueux,
troisième école du réseau de la Direction centrale de recrutement et de la
formation de la Police nationale, a été le premier à poser une question aux
ministres. Après avoir rappelé les trois valeurs de la Police nationale, « courage,
dévouement et intégrité », il a insisté sur le lien qui unit la police
et l’institution judiciaire. « Mérite-t-il d’être renforcé et, si oui,
selon quelles modalités ? » a demandé le directeur. « Admettez-le,
la réponse est déjà un peu dans la question, a plaisanté Éric
Dupond-Moretti. Bien sûr qu’il faut renforcer le lien police/justice, c’est
une évidence. D’abord parce que nous sommes dans la même barque républicaine.
Depuis que je suis ministre, j’essaie de faire en sorte que nos deux
institutions se rapprochent. » Sur les modalités, le garde des Sceaux
souhaite qu’il y ait davantage de contacts entre les corps de métier : « Sur
le sujet de la délinquance urbaine, il est utile qu’il y ait policier,
procureur, juge du siège réunis, et que l’on puisse s’expliquer, discuter et se
comprendre. » Des modalités visiblement déjà en place au sein des
ministères, à en croire le ministre : « Gérald Darmanin et moi,
nous travaillons ensemble. Parfois, nous sommes en désaccord, et c’est bien
normal, nous défendons nos administrations. Mais sur 90 % des sujets, nous
finissons par nous entendre. »
Plus de droit dans la formation des policiers et
gendarmes
Pour le ministre de l’Intérieur, c’est
dès la formation des forces de l’ordre que le rapprochement peut
commencer : « Les policiers comme les gendarmes doivent avoir
davantage de cours de droit. On recrute très jeune, c’est formidable, mais 8
mois de formation, c’est trop court. » Sur ce point cependant,
nouveauté : le temps de formation des policiers passera à 12 mois dès le
mois de mai, ce qui permettra d’insérer le bloc Officier de police judiciaire dans
la formation de toutes les nouvelles recrues. « Si la formation est
approfondie, et que se rapprochent, par la connaissance du droit, les métiers
de gendarme et de policier et les décisions que prennent les magistrats, alors
le corps policier sera peut-être un petit peu moins critique avec l’institution
judiciaire. Quand on connaît les hommes, on les juge plus difficilement. »
Le député MoDem de Dordogne
Jean-Pierre Cubertafon a de son côté mis sur la table la question de la
compréhension de la justice par les citoyens. « En août 2020,
l’inspection générale de la justice pointait la difficulté de cerner
véritablement les attentes des justiciables. La justice doit être plus facile
d’accès. » Le ministre de l’Intérieur a renchéri en déplorant la
méconnaissance de la justice de la part de certains gardiens de la paix hauts
gradés : « Je m’étonne parfois de voir que même les directeurs généraux
ou les officiers ne connaissent pas toujours les droits auxquels ont droit les
personnes qui viennent les voir, et qu’eux-mêmes ne contribuent pas à faire
connaître les droits, et pourtant ils se sont engagés par leur serment à le
faire. » Ce qui aboutit à des situations d’inégalité entre les
plaignants selon leur lieu de départ de leur procédure judiciaire. « Il
m’est arrivé ici ou là qu’on refuse la venue de l’avocat avec la personne qui
vient déposer plainte. » Éric Dupond-Moretti en a profité pour
réaffirmer son souhait de filmer certaines audiences. « Des affaires qui
doivent être diffusées le seront prochainement. Ce seront des affaires qui ont
connu leur épilogue, pour ne pas qu’il y ait une interférence entre la justice
qui serait encore en cours et la justice médiatique. » Dans cette même idée
d’une justice visible et compréhensible, le garde des Sceaux propose de faire
apprendre la justice dans les écoles. « Je pense qu’il faut qu’on
enseigne les grandes institutions de la République. »
Des dispositifs qui rapprochent la Police et la Justice
Pierre-Yves Couilleau, le procureur
général près la cour d’appel de Bordeaux, a également pris la parole pour
souligner le côté symbolique de la venue des deux ministres ensemble : « C’est
extrêmement fort que le couple que vous êtes vienne s’adresser à nous, avec ses
nuances ». Sans poser de question, le magistrat a profité de son temps
de parole pour adresser un message aux procureurs : « On ne peut
pas demander du “lourd” policier quand on va faire du “light”
judiciaire. Il faut à l’inverse demander aux policiers et gendarmes de faire du
“lourd” policier quand on veut faire du “lourd” judiciaire, tout
ça est corespectif. » Propos validés par Gérald Darmanin : « Il
n’y aurait rien de pire que de distinguer des moyens qui seraient donnés à la
police ou à la gendarmerie et pas à la justice ou inversement. » Le
procureur général a ensuite insisté sur le sujet de l’exécution des sanctions
alternatives (travail d’intérêt général, travail non rémunéré). Selon lui, « Il
ne peut pas être question qu’une peine alternative à l’emprisonnement ne soit
pas exécutée dans des délais brefs ». Sur ce point, le garde des
Sceaux a mis en avant la plateforme TIG360°, lancée en 2019 et accessible pour
les avocats depuis la fin de l’année dernière. Ce dispositif permet aux magistrats
de savoir quel travail d’intérêt général est disponible, et peut donc
potentiellement réduire le temps entre le jugement et l’exécution de la peine.
Autre point qui rapproche la police de
la justice : l’amende forfaitaire délictuelle (AFD), permettant d’imposer
à une personne ayant commis un acte délictueux le règlement d’une somme, sans
passer par la case procès, mais inscrite au traitement d’antécédents
judiciaires (Taj). « Dès
que j’ai eu mon mot à dire à propos de l’AFD, j’ai dit oui. Ça simplifie, ça va
vite, et c’est du contentieux en moins pour les magistrats », s’est
réjoui Éric Dupond-Moretti, qui a annoncé son extension aux vols à l’étalage,
en plus de la consommation de cannabis qui représente l’immense majorité de ce
type d’amende. Une policière, soulignant que l’AFD est « très appréciée
et très utilisée » au sein de son commissariat, a néanmoins regretté
les restrictions à son utilisation, notamment chez les mineurs proches de la
majorité. Au contraire du ministre de l’Intérieur, le ministre de la Justice a
exprimé ses réticences à ce sujet, « pour des questions
constitutionnelles » a-t-il affirmé. La discussion se poursuit entre
Beauvau et la Chancellerie. Gérald Darmanin a assuré que de nouveaux motifs
aboutiraient prochainement à une amende forfaitaire délictuelle, comme
l’occupation interdite de caravanes sur les lieux publics ou la vente illicite
de tabac, entre autres. De quoi renforcer un peu plus les liens entre la Police
et la Justice, en attendant le rapport final de ces États généraux :
initialement attendu pour le mois de février, il sera finalement rendu à la fin
du mois d’avril, après l’élection présidentielle.
Alexis Duvauchelle
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