États généraux : le lien Police-Justice en question à Périgueux


mercredi 9 mars 20227 min
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Les ministres Éric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin se sont rendus dans le chef-lieu de la Dordogne, le 1er février dernier, à l’occasion des États généraux de la Justice, pour un échange au sein d’une école de police. Préfet, politiques locaux, chefs de Cour et de juridictions, étudiants, magistrats, avocats, policiers et gendarmes participaient à ce débat. Dans le viseur : les rapports entre la police, la gendarmerie et l’institution judiciaire.

 



 

Mardi 1er février, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin accompagnait le garde des Sceaux Éric Dupond-Moretti en Dordogne. D’abord en visite dans un Centre d’éducation fermé (CEF) à Bergerac, les deux hommes se sont rendus à l’école de police de Périgueux pour une série de questions-réponses dans le cadre des États généraux de la Justice, lancés le 18 octobre 2021 par le président de la République. Un lieu qui n’était pas dû au hasard, puisque le thème du jour était consacré à la relation entre la police, la gendarmerie et la justice. Pour Gérald Darmanin, l’existence de cette réunion en ce lieu « montre à la fois l’ouverture à la discussion et le respect qu’a le garde des Sceaux envers les policiers et les gendarmes, qui sont des auxiliaires de justice ».

 

 

« Dans la même barque républicaine »

« Cette réunion revêt pour moi une importance particulière, a assuré quant à lui le ministre de la Justice. Parce que j’ai la certitude absolue que la justice n’est rien sans la police et que la police n’est rien sans la justice. » Avec un souhait pour cette réunion : « échanger sur tous les sujets sans aucun tabou ». Éric Dupond-Moretti a rappelé qu’un comité indépendant avait été mis en place pour garantir le bon déroulement de ces États généraux, composé notamment de la Première présidente de la Cour de cassation Chantal Arens, ainsi que du président du Conseil national des barreaux Jérôme Gavaudan.

Le ministre de l’Intérieur a cependant regretté un certain « recroquevillement » de son administration. « Dans les écoles de police, je dis toujours aux policiers et aux gendarmes la même phrase : intéressez-vous au monde extérieur de la police et de la gendarmerie. Il ne faut pas rester dans son monde, et il faut s’intéresser au débat public lorsqu’on est fonctionnaire de police et de gendarmerie. Dans une école de police, ce qui est intéressant c’est aussi construire demain, quelle sera la délinquance de demain, quelle sera la relation avec l’autorité judiciaire de demain. »

Frédéric Ménard, le directeur de l’école nationale de police de Périgueux, troisième école du réseau de la Direction centrale de recrutement et de la formation de la Police nationale, a été le premier à poser une question aux ministres. Après avoir rappelé les trois valeurs de la Police nationale, « courage, dévouement et intégrité », il a insisté sur le lien qui unit la police et l’institution judiciaire. « Mérite-t-il d’être renforcé et, si oui, selon quelles modalités ? » a demandé le directeur. « Admettez-le, la réponse est déjà un peu dans la question, a plaisanté Éric Dupond-Moretti. Bien sûr qu’il faut renforcer le lien police/justice, c’est une évidence. D’abord parce que nous sommes dans la même barque républicaine. Depuis que je suis ministre, j’essaie de faire en sorte que nos deux institutions se rapprochent. » Sur les modalités, le garde des Sceaux souhaite qu’il y ait davantage de contacts entre les corps de métier : « Sur le sujet de la délinquance urbaine, il est utile qu’il y ait policier, procureur, juge du siège réunis, et que l’on puisse s’expliquer, discuter et se comprendre. » Des modalités visiblement déjà en place au sein des ministères, à en croire le ministre : « Gérald Darmanin et moi, nous travaillons ensemble. Parfois, nous sommes en désaccord, et c’est bien normal, nous défendons nos administrations. Mais sur 90 % des sujets, nous finissons par nous entendre. »

 



 



Plus de droit dans la formation des policiers et gendarmes

Pour le ministre de l’Intérieur, c’est dès la formation des forces de l’ordre que le rapprochement peut commencer : « Les policiers comme les gendarmes doivent avoir davantage de cours de droit. On recrute très jeune, c’est formidable, mais 8 mois de formation, c’est trop court. » Sur ce point cependant, nouveauté : le temps de formation des policiers passera à 12 mois dès le mois de mai, ce qui permettra d’insérer le bloc Officier de police judiciaire dans la formation de toutes les nouvelles recrues. « Si la formation est approfondie, et que se rapprochent, par la connaissance du droit, les métiers de gendarme et de policier et les décisions que prennent les magistrats, alors le corps policier sera peut-être un petit peu moins critique avec l’institution judiciaire. Quand on connaît les hommes, on les juge plus difficilement. »

Le député MoDem de Dordogne Jean-Pierre Cubertafon a de son côté mis sur la table la question de la compréhension de la justice par les citoyens. « En août 2020, l’inspection générale de la justice pointait la difficulté de cerner véritablement les attentes des justiciables. La justice doit être plus facile d’accès. » Le ministre de l’Intérieur a renchéri en déplorant la méconnaissance de la justice de la part de certains gardiens de la paix hauts gradés : « Je m’étonne parfois de voir que même les directeurs généraux ou les officiers ne connaissent pas toujours les droits auxquels ont droit les personnes qui viennent les voir, et qu’eux-mêmes ne contribuent pas à faire connaître les droits, et pourtant ils se sont engagés par leur serment à le faire. » Ce qui aboutit à des situations d’inégalité entre les plaignants selon leur lieu de départ de leur procédure judiciaire. « Il m’est arrivé ici ou là qu’on refuse la venue de l’avocat avec la personne qui vient déposer plainte. » Éric Dupond-Moretti en a profité pour réaffirmer son souhait de filmer certaines audiences. « Des affaires qui doivent être diffusées le seront prochainement. Ce seront des affaires qui ont connu leur épilogue, pour ne pas qu’il y ait une interférence entre la justice qui serait encore en cours et la justice médiatique. » Dans cette même idée d’une justice visible et compréhensible, le garde des Sceaux propose de faire apprendre la justice dans les écoles. « Je pense qu’il faut qu’on enseigne les grandes institutions de la République. »

 

 

Des dispositifs qui rapprochent la Police et la Justice

Pierre-Yves Couilleau, le procureur général près la cour d’appel de Bordeaux, a également pris la parole pour souligner le côté symbolique de la venue des deux ministres ensemble : « C’est extrêmement fort que le couple que vous êtes vienne s’adresser à nous, avec ses nuances ». Sans poser de question, le magistrat a profité de son temps de parole pour adresser un message aux procureurs : « On ne peut pas demander du “lourd” policier quand on va faire du “light” judiciaire. Il faut à l’inverse demander aux policiers et gendarmes de faire du “lourd” policier quand on veut faire du “lourd” judiciaire, tout ça est corespectif. » Propos validés par Gérald Darmanin : « Il n’y aurait rien de pire que de distinguer des moyens qui seraient donnés à la police ou à la gendarmerie et pas à la justice ou inversement. » Le procureur général a ensuite insisté sur le sujet de l’exécution des sanctions alternatives (travail d’intérêt général, travail non rémunéré). Selon lui, « Il ne peut pas être question qu’une peine alternative à l’emprisonnement ne soit pas exécutée dans des délais brefs ». Sur ce point, le garde des Sceaux a mis en avant la plateforme TIG360°, lancée en 2019 et accessible pour les avocats depuis la fin de l’année dernière. Ce dispositif permet aux magistrats de savoir quel travail d’intérêt général est disponible, et peut donc potentiellement réduire le temps entre le jugement et l’exécution de la peine.

Autre point qui rapproche la police de la justice : l’amende forfaitaire délictuelle (AFD), permettant d’imposer à une personne ayant commis un acte délictueux le règlement d’une somme, sans passer par la case procès, mais inscrite au traitement d’antécédents judiciaires (Taj). « Dès que j’ai eu mon mot à dire à propos de l’AFD, j’ai dit oui. Ça simplifie, ça va vite, et c’est du contentieux en moins pour les magistrats », s’est réjoui Éric Dupond-Moretti, qui a annoncé son extension aux vols à l’étalage, en plus de la consommation de cannabis qui représente l’immense majorité de ce type d’amende. Une policière, soulignant que l’AFD est « très appréciée et très utilisée » au sein de son commissariat, a néanmoins regretté les restrictions à son utilisation, notamment chez les mineurs proches de la majorité. Au contraire du ministre de l’Intérieur, le ministre de la Justice a exprimé ses réticences à ce sujet, « pour des questions constitutionnelles » a-t-il affirmé. La discussion se poursuit entre Beauvau et la Chancellerie. Gérald Darmanin a assuré que de nouveaux motifs aboutiraient prochainement à une amende forfaitaire délictuelle, comme l’occupation interdite de caravanes sur les lieux publics ou la vente illicite de tabac, entre autres. De quoi renforcer un peu plus les liens entre la Police et la Justice, en attendant le rapport final de ces États généraux : initialement attendu pour le mois de février, il sera finalement rendu à la fin du mois d’avril, après l’élection présidentielle.

 

Alexis Duvauchelle

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