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Le centre de sociologie des organisations de Sciences Po a organisé le 18 juin dernier un débat sur l’encadrement des usages du cannabis, sujet en cours d’étude au Parlement. Catherine André, rédactrice en chef adjointe d’Alternatives économiques, animait les échanges. Étaient réunis autour d’elle : Henri Bergeron, directeur de Recherche CNRS et Renaud Colson, maître de conférences à la Faculté de Droit de l’Université de Nantes, tous deux coauteurs du livre Faut-il légaliser le cannabis ? (First), Caroline Janvier, députée du Loiret (2e circonscription), rapporteure de la mission d’information parlementaire sur le cannabis récréatif et le professeur Michel Kazatchkine, membre de la commission globale sur les politiques publiques en matière de drogues.
Le consensus sur la prohibition du cannabis se fissure. La mauvaise gestion du problème, longtemps considéré comme marginal, n’inquiétait pas. Cependant, la situation a changé et appelle un traitement adéquat. La consommation croît continuellement. Les nuisances implicites tiennent au maintien d’un marché hors de contrôle. Elles sont d’ordre sanitaire et sécuritaire. Les produits, coupés avec des substances dangereuses, circulent sans limite. L’économie parallèle en place manipule plus de deux milliards d’euros en France. Le trafic profite à la criminalité organisée. Il s’accompagne de règlements de comptes régulièrement mis en avant par l’actualité. Les problèmes liés à ce marché proviennent plus de sa non régulation que de sa légalité, précise Henri Bergeron, directeur du CNRS, en préambule de ce débat organisé par le centre de sociologie des organisations de Sciences Po. Concernant le cannabis, il s’agit de se donner des moyens de médecine, de prévention ciblée, de contrôle de la production ou encore de recette fiscale.
Mea maxima culpa
Pour la députée Caroline Janvier, le trafic de cannabis détériore les territoires. Il s’associe à d’autres méfaits : violences, échange d’armes, proxénétisme, etc. L’ensemble provoque la déstructuration des liens sociaux et l’insécurité latente. Malgré cela, le marché noir reste mal combattu depuis 50 ans en raison de l’inertie de postures idéologiques. Par exemple, la théorie de l’escalade est fausse : se mettre à consommer du cannabis, c’est se destiner à l’héroïne. Cette affirmation ignore les dimensions symboliques, culturelles, et la peur de l’usager qui redoute la frontière étanche entre les deux drogues.
La loi en vigueur de 1970, assez radicale, a été votée dans un contexte de forte émotion après le décès d’une adolescente. Ensuite, peut-être par facilité intellectuelle, l’opinion a considéré le sujet sous un aspect moral : la drogue, c’est mal, donc c’est interdit. 50 ans après, il est clair que l’inutilité de la prohibition et de la répression ont modifié l’avis général. Aujourd’hui, à 54 %, les Français se déclarent favorables à la légalisation du cannabis, et à 80 %, ils considèrent la politique publique inadaptée. Il faut la reprendre : durcir, dépénaliser, ou légaliser. Rappelons cependant qu’appliquer les peines actuellement prévues signifierait incarcérer cinq millions de consommateurs occasionnels, hypothèse totalement irréaliste.
L’augmentation de la consommation de cannabis, comme d’ailleurs celle des autres substances psychoactives, est le reflet direct de la faillite d’un système international et national basé sur le dogme de la prohibition, insiste le professeur Michel Kazatchkine. Ce « fiasco » est aisé à démontrer. Il suffit de mesurer les effets des politiques à l’aune des objectifs des trois conventions internationales sur les stupéfiants. Ni l’offre de drogue n’a été réduite, ni leur usage diminué, bien au contraire, et la montée en puissance des organisations criminelles est devenue d’une incontestable présence. La prohibition est donc source de problèmes. Le principe de l’offre et de la demande suit son cours impassible. À partir du moment où l’acheteur est là, si la vente n’est pas légale, elle est assurée par le milieu criminel. 50 ans de guerre aux drogues ont conforté et militarisé les trafiquants. Nulle autorité ne maîtrise la qualité des substances échangées, potentiellement dangereuses, addictives. Elles alimentent un marché devenu colossal, capable d’ébranler des démocraties et infusant la corruption.
La légalisation du cannabis pour ses différents usages progresse dans plusieurs endroits du monde quand le cadre français reste figé dans son système dépassé. 50 ans après l’annonce par le président Nixon de la guerre aux drogues (17 juin 1971), notre déconvenue devrait nous pousser à envisager d’autres voies, non seulement pour le cannabis, mais aussi pour l’ensemble des drogues, allant vers le contrôle régulé de leur marché. Concrètement, cela revient à édicter des règles modulées selon les dangerosités respectives des produits, surveiller et imposer leur respect. Le dispositif se déclinerait de « plus souple » pour le cannabis à « plus strict » pour des produits comme l’héroïne.
Cette méthode opère déjà pour les aliments, pour les substances psychoactives légales, pour les médicaments, et beaucoup d’autres produits ou services qui recèlent des dangers. Pourquoi ne serait-ce pas transposables aux drogues ? Pourquoi ne pas imaginer, par exemple, des réformes « pilote
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