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Bruno Berger-Perrin, président de Fidal Fiducie, et Pierre Crocq, professeur à l’Université Paris II, Panthéon-Assas, ont animé le 30 novembre 2016 à l’Hôtel Saint James Albany, une conférence sur la fiducie patrimoniale, une technique juridique mal connue et sous-utilisée. Offrant pourtant une grande liberté contractuelle, elle devrait se développer dans le domaine de la gestion privée. Cet outil sert à optimiser l’anticipation de nombre de situations touchant à la personne, à la famille et à leurs biens, notamment pour faire face à des évènements prévisibles.
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La loi NRE de 2008 a étendu la possibilité d’être fiduciaire à la profession d’avocat. La maîtrise du droit des obligations par la profession a motivé cette décision de nature à favoriser le développement de cet instrument juridique innovant. De plus, la déontologie apparaît comme un atout pour sécuriser les parties du contrat. Ainsi est né Fidal Fiducie constitué d’avocats inscrits au barreau de Paris. Outil exceptionnel, qui offre liberté contractuelle et neutralité fiscale, elle a déjà largement démontré son intérêt dans de nombreux domaines : sociétés, social, immobilier, environnement, sûreté… Cependant pour le patrimoine, la fiducie reste encore sous exploitée.
Méthode souple, elle présente deux avantages pratiques fondamentaux : elle s’applique aux biens de toutes natures (meuble, immeuble, corporel, incorporel) ; et elle répond à plusieurs finalités souvent mêlées (sûreté/gestion, par exemple). Quant à la gestion patrimoniale, la fiducie libéralité est interdite mais n’empêche pas la transmission à titre gratuit.
Prenons quelques hypothèses concrètes.
Fiducie patrimoniale à l’épreuve des successions libéralité
Exemple 1 : un ancien dirigeant d’entreprise à la tête d’actifs patrimoniaux situés dans des structures sociétaires, financières ou foncières, soumises à l’IS souhaite mettre en place une stratégie. Elle doit permettre la protection et la gestion du patrimoine financier de son vivant en cas d’incapacité ou après l’ouverture de sa succession. Marié sous le régime de la séparation de biens, il n’envisage pas de faire une donation à ses deux enfants vulnérables. Il compte transférer la propriété des biens à un fiduciaire. Faut-il faire une fiducie sur les titres ou sur les actifs sociaux ?
• Sur titres
On pourrait faire un legs sur les titres sociaux, à charge pour les légataires de constituer une fiducie dont le contenu serait annexé au testament, ou de constituer une fiducie patrimoniale du vivant du dirigeant sur les titres de la SAS. Le testament avec charge de mettre en fiducie les titres donnés, pose le problème de la réserve héréditaire (art. 912 du Code civil) qui doit rester libre de toute charge. Pour que la fiducie constituée par les légataires ou le donataire soit efficiente, il faut stipuler dans le contrat une clause d’irrévocabilité pour ne pas tomber dans la fiducie libéralité. En effet, dans notre hypothèse, le contrat serait dénonçable à tout instant puisque constituant et bénéficiaire sont semblables. Dans le cadre d’une mise en fiducie de titres avec plusieurs constituants et un conjoint, les relations entre ces acteurs font l’objet d’une attention particulière. Si on considère se trouver dans une indivision inorganisée, celle-ci nécessite un projet de convention en indivision, un règlement intérieur ou une société en participation. Le décès d’un des constituants, personne physique, entraîne normalement la fin de la fiducie gestion. La solution est pérenne mais présente cette limite. La mise sous tutelle ultérieure au contrat de fiducie ne met pas fin au contrat de fiducie hors période suspecte (deux ans). Enfin, selon l’article 2029 du Code civil, la fiducie gestion prend fin avec le décès du constituant personne physique. La stratégie n’est pas efficiente.
• Sur actifs sociaux
Le constituant est une personne morale, donc le risque du décès impromptu n’existe pas. On peut activer le contrat de fiducie du vivant du dirigeant par la mise en fiducie d’une quote-part minime des actifs financiers. Ce point de départ permet de familiariser les héritiers futurs avec le paradigme et de les tester. Le constituant, personne morale, est toujours managé par le dirigeant, mais on associe les futurs héritiers au fonctionnement de la fiducie. On s’affranchit de l’obligation de faire et au moment du décès, la fiducie sera abondée par le transfert de la majorité des actifs financiers détenus dans la SAS. Le système s’anticipe avec des décisions statutaires prises du vivant du dirigeant, ou par le président d’une SAS nommé par testament du dirigeant, ou encore prises par un mandataire nommé à effet posthume. Les modalités d’abondement post mortem figurent également dans le contrat de fiducie. Celle-ci s’établit du vivant du dirigeant, elle est constituée par la personne morale, elle a un effet immédiat et un autre différé. Les actifs de la société devront être employés en priorité dans des produits financiers pensionnés afin de gérer les besoins des héritiers vulnérables. Pour régler l’ISF, on affecte un compte individualisé pour les revenus afférents à la gestion des biens fiduciés. On distinguera les produits financiers affectés au fonds spécifique fiduciaire et ceux qui iront à la SAS susceptibles d’être distribués sous forme de dividendes. Les héritiers pourront librement décider de la distribution non mise en fiducie. Le contrat de fiducie intervient afin d’éviter les affectations dispendieuses. On y distingue la partie capitalisée dans la fiducie et la partie libérée dans la SAS qui pourra être distribuée. La SAS est imposée à l’IS sur les bénéfices gérés par les actifs mis en fiducie. Il faudra en tenir compte afin que la SAS puisse s’acquitter de l’IS ou raisonner en ventilation nette d’IS. Les héritiers pourront décider de la distribution des bénéfices non mis en fiducie, sous le contrôle d’une action à privilège politique et financier. Pour régler les droits de succession, on envisagera une distribution exceptionnelle. Le fiduciaire aura pour mission de céder les actifs financiers et de les extraire de la fiducie afin qu’ils se retrouvent dans les actifs sociétaires de droit commun. Une projection du coût de la détention des titres par les héritiers sera calculée afin d’anticiper le montant qu’ils devront pouvoir se verser pour y faire face.
La SAS se retrouve avec des associés dotés d’un pouvoir de décision. On stipule une inaliénabilité temporaire des titres sans obligation d’évocation de motif. Cette inaliénabilité peut être à effet différé. Indépendamment de la clause d’irrévocabilité, il est précisé que la SAS ne pourra mettre fin au contrat de fiducie que par une décision unanime des associés. Antérieurement, on prend soin, du vivant du dirigeant, d’introduire un associé de confiance avec une minorité de blocage dans la SAS.
Exemple 2 : Un constituant, personne physique, souhaite transmettre cinq millions d’euros de façon fractionnée, pendant une dizaine d’années, son enfant handicapé vulnérable avec le concours d’une fiducie de gestion. C’est impossible, il n’y a pas d’optimisation fiscale et il se place dans le cadre prohibé de la fiducie libéralité. Comment procéder ? On peut utiliser la fiducie sûreté. Il faut garder à l’esprit que la fiducie libéralité n’apparaît pas si la personne physique bénéficiaire reçoit la somme en contrepartie d’une obligation. Une fiducie sûreté pourrait être constituée pour garantir le versement d’une rente viagère. Le constituant entend prévoir ainsi, par-delà son propre décès, le train de vie de son enfant handicapée. Tant que le constituant est vivant, aucun problème, cependant, ultérieurement, les ayants droit respecteront-ils cet engagement ? L’expérience prouve que les obligations de faire ne sont pas toujours suivies. On établit la libéralité au profit du donataire, on règle les DNTG. À la garantie du paiement de la rente viagère, on constitue une fiducie sûreté soit du vivant du donateur dans le cadre d’une donation, soit post mortem dans le cadre d’un testament. Cette fiducie sûreté est abondée d’un montant statistiquement qui devrait subvenir aux besoins de l’enfant handicapé jusqu’à la fin de ses jours. Le fiduciaire a pour mission de verser la rente viagère à titre de sûreté d’un engagement pris à l’égard du donataire du vivant du donateur, ou alors après son décès, les héritiers payeront la rente viagère. Cependant, s’ils ne la payent pas, les sommes entre les mains du fiduciaire serviront pour le donataire. Au décès du donataire, l’excédent éventuel dans le contrat de fiducie reviendra aux autres héritiers désignés comme bénéficiaires au second rang. En matière de fiducie sûreté, le décès du constituant ne met pas fin au contrat. Elle permet de pérenniser une situation, de sécuriser un patrimoine ou encore de contrôler sa transmission. (…)
C2M
Retrouvez la suite de cet article dans le Journal Spécial des Sociétés n° 27 du 5 avril 2017
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