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Depuis quelques années déjà, le monde de la finance s’approprie les enjeux environnementaux. Un déclic qui a été favorisé notamment par les différentes COP, le monde associatif, et désormais par les nouvelles réglementations européennes.
Aux stratégies individuelles de désinvestissement du charbon d’Axa ou Nedbank se substituent des alliances d’établissements financiers conclues sous l’égide onusienne.
À ce titre, la Glasgow Financial Alliance for Net Zero présidée par Mark Carney, en est un bel exemple. Si on se souvient du discours de l’ancien directeur de la banque d’Angleterre appelant à « briser la tragédie des horizons » entre les horizons contradictoires de court et long terme, c’est dorénavant d’actes dont il pourrait être question : 130 000 milliards de dollars d’actifs issus de 450 établissements financiers. Un véritable levier pour réorienter les flux de capitaux vers une économie plus durable que l’Union européenne, sur son territoire, accompagne juridiquement.
Depuis son plan d’action du 8 mars 20181, les observateurs attentifs ont en effet pu constater le travail des institutions européennes pour faire émerger un droit de la finance durable fonctionnel. Son ampleur se mesure au nombre d’acronymes nouvellement développés : SFDR, CSRD, EU-GBS s’ajoutant à la NFRD et autres sigles déjà établis… Sans compter l’arrivée de la taxinomie durable, pièce fondatrice de la nouvelle finance durable et de la responsabilité sociétale des entreprises.
Toutes ces évolutions permettent de nous poser la question suivante : en novembre 2021, où en est-on ?
Rappelons que l’outil central sur lequel se fondent les nouvelles législations européennes relatives à la réglementation du secteur financier, au reporting extra-financier et aux standards volontaires durables – dont il sera fait mention ci-dessous –, est le Règlement Taxinomie du 18 juin 20202. Ce règlement (UE) 2020/852 permet, en fixant des critères, de déterminer les activités pouvant être considérées comme « durables sur le plan environnemental » afin par suite de « réorienter les flux de capitaux vers une économie plus durable ». Six objectifs environnementaux sont énoncés. Parmi eux : l’atténuation du changement climatique, l’adaptation au changement climatique ou encore la protection de la biodiversité.
S’ASSURER DE LA DURABILITÉ DE L’INVESTISSEMENT : L’ÉVOLUTION DU REPORTING EXTRA-FINANCIER
Si la responsabilité sociétale – ou sociale –, des entreprises est définie comme étant « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société (3) », les standards volontaires développés par le secteur privé comme la réglementation naissante en droits français et européen se fondent majoritairement sur des mécanismes de transparence, l’obligation d’un devoir de vigilance mise à part.
En pratique, cette
obligation de reporting durable – sur le plan environnemental – répond à deux
objectifs. Le premier, auquel il est le plus souvent fait référence, consiste à
mesurer l’incidence des activités de l’entreprise sur la population et
l’environnement. Le second, qui se révèle souvent le plus important pour les
entreprises, s’attache à mesurer l’incidence des questions de durabilité sur
leurs résultats, leur situation et leur évolution. Cet objectif s’avère
essentiel aux investisseurs potentiels, en particulier lorsque les entreprises
soumises au reporting extra-financier sont également cotées sur un marché
financier. Par un souci d’effectivité sûrement, la responsabilité sociétale des
entreprises devient alors nécessaire au bon fonctionnement de la finance durable,
et la frontière entre ces deux matières perd alors en clarté.
En matière de transparence extra-financière des entreprises, la France a été pionnière en mettant en place les mécanismes de la loi NRE en 2001. Le nouveau visage du reporting extra-financier (4) prend cependant la forme, depuis la directive « Non Financial Reporting Directive » ou « NFRD » du 22 octobre 2014 (5) et en France depuis 2017, de la dénommée déclaration de performance extra-financière (6). Transposé en droit français à l’article L. 225-102-1 du Code de commerce, ce reporting extra-financier devrait cependant prochainement être modifié. Le 24 avril 2021, la Commission européenne a en effet présenté une proposition de directive dite « Corporate Sustainability Reporting Directive » ou « CSRD » ayant pour objet la révision de la directive NFRD.
De la proposition de texte peuvent être retenues deux nettes améliorations.
Premièrement, la proposition a pour ambition d’étendre le reporting extra-financier à toutes les grandes entreprises et à toutes les entreprises cotées (à l’exception des microentreprises cotées). En effet, le champ d’application ratione personae du reporting extra-financier est élargi aux « grandes entreprises et, à partir du 1er janvier 2026, [aux] petites et moyennes entreprises qui sont des entreprises visées à l’article 2, point 1) a) ».
Autrement dit, les grandes entreprises, cotées ou non, dépassant les seuils de 20 millions d’euros de bilan total, 40 millions d’euros de chiffre d’affaires et 250 salariés tels que définis par la directive comptable n° 2013/3439, devront présenter un rapport comptable extra-financier à compter du 1er janvier 2023. De surcroît, les PME cotées sur un marché réglementé dans l’Union européenne seront elles aussi tenues au même rapport à compter du 1er janvier 2026, si elles dépassent au moins deux des trois seuils suivants : total de bilan de 4 millions d’euros, chiffre d’affaires de 8 millions d’euros, 50 salariés, sous réserve du droit laissé aux États membres de relever le chiffre d’affaires jusqu’à 12 millions d’euros et le bilan jusqu’à 6 millions d’euros (7).
Deuxièmement, le degré de contrainte juridique est rehaussé pour « exiger l’assurance des informations en matière de durabilité (8) ». À ce titre, on peut parler d’une réelle transformation de méthodologie. Alors que la déclaration de performance extra-financière de la directive NFRD était avant fondée sur la règle du comply or explain, qui permettait à l’entreprise de s’émanciper de son obligation dès lors qu’elle fournissait une justification, le nouvel article 51 tel qu’issu de la proposition de directive CSRD prévoit qu’en cas d’infraction, les sanctions administratives doivent au moins comprendre une déclaration publique, une injonction à se conformer ainsi que des sanctions pécuniaires. On ne peut que se réjouir de l’augmentation de ce niveau de contrainte, source d’efficacité.
En parallèle de la proposition de texte, l’article 8 du règlement Taxinomie élargit le contenu de l’obligation de reporting extra-financier. Il « impose aux entreprises relevant de la directive NFRD de publier certains indicateurs précisant dans quelle mesure leurs activités sont durables sur le plan environnemental au sens de la taxinomie (9) ». L’objectif souhaité par l’Union européenne ici est limpide : contraindre le reporting ESG à se conformer aux prescriptions de la Taxinomie durable.
LE EUROPEAN GREEN BOND STANDARD
Pour rappel, à échelle mondiale, le marché des green bonds atteint plus de 1 000 milliards de dollars d’émissions cumulées et a dépassé les 250 milliards de dollars d’émissions en 2020. De nouveaux instruments ont suivi cet essor. C’est le cas des Sustainability-linked Loan, autrement dit des prêts prévoyant une clause d’indexation du taux sur la performance de l’entreprise en matière de durabilité. Ces prêts ouvrent le marché de la finance durable aux entreprises qui mènent des actions à impacts environnementaux positifs (choix de fournisseurs selon des critères ESG, politique d’achats responsables), mais qui n’engagent pas de projets d’investissement susceptibles d’être financés par des obligations.
Toutefois, nombre de ces obligations et prêts verts ne disposent pas d’une méthodologie réellement contraignante, par conséquent, du besoin des investisseurs d’avoir une garantie de la durabilité de ces produits financiers est née la volonté de créer un instrument propre aux institutions européennes. C’est ainsi que la Commission européenne a publié le 6 juillet une proposition de règlement relatif aux obligations vertes européennes (10), qui fait suite à des travaux préparatoires de 2020.
En application de cette proposition de texte sur un « European Green Bonds Standard », les obligations émises doivent suivre un procédé contraignant en ce qu’elles doivent être alignées sur l’utilisation finale du produit. L’utilisation des fonds, qui est vérifiée, doit être alignée sur le Règlement Taxinomie (11), à l’instar du reporting extra-financier de la proposition de directive CSRD. Ce dernier avantage est majeur et permet de lutter efficacement contre le manque de fiabilité et d’intégrité de ce nouveau marché, propice à l’écoblanchiment.
LA RÉGLEMENTATION DU SECTEUR FINANCIER
La présidente de la Banque centrale européenne, Christine Lagarde, affirmait le 4 novembre dernier dans Les Échos le « rôle de taille » que le secteur financier avait à jouer, notamment en exposant « les moyens par lesquels ils entendent s’adapter à un monde sans carbone ».
Cette révolution semble bien pouvoir se réaliser, là encore à l’échelle européenne. Le règlement 2019/2088 « Sustainable Finance Disclosure Regulation » ou « SFDR » harmonise en effet, à compter de 2021, les règles en matière de transparence des acteurs des marchés financiers et conseillers financiers en ce qui concerne l’intégration des risques en matière de durabilité – environnementale, sociale et de gouvernance –, la prise en compte des incidences négatives en matière de durabilité dans leurs processus ou encore la fourniture d’informations en matière de durabilité en ce qui concerne les produits financiers.
Plus précisément, ces entreprises financières devront détailler leurs politiques d’intégration des risques en matière de durabilité dans leur processus de prise de décisions en matière d’investissement (article 3). Autrement dit, elles devront désormais indiquer si elles prennent en compte les risques ESG dans leurs choix d’investissement. De même, ces acteurs seront obligés de publier sur leur site Internet une déclaration contenant les diligences raisonnables qu’ils effectuent pour réduire les incidences négatives sur l’environnement, le social et la gouvernance de leurs décisions d’investissement.
Cependant, si ces nouvelles obligations sont suffisamment novatrices pour être mentionnées, leur degré de contrainte peut être relativisé. En comparaison avec la proposition de directive CSRD, c’est en cette matière toujours la règle du comply or explain qui s’applique, ainsi qu’il en résulte de l’article 4, « les acteurs des marchés financiers publient et tiennent à jour sur leur site Internet […] des informations claires sur les raisons pour lesquelles ils ne le font pas, y compris, le cas échéant, des informations indiquant si et quand ils ont l’intention de prendre en compte ces incidences négatives ».
En novembre 2021, la mise en place d’une nouvelle finance durable européenne se précise. Le Règlement Taxinomie a ouvert un chemin vers la possibilité pour les investisseurs de financer des activités économiques dont la durabilité sur le plan environnemental est certaine. Le secteur privé se montre également favorable à ces outils de transparence qui vont lui permettre de réorienter les flux de capitaux vers une économie durable. Cependant, côté investisseur, demeure l’immense débat sur la possibilité d’obliger les entreprises financières à proposer des investissements durables, voire celui de l’éventuelle contrainte des investisseurs finaux de réorienter leur épargne vers une économie plus durable.
1) Communication de la commission au Parlement européen, au Conseil européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Plan d’action : financer la croissance durable, 8 mars 2018, COM(2018) 97 final.
2) Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088.
3) Communication de la commission au parlement européen, au conseil européen, au conseil, au comité économique et social européen et au comité des régions, Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014, 25 octobre 2011, COM (2011) 681 final.
4) Cuzacq N., « Le nouveau visage du reporting extra-financier français », Revue des sociétés, 2018, p. 347.
5) Directive 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil du 22 octobre 2014 modifiant la directive 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes entreprises et certains groupes.
6) Décret n° 2017-1265 du 9 août 2017 pris pour l’application de l’ordonnance n° 2017-1180 du 19 juillet 2017 relative à la publication d’informations non financières par certaines grandes entreprises et certains groupes d’entreprises.
7) En effet, l’article 19 bis modifié par la proposition de texte « CSRD » relatif à la publication d’informations en matière de durabilité prévoit que « les grandes entreprises et, à partir du 1er janvier 2026, les petites et moyennes entreprises qui sont des entreprises visées à l’article 2, point 1) a), incluent dans leur rapport de gestion les informations nécessaires à la compréhension des incidences de l’entreprise sur les questions de durabilité, ainsi que les informations nécessaires à la compréhension de la manière dont les questions de durabilité influent sur l’évolution des affaires, les résultats et la situation de l’entreprise », l’article 2, point 1) a) renvoyant aux seuils mentionnés.
8) Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant les directives 2013/34/UE, 2004/109/CE et 2006/43/CE ainsi que le règlement (UE) nº 537/2014 en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises, COM/2021/189 final, p. 6.
9) Ibid., p. 5.
10) Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux obligations vertes européennes, 6 juillet 2021, COM(2021) 391 final.
11) Ibid., articles 6 et 7.
Corinne Lepage,
Avocate à la Cour,
Sylvain Hamanaka,
élève-avocat
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