Droit

La canicule intégrée aux motifs du chômage-intempéries dans le BTP


jeudi 11 juillet 20249 min
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Prenant acte de la survenue de plus en plus fréquente de vagues de chaleur, le ministère du Travail vient compléter d'un décret le dispositif d'indemnisation des travailleurs du bâtiment arrêtés pour cause d'intempéries. Jusqu'à présent, les remboursements n'étaient effectués qu'à titre dérogatoire en cas de canicule.

Le 28 juin, le ministère du Travail, de la Santé et des Solidarités a pris un décret « relatif au régime particulier d'indemnisation des salariés par les entreprises du bâtiment et des travaux publics en cas d'arrêt de travail occasionné par les intempéries ». Il vient compléter les modalités du régime d'indemnisation des travailleurs, « afin de permettre une prise en charge de l'interruption de l'activité en raison de la canicule ».

La mutualisation de l'indemnisation des travailleurs du BTP arrêtés à cause de conditions météorologiques rendant leur travail impossible ou dangereux a été instituée en 1947. Face à ce risque par nature variable, le législateur et la profession ont mis en place un régime de péréquation permettant un remboursement partiel des indemnisations versées par les entreprises. Ainsi, des cotisations intempéries versées par les entreprises alimentent le fonds sur lequel sont financés les remboursements partiels des indemnités.

Une instruction « relative à la gestion des vagues de chaleur », publiée en juin 2023, avait précisé les conditions à remplir pour réaliser la demande de prise en charge d’indemnisations au titre du dispositif de chômage-intempéries, auprès d'une caisse régionale de congés intempéries du BTP. Après cette période « dérogatoire », précise un communiqué du CIBTP France (le réseau des caisses de congés intempéries du BTP) du 10 juillet, les pouvoirs publics ont donc « défini un cadre réglementaire, en lien avec les représentants de la profession et CIBTP France, opérateur du régime ».

La fin d'un flou juridique

Pour Pierre-Louis Vignancour, avocat spécialisé en droit du travail au barreau de Paris, le texte du 28 juin « permet de marquer dans le marbre par un décret bien précis, plutôt qu'une instruction qui n'a finalement aucune valeur juridique, ce [potentiel] d'élargir au risque canicule la possibilité pour les entreprises du BTP de donner aux salariés une indemnisation, dès lors que les salariés doivent s'arrêter de travailler ».

Dans le Code du travail, l'article L5424-6 et les suivants définissent « les règles suivant lesquelles les entreprises du bâtiment et des travaux publics relevant de certaines activités professionnelles déterminées par décret indemnisent les travailleurs qu'elles occupent habituellement en cas d'arrêt de travail occasionné par les intempéries. » Ainsi, selon l'article L5424-8 de ce même Code, « sont considérées comme intempéries, les conditions atmosphériques et les inondations lorsqu'elles rendent dangereux ou impossible l'accomplissement du travail eu égard soit à la santé ou à la sécurité des salariés, soit à la nature ou à la technique du travail à accomplir ».

Aussi, suite à ce décret du 28 juin 2024, le code du travail voit l'ajout d'un nouvel article, l'article D5424-7-1. Celui-ci précise désormais que « sont considérées comme des conditions atmosphériques au sens de l'article L. 5424-8, les périodes de canicule, de neige, de gel, de verglas, de pluie et de vent fort, selon des conditions définies par arrêté du ministre chargé de l'emploi. »

Un taux de remboursement révisé à la baisse

Les indemnisations des arrêts de travail prévues par l'article L. 5424-8 du code du travail font l'objet de remboursements à l'employeur par la caisse nationale de surcompensation pour les entreprises du bâtiment et des travaux publics en cas d'intempéries.

Par ailleurs, l'article D5424-25 précise que « l'entreprise est remboursée par les caisses de congés payés des indemnités versées à ses salariés au titre de la législation sur les intempéries qui sont calculées en affectant le montant de chaque indemnité versée d'un coefficient égal au rapport entre le montant des salaires servant de base à la cotisation versée par l'entreprise en application de l'article D. 5424-36 et le montant de ces salaires avant déduction de l'abattement prévu à ce même article ». Selon ce calcul relativement complexe, l'entreprise se voit rembourser 80 à 90% des indemnités, jauge Pierre-Louis Vignancour.

Là où la prise en charge de ce nouveau motif de chômage intempéries pose question, c'est justement sur son remboursement par la caisse CIBTP. En effet, le décret publié le 29 juin précise que « le montant obtenu à l'article D. 5424-25 peut être révisé à la baisse pour la part correspondant aux arrêts de travail résultant de périodes de canicule, selon un pourcentage fixé, le cas échéant, annuellement par les arrêtés mentionnés à l'article D. 5424-39 ».

Comme le risque canicule « pourrait concerner tout de même un certain nombre de jours », estime Pierre-Louis Vignancour, le gouvernement aurait placé cette clause de révision à la baisse des indemnités pour éviter de faire exploser les cotisations. « Les pouvoirs publics ne souhaitent pas augmenter le taux de cotisation pour les entreprises, parce que financièrement ce serait trop important, estime le juriste. Et donc il y a la possibilité de limiter les remboursements, enfin de réduire en tout cas le taux de remboursement qui serait fixé par arrêté. »

Reste à préciser ce que recouvre la notion de canicule. Dans son communiqué du 8 juillet, le CIBTP explique que les déclarations d'arrêt et les demandes de remboursement seront recevables « à condition que l’arrêt se situe durant la période de veille saisonnière (du 1er juin au 15 septembre) et sous réserve que, dans le département concerné, une alerte pour forte chaleur (vigilance de niveau orange ou rouge) ait été publiée par Météo France ou qu’un arrêté préfectoral ait été pris pour ordonner une suspension d’activité au même motif ». Néanmoins, ces dispositions devrait être précisées par un arrêté, définissant notamment les seuils à partir duquel le risque canicule est pris en compte, pour permettre le déclenchement du chômage intempéries.

Si le dispositif est sans doute complexe à mettre en œuvre pour des pics de chaleur de courte durée, il pose aussi la question de son financement, dans un cadre où, rappelle Pierre-Louis Vignancour, l'indemnisation du risque intempéries est limitée à 55 jours par an. Il ajoute que sur ce sujet, le comité social et économique doit être consulté. Une manière de rappeler qu'en tout état de cause, le Code du travail précise que l'employeur « doit prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ».

Etienne Antelme

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