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Myriam Ezratty, directrice de l’éducation surveillée, puis de l’administration pénitentiaire (1981-1986), Première présidente de la cour d’appel de Paris (1988-1996) s’est éteinte le 7 septembre 2017. En ce début du mois de février, Chantal Arens, la Première présidente de la cour d’appel de Paris, a invité de nombreuses et prestigieuses personnalités du monde du droit, notamment l’avocat Robert Badinter, le vice-président du Conseil d’État Jean-Marc Sauvé, le président honoraire de la Cour de cassation Guy Canivet, à venir lui rendre hommage lors d’une cérémonie où se sont alternés témoignages, discours et vidéo interview.
Dans un communiqué de presse du 11?septembre dernier, le ministère de la Justice saluait le parcours d’une « magistrate humaniste aux convictions très affirmées qui disait avoir accepté ce poste (de présidente de l’administration pénitentiaire) «pour voir de l’autre côté du miroir» ».
Née Bader le 7?décembre 1929?à Nice, dans une famille d’origine alsacienne, Myriam Ezratty est diplômée de la faculté d’Aix-en-Provence, et passe avec succès en 1950?le concours de la magistrature, ouvert aux femmes seulement quatre ans auparavant. Elle rejoint ensuite très rapidement le ministère de la Justice où elle va accomplir la plus grande partie de sa carrière. D’abord à la direction des affaires civiles de 1958?à 1974, puis comme directrice de l’éducation surveillée (aujourd’hui la protection judiciaire de la jeunesse) de 1981?à 1983, puis comme directrice de l’administration pénitentiaire de 1983?à 1986.
Afin de rendre hommage à cette femme d’exception, le 2?février 2018, Chantal Arens, la présidente de la cour d’appel de Paris, a invité de prestigieux invités, qui l’ont connue au cours de leur carrière et/ou personnellement, à venir témoigner pour lui rendre hommage. La cérémonie a débuté par une intervention de la présidente de la cour d’appel de Paris, suivie de la projection d’une vidéo interview de Myriam Ezratty qui donne son avis sur le système pénitencier, à l’époque où elle était directrice. Se sont ensuite exprimés Colette Meme, ancienne collaboratrice au cabinet de Simone Veil ministre de la Santé, Hubert Dalle ; collaborateur à la direction de la protection judiciaire de la jeunesse de 1981?à 1983 ; Mireille Imbert Quaretta, collaboratrice à la direction de l’administration pénitentiaire de 1983?à 1986 ; Nadine Piquet qui travaille actuellement à la direction de l’administration pénitentiaire ; Jean-Marc Sauvé, vice-président du Conseil d’État ; Guy Canivet, président de la cour d’appel de Paris de 1988?à 1996 ; Bernard Vatier, président de l’association des Juristes franco-britanniques du barreau de Paris ; Michael Butcher, président de la section britannique de l’AJFB ; Nicole Maestracci, membre du Conseil constitutionnel qui a témoigné sur l’apport de Myriam Ezratty à une génération de magistrats et de fonctionnaires ; et enfin Robert Badinter qui a clos la cérémonie.
De bouleversants témoignages
Dans un discours un brin nostalgique, mais néanmoins optimiste, Jean-Marc Sauvé a raconté la manière dont Madame Ezratty fut nommée première femme directrice de l’administration pénitentiaire en 1983 : « Dans le vol de nuit qui nous ramène de Washington à Paris, le garde des Sceaux (Robert Badinter) veut réfléchir à voix haute ou tester ses idées. Il me demande de passer le voir. Nous nous isolons et il me lance tout à trac : «Voilà, il faut changer de directeur de l’administration pénitentiaire». Je suis ensommeillé, légèrement hébété et ne réagis pas. Il ajoute «Je crois qu’il faut nommer Myriam Ezratty. Qu’en pensez-vous ?» »
Le vice-président du Conseil d’État a ensuite salué la personnalité de « cette grande dame », attentive aux idées de ses collaborateurs comme si c’était les siennes. « Mais la considération que Myriam Ezratty me portait… l’attention qui était la sienne aux idées des autres… ce furent de véritables rais de lumière ».
Monsieur Sauvé a aussi évoqué les valeurs qu’elle avait chevillées au corps : la dignité humaine et la justice : « dans ses fonctions, ce double lest conférait de la densité et de l’authenticité à ce qu’elle entreprenait ».
Jean-Marc Sauvé a également énuméré les actions concrètes menées par Madame Ezratty durant son mandat : « Sur la réforme de la santé pénitentiaire, les équipements immobiliers, la gestion du personnel, la vie et le travail en détention… elle conjuguait admirablement le temps long et le court et moyen terme ». En phase avec le projet politique de Robert Badinter, Myriam Ezratty voulait « faire bouger les lignes et elle savait le faire ». Elle a ainsi pu conduire des chantiers très ambitieux, a rappelé Jean-Marc Sauvé. Entre autres sous sa direction, la santé pénitentiaire a rejoint le dispositif médical et hospitalier de droit commun ; de nouveaux établissements pénitentiaires ont été conçus ; l’avocat a pu entrer au prétoire ; la télévision a été installée dans les cellules, etc. En guise de conclusion, Jean-Marc Sauvé a remercié la défunte pour l’œuvre qu’elle a accomplie durant sa vie « Près de 35?ans plus tard, on se souvient toujours de son œuvre avec émotion et reconnaissance ». Pour finir, il a formulé un souhait : « que l’on retrouve dans notre protection de la jeunesse et surtout dans nos prisons une pareille énergie réformatrice et même transformatrice ».
Robert Badinter, le dernier à intervenir, a salué la force et le courage de Myriam Ezratty. Il en a profité pour faire part de son point de vue quant à l’état actuel du milieu carcéral aujourd’hui. « La prison ne saurait être que sanction et surveillance. Elle doit être porteuse de l’espérance d’un avenir meilleur pour le détenu, au jour de son retour dans la société des hommes libres. De cette exigence-là, j’en porte témoignage, Madame Ezratty en était pétrie ». Pour lui, malgré les efforts entrepris depuis de nombreuses années pour réformer le système pénitencier, « les prisons françaises, les maisons d’arrêt demeurent toujours une humiliation pour la République. C’est à cette stagnation que Madame Ezratty s’est toujours refusée ». Monsieur Badinter a également rappelé la vie exemplaire de Madame Ezratty, faite de droiture, de force et de volonté, les mêmes valeurs qui animaient son amie d’enfance, Simone Veil. « Je salue son courage et je souhaite qu’une promotion de l’École de la magistrature porte le nom de Madame Ezratty » « Merci donc chère Myriam Ezratty, et vous tous ses amis ici rassemblés dans cette salle si chargée d’histoire. Merci, Myriam d’avoir tant lutté pour les causes qui me sont chères. Vous étiez une amie précieuse et vous demeurerez pour tous ceux qui aiment la justice un exemple », a-t-il conclu avec émotion.
Maria-Angélica Bailly
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