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Aujourd’hui, dès l’ouverture du redressement judiciaire, la rémunération des dirigeants est supprimée. Pour être plus précis, actuellement, en cas de redressement ou de liquidation judiciaires, c’est le juge-commissaire qui fixe la rémunération afférente aux fonctions exercées par l’entrepreneur, personne physique, ou par les dirigeants de la personne morale (C. com., art. L. 631-11, al. 1er et L. 641-11, al. 1er). Ladite rémunération doit faire l’objet, pour que le dirigeant soit rémunéré, d’une requête à l’initiative du mandataire de justice ou de l’intéressé lui-même, l’avis de représentant des créanciers, mandataire judiciaire voire de l’administrateur devant être recueillis1.
Ce mécanisme de fixation de la rémunération du dirigeant par le juge, qui apparaît porteur, qu’on le veuille ou non, d’un caractère punitif, est très ancien. Il existait déjà dans la législation précédente, antérieure à la loi du 25 janvier 19852.
Ce mécanisme ne concerne que les rémunérations de dirigeants au sens classique du terme, à savoir, d’une part, les rémunérations de mandataire social, et d’autre part, les management fees versés aux dirigeants ou via une société holding. Il ne concerne donc pas la rémunération salariale d’un dirigeant. Si le dirigeant cumule un contrat de travail salarié et un mandat social (gérant, président, directeur général ou directeur général délégué par exemple), chacune de ces fonctions justifiant d’une rémunération, seule la rémunération du mandataire social sera suspendue.
L’arrêt de la rémunération du dirigeant ne concerne aujourd’hui que les cas d’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire (par renvoi), c’est-à-dire, a contrario, qu’elle ne s’applique pas en cas de procédure de sauvegarde. Celle-ci, instituée en 2005, s’est rapidement conçue dès 2008 comme une mesure demandée exclusivement par le dirigeant de sorte qu’il était anormal qu’il puisse être exclu de la société et qu’il soit privé de sa rémunération.
L’article 14 du projet de loi PACTE, devenu aujourd’hui l’article 56 de ladite loi PACTE, renverse le processus.
Le principe sera désormais le maintien de la rémunération du dirigeant,
sauf décision contraire du juge-commissaire saisi sur demande de
l’administrateur ou du ministère public. Dans les procédures sans
administrateur judiciaire, le mandataire judiciaire pourra également saisir le
juge-commissaire. Le projet de loi envisage de dissocier le
sort de la rémunération selon la procédure ouverte. Le régime
actuel ne serait conservé que pour la liquidation judiciaire.
En cas de redressement judiciaire, la rémunération serait maintenue en l’état,
au jour de l’ouverture de la procédure, sauf décision contraire du
juge-commissaire saisi sur demande de l’administrateur judiciaire
(ou, s’il n’en a pas été désigné, par le mandataire judiciaire) ou du ministère
public.
Si la procédure sera désormais plus simple et moins stigmatisante, il est probable que la jurisprudence et la doctrine s’accordent à maintenir un contrôle strict sur l’allocation de ces rémunérations, qui amputent de façon naturelle et à due concurrence, le montant des actifs devant revenir aux créanciers. De façon plus précise, le contrôle en cas de contestation de la rémunération se fera sur la réalité de l’activité déployée par le dirigeant.
Cela étant, cette mesure était appelée de leurs vœux par l’ensemble des intervenants et des associations professionnelles. Elle réduit l’incertitude et n’ajoute pas au trauma du dirigeant confronté à une procédure, une problématique personnelle pécuniaire et souvent familiale.
Poussons un peu plus loin la réflexion.
Le maintien du dirigeant peut être considéré comme nécessaire à la conservation de l’actif des créanciers, et participe à la recherche d’une solution de pérennisation de l’entreprise (plan de continuation, plan de cession).
à ce titre, il ne serait pas incongru de considérer le dirigeant comme un acteur nécessaire de la procédure, au même titre que l’administrateur judiciaire, le mandataire ou, le cas échéant, qu’un dirigeant par intérim recruté par l’administrateur judiciaire. Cette thèse est très plausible, à la lumière notamment de l’ordonnance de 2014 dont un des objectifs a bel et bien été de demander aux associés de fournir un effort. Les dirigeants sont à leur tour saisis de la même dynamique.
Le dirigeant pourrait, dans ces conditions, être rémunéré sur la base d’un barème prenant en compte le nombre de salariés, le montant du passif, le chiffre d’affaires et, pourquoi pas, les performances de l’exploitation pendant la période d’observation ou, en cas de cession, le montant effectivement perçu par les créanciers. Le critère de performance existe dans le droit des sociétés in bonis, en particulier pour fixer les rémunérations des dirigeants de sociétés cotées, pourquoi ne pourrait-il pas être importé dans le droit des procédures collectives ?
Cela permettrait qu’émerge un statut du dirigeant d’une entreprise en procédure collective, et réduirait par là-même l’effroi, le traumatisme et l’instabilité de cet environnement mouvant, qu’affrontent l’entreprise et son dirigeant, considérés collectivement.
Quoi qu’il en soit, cette modification tend à aligner la France, peu ou prou, sur la législation et les pratiques de nos voisins européens.
Soulignons enfin que la faculté ouverte au débiteur ou aux dirigeants de la personne morale faisant l’objet de la procédure de demander des subsides en l’absence de rémunération serait maintenue dans les deux procédures, et qu’aucun encadrement de la rémunération n’est prévu en cas de sauvegarde, que ce soit par les textes actuels ou la loi PACTE.
Bastien Brignon,
Maître de conférences HDR à Aix-Marseille Université,
Directeur du Master professionnel Ingénierie des sociétés
François-Denis Poitrinal,
Avocat à la Cour de Paris
et au barreau de New York
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