L’attractivité du brevet français est-elle réellement assurée par la loi PACTE ?


jeudi 6 juin 20197 min
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Après des débats houleux et plus de 8 500 amendements déposés, l’Assemblée nationale a définitivement adopté la loi PACTE (Plan d’Action pour la Croissance et la Transformation des Entreprises) le 11 avril 2019, qui n’a finalement fait l’objet d’une publication au Journal Officiel que le 22 mai 2019 en raison de quatre recours devant le Conseil constitutionnel portant sur des aspects sans rapport avec la propriété industrielle.


L’ensemble des 74 mesures présentées constituent un véritable arsenal législatif visant à simplifier le système économique actuel, et en particulier la vie des entreprises de leur création à leur liquidation, « pour lever les blocages à la croissance » comme l’a affirmé Bruno Le Maire, ministre de l’Économie et des Finances.


Parmi ces nouvelles mesures pour assurer la transformation et la croissance des entreprises, essentiellement des TPE, ETI et PME, figurent plusieurs dispositions relatives à la propriété industrielle qui tendent à renforcer tout particulièrement l’attractivité du brevet français pour donner aux entreprises françaises davantage de moyens d’innover, et concurrencer à terme le brevet européen.


À ce titre, le fil conducteur de la loi PACTE semble être la facilitation de l’accès pour les entreprises françaises à la propriété industrielle, élément indispensable de valorisation économique, à travers ses articles 118, 121, 122 et 124.


En attendant l’application des nouvelles mesures compte tenu des échéances prévues par le législateur pour la mise en place globale des réformes annoncées, il convient dès à présent de relever toutes les conséquences pouvant en résulter sur les stratégies traditionnellement élaborées par les entreprises aux côtés de leurs conseils et avocats, en matière de dépôt de brevet et de protection de l’innovation.


 


Les principaux changements apportÉs en matière de propriété industrielle


Critère d’activité inventive dorénavant examiné par l’INPI au stade de la délivrance du brevet


L’examen au fond par l’INPI (Institut national de la propriété industrielle) jusqu’ici en vigueur d’une demande de brevet était critiqué car il se limitait uniquement à l’appréciation du critère de la nouveauté, et non à celui déterminant de l’activité inventive. Dans la mesure où l’INPI ne pouvait constater qu’un défaut « manifeste » de brevetabilité pour rejeter la demande, le brevet français pouvait être considéré comme un brevet « faible » par rapport au brevet européen ou à d’autres brevets nationaux, titres soumis à une véritable instruction de fond de leurs critères de brevetabilité.


La loi PACTE, en modifiant l’article L. 612-12 du Code de propriété intellectuelle (CPI), renforce l’examen au fond réalisé par l’INPI et s’aligne sur le modèle de la procédure européenne. La notion de défaut « manifeste » est ainsi supprimée pour laisser l’opportunité à l’INPI de rejeter une demande de brevet tant pour défaut de nouveauté que pour défaut d’activité inventive.


 


Mise en place d’une nouvelle procédure d’opposition devant l’INPI pour améliorer la qualité et la valeur économique des brevets français, et à terme désengorger les tribunaux


Seul le recours judiciaire était envisageable en cas de contestation d’une décision de délivrance d’un brevet par l’INPI qui pouvait facilement aboutir à l’annulation du brevet, celui-ci n’ayant alors pas fait l’objet en amont d’un examen au regard du critère de l’activité inventive en sus du critère de la nouveauté. À titre comparatif, l’Office européen des brevets (OEB) met en effet déjà en place une procédure d’opposition à l’encontre des demandes de brevets européens, tout comme la plupart des offices nationaux de propriété industrielle au sein de l’Union européenne ou de pays tiers (États-Unis, Japon, Australie).


Désormais, l’article 121 de la loi PACTE offre aux tiers la possibilité d’un recours administratif devant l’INPI à l’encontre des brevets délivrés par l’INPI permettant ainsi un alignement du droit français avec la pratique d’une majorité d’offices étrangers et une mise en concurrence avec la procédure européenne.


Outre le fait que cette nouvelle procédure administrative est plus simple, plus courte et moins coûteuse que le recours judiciaire pour celui qui en est à l’initiative, elle contribue également à renforcer la qualité et la valeur économique des brevets français.


Pourtant, cette mesure surprend dans les milieux intéressés puisqu’elle n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact ou de consultation préalables auprès de ces derniers. Dès lors, la question qui devra être résolue sera celle des moyens humains, matériels et financiers octroyés à l’INPI pour mener à bien sa nouvelle mission (1). En effet, comme l’atteste l’étude d’impact du 18 juin 2018 concernant le projet de loi PACTE, la procédure d’opposition va nécessiter de la part de l’INPI toute une nouvelle organisation (création d’une chambre de recours) accompagnée de nouveaux moyens qui seront financés par le budget annuel alloué à l’établissement.


 


Modification de la prescription des actions en contrefaçon et en nullité pour harmoniser le contentieux en matière de propriété industrielle au regard des nouvelles avancées européennes


En premier lieu, le nouvel article 124 de la loi PACTE prévoit un changement important : l’action en nullité des brevets, des marques, des dessins et modèles ou encore des certificats d’obtention végétale, n’est soumise à aucun délai de prescription.


À ce titre, les parlementaires français ont à la fois souhaité corriger une difficulté juridique et anticiper sur l’évolution du droit européen, notamment en matière de brevet européen à effet unitaire, en alignant le brevet français à ses exigences spécifiques.


Jusqu’à présent, l’action en nullité d’un brevet, enfermée dans un délai de cinq ans depuis la réforme du 17 juin 2008, entraînait une certaine insécurité juridique pour les titulaires de droits, notamment concernant le point de départ de son délai, fruit de nombreuses décisions divergentes ces dernières années. L’applicabilité de cette prescription quinquennale aboutissait également à l’impossibilité, une fois passé ce délai, d’agir en nullité de brevets ne satisfaisant pas les conditions légales de brevetabilité, dont celle de l’inventivité non examinée par l’INPI.


L’article 13 de l’ordonnance n° 2018-341 du 9 mai 2018 relative au brevet européen à effet unitaire et à la juridiction unifiée du brevet prévoyait d’ores et déjà l’imprescriptibilité d’une action en nullité d’un brevet, afin de transposer en droit français les deux règlements de l’Union européenne formant le « Paquet Brevet » sur le brevet unitaire du 17 écembre 2012 et l’Accord précité sur la juridiction unifiée du brevet signé le 19 février 2013. Toutefois, l’entrée en vigueur de ces dispositions dépend de la ratification de l’Accord par l’Allemagne qui reste à ce jour incertaine en raison d’un recours pendant devant la Cour constitutionnelle allemande.


Ainsi, la loi PACTE s’inscrit dans cette logique en supprimant tout délai de prescription de l’action en annulation d’un titre de propriété industrielle. Dès lors, les droits de propriété industrielle pourront toujours être remis en cause, créant une insécurité juridique pour les titulaires de droits et un possible affaiblissement de la valeur économique de leur innovation à long terme.


Pour mémoire, la réforme du droit des marques issue de la directive européenne dite « Paquet Marques » du 16 décembre 2015, et dont la transposition en droit français est prévue ces prochains mois à la suite de la clôture de la consultation publique du projet le 20 mars dernier, prévoit l’imprescriptibilité des actions en nullité des marques (nouvel article?L. 716-2-6?du CPI).


En second lieu, l’article 124 de la loi PACTE uniformise les règles de prescription quinquennale de l’action en contrefaçon de l’ensemble des droits de propriété industrielle, ainsi que du secret des affaires, et lève certaines incertitudes en modifiant le point de départ d’une telle action qui court désormais à compter « du jour où le titulaire d’un droit [ou le détenteur légitime] a connu ou aurait dû connaître le dernier fait lui permettant de l’exercer ». Cette précision avait également déjà été évoquée pour les marques par la réforme du « Paquet Marques » (nouvel article L. 716-4-2 du CPI).


Ces nouvelles dispositions pourraient être efficaces pour améliorer et renforcer l’indemnisation des préjudices résultant d’actes de contrefaçon à l’égard des titulaires de droits de propriété industrielle et des détenteurs légitimes de secrets des affaires.


 


Création d’une demande provisoire de brevet pour simplifier l’accès au brevet


Cette étape préalable à la protection par le brevet pourrait être particulièrement utile pour les entreprises afin de leur simplifier l’accès au titre et d’en réduire le coût. La demande de brevet pourrait ainsi être complétée au fur et à mesure de la croissance de l’entreprise, tout en gardant le bénéfice de l’antériorité de l’innovation.


 


Renforcement du certificat d’utilité comme alternative crédible au brevet et favorable aux PME


Le certificat d’utilité est un titre de propriété industrielle délivré par l’INPI conférant un monopole d’exploitation sur une invention technique pour une période maximale de six ans. Jusqu’à présent, seule la demande de brevet était convertible en une demande de certificat d’utilité, la réciproque étant impossible.


L’article 118 de la loi PACTE modifie l’article L. 612-15 du Code de la propriété intellectuelle (CPI) en prévoyant désormais la possibilité de transformer une demande de certificat d’utilité en une demande de brevet si l’invention de l’entreprise concernée requiert davantage de protection, engageant alors la nécessaire réalisation d’un rapport de recherche, ainsi que l’allongement de la durée de vie du certificat d’utilité à dix ans.


En parallèle du renforcement de la procédure d’examen des brevets, l’objectif poursuivi par le législateur est de considérer le certificat d’utilité comme une alternative crédible au brevet, plus rapide et moins onéreuse,  pouvant être destiné à des réalisations qui ne nécessitent pas de protection au-delà du territoire français.


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