Article précédent

Il est des époques où certains mots sont pleins de résonnance
et deviennent des slogans : tel est le cas
aujourd’hui du vocable « sobriété ».
Le vrai sujet est de savoir si l’apparition d’un tel
concept qui n’a pas, a priori, de connotation sociale ou politique, mais plutôt
une connotation individuelle, comme moyen et idéal à suivre pour une vie de
mesure et de sagesse, est adapté à la situation invoquée. Voilà qu’il fait son
apparition dans un contexte de basculement de civilisation, car la situation
actuelle est telle du point de vue du risque lié au changement climatique. Il
ne s’agit plus aujourd’hui de parler de transition écologique, mais de
transformation écologique, tout cela dans un contexte d’organisation du droit
international en plein basculement.
Toutefois, la question fondamentale pour le juriste est
qu’il lui faut rechercher si l’appel à ce concept peut nous protéger de
l’ivresse d’une société de production et de consommation, et contribuer alors à fonder une politique adaptée
aux besoins des temps présents et futurs. Cela est une nécessité si nous voulons vraiment
protéger et préserver les générations qui suivent.
Quoi
qu’il en soit, l’appel au concept de sobriété nécessite d’en mesurer la portée
sur trois plans différents :
le plan des idées, le plan du politique, mais surtout, ce qui nous concerne
particulièrement, le plan juridique.
Sur
le plan des idées, pour bien comprendre l’intérêt et l’importance du concept de
sobriété, il nous apparaît indispensable de prendre soin d’éviter deux erreurs
d’interprétation qui consistent à assimiler cette notion à une forme de
décroissance et de récession.
Sur
le plan de la décroissance, l’appel à la sobriété peut impliquer une critique
radicale de la modernité sur trois points. Une attaque centrée sur le modèle de
croissance en termes quantitatifs et de produit intérieur brut d’abord.
Ensuite, une critique de la technologie qui tendrait à nous déposséder des
moyens de diriger notre existence et enfin, un projet de définition des limites
imposées à l’activité humaine.
La
deuxième erreur d’interprétation serait d’assimiler la question de la sobriété
à celle de la récession. L’enrichissement des prix, en particulier des stocks
d’énergies, connaît une véritable explosion entraînant une réduction du pouvoir d’achat et
un appauvrissement généralisé, voire précisément
une récession qui pourrait effectivement conduire à une forme de rationnement.
Telles sont les variations d’interprétations susceptibles
d’être retenues mais qu’il conviendra d’éviter, même si cela
semble désormais évident que rien ne sera plus comme avant.
Sur le plan politique, l’interprétation que l’on peut
donner à la notion de sobriété dépend étroitement du contexte dans lequel il
s’inscrit.
Si elle est clairement associée à la fin de l’abondance,
ceci implique effectivement de faire de la sobriété l’expression d’une
contrainte, et non l’expression d’un choix qui peut conduire alors à l’affrontement
de deux principes fondamentaux : le principe
d’égalité et celui lié la protection des libertés fondamentales, car il
faudrait d’un côté qu’il n’y ait pas « de moins sobres que
d’autres », et de l’autre
que la sobriété ne conduise pas à des contrôles
liberticides.
En
tout cas, si l’on n’a plus d’autre solution que la sobriété et qu’il
n’y a aucune perspective constructive pour l’avenir, le danger est grand
d’entraîner son rejet pur et simple avec toutes les conséquences sociales et
économiques que cela pourrait engendrer.
Heureusement,
l’appel au droit permet d’envisager une autre perspective.
Cela
fait longtemps que le droit de l’environnement a intégré la notion de sobriété.
On la
trouve dans le droit de l’Union européenne, dans la Charte de l’environnement,
et même dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme par
le biais du concept d’intégration des enjeux environnementaux dans les autres
branches du droit.
Mais
au-delà de cette démarche instaurée ces dernières années, c’est un système de
droit beaucoup plus étroit qui s’est mis en place dans différentes branches
d’activités.
On en
prendra trois exemples :
celui de la gestion sobre de l’utilisation des sols qui est reliée au droit de
la séquence ERC, la question de la sobriété énergétique liée aux mesures prises
pour le respect des impératifs climatiques résultant de l’Accord de Paris (qui,
on le rappelle, devraient en principe permettre d’atteindre une température
moyenne sur la surface de la planète de +1,5°C par rapport à la base 1990), et
enfin dans les éléments de la réforme relative à l’économie circulaire.
On pourrait sans doute prendre divers exemples relatifs à
l’intégration de l’environnement dans les politiques agricoles, dans le nouveau
droit des activités minières par exemple, mais on restera sur le plan des
principes.
Sa base légale, comme on l’a indiqué, se trouve tout
d’abord dans le droit de l’Union européenne. C’est ce que dispose l’article 3,
alinéa 3 du Traité de l’Union européenne ainsi rédigé :
« L’Union
établit un marché intérieur, elle œuvre pour
le développement durable de l’Europe
fondé sur une croissance
économique équilibrée, sur la stabilité des
prix, une économie de marché hautement compétitive qui tend au plein emploi et
au progrès social et un niveau élevé de protection et d’amélioration de la
qualité de l’environnement. Elle promeut le progrès scientifique et technique. »
Selon la jurisprudence de la Cour de l’Union européenne,
il est clair que la recherche d’un niveau élevé de protection suppose, par
nature, comme l’a relevé le professeur Éric Naim-Gesbert, que ce concept soit à
la hauteur d’un principe général du droit de l’environnement, même
s’il n’est
pas reconnu en tant que tel1.
On doit ensuite relever que l’article 11 du même traité
sur le fonctionnement de l’Union européenne précise, quant à lui, que les
exigences de protection de l’environnement doivent être intégrées dans la
définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, en
particulier afin de promouvoir le développement durable.
On ne saurait être plus clair.
La jurisprudence de la Cour européenne de Strasbourg
rappelle l’importance de parvenir à un tel équilibre entre les droits de la
société et ceux de l’individu par rapport à la question de l’environnement2.
S’agissant de notre droit interne, on se rapportera tout
simplement au texte de l’article 6 de la Charte de l’environnement selon lequel
« les
politiques publiques doivent promouvoir un développement
durable.
Elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le
développement économique et le progrès social3. »
On peut aussi penser que le principe d’intégration, qui
n’est pas un principe général du droit mais un principe directionnel, s’est
développé dans le droit de l’aménagement du territoire grâce aux politiques relatives
et issues du devoir de vigilance. Ce sont les politiques relatives à la
responsabilité sociale et environnementale et aux lanceurs d’alertes qui y
participent au moins indirectement.
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
Infos locales, analyses et enquêtes : restez informé(e) sans limite.
Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.
0 Commentaire
Laisser un commentaire
Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *