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La
création récente d’une obligation de protection des lanceurs d’alertes dans la
fonction publique, précisée par un décret du 3 octobre 2022, fait craindre à
certains un risque d’abus et de multiplication des dénonciations calomnieuses.
Quel est le contenu de ce dispositif ? Ces craintes sont-elles fondées ? Le
point sur la situation.
Les
employeurs des trois fonctions publiques ont, dans leur grande majorité,
l’obligation de mettre en place un dispositif de protection des « lanceurs
d’alerte ». Les lois Waserman n° 2022-400 du 21 mars 2022 et n° 2022-401 du
même jour ont modifié le dispositif applicable, mis en place pour l’essentiel
par la loi du 9 décembre 2016 dite Sapin II. Elles tendent à améliorer et à
renforcer la protection des lanceurs d’alerte, à simplifier les canaux de
signalement, ainsi qu’à définir un nouveau statut pour leur entourage. Le
décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022 « relatif aux procédures de recueil et
de traitement des signalements émis par les lanceurs d’alerte et fixant la
liste des autorités externes instituées par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant
à améliorer la protection des lanceurs d’alerte » vient préciser ce nouveau
dispositif de protection. 
Le
cadre rénové du lanceur d’alerte
Depuis
la loi du 21 mars 2022, le lanceur d’alerte est défini comme « une personne
physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de
bonne foi, des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un
préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de
dissimulation d’une violation d’un engagement international régulièrement
ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation
internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, du droit de l’Union
européenne, de la loi ou du règlement. Lorsque les informations n’ont pas été
obtenues dans le cadre des activités professionnelles mentionnées au I de
l’article 8, le lanceur d’alerte doit en avoir eu personnellement connaissance.
»
Plusieurs
assouplissements ont été apportés au dispositif initial de lanceur d’alerte.
Ainsi, notamment, alors qu’il était obligatoirement « désintéressé » en 2016,
le lanceur d’alerte n’est plus tenu aujourd’hui que de signaler ou de divulguer
« sans contrepartie financière directe ». Il peut donc être en conflit
financier avec son employeur. Par ailleurs, il peut ne pas avoir eu
personnellement connaissance de ce qu’il signale ou divulgue. Enfin, le
périmètre des « dénonciations » ainsi que les canaux de signalement ont évolué.
À cet égard, il importe de rappeler que la personne qui fait des déclarations
intempestives sur Twitter ou Facebook par exemple n’est pas nécessairement un
lanceur d’alerte au sens des lois Waserman. En effet, outre que seules
certaines situations bien particulières relèvent du mécanisme de lanceur
d’alerte, la divulgation publique sans signalement préalable n’intervient que
dans des cas bien précis, en cas de « danger grave et imminent » par
exemple. 
Le
nouveau dispositif de signalement prévu par le décret du 3 octobre 2022
Le
décret n° 2022-1284 du 3 octobre 2022 « relatif aux procédures de recueil et
de traitement des signalements émis par les lanceurs d’alerte et fixant la
liste des autorités externes instituées par la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022 visant
à améliorer la protection des lanceurs d’alerte » vient organiser le
dispositif de protection rénové par les lois du 21 mars 2022. Très clair et
didactique dans sa rédaction, il abroge le décret n° 2017-564 du 19 avril 2017 sur
les lanceurs d’alerte et fixe, notamment, le cadre de signalement interne
applicable aux entreprises ainsi qu’aux personnes publiques.
Toutes
les personnes publiques employant plus de 50 agents, à l’exclusion des communes
de moins de 10 000 habitants, des établissements publics qui leur sont
rattachés et des établissements publics de coopération intercommunale qui ne
comprennent parmi leurs membres aucune commune excédant ce seuil de population,
doivent mettre en place ce dispositif de protection ou l’adapter aux nouvelles
exigences s’il est déjà existant. À cet effet, en substance, le I de l’article 4
du décret n° 2022-1284 détaille le canal de réception interne des signalements
et précise leurs modalités de recueil. Soulignons qu’un signalement n’est pas
obligatoirement consigné par écrit. Un enregistrement oral est envisageable,
selon les modalités prévues à l’article 6 du décret.
Ainsi,
quand bien même les deux mécanismes sont distincts et doivent relever de deux
dispositifs clairement identifiables, un employeur public peut, par des
procédures d’orientations complémentaires, développer un outil commun aux
lanceurs d’alerte et au signalement des « actes de violence, de
discrimination, de harcèlement et d’agissements sexistes dans la fonction
publique » tel que prévu par l’article L. 135-6 du Code général de la
fonction publique et le décret n° 2020-256 du 13 mars 2020. Incidemment, ce
dernier dispositif doit avoir été mis en place le 1er mai 2020 au plus tard.
Les article 5 et 7 traitent des personnes ou services recueillant et traitant
les signalements. Le dispositif à mettre en place est assez libre. Le référent
déontologue peut être chargé de ces missions. L’article 6 précise les garanties
– dont le droit à la confidentialité – offertes au lanceur d’alerte.
Les
risques de dérives dénoncés par le Conseil national d’évaluation des normes 
Le
décret du 3 octobre 2022 a suscité l’émoi des élus qui s’inquiètent des risques
de dérives, a souligné le Conseil national d’évaluation des normes. Dans sa
délibération du 15 septembre 2022, disponible sur son site Internet, le CNEV
indique que « Sans contester le bien-fondé de la protection des lanceurs
d’alerte, les représentants des élus soulignent qu’elle pourrait être source de
dérives susceptibles de porter préjudice au fonctionnement des services publics
et de la fonction publique, qui plus est dans un contexte géopolitique
incertain. Ils craignent que les élus locaux deviennent les cibles privilégiées
de dénonciations non fondées émanant de citoyens contestataires. Ils appellent,
dès lors, à une vigilance accrue sur les risques de délation abusive pouvant
être engendrés par notre régime juridique ».
Le
CNEV a, en conclusion, émis un avis défavorable. Si la « vigilance » doit être
de mise, un signalement qui serait diffamatoire ou calomnieux par exemple,
serait sanctionnable à ce titre. À cet égard, l’article L. 135-5 du Code
général de la fonction publique prévoit que « l’agent public qui relate ou
témoigne de faits relatifs à une situation de conflits d’intérêts de mauvaise
foi, avec l’intention de nuire ou avec la connaissance au moins partielle de
l’inexactitude des faits rendus publics ou diffusés, est puni des peines
prévues au premier alinéa de l’article 226-10 du Code pénal » relatif à la
dénonciation calomnieuse. Ainsi, certes, une dénonciation même injustifiée peut
laisser des traces. Toutefois, il existe des moyens juridiques permettant
d’agir à l’encontre d’une personne motivée par des intentions moins louables
que celles qui ont présidé à la rénovation du dispositif de protection des
lanceurs d’alerte.
En
conséquence, si la notion de lanceur d’alerte est élargie de sorte que les
dénonciations risquent d’augmenter et qu’il conviendra de faire preuve d’une
vigilance accrue, ces craintes, bien que légitimes, nous paraissent encadrées
par des garde-fous juridiques suffisants.
David Pilorge, 
Avocat directeur,
Cornet Vincent Ségurel
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