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Laurence Rossignol et Karine Lejeune : l’arrivée des femmes dans la sphère masculine


mardi 22 mars 20225 min
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À loccasion de la journée internationale des droits des femmes, lassociation Femmes de justice a organisé son assemblée générale en partenariat avec Acteurs Publics sur le thème des femmes et du pouvoir. Lors de la seconde table ronde dédiée à la place des femmes dans les hauts lieux du pouvoir, la sénatrice Laurence Rossignol et la colonelle Karine Lejeune, lesquelles évoluent toutes deux dans des sphères qui ont longtemps été l’apanage des hommes, sont revenues sur leur expérience au sein de ces univers.

 



« Le président de la République est un homme, le Premier ministre est un homme, le président de l’Assemblée nationale est un homme, le président du Sénat est un homme » liste Laurence Rossignol lors du colloque organisé par l’association Femmes de justice, en partenariat avec Acteurs Publics, le vendredi 11 mars, au tribunal judiciaire de Paris. Laurence Rossignol, actuellement sénatrice et vice-présidente du Sénat, présidente de l’Assemblée des femmes depuis 2019, a été ministre de la Famille, de l’Enfance et des droits des femmes dans les gouvernements de Manuel Valls II et de Bernard Cazeneuve. La sénatrice est également membre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances, mais aussi secrétaire nationale chargée des droits des femmes et de la parité au sein du Parti Socialiste.

Elle regrette par ailleurs que lorsqu’il s’agit de prendre des décisions lourdes et sérieuses, de nouveaux lieux de pouvoir informel se forment, comme le Conseil de défense et de sécurité nationale, où la majeure partie des membres sont des hommes… à l’exception de Florence Parly, la ministre des Armées.

Même constat de prépondérance masculine à  la gendarmerie, bien que, désormais, le pourcentage de femmes ait franchi le palier des 20 % (contre moins de 7 % il y a 25 ans) et continue d’augmenter. Malgré tout, dans le corps des officiers et sur les postes à responsabilité, seulement 8 % des postes sont occupés par des femmes, constate Karine Lejeune. « Pour faire un général, il faut 20 ans. Au départ, on n’avait pas le vivier, car il n’y avait pas suffisamment de femmes, mais cela fait 35 ans maintenant, on devrait commencer à avoir constitué ce vivier » déplore-t-elle. La colonelle précise que l’augmentation du nombre de femmes n’est pas due à la civilisation de certaines fonctions : il y a bien de plus en plus de femmes dans toutes les unités. En effet, 18 % du total des femmes ont un statut militaire.

Karine Lejeune représente la 4e génération de sa famille à être entrée dans la gendarmerie. Elle a été commandante du groupement de la gendarmerie de l’Essonne et a également dirigé la section de prévention de la délinquance à la direction générale de la gendarmerie. La colonelle a aussi été la première porte-parole de la gendarmerie nationale. Actuellement, elle est auditrice au centre des hautes études militaires et à l’Institut des hautes études de défense nationale.

 





Karine Lejeune, Nathalie Ancel et Laurence Rossignol




L’arrivée des femmes dans les hautes fonctions est un long processus

L’accès des femmes aux sphères du pouvoir « n’est pas un mouvement spontané, mais une conquête » constate Nathalie Ancel, vice-présidente de l’association Femmes de justice, magistrate, procureure de la République adjointe près le tribunal judiciaire de Créteil et modératrice de cette table ronde  ; car le pouvoir s’est développé dans tous ses aspects sans les femmes.

En 1987, Isabelle Guion de Méritens est la première Saint-Cyrienne à rejoindre la gendarmerie. Elle devient alors la première femme à obtenir le rang d’officier de gendarmerie, puis le rang de colonelle en 2006, et enfin d’officier général de gendarmerie en 2013, rapporte Karine Lejeune. Une féminisation bien tardive.

Hormis les parcours de « premières », les lois ont également aidé. Suffisamment ? Pour Laurence Rossignol, le bilan est mitigé. La sénatrice ne doute pas du bien fait apporté par la loi du 8 juin 1999, mais estime que les limites commencent à être atteintes. À la fin du XXe siècle, plusieurs façons de parvenir à l’égalité étaient possibles, comme les quotas, mais la parité était le seul moyen « d’imposer par la loi une plus juste représentation des femmes », explique la sénatrice. Cette dernière raconte qu’elle entend régulièrement des hommes lui dire : « Heureusement qu’on a voté la loi sur la parité, ça nous protège de vous ! »

Selon Laurence Rossignol, la parité a ouvert certaines fonctions, mais pas les portes du pouvoir. Le patriarcat a remonté les lieux de pouvoirs un peu plus haut ; conséquence, les femmes sont toujours exclues.

 


 

Imposer son regard de femme

Laurence Rossignol propose de renverser notre vision des choses. Pour elle, il est indispensable que des femmes pratiquent les politiques publiques différemment, afin de les concevoir et de les exercer autrement. La sénatrice insiste sur l’importance de ces éléments, car tant que l’on ne fait pas ça, le système se reproduit par lui-même. « D’ailleurs, qu’est-ce qui justifie que les sujets sociaux soient perçus comme mineurs ? » se questionne la sénatrice. Ce sont pourtant des sujets qui touchent au quotidien des citoyens. De l’avis de Laurence Rossignol, la parité, ce n’est pas vouloir conquérir les finances ou la voirie, mais faire comprendre que les sujets sociaux sont aussi importants : « ne pas laisser aux hommes déterminer ce qui est important ou pas. Ce que nous faisons et ce que nous aimons est noble ; s’occuper des gens, c’est noble. »

Karine Lejeune revient sur son expérience comme première porte-parole de la gendarmerie : « Forcément, j’étais porte-parole parce que j’étais une femme : c’est bien d’envoyer des femmes sur les plateaux, et puis cela remplit les quotas pour le conseil supérieur de l’audiovisuel. », ironise-t-elle. D’ailleurs, en 2018, c’est à nouveau une femme nommée à ce poste : Maddy Scheurer.

Karine Lejeune s’arrête sur le choix de l’intitulé de la table ronde : « l’arrivée des femmes dans la sphère masculine », pour désigner ce qui est habituellement appelé « des femmes dans des métiers d’homme ».

La colonelle rétorque généralement face à cela qu’elle ne fait « pas un métier d’homme, mais un métier d’autorité, de protection et de sécurité », et insiste sur le fait que « c’est tout à fait différent ».

Karine Lejeune partage les trois recettes qu’elle applique lorsque les femmes sont en minorité. Le premier conseil est de rester soi-même : « j’ai toujours refusé de me masculiniser, ce que certaines pionnières se sont senties obligées de faire pour survivre ». La deuxième chose est de ne rien laisser passer face « aux petits propos sexistes, aux “petites” blagues ». Son troisième conseil est de trouver des alliés, que ce soit chez les femmes, mais aussi chez les hommes : « Un certain nombre d’hommes sont prêts à prendre position pour nous et à monter au créneau, mais pour cela, il faut qu’on ait réagi au préalable. Ils le feront seulement s’ils sentent qu’on a besoin d’avoir ce soutien. »


Tina Millet



 

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