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Le CNB adopte un Manifeste pour l’État de droit


mardi 14 avril 202012 min
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14/04/2020 11:19:54 1 1 2046 10 0 2418 1956 2015 Covid-19 : et après ? Des parlementaires lancent une consultation publique pour réfléchir à la société de demain

Le monde vit actuellement une crise sanitaire sans précédent... et la France, comme tant d’autres pays, n’échappe pas à cette situation unique. Alors que les inégalités sont de plus en plus visibles depuis l’annonce des mesures de confinement le 16 mars dernier par le président de la République, des parlementaires de différentes sensibilités politiques appellent « les forces vives de notre pays et les citoyennes et citoyens à préparer, tous ensemble, le jour d’après ». Une plateforme du même nom a ainsi été mise en place le 4 avril dernier pour recueillir les avis de chacun ; une façon de profiter du confinement pour entamer la reconstruction de notre futur. Une façon aussi de faire en sorte que ça ne se reproduise plus… 




Avant d’être une récente plateforme de concertation amenant tout à chacun à réfléchir sur la société post Covid-19, « Le jour d’après » nous évoquait le nom d’un film catastrophe sorti en 2004, dans lequel le dérèglement climatique plongeait notamment New York, actuellement épicentre du Covid-19 aux États-Unis, dans un vide qu’aujourd’hui les villes françaises n’ont malheureusement rien à envier à la fiction. Installée dans un silence jusqu’alors inconnu, la France est quasiment à l’arrêt depuis mi-mars, à l’exception des hôpitaux, où l’activité y est quant à elle dramatiquement présente et bien réelle.


Ce contexte nous amène inévitablement à questionner nos sociétés : comment le pays – pour ne pas dire le monde ? – en est-il arrivé là ? Le président de la République s’est lui-même interrogé lors de son allocution du 13 avril : « il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies, et qui dévoile ses failles au grand jour ».


« Aujourd’hui, cette crise sanitaire doit nous convaincre qu’un autre monde est possible et que celui-ci devra impérativement être plus écologique, plus démocratique, plus solidaire », assure un groupe de parlementaire à l’origine de « Le jour d’après », une plateforme participative appelant chacun à réfléchir sur l’après-épidémie.





 


Et après, on recommence ?


Lancée le 4 avril dernier par une soixantaine de députés LREM et d'opposition de centre et de gauche – parmi lesquels Paula Forteza (ex-LREM), l'écologiste Matthieu Orphelin et Aurélien Taché (LREM) –, cette initiative appelle « les forces vives de notre pays et les citoyennes et citoyens (…) travailleurs, associatifs, syndicalistes, experts, élus » à faire part de leur réflexion pour construire le monde de demain. Car pour eux, dans cette démarche, « tout le monde est légitime » pour faire entendre sa voix, et « pour réinventer notre modèle de société en étant force de proposition sur les sujets qu’il estime prioritaires ». 


« Comme après chaque événement bouleversant (guerres, crises économiques, catastrophes naturelles et sanitaires), une remise en cause profonde de nos fondamentaux sociaux, de nos échelles de valeurs et de notre mode de production se pose », assurent les créateurs sur leur plateforme. « Repenser notre société, notre système de gouvernance, nos priorités, nos services publics, ne doit pas être la responsabilité des seuls élus et responsables politiques » s’expliquent-ils.


Les fondateurs invitent ainsi les Français à mettre à profit cette période inédite de confinement pour imaginer une autre société : « ce que nous voulons de mieux ». « Soyons ambitieux et audacieux pour nous-même et pour notre planète », sollicitent-ils sur la plateforme, laquelle recueillera leurs propositions, et ce, jusqu’au 3 mai 2020.


Au 7 avril, la plateforme recensait déjà 2 300 propositions déposées sur le site, ayant fait l’objet de 17 000 votes de soutiens. 5 500 comptes individuels avaient aussi été créés. Le collectif se réjouit de cet engouement, eux qui, ils l’avouent, ne s’attendaient pas « à une réponse aussi forte de la part des citoyennes et des citoyens ». 


 


11 thématiques prioritaires pour repenser la société française


Le site participatif « Le jour d’après » est divisé en 11 thématiques majeures. Santé, travail, consommation, éducation… ces derniers, reflétant les principaux pans de la société, recueillent chacun des propositions mises en ligne pas les citoyens participants qui peuvent également, s’ils le souhaitent, suggérer de nouvelles thématiques. 


  


- Repenser notre système de santé


Alors que la crise du Covid-19 a mis en exergue les limites de notre système de santé, les créateurs du jour d’après lancent une réflexion notamment sur l’accessibilité à la santé, la désertification médicale de certains territoires, l’enjeu de la dépendance ou encore les progrès de la télémédecine…


Au 8 avril, cette thématique majeure avait déjà recueilli plus de 510 propositions : assurer l’indépendance sanitaire par la relocalisation de la production du matériel et des produits stratégiques (médicaments, masques…), propulser le monde médical au 21e siècle, assurer l’indépendance sanitaire, arrêter le gaspillage médicamenteux, revaloriser le salaire du personnel médical, réinvestir dans le système de santé et la recherche, et créer une réserve européenne de matériel de santé et de médicaments y sont exposées comme des pistes de progrès par les participants.




-  Quel sens donner à la valeur « travail » ?


En temps de crise, le monde du travail s’est lui aussi réorganisé : certaines activités se sont vues dans l’obligation de mettre leurs salariés en chômage partiel, quand d’autres entreprises ont pu installer de nouvelles habitudes professionnelles avec, en premier lieu, l’essor du télétravail. Et puis il y a ceux qui, pour l’intérêt général (caissières, éboueurs, livreurs, agriculteurs, agents de maintenance), continuent leur activité, non sans risque. Ces « invisibles (…) méritent la reconnaissance de tous », déclarent les rédacteurs sur la plateforme.


À l’heure où la routine « métro, boulot, dodo » n’est pourtant pas si loin mais nous paraît déjà presque anachronique, quel sens souhaitons-nous donner au mot « travail » ? Quelle place donner à la valeur travail ? Et quelle frontière entre vie privée – vie professionnelle ?


Tant d’interrogations adressées à chaque citoyen, et dont certains ont déjà livré, à ce sujet, plus de 350 propositions, comme mettre l’humain au cœur du fonctionnement, mettre en place un revenu universel, revaloriser le salaire des fonctionnaires, favoriser le télétravail, ou encore mettre à l'honneur et attribuer une reconnaissance financière aux métiers de l'ombre…



- En finir avec l’ultra-consommation


Cette période de confinement a inévitablement amené les Français à revoir leur mode de consommation… et la fréquence de leurs achats. Beaucoup de plateforme de ventes en ligne sont aujourd’hui fermées, et les achats dits « de première nécessité », méritant désormais une attestation de déplacement dérogatoire, ne sont réalisées qu’une, voire deux fois par semaine : un vrai tournant pour notre « société de consommation » où le consumérisme et le gaspillage qui étaient rois en étourdissaient déjà plus d’un. Un retour à une consommation réfléchie, plus responsable, locale et saisonnière ne serait-elle pas souhaitable ? Les fondateurs de la plateforme appellent ainsi à une « sobriété heureuse » dans nos modes de consommation, une « consommation vertueuse », déclarent-ils, qui serait « bénéfique en matière de santé et de climat ». Développement des circuits courts, réduction de la dépendance aux aléas des échanges internationaux, lutte contre la malbouffe… tant de pistes évoquées sur le site, et d’interrogations : « Comment passer d’une agriculture intensive et productiviste à une agriculture locale et vivrière ? Comment inciter les consommateurs à consommer des produits responsables à bas carbone ? Comment passer d’une société fondée sur la production-consommation-destruction à une société du réemploi et du zéro-déchets ? » 


Plus de 500 propositions alimentaient déjà, au 8 avril, cette thématique, parmi lesquelles : réduire les emballages, privilégier le ferroviaire au routier pour le transport des marchandises, réduire fortement la production de véhicules individuels, limiter les vols d’avions, interdire l'éclairage des publicités et enseignes…

 


- Pour une société plus solidaire


La prochaine thématique présentée sur la plateforme concerne la solidarité. Alors que ses fondateurs invitent à une réflexion pour une société plus solidaire favorisant « des liens plutôt que des biens », quelles initiatives pourraient dans ce cadre être mises en place ? La crise n’est-elle pas aujourd’hui l’occasion de remettre en cause nos habitudes, au bénéfice d’une société où l’entraide, la cohésion et la protection des personnes les plus vulnérables seraient prioritaires ? Une société plus égalitaire aussi, notamment entre les hommes et les femmes.


Parmi les plus de 140 propositions recueillies, les participants suggérent la création d’un congé parental plus équilibré entre les femmes et les hommes, l’instauration du bénévolat dans les écoles, l’encouragement de la solidarité alimentaire des entreprises et des particuliers à travers le digital, et la mise en place d’une plus grande aide accordée aux sans-abris, par exemple.






 


- Vers une éducation plus égalitaire ?


En temps de confinement, l’Education nationale s’est elle aussi réorganisée, notamment via les multiples plateformes permettant de faire le lien entre l’école et la maison. Une solution appréciée mais qui demeure inégalitaire. Le collectif de députés appelle ainsi les Français à réfléchir à une autre forme d’éduction : « Tout doit être mis en œuvre pour que les inégalités scolaires, qui nous ont sauté aux yeux avec la crise (…) soient résorbées ». Parmi les 300 propositions mises en ligne au 8 avril, les participants livraient leur souhait d’une école publique forte, qui replacerait la nature, des valeurs plus humaines, ou encore les savoirs essentiels au centre de l’éducation. La revalorisation des salaires et des carrières des enseignants est également avancée.


 


- Quid de l’ère digitale ?


Humaniser le numérique : tel est l’objectif principal de cette nouvelle thématique présentée sur le site participatif. Alors que le digital apparaît, en période de confinement, comme une solution essentielle, son encadrement est lui aussi au cœur du débat. Préserver les libertés individuelles fait figure de priorité. De plus, les fondateurs du collectif alertent quand à notre dépendance à cet outil, à la fracture que ce dernier provoque entre les générations et à son impact sur la planète. Ils défendent ainsi un numérique « éthique », placé au service de l’intérêt général : « Notre consommation numérique doit être guidée vers l’impératif de sobriété que nous considérons comme central dans cette nouvelle société » déclarent-ils.


Parmi la centaine de proposition recueillies quatre jours après le lancement du site, les Français proposaient la mise en place d’une plateforme de vote en ligne visant à rendre le processus électoral à la portée de tous en évitant tout risque sanitaire, le lancement d’un grand plan sur la sobriété numérique pour sensibiliser sur les conséquences environnementales de la consommation numérique, l’encadrement de l’utilisation des données personnelles en cas de crise majeure pour éviter de toucher aux libertés ou encore un meilleur investissement dans le numérique, afin de limiter l’hyper connectivité par la 5G.


 


- Redonner la parole aux citoyens


Les députés fondateurs du collectif s’interrogent également sur l’installation d’une démocratie dite « plus ouverte », où le pouvoir serait mieux partagé. Ils appellent à une redéfinition du contrat social et démocratique, et souhaitent notamment replacer le vote au cœur de la démarche citoyenne démocratique, avec notamment la reconnaissance du vote blanc.


Sur plus de 300 propositions, l’expérimentation du tirage au sort citoyen dans des institutions représentatives, la mise en place d’assemblées citoyennes pour les réformes structurantes, ou sous initiative citoyenne, l’installation du référendum d’initiative citoyenne, la mise en place d’une loi anti lobby, la limitation pour les élus à un seul mandat renouvelable ou encore l’obligation de présence à l’Assemblée nationale pour les députés sont des pistes évoquées.


 


- Limiter la fracture territoriale


Comment renforcer et préserver la diversité des territoires ? s’interrogent les députés du Jour d'après. Entre la forte densité en ville qui tend à faciliter la propagation du virus et l’isolement des zones rurales limitant l’accès aux services publics, la crise sanitaire que nous vivons nous amène à nous questionner sur l’avenir des territoires. Le collectif en appelle à une plus grande cohésion : « c’est en associant sur un même territoire les acteurs publics, privés et les EPCI que nous pourrons tendre avec un nouvel acte de la décentralisation » assure-t-il.


Parmi les plus de 150 propositions mises en ligne apparaissent le développement de l’usage du vélo, le renforcement de 5 milliards d’euros par an des investissements des collectivités territoriales dans la transition écologique, la relocalisation de l’activité industrielle et agricole en France et en Europe en orientant les aides aux entreprises, ou encore la limitation du nombre de vols touristiques annuels via la mise en place d’un forfait kilométrique maximum.


 


- Pour une solidarité européenne 


« Nous avons besoin de coopération et de solidarité pour sortir de la crise. » Le message est clair pour les députés fondateurs de jour d’après. Toutefois, la difficulté de coordonner une action européenne homogène durant cette crise amène les Français à s’interroger sur les capacités de l’UE.


Sur la centaine de propositions publiées, la relocalisation de la production de produits de première nécessité en Europe, la mise en place d’un Green New Deal européen ou encore la création d’un État fédéral européen apparaissent comme des priorités.


 


- Mesurer autrement le bien commun


À l’échelle mondiale, les facteurs permettant de mesurer l’état de santé d’un pays sont principalement économique (croissance, productivité, déficit et dette). « Malgré la crise financière mondiale de 2008, les mêmes règles donnant la priorité à la rentabilité financière et à l’accumulation du capital, au détriment de l’humain, de la planète, du développement de nos services publics, de l’emploi, et de la promotion de systèmes financiers durables ont continué à s’appliquer » déplorent les fondateurs de la plateforme, invitant tout à chacun à repenser ces indicateurs.


La problématique environnementale apparaît centrale pour la centaine de participants ayant soumis leur propositions. Parmi elles, citons l’interdiction des coupes rases (sauf pour raisons sanitaires), l’ajout au PIB d’un jeu d’indicateurs sociaux et environnementaux, le développement d’une comptabilité socio-environnementale, ou encore l’évaluation de l’incidence de chaque loi ou décision importante sur le climat et les inégalités socio-économiques. Placer la recherche scientifique comme bien commun ou limiter les spéculations boursières figurent également parmi les propositions avancées par les Français participants.


 


- Une autre fiscalité pour un  partage des richesses plus juste  


Enfin, la dernière thématique de cette plateforme s’intéresse au partage des richesses : « Il est temps de promouvoir des modèles économiques et financiers pour la conversion verte de notre économie », déclare Le jour d’après. Défendant un plan plus écologique, il propose, pour le financer, « de remonter le niveau de taxation pour que les revenus du capital contribuent au redressement de notre pays et à la nécessaire redistribution des richesses qui sont produites par nos travailleurs, mais aussi notre système social et éducatif tout entier ». Il met également en avant la nécessaire réforme de biens immobiliers, les limites du « modèle néolibéral bruxellois » ou encore le ciblage des productions stratégiques pour la France (notamment dans le secteur de la santé, de la défense et des télécommunications).


Avec plus de 300 propositions au 8 avril 2020, les citoyens semblent s’intéresser à cette thématique, et proposent notamment l’abandon des subventions publiques aux énergies fossiles, un plafonnement des revenus des grands patrons (« A-t-on besoin de gagner plus que 30 000/40 000 euros par mois ? » s’interroge un participants), ou encore le rétablissement de l'Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF).


Un rendu synthétique sera publié avant le 15 mai. « Nous débuterons ensuite une seconde phase du travail : avec les 60 députés cosignataires de l’appel, nous allons sélectionner 20 à 30 propositions parmi celles qui nous sembleront à la fois les plus ambitieuses les plus pertinentes et/ou les plus soutenues par les citoyens, afin de les porter collectivement et politiquement » ont déclaré les fondateurs dans un communiqué.







Des ateliers en ligne pour réfléchir collectivement


En plus de recevoir les propositions des Français, le site « Le jour d’après » leur propose de participer à des ateliers en ligne. Le collectif organise en effet deux ateliers de réflexion par semaine, sous forme de vidéoconférence (discussion ouverte à tous en direct sur Zoom de 40 minutes dont 20 minutes de questions/réponses, avec la présence de 2 à 3 intervenants de tout bord) pour approfondir les différents thèmes abordés. « Ces échanges offrent la possibilité de faire dialoguer experts, acteurs associatifs et citoyens pour penser l'après crise » assurent les organisateurs.  


Alors que depuis des dizaines d’années, certaines organisations ou associations alertaient quant aux limites de nos sociétés contemporaines, la crise sanitaire n’obligerait-elle pas tout à chacun à se responsabiliser et à se questionner sur son propre impact ? Elle donne aussi l’occasion d’imaginer une autre société, non pas utopiste, mais plus égalitaire, plus soucieuse de l’environnement, plus solidaire aussi. Malgré les répercutions catastrophiques que cette crise sanitaire va engendrer, l’appel de ces organisations pourrait-il bien (enfin) être entendu, annonçant peut-être les prémices d’un autre demain ?


 


Constance Périn


 


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