Le financement de la protection sociale en débat


samedi 6 mars 20217 min
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Mi-février, le Conseil d’État consacrait un colloque au sujet de la protection sociale, et notamment une table ronde sur les transformations affectant la structure de son financement. Quelle place des « impositions de toute nature » et des « cotisations sociales » dans le financement des risques ? Quelle efficience économique des modes de financement ? Des questions qui ont suscité de nombreuses réflexions et pistes de réforme de la part des spécialistes du sujet invités à présenter leurs points de vue. Compte rendu.

 



Questionner notre système de protection sociale et ses évolutions récentes : vaste programme ! Celui-là même fixé par le Conseil d’État, au titre d’un colloque particulièrement dense organisé le 12 février dernier, invitant à la discussion plusieurs acteurs institutionnels et professeurs spécialistes du sujet. 

Après la question de la gouvernance, affleure celle, tout aussi complexe, du financement. Rolande Ruellan, présidente de chambre à la Cour des comptes et présidente du comité d’histoire de la Sécurité sociale, le rappelle en préambule : la « protection sociale » recouvre une multitude d’aspects, plusieurs « blocs » dont la Sécurité sociale, la protection contre le chômage, les protections complémentaires, etc., et représente le chiffre colossal de 31 % de notre PIB. Elle est par ailleurs financée à 57 % par les cotisations : un mode de financement qui n’est évidemment pas étranger à sa gouvernance, ni à son histoire. En effet, « alors que la Sécurité sociale aurait pu constituer un chapitre du budget de l’État ou des collectivités territoriales, comme dans d’autres pays, son origine mutualiste et les circonstances de sa création en ont fait la propriété des travailleurs », comme le souligne Rolande Ruellan. C’est cependant toujours l’État qui en a été responsable : des réformes ont bien tenté d’impliquer davantage les caisses nationales, sans réel impact.

La présidente de chambre à la Cour des comptes observe que le financement de la Sécurité sociale a connu un tournant « essentiel » lors de la création de la CSG (contribution sociale généralisée), en 1991, qui ne se trouve pas être une cotisation, mais un prélèvement social. Parallèlement, de nombreux impôts sont créés pour être affectés à la Sécurité sociale ou sont transférés du budget de l’État. En 1996, la Constitution est modifiée pour accueillir une nouvelle catégorie de lois : les fameuses LFSS, ou lois de financement de la Sécurité sociale, qui, chaque année, déterminent notamment les conditions générales de l’équilibre financier de la Sécurité sociale par branches pour l'ensemble des régimes et pour le régime général. 

 


Budget de l’État et de la Sécurité sociale : une absence de « frontières nettes »

Aujourd’hui, 75 ans après la création de la Sécurité sociale, quel bilan ? Si, pour être optimales, les ressources de la Sécurité sociale doivent viser à la fois la neutralité économique par rapport à l’emploi, un rendement élevé et une faible volatilité de la ressource, la simplicité et la fiabilité du recouvrement, et une affectation claire à la SS, Rolande Ruellan dresse le constat que ces quatre objectifs sont mis à mal. 

En effet, s’agissant de la neutralité par rapport à l’emploi, cette dernière a certes été recherchée, dans un premier temps, via le déplafonnement des cotisations, et, parallèlement, avec des dispositifs d’allègement de cotisations patronales sur les bas salaires compensés par l’État depuis 1994. Cette compensation a ouvert la voie au versement de subventions ou à l’affectation de taxes diverses, mais en 2019, plus de quatre milliards d’euros de nouveaux allègements n’ont pas été compensés. « Donc on s’est affranchis du principe posé en 1994. Par exemple, avec l’exonération de cotisations sur les heures supplémentaires. » 

En matière de simplicité et de lisibilité, là encore le bât blesse, juge la présidente de chambre à la Cour des comptes. Une critique formulée régulièrement depuis les années 2000, du fait de la diversité des types de recettes, de leur affectation sans logique à telle ou telle branche, du déplacement de recettes d’une année à l’autre entre branches et entre fonds de financement. Pourtant, l’accessibilité et l’intelligibilité de la loi figurent au titre des objectifs à valeur constitutionnelle. Mais tandis que ces derniers ne sont « pas respectés », « le Conseil constitutionnel, plusieurs fois saisi sur ce motif, ne l’a jamais accueilli », fustige Rolande Ruellan. 

Quant à l’affectation claire à la Sécurité sociale, elle se trouve « écornée par l’absence de frontières nettes entre le budget de l’État et de la Sécurité sociale », estime-t-elle, puisque les impôts passent d’une branche ou d’un fonds à l’autre sans correspondance entre la dynamique des dépenses par finalité et la dynamique des ressources affectées. Désormais, la CSG alimente non seulement les branches famille, retraites et maladie pour lesquelles elle a été créée, mais aussi la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), l’assurance chômage, la Caisse d’amortissement de la dette sociale (CADES). Par ailleurs, en 2019, la fraction de TVA affectée à la Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM) a augmenté pour compenser la transformation du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi en réduction pérenne de cotisation. La Sécurité sociale perçoit donc désormais 25 % des recettes de TVA, « et je ne suis pas sûre que la population le sache », note Rolande Ruellan. Dernier exemple : l’Agence centrale des organismes de Sécurité sociale (ACOSS) a transféré la taxe sur les salaires pour compenser à l'Unédic et à l’AGIRC-ARRCO leurs pertes de cotisations patronales résultant du renforcement des allègements de cotisations. « On peut certes trouver de bonnes raisons à ces mouvements incessants : soit la conséquence d’une réforme de fond, soit il s’agit de baisser le coût du travail et d’améliorer l'emploi, soit on cherche à doper le pouvoir d’achat des salariés. Des intentions louables, mais pourquoi faire du financement de la Sécurité sociale leur outil principal de réalisation ? » s’interroge la présidente de chambre à la Cour des comptes.

Celle-ci pointe par ailleurs que depuis quelques années, outre les mouvements dans les deux sens entre le budget de l’État et de la Sécurité sociale, sont apparus des transferts du régime général vers les régimes complémentaires et l’Unédic. Rolande Ruellan tire donc la sonnette d’alarme : « Le désordre mis dans le financement de la protection sociale n’obéit peut-être pas à de sombres desseins, mais il risque de conduire à une transformation insidieuse de notre système de Sécurité sociale. » 

Pour elle, il est impossible de courir trop de lièvres à la fois en poursuivant mille objectifs en même temps. La présidente de chambre à la Cour des comptes appelle à rétablir des priorités et à se poser les bonnes questions, au premier titre desquelles : la distinction cotisations / CSG reste-t-elle justifiée ? À l'origine des réflexions, en 1989, explique-t-elle, le prélèvement envisagé s’appelait « cotisation sociale de solidarité », mais une cotisation sur les revenus du capital et les produits de placement avait été jugée inappropriée. « La CSG avait été acceptée uniquement car elle rentrait dans le giron des impôts, mais rien ne s’opposait en fait à sa qualification en cotisation », affirme Rolande Ruellan, qui se demande également : faut-il plutôt fusionner l’impôt sur le revenu et la CSG, comme certains le préconisent, sachant que les Français ont accepté la CSG car elle était affectée à la Sécurité sociale ? Et selon quel mode : la CSG deviendrait progressive ou l’IR deviendrait proportionnel ? 

Autre point d’importance nécessitant d’être révisé, estime la présidente de chambre à la Cour des comptes : la réduction générale des cotisations patronales ne s’accompagne d’aucune restitution dans les salaires, tandis que les salariés paient des impôts affectés à la Sécurité sociale pour compenser ces allègements. « A-t-on calculé les sommes tra

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