Les Institutions : utiles ou nécessaires ?


jeudi 18 juin 202011 min
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Diverses sont les Institutions qui ont pour mission de se préoccuper de la langue française. Toutes peuvent s’appuyer sur le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) et son Institut National de la Langue Française, son Unité « Analyse et traitement informatique de la langue française (ATILF) », l’université, et le formidable outil que constitue le TLFi ou Trésor de la Langue Française informatisé.

 

I. Le Parlement

Le Parlement a pour fonction de produire des lois en vertu de l’article 34 de la Constitution. Des lois en français.

Dans un français intelligible puisque nul n’est censé ignorer la loi.

Ce n’est hélas pas toujours le cas. On trouve sous la plume de Jean Carbonnier cette appréciation de la loi moderne (Droit et passion du droit sous la Ve République) : « Ce brouillard qui pénètre tout nous aveugle, nous rend incapable de concevoir les rapports entre les hommes autrement que comme rapports de droit. »

À titre d’exemple, on trouve ainsi dans un article de la loi de finances pour 2020, pris au hasard :

« … b) Par dérogation au a du 4 du I du même article 197, en diminuant le montant de l’impôt, dans la limite de son montant, de la différence entre 769 euros et 45,25 % de son montant pour les contribuables célibataires, divorcés ou veufs et de la différence entre 1 273 euros et 45,25 % de son montant pour les contribuables soumis à imposition commune ; c) Sans faire application du b du 4 du I du même article 197… ».

Qui, dans le public, peut comprendre facilement un tel texte ?

« Ce qui n’est pas clair n’est pas français », écrit en 1784 l’écrivain Antoine de Rivarol.

Montesquieu écrit quant à lui dans L’esprit des Lois (Livre XXIX chap. XVI) : « Le style en doit être concis… Le style des lois doit être simple ; l’expression directe s’entend toujours mieux que l’expression réfléchie… Il est essentiel que les paroles des lois réveillent chez tous les hommes les mêmes idées… Les lois ne doivent point être subtiles ; elles sont faites pour des gens de médiocre entendement : elles ne sont point un art de logique, mais la raison simple d’un père de famille. »

Le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur la clarté et l’intelligibilité de la loi. Ses décisions s’analysent en un principe simple : la loi doit être claire mais peut être peu intelligible dès lors qu’on la comprend et qu’elle répond à un souci de précision. Il faut que la loi soit non équivoque pour répondre à l’exigence de clarté. Même si sa rédaction est d’une grande complexité.

Dans sa décision n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, le Conseil constitutionnel expose : « Considérant qu’il appartient au législateur d’exercer pleinement la compétence que lui confie l’article 34 de la Constitution ; qu’il doit, dans l’exercice de cette compétence, respecter les principes et règles de valeur constitutionnelle et veiller à ce que le respect en soit assuré par les autorités administratives et juridictionnelles chargées d’appliquer la loi ; qu’à cet égard, le principe de clarté de la loi, qui découle de l’article 34 de la Constitution, et l’objectif de valeur constitutionnelle d’intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lui imposent, afin de prémunir les sujets de droits contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d’arbitraire, d’adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques. »

En tout état de cause, le législateur français oublie singulièrement parfois l’exigence de compréhension des textes qu’il vote.

Et si le droit français est désormais éloigné du droit romain, force est de constater que dans son Code, l’empereur Justinien, par sa formule célèbre « Leges sacratissimae, quae constringunt omnium vitas, intellegi ab omnibus debent … », énonçait que « les lois très sacrées qui ont pour objet l’honneur, la vie et les biens des hommes, doivent être connues de tous, afin qu’ils puissent en faire la règle de leur conduite, éviter ce qu’elles défendent, et suivre ce qu’elles permettent. Et si on trouve par hasard dans ces mêmes lois quelque chose d’obscur, il faut que le prince l’éclaircisse, et qu’il corrige ce qu’il y a de dur et de contraire à l’humanité. »

 

II. L’Éducation nationale et l’enseignement supérieur

L’Éducation nationale a un rôle fondamental concernant la langue française.

Il lui appartient d’éviter ou de modérer la fragmentation de la langue, d’assurer son homogénéité, de favoriser son rôle unificateur alors que le français des banlieues, la langue informatique, la novlangue, le texto, les rébellions linguistiques… créent des fractures culturelles.

C’est elle qui assure l’apprentissage de la grammaire, de l’orthographe, qui donne à lire les grands textes, qui fait que la langue construit et préserve l’unité de la nation. Le déodatien Jules Ferry, ministre de l’Instruction publique et des beaux-arts, fervent républicain, l’avait bien compris en instaurant en 1881 et 1882 l’école publique, laïque, obligatoire et gratuite.

C’est l’Éducation nationale qui doit actualiser les méthodes pédagogiques ayant pour finalité une bonne maîtrise de la langue.

C’est elle qui doit faire plonger les futurs citoyens dans les délices de la langue française, ces délices qui, tout comme les amours, se mettent au féminin pluriel !

 

III. L’Académie française, observatoire ou conservatoire ?

Chargée de maintien du bon usage et de la rédaction d’un dictionnaire, elle a mis en place en 2019 un portail numérique ainsi annoncé :

« L’Académie française se dote d’un nouveau portail numérique consacré à son Dictionnaire. Cet outil de consultation, destiné au grand public, donne pour l’heure accès à la 9e édition (en voie d’achèvement) et à la 8eédition : avant la fin de l’année s’ajouteront à ces deux éditions les sept précédentes, et pour la première fois le public aura accès à l’ensemble de l’entreprise lexicographique menée par l’Académie depuis 1694. Enrichi de fonctionnalités innovantes, telles que l’accès direct à de nombreuses ressources linguistiques internes et externes, consultable sur tous les supports numériques, le Dictionnaire de l’Académie française est appelé à devenir une nouvelle référence en matière de dictionnaires dans l’espace numérique francophone. »

L’Académie cherche à « coller » à l’actualité. Elle s’intéresse ainsi à l’aspect linguistique de la crise du coronavirus et publie le 7 mai 2020 un communiqué suggérant de mettre « Covid-19 » au féminin : « Covid est l’acronyme de corona virus disease, et les sigles et acronymes ont le genre du nom qui constitue le noyau du syntagme dont ils sont une abréviation. On dit ainsi la S.N.C.F. (Société nationale des chemins de fer) parce que le noyau de ce groupe, société, est un nom féminin, mais le C.I.O. (Comité international olympique), parce que le noyau, comité, est un nom masculin. Quand ce syntagme est composé de mots étrangers, le même principe s’applique. On distingue ainsi le FBI, Federal Bureau of Investigation, “Bureau fédéral d’enquête”, de la CIA, Central Intelligence Agency, “Agence centrale de renseignement”, puisque dans un cas on traduit le mot noyau par un nom masculin, bureau, et dans l’autre, par un nom féminin, agence. Corona virus disease – notons que l’on aurait pu préférer au nom anglais disease le nom latin morbus, de même sens et plus universel – signifie “maladie provoquée par le corona virus (“virus en forme de couronne”)”. On devrait donc dire la Covid 19, puisque le noyau est un équivalent du nom français féminin maladie. Pourquoi alors l’emploi si fréquent du masculin le Covid 19 ? Parce que, avant que cet acronyme ne se répande, on a surtout parlé du corona virus, groupe qui doit son genre, en raison des principes exposés plus haut, au nom masculin virus. Ensuite, par métonymie, on a donné à la maladie le genre de l’agent pathogène qui la provoque. Il n’en reste pas moins que l’emploi du féminin serait préférable et qu’il n’est peut-être pas trop tard pour redonner à cet acronyme le genre qui devrait être le sien. »

Toujours le 7 mai 2020, elle s’intéresse aux gestes barrières… [s] ou pas [s] ? :

« Comment faire l’accord au pluriel d’un groupe composé de deux noms apposés ? Quand il y a identité entre les deux éléments, les deux prennent la marque du pluriel : on écrit ainsi des danseuses étoiles parce que ces danseuses sont des étoiles. Le contexte permet d’ailleurs bien souvent de dire simplement des étoiles. S’il n’y a pas identité, seul le premier élément prend la marque du pluriel, on écrit donc des films culte parce que ces films font l’objet d’un culte, mais n’en sont pas ; on ne dit jamais, parlant d’eux, des cultes. S’agissant de geste barrière, on peut considérer que ces gestes forment une barrière et préférer le singulier, mais dans la mesure où l’on peut aussi dire que ces gestes sont des barrières, l’accord au pluriel semble le meilleur choix, et le plus simple. On écrira donc des gestes barrières. »

Cependant, ses choix sont parfois discutables.

Par exemple, le 1er décembre 2011, l’Académie, regrettant l’utilisation du mot « nominé » aux César du cinéma français, publie le communiqué suivant : « Chaque année, à l’occasion des remises de prix à des cinéastes, acteurs, musiciens, etc., le terme nominé revient chez les présentateurs et commentateurs. Rappelons que ce terme emprunté de l’anglais est depuis longtemps proscrit, le français ayant formé Nomination à partir du verbe Nommer. Pour désigner un artiste retenu dans une sélection, on doit utiliser les termes sélectionné ou nommé. »

L’Académie se trompe. Ce n’est pas parce qu’il existe en anglais le mot « nominate » qu’on ne peut pas, à partir du verbe français « nommer », inventer l’adjectif et le substantif « nominé » ! Le français, s’il veut résister à l’impérialisme de la langue anglaise, doit être plus que jamais une langue vivante, adaptée à son époque. On invente en permanence des mots contemporains, qui figurent parmi les mots les plus utilisés au quotidien : texto, ubérisation, macronie, mélenchonisme, complotisme, déclinisme, survivalisme…

La politique et la peur assurent de beaux jours aux barbarismes.

Et on conserve parking alors qu’il y a parc, camping alors qu’il y a camp…

Et l’Académie a peu protesté quand le ministère de la Culture a mis en place le « Pass Culture »… sans [e] !

Le 4 mars 2019, le New York Times publiait un article d’Adam Nossiter, intitulé : « The Guardians of the French Language Are Deadlocked, Just Like Their Country », « Les gardiens de la langue française sont dans l’impasse, tout comme leur pays », illustré par une photo d’hommes en habit vert avec au centre Valéry Giscard d’Estaing. Le journaliste américain stigmatisait la vénérable institution, jugée sexiste, essentiellement composée de « vieux mâles blancs », figée dans son immobilisme et sa mission de préservation désuète. L’académicien Jean-Marie Rouart devait réagir dans Le Point : « L’agacement provoqué par l’Académie est une chose très ancienne. C’est normal de l’attaquer, c’est son genre de beauté. C’est même faire preuve de bonne santé. »

L’Académie est un conservatoire. Un peu statique. Elle pourrait utilement devenir un observatoire. Résolument dynamique !

 

IV. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel

Doté de la personnalité morale, le Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) est une autorité publique indépendante créée par la loi du 17 janvier 1989. Il reçoit une délégation de l’État pour réguler le secteur audiovisuel sans pour autant être soumis au gouvernement.

La circulaire du 19 mars 1996 d’application de la loi Toubon rappelle le rôle du CSA :

« Le Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui est responsable de l’application de la loi du 4 août 1994 dans le secteur audiovisuel, veille à l’emploi obligatoire du français dans l’ensemble des émissions et des messages publicitaires des organismes et services de radiodiffusion sonore ou télévisuelle, hormis les exceptions prévues par la loi. En cas de constatation d’infractions dans ce domaine, le conseil peut prendre les sanctions prévues par la loi du 30 septembre 1986. »

On trouve sur le site du CSA les indications suivantes :

« Dans l’état actuel du droit français, une terminologie légale officielle ne peut être imposée aux services de télévision et de radio, qu’ils soient publics ou privés, et rien n’interdit le recours dans les programmes audiovisuels, comme au sein des écrans publicitaires, à des termes ou expressions étrangers entrés dans le langage courant (airbag, live…), quand bien même ceux-ci posséderaient un équivalent français. Pour ce qui est de l’emploi fréquent d’anglicismes, le Conseil constitutionnel autorise le libre emploi de mots étrangers. Il a déclaré dans une décision du 29 juillet 1994 que [la liberté de communication et d’expression] implique le droit pour chacun de choisir les termes jugés par lui les mieux appropriés à l’expression de sa pensée ; […] la langue française évolue, comme toute langue vivante, en intégrant dans le vocabulaire usuel des termes de diverses sources, qu’il s’agisse d’expressions issues de langues régionales, de vocables dits populaires ou de mots étrangers. »

 

V. La Délégation générale à la langue française (DGLFLF)

Créée en 1989, rattachée au ministère en charge de la Culture, la délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) élabore la politique linguistique du gouvernement en liaison avec les autres départements ministériels.

Organe de réflexion, d’évaluation et d’action, elle anime et coordonne l’action des pouvoirs publics pour la promotion et l’emploi du français et veille à favoriser son utilisation comme langue de communication internationale. Elle s’efforce de valoriser les langues de France et de développer le plurilinguisme.

Si cette Délégation continue à œuvrer dans le domaine de la langue sous l’autorité du Délégué Paul de Sinety, une éphémère Délégation à la langue française pour la cohésion sociale a été récemment supprimée.

Institué par un décret du 14 février 2017, le Délégué interministériel à la langue française pour la cohésion sociale, rattaché au Premier ministre, assisté d’un Conseil d’orientation stratégique, avait en charge la lutte contre l’illettrisme et les inégalités en matière d’apprentissage et de maîtrise de la langue française. Son action était interministérielle et visait non seulement la formation professionnelle mais aussi l’immigration et l’intégration.

Le gouvernement avait nommé à la tête de cette Délégation Thierry Lepaon, ancien secrétaire général du syndicat CGT.

En 2019, pour des raisons budgétaires, cette Délégation, qui employait six personnes, a été supprimée et il a été mis fin aux fonctions de Thierry Lepaon. Une partie des compétences de la Délégation a été transférée au ministère en charge du Travail.

 

VI. L’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme

Il y a en France 2,5 millions de personnes illettrées qui, malgré une scolarisation, n’ont pas une maîtrise suffisante de la lecture et de l’écriture.

Présidée depuis janvier 2020 par Christian Janin, l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme (ANLCI) a été créée en 2000, sous la forme d’un groupement d’intérêt public, dans le but de fédérer et d’optimiser les moyens de l’État, des collectivités territoriales, des entreprises et de la société civile en matière de lutte contre l’illettrisme.

Elle doit définir des priorités d’action et accélérer leur mise en œuvre : mesure de l’illettrisme, élaboration et diffusion d’un cadre commun de référence, impulsion et coordination de projets.

L’ANLCI s’appuie sur la mise en place de plans régionaux pour rendre plus lisibles les partenariats entre l’État, les collectivités territoriales, la société civile et les entreprises qui contribuent à prévenir et résorber l’illettrisme. Afin de promouvoir son action au niveau local, l’ANLCI s’appuie sur des chargés de mission régionaux de prévention et de lutte contre l’illettrisme nommés par les préfets de région.

Elle élabore des outils communs pour les acteurs dans le but de renforcer l’efficacité collective, et son action couvre trois domaines centraux : la mesure de l’illettrisme (mieux connaître les personnes concernées), l’organisation du partenariat (coordonner les actions sur les territoires), l’outillage (permettre à la prévention et à la lutte contre l’illettrisme de changer d’échelle).

L’ANLCI entretient un Forum Permanent des Pratiques soutenu par le Fonds Social Européen (FSE).

 

Étienne Madranges

Avocat au barreau de Versailles

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