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Les femmes dans le sport : toutes en selle !


mardi 13 juillet 202112 min
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Quand les inventeurs et les inventrices mettent, dès le début du XIXe siècle, leur imagination au service du sport au féminin.

 

La question de la place des femmes dans la pratique sportive est à la fois longue et complexe. Si elles ont été autorisées au cours de l’histoire à pratiquer certaines activités sportives, le sport féminin est aussi une affaire d’ordre sociétal. Ainsi, Henri Desgranges, journaliste sportif français, déclare dans le journal l’Auto, le 5 juin 1925, à propos de cours de moralité à destination des adhérentes de la Fédération Féminine : « Trop de jeunes filles, déjà, sont venues au sport pour des raisons souvent les plus méprisables, toujours fort peu intéressantes. Le sport, pour elles, ce n’est ni de la bonne santé, ni la bonne administration de son corps, ni la préparation aux futures maternités, ni la conquête des qualités morales indispensables pour tenir son rôle social dans la vie. Le sport, pour elles, ne comprend que des records de temps, des performances, des places, des championnats, des applaudissements (…). On va donc leur dire, enfin !, que sous peine de n’être plus des femmes, il faut qu’elles reviennent à leur rôle de femme et que le sport, les exercices musculaires, l’éducation physique ne leur doivent servir qu’à mieux tenir ce rôle social1 ». Pour autant, dans cette lutte, les inventeurs, mais aussi et surtout, les inventrices brevetés dès le début XIXe siècle ne manquent pas d’imagination pour adapter et faciliter la pratique féminine de certains sports : exemples en images.


 

Des brevets au service des « amazones »

Signalons déjà que les inventions destinées aux femmes, d’une manière générale (vie domestique, mode notamment), et celles déposées par des femmes, sont relativement nombreuses et occupent des domaines variés. Pour la question du sport, certaines activités semblent privilégiées à l’exemple de l’équitation ou de la vélocipédie : ces pratiques sportives occupent ainsi l’essentiel de l’imagination des déposants. Le cheval et la pratique de l’équitation sont historiquement l’apanage des hommes notamment en raison des faits de guerre. Pour autant, les femmes issues d’une certaine élite sociale peuvent également pratiquer l’équitation : abandonnant peu à peu le califourchon, elles chevauchent en amazone depuis la fin du Moyen Âge et cette pratique connait son apogée au XIXe siècle.

Les inventeurs imaginent alors des tenues et des selles adaptées à cette pratique. Par exemple, le mémoire descriptif du brevet de Benjamin Peyrels, sellier, en 1839 indique : « Tout le monde sait que les selles ordinaires de dames se composent de fourches immobiles fixes qui ne peuvent les faire servir qu’à la même personne car les branches, en étant fixes (…). Il n’en est pas de même dans la selle Peyrels (…) Comme il est facultatif d’éloigner ou de rapprocher les fourches, la dame peut, selon les saisons, mettre un vêtement plus ou moins épais sans être pour cela plus serrée ou trop à l’aise. (…) Elle est donc toujours également maintenue et puise dans cet aplomb la confiance qui lui fera déployer plus de grâce et de souplesse dans ses mouvements. (…) La selle Peyrels peut donc, par son mécanisme, servir d’une manière la plus certaine à une personne du plus fort embonpoint et à la plus jeune fille. »






Planche du brevet d’invention de 5 ans déposé le 18.01.1839 par Benjamin Peyrels pour une selle de dame à fourche mécanique dite selle Peyrels, Archives INPI (1BA7494).






Henri Charles Joseph Désiré Benjamin Bertaux, dans son brevet d’invention destiné à des perfectionnements dans la confection des costumes d’amazones, en 1861, indique quant à lui : « On sait que les costumes d’amazones sont destinés aux dames qui montent à cheval ; pour cet exercice il est d’une extrême importance que toute la partie supérieure du corps soit parfaitement soutenue, les corsages des amazones doivent donc être faits aussi exactement qu’il est possible à la mesure de la personne qui doit en faire usage (…) Comme il arrive souvent que la température change subitement lorsque l’on est en promenade ou bien qu’on soit surpris par la pluie, la neige ou une ondée, j’ai ajouté au costume d’amazone un dolman ou spencer qui représente une veste de hussard, ce pardessus n’est retenu sur les épaules que par un cordon ; lorsqu’il fait beau, il reste flottant derrière les épaules ce qui produit un effet très gracieux, mais s’il fait froid, la dame le met par-dessus son amazone. »


 

Les femmes à bicyclette

La pratique de la vélocipédie depuis l’invention de la draisienne remporte une adhésion aussi bien bourgeoise que populaire. La pratique féminine de la Petite Reine n’est pas pour autant sans causer de polémiques. Par exemple, en 1896, le journal L’Hygiène du cyclisme précise « si la bicyclette est en train d’opérer l’affranchissement social de la femme, plus sûrement et plus vite que les revendications les plus bruyantes, il n’en faut pas moins rappeler que son entrée dans les mœurs ne s’est pas faite sans une résistance acharnée. Objections, critiques, protestations, moqueries, menaces ont plu comme grêle sur la pauvre débutante. Et la médecine, dans la circonstance, n’a pas toujours brillé par sa perspicacité. Certains membres du corps médical ont fulminé contre la mode nouvelle.

À les entendre, la bicyclette devait provoquer chez la femme une foule de maladies aussi variées que nombreuses. Tout le répertoire des misères humaines y passa. C’était à faire frémir ! 2 ».

Pour autant, les esprits inventifs se saisissent de cette pratique et imaginent toutes sortes de dispositifs pour faciliter la pratique du vélo aux femmes : tenues prévoyant de raccourcir la longueur des jupes et des robes voire de les transformer en pantalon discret, dispositif type « garde-boue » évitant de se salir, bicyclette spéciale avec un cadre adapté etc. Par exemple, l’inventrice Alice-Louisa Bygrave imagine une jupe adaptée à la pratique du vélo en 1895 : « Mon invention a trait à des perfectionnements apportés aux jupes dont les femmes se servent pour monter en bicyclette ; elle a pour but de créer une jupe qui pourra se porter aussi bien au moment de la circulation en machine, qu’en temps ordinaire pour la promenade. » En évitant à la robe de se prendre dans les rayons de la roue, l’invention allie praticité, élégance et bienséance !







Planche du brevet d’invention de 15 ans n° 252239 déposé le 06.12.1895 par Alice-Louisa Bygrave pour une jupe perfectionnée pour bicycliste, Archives INPI.





La demoiselle Hedwig Fischer, en 1898, prévoit quant à elle un « garde-jupe pour bicyclette de dames » se composant de lamelles fixées en éventail sur la roue arrière du vélo afin de garantir les dames de toute salissure.

Au XIXe siècle, les marques de fabrique et de commerce ne sont par ailleurs pas en reste, signe de modernité, nombreuses sont celles illustrées d’une femme à bicyclette. C’est le cas par exemple avec cette marque déposée en 1897 destinée à un produit, également breveté, pour réparer les bandages pneumatiques. On remarque d’ailleurs que la femme porte une jupe raccourcie de manière à faciliter sa pratique du vélo.

 

 

D’autres équipements et accessoires à destination des femmes au tournant du XXe siècle

Si le vélo et l’équitation sont les deux activités les plus représentées parmi les inventions, les inventeurs imaginent plus largement un ensemble d’équipements et d’accessoires destiné à toutes les pratiques sportives, sans en spécifier d’applications particulières. Par exemple, ce brevet déposé le 14 mai 1897 par Madame veuve Elliott née Frédérique Ekeusten pour un Système de ceinture sportive pour dame, sorte de brassière avant l’heure précise : « On sait que l’usage du corset pour les personnes se livrant à des exercices de sport est souvent une gêne pour les mouvements du corps et des bras qui n’ont pas toute leur liberté. Pour remédier à ces inconvénients, j’ai imaginé un système de ceinture sportive formant en quelque sorte un corsage, serrant convenablement la taille et soutenant la poitrine. »

Au XXe siècle, le modèle des tenues de sport évolue légèrement : les tenues se raccourcissent à mesure du temps et en fonction des activités à l’exemple de cette tenue complète et transformable pour le sport et la chasse au début du XXe siècle ou encore de l’emblématique jupe destinée à la pratique du tennis chez Lacoste dans les années 1970.

L’inventivité des déposants en matière de pratique sportive féminine est donc abondante et prévoit toutes sortes de dispositions adaptées aux différents sports, en fonction des époques. Bien qu’aujourd’hui la pratique féminine du sport se soit dans le même temps démocratisée et professionnalisée, la parité salariale dans le sport et la visibilité de certains sports féminins font débat. Entre pratique immorale, soin du corps, compétition et esthétisme, le sport féminin se voit ainsi tantôt décrié, tantôt valorisé, toujours discuté !

 

NOTES :

1) L’Auto-vélo : automobilisme, cyclisme, athlétisme, yachting, aérostation, escrime, hippisme, numéro du 5 juin 1925.

2) L’Hygiène du cyclisme et de tous les sports : journal mensuel, février 1896, p. 76.

 

 

Amandine Gabriac,

Chef de projet archivage,

INPI

 

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