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Sport : quand les femmes se battent pour faire valoir leurs droits


lundi 12 juillet 202113 min
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Cela a sans doute fait tout drôle à feu Pierre de Coubertin, le 8 mars, lorsque la statue du rénovateur des Jeux olympiques qui jugeait « inesthétique » toute « olympiade femelle » a été rejointe, dans le hall de la Maison du sport français à Paris, par celle d’Alice Milliat, pionnière du sport féminin et fondatrice en 1920?de la Fédération sportive féminine internationale. De son côté, le Comité international olympique a confirmé que les Jeux de Paris de 2024?seraient les premiers à proposer une stricte parité entre athlètes hommes et femmes. Mais comment en est-on arrivé là ? Évidemment grâce à la détermination, aux combats de femmes militantes et rebelles pour défendre leurs droits.

 

 

Des premières revendications à celles d’aujourd’hui

Le club Femina Sport est créé en 1912, et l’institutrice militante Alice Milliat, devenue présidente du club, va œuvrer à la promotion du football féminin et contribuer, en 1917, à la création de la Fédération des sociétés féminines sportives de France, pour créer un championnat national de football, d’athlétisme, de basket, de natation… Elle demande en 1919?au Comité international olympique d’inclure des épreuves féminines au programme des Jeux d’Anvers de 1920, mais se heurte au refus des dirigeants, notamment celui de Pierre de Coubertin. La reconnaissance olympique intervient en 1928?aux Jeux d’Amsterdam, où 21?pays délèguent 277 femmes aux épreuves de gymnastique et d’athlétisme.

Un siècle plus tard, le Journal officiel du 2 mars 2017?publie la loi 2017-261?du 1er mars, dont le titre IV est intitulé « Promouvoir le développement et la médiatisation du sport féminin ». La loi 2014-873?du 4 août 2014?édictait déjà à l’article?63-1?que « lorsque la proportion de licenciés de chacun des deux sexes est supérieure ou égale à 25 %, les statuts prévoient les conditions dans lesquelles est garantie dans les instances dirigeants une proportion minimale de 40 % des sièges pour les personnes de chaque sexe ». Ces dispositions figurent désormais dans le Code du sport.  

Le 8?mars 2021, à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, la ministre déléguée aux Sports, Roxana Maracineanu, annonce qu’elle souhaite proposer un projet de loi obligeant les fédérations et ligues à atteindre la parité parmi les dirigeants. Une prise de position forte pour l’ancienne nageuse et championne du monde. 

 

 

Boxeuse et justicière : à égalité de poings et de primes !

Des sportives courageuses, téméraires, ont impulsé ce mouvement de fond pour faire reconnaître l’égalité homme/femme. Nous avons eu le privilège d’en accompagner quelques-unes dans ces combats.

Les pratiquantes du noble art sont-elles des sportives de haut niveau ? La championne Sophie Girard pense que oui. Elle s’est battue contre l’injustice. La jeune boxeuse le prouve notamment quand son compagnon boxeur est empêché de participer au championnat de France à cause d’un certificat médical non conforme : pas un seul officiel ne se lève alors pour expliquer l’incident aux 3 000?spectateurs. Le sang de Sophie ne fait qu’un tour et le speaker du match refusant de passer le micro, elle se précipite : « Je lui ai mis une droite, pas un coup de poing de boxeuse. Plutôt une gifle de femme énervée. » Elle regrette ce geste, mais sa carrière vient de basculer. Le speaker porte plainte, elle est condamnée par le tribunal de police. Radiée à vie par la Fédération, elle voit sa sanction ramenée à deux ans de suspension en appel. L’ex numéro 1?mondiale de la savate nous demande de contre-attaquer la Fédération en justice pour le paiement de primes impayées.

Sophie Girard, qui était membre de l’équipe de France de la Fédération Française de Boxe Française Savate, a obtenu un palmarès impressionnant : championne de France, d’Europe puis championne du monde, sans jamais percevoir la moindre prime de la part de sa Fédération. Elle décide de faire valoir ses droits au nom de l’égalité entre les hommes et les femmes, et le mot « tireur » a son importance, car seuls les hommes sont inscrits sur les listes d’athlètes de haut niveau ! On avait oublié les « tireuses ». À notre mise en demeure de payer, la Fédération répond que les primes à la performance sont prévues aux Règlements B du Haut Niveau et des équipes de France (article?10) pour les « tireurs »,  et que Sophie n’a pas droit à ces primes car seuls les hommes sont inscrits sur ces listes, et les primes à la performance sont réservées aux « champions » et non aux « championnes ». Nous saisissons la Conférence des Conciliateurs du comité national olympique et sportif français (CCNOSF), préalable obligatoire. Le conciliateur fait une proposition de conciliation en appliquant le règlement que ne partage pas Sophie Girard en raison de la discrimination, encore retenue, dans la répartition des primes entre les hommes et les femmes, méconnaissant ainsi le principe fondamental d’égalité entre les hommes et les femmes.

Nous avions alerté Marie-George Buffet, ministre de la Jeunesse et des Sports, sur les pratiques discriminatoires de la Fédération vis-à-vis des athlètes féminines. Elle répond deux mois plus tard « que la Commission du sport de haut niveau de son ministère a décidé qu’à partir du moment où une discipline était reconnue de haut niveau, la reconnaissance valait pour les “masculins” et pour les “féminines” », et que cette décision prend effet « au 15?octobre 2000 ». C’est pour Sophie Girard une première victoire, mais la ministre ajoute cependant qu’il n’est pas de sa compétence d’intervenir dans la mise en œuvre d’une règlementation fédérale.
À la lecture de cette réponse, la Fédération pourrait aussitôt faire passer Sophie de la liste « Espoir » à celle de « Haut Niveau ». Ce qu’elle ne fait pas.

 

 

Sophie Girard est-elle l’égale de l’homme ?

Le Conseil d’État, instance suprême des juridictions administratives, seul compétent pour statuer de la légalité des Règlements fédéraux, a imposé très tôt que le principe d’égalité impliquait de régir par les mêmes règles les personnes placées dans des situations identiques et que, s’il n’interdit pas de traiter différemment des personnes placées dans des situations différentes, c’est à la condition que la discrimination soit justifiée par des considérations d’intérêt général et qu’elle soit adéquate. De même, le Conseil constitutionnel s’est inspiré de cette jurisprudence.

Mais, par une pirouette juridique, Sophie Girard est déboutée, au motif que « contrairement à ce que prétend la requérante, le document intitulé “Convention équipe de France” et signé par elle avec la Fédération Française de Boxe française, Savate et Disciplines associées, ne fait pas explicitement référence à son statut de sportive de haut niveau mais aux “normes définies dans le règlement du Haut Niveau” ; que les sportifs inscrits sur la liste “Espoir” prévue par l’article?21?du décret du 31 août 1993?ne peuvent pas se prévaloir de la qualité de sportif de haut niveau ; qu’ainsi, la Fédération a pu légalement refuser à Madame Girard la qualité de sportive de Haut Niveau ». Et d’ajouter « considérant qu’il résulte de tout ce qui précède que Madame Girard n’est pas fondée à demander l’annulation de la décision attaquée et, par voie de conséquence, à ce que la Fédération soit condamnée à lui verser les sommes demandées. »

Et niet des beaux principes d’égalité que nous invoquions ! Sophie Girard est abattue. Quatre années de procédure pour « rien » ! Le combat n’est toutefois pas perdu totalement. Aujourd’hui, les tireuses bénéficient des mêmes droits. De nombreuses sportives n’ont pas hésité à s’attaquer aux disparités entre les primes accordées dans le sport entre les hommes et les femmes. Les joueuses de tennis sont montées au front, comme la numéro 1?mondiale du tennis féminin, Martina Hingis, qui s’était fait porte-parole de l’égalité de traitement entre joueurs et joueuses ! Aujourd’hui, les fédérations sportives sont dans l’obligation de présenter un plan de féminisation. Oui, bien évidemment, mais à condition que l’égalité des primes suive, ajouterait malicieusement Sophie Girard.

 

 

Lilia Malaja, l’arrêt Bosman à la puissance 10

En prononçant cette phrase, « l’arrêt Malaja est un arrêt Bosman* à la puissance 10 », le président de la FIFA, Sepp Blatter, ne s’est pas trompé.

Tout commence à la fin de l’été 1998. François Torres est l’agent de la basketteuse polonaise Lilia Malaja, qui vient d’être embauchée par le Racing club de Strasbourg Basket Pro féminin pour évoluer dans le championnat de France de Ligue féminine. Mais la Fédération Française de basket-ball (FFBB) refuse l’homologation de son contrat, au motif que le club strasbourgeois compte déjà dans son effectif deux joueuses étrangères. Nous sommes encore sous le coup de la réglementation des quotas, qui limite à deux le nombre des joueuses extra-communautaires par club, c’est-à-dire non ressortissantes de l’Union européenne qui, à cette époque, ne compte que 15 pays. Logiquement, plus les compétitions sportives évoluent comme une activité économique et commerciale, plus la rencontre des règles sportives et du droit communautaire est inévitable, et le cas de Lilia Malaja en constitue la parfaite illustration.





La basketteuse polonaise Lilia Malaja,



Cette dernière est révoltée d’être interdite de jeu dans le Championnat de France de basket féminin. Patrick Kramer, le président du club, met en demeure le 28?août 1998?la FFBB de faire bénéficier Lilia Malaja des dispositions de l’accord d’association signé entre l’Union européenne et la Pologne, en particulier celles de l’article 37?qui interdisent la discrimination en raison de la nationalité en ce qui concerne les conditions de travail, donc non soumises à restriction. J’avais découvert l’existence des accords d’association et de coopération signés par l’Union européenne et des États tiers en préparant ma thèse de doctorat en droit sur le thème du « Sport et Europe, » soutenue en décembre 2000?à l’université de Nice, sous la direction du professeur Pierre Collomb, alors vice-président de la Fédération de Basket.

En effet, l’Union européenne signe des accords avec de nombreux pays d’Europe de l’Est, du Maghreb et également de la zone ACP (Afrique-Caraïbes-Pacifique). Ils comportent des dispositions favorables à la liberté de circulation et aux conditions de travail, sous certaines conditions, « être légalement employé », mais ces accords sont ignorés. Ils ont pourtant la valeur juridique de traités internationaux, donc supérieurs à la loi nationale, et évidemment aux règlements des fédérations sportives. Cependant, malgré ces arguments, la FFBB répond négativement au motif que… « les règlements de la Ligue féminine limitent à deux les joueuses non-communautaires ». Donc Lilia ne peut pas jouer. Nous saisissons la conférence des conciliateurs du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) pour soutenir le droit de Lilia Malaja à jouer en qualité de joueuse communautaire, en application de l’accord d’association, au motif qu’elle dispose d’un titre de séjour régulier et d’un contrat de travail, et qu’il ne peut y avoir de discriminations en ce qui concerne les conditions de travail. 

Nous invoquons également la supériorité des dispositions d’un traité international sur la loi interne et les règlements, au visa de l’article?55?de la Constitution française qui dispose : « Les traités et accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois. » Le conciliateur du CNOSF, Jean-Claude Bonichot, conseiller d’État, puis magistrat à la Cour européenne de justice, rend un avis le 7?octobre 1998 : « La position de la Fédération est contraire à l’accord d’association, et elle doit procéder à l’assimilation de la joueuse au sein de l’équipe de Strasbourg. » Il demande donc à la FFBB de revenir sur sa décision et d’homologuer son contrat de travail, mais la FFBB fait opposition à la proposition de conciliation et reste sur sa position de ne pas homologuer le contrat de travail de Lilia Malaja.

Nous engageons une procédure en excès de pouvoir le 15 octobre 1998?devant le tribunal administratif de Strasbourg pour demander l’annulation de la décision de la FFBB, car notre cliente, depuis son arrivée à Strasbourg, ne joue pas, malgré son contrat de travail et son titre de séjour. Surprise, notre demande est rejetée le 27 janvier 1999 ! La révolution du sport n’aura pas lieu à Strasbourg, pourtant ville européenne s’il en est. Nous interjetons appel, et c’est à Nancy, le 3?février 2000, que la cour administrative d’appel, présidée par Guy Laporte, juge illégale l’interdiction de jouer faite à Lilia Malaja par la FFBB, et procède à l’assimilation de la basketteuse polonaise en application de l’accord d’association signé entre l’Union européenne et la Pologne.

 

 

L’ouverture d’un marché mondial des joueurs et joueuses

La FFBB, qui ne désarme pas, forme un pourvoi en cassation. Le 30 décembre 2002, le Conseil d’État tranche définitivement le litige en confirmant l’arrêt du 3?février 2000?de la cour administrative d’appel de Nancy. C’est une grande victoire pour la joueuse et tous les sportifs, à l’instar de l’arrêt Bosman de 1995, mais englobant une dimension géographique beaucoup plus grande, en raison de la centaine de pays concernés par les différents accords européens d’association, de coopération et de partenariat signés par l’Union européenne avec des États tiers. D’où la déclaration de Sepp Blatter, « l’arrêt Malaja est un arrêt Bosman à la puissance dix », faisant référence au litige opposant le footballeur belge Jean-Marc Bosman à son club du FC Liège.

Évidemment, cette décision réduit à néant toutes les réglementations fédérales qui imposaient des quotas de joueurs étrangers dans les effectifs des clubs. Elle permet la mobilité totale des joueurs, joueuses des sports professionnels, et la Cour de justice confirme cette jurisprudence ultérieurement, avec les arrêts Kolpak, Simutenkov et Khaveci. La décision abolit toute discrimination dans les conditions de travail. Désormais, les sportifs ressortissant des pays signataires des accords d’association, de partenariat, coopération des pays d’Europe, d’Afrique, Caraïbes et Pacifique, peuvent jouer dans des clubs professionnels de l’Union européenne et bénéficier des mêmes droits. Il en résulte, comme le soulignait le professeur d’économie politique, Wladimir Andreff, la formation d’un véritable marché mondial des sportifs professionnels et il n’est pas rare aujourd’hui, lors du coup d’envoi d’un match, de voir, par exemple en football, 10?joueurs étrangers sur une équipe de 11,?voire même les 11. Oui, avec Lilia Malaja, ce fut la disparition d’un marché du travail des joueurs réglementé, et nous avons la satisfaction d’y avoir contribué.

 

 

Elodie Lussac : aucune médaille ne vaut la santé d’une athlète

à Dortmund, aux Championnats du Monde « par équipes » de gymnastique, à la veille des épreuves. Terme qui ne sera pas usurpé pour la gymnase élodie Lussac, espoir française, championne d’Europe et chef de file des « Bleues ».
à l’entraînement, elle ressent une vive douleur dorsolombaire, à la réception d’un double saut périlleux tendu. Souffrant beaucoup, elle demande en vain une consultation médicale. Pourtant, malgré ses demandes répétées, élodie ne peut parvenir à rencontrer le praticien et, sous la pression des entraîneurs – « Pour l’équipe…, pour l’équipe de France… pour l’équipe de France en danger…, » – elle va accepter, surmontant ses souffrances, de participer, le lendemain, aux compétitions qui comportent quatre épreuves : barres asymétriques, poutre, saut de cheval et travail au sol.

Après quoi, elle éprouve beaucoup de difficultés à marcher et formule une nouvelle demande de consultation médicale en raison des douleurs intenses qu’elle ressent. Le Médecin Fédéral va examiner Elodie et se limiter à pratiquer une injection intramusculaire d’anti-inflammatoires, renouvelée le lendemain, pour que la jeune gymnaste puisse encore participer à de nouvelles épreuves malgré ses douleurs et son désir de rester au repos. Dès son retour à Marseille, un examen fera apparaître, une spondylolyse de l’isthme, sorte de rupture partielle de vertèbres qui l’obligera à porter un corset durant plusieurs mois avec repos total.

Sur ces faits, pour le journal l’équipe : « Non-assistance à personne en danger ? ». Compte tenu du caractère périlleux des exercices exigés, l’expression « mise en danger » aurait été au moins aussi justifiée, ainsi que les poursuites « au pénal » plutôt qu’au civil comme nous l’avons fait. L’expression « saut périlleux » relative au domaine technique n’est pas anodine. Les parents nous demandent de saisir le tribunal qui condamnera la fédération à des dommages et intérêts pour « souffrances inutiles ». Ce sera l’occasion à ce procès de dénoncer les cadences infernales des centres d’entraînement ainsi que les responsabilités du corps médical qui, au titre du code de déontologie, doit « mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour protéger en faisant œuvre de prudence et de circonspection ». Une leçon d’éthique, qui s’applique à tous, dirigeants, entraineurs et aussi parents afin de préserver l’athlète.

Pour n’avoir pas su, pas pu, tout comme élodie, résister à la pression de l’entourage et avoir été lancées blessées, donc diminuées, dans des prestations sportives à hauts risques, la gymnaste soviétique Elena Moukhina est restée infirme à vie après une chute sur la nuque et son homologue américaine, Julissa Gomez, est décédée après un long coma.

 

* En 1995, l’arrêt Bosman de la Cour de justice de l’union européenne a contribué à libéraliser le marché des transferts.

 

 

Michel Pautot,

Docteur en droit,

Avocat au barreau de Marseille,

Rédacteur en chef de Légisport

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