Justice

Les mineures détenues mises au ban ?


jeudi 14 novembre 20246 min
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14/11/2024 16:36:27 1 10 5603 73 0 8161 5036 5219 PLFSS 2025 : des associations surveillent de près l’amélioration de l’indemnisation des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles

Alors que cette indemnisation pourrait bientôt connaître une amélioration, quatre associations demandent à la ministre du Travail de reprendre un certain nombre d’amendements approuvés par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, après le rejet global du projet de loi de financement de la Sécurité sociale fin octobre, et ainsi apporter des « garanties indispensables aux victimes ». Explications.

L’indemnisation des victimes d’accidents du travail et de maladies professionnelles pourrait bientôt connaître une amélioration, via l’article 24 du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, qui pose le principe selon lequel l’indemnisation de l’incapacité permanente est duale, à la fois au titre de l’incapacité professionnelle et au titre de l’incapacité fonctionnelle.

Mais en prévision d’un débat parlementaire houleux en séance plénière et du possible recours par le gouvernement au fameux « 49-3 », le 28 octobre dernier, quatre associations de victimes (l’Anadavi, l’Andeva, la Fnath et Phytho-Victimes) ont adressé une lettre à la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet « dans le cadre du débat parlementaire » concernant cet article.

Objectif, pour ces associations qui indiquent avoir « œuvré en étroite concertation avec les partenaires sociaux et les parlementaires afin d’apporter au texte des améliorations substantielles au bénéfice des victimes et de leurs familles » : obtenir de la ministre qu’elle reprenne « à son compte » les amendements approuvés par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale.

En effet, si cette dernière a rejeté, vendredi 25 octobre, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2025, des amendements à l’article 24 « ont été adoptés à l’unanimité sur avis favorable du rapporteur ». Pour les associations signataires, ces amendements apportent « les garanties indispensables pour assurer une réparation plus digne pour les victimes qui souffrent de multiples inégalités ».

Historiquement, le déficit fonctionnel permanent indemnisé par la rente forfaitaire

Pour bien comprendre d’où l’on part, il convient d’opérer un zoom arrière, et de revenir sur la prise en charge des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui repose initialement sur une logique instituée par la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du travail. Après deux décennies de débats sur les conséquences de l’industrialisation, celle-ci fait avait notamment fait disparaître la notion de faute du responsable de l’accident, issue du Code civil, au profit de celle de risque. Une autre étape avait été franchie le 25 octobre 1919, avec une loi étendant aux maladies professionnelles la responsabilité patronale, déjà instituée par la loi de 1898.

Dans le régime actuel, la prise en charge financière des victimes atteintes d’une incapacité permanente est définie par l’article L434-1 du Code de la sécurité sociale. Celui-ci précise qu’ « une indemnité en capital est attribuée à la victime d'un accident du travail atteinte d'une incapacité permanente inférieure à un pourcentage déterminé ». Mais le Code de la sécurité sociale précise aussi, à son article L 452-3, qu’indépendamment d’une éventuelle majoration de cette rente forfaitaire, « la victime a le droit de demander à l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle ».

Il s’agit là de l’indemnisation pour faute inexcusable de l’employeur, qui va au-delà de l’indemnisation forfaitaire. Or, pendant une dizaine d’années, suivant une interprétation du Conseil constitutionnel (Cons. const, 18 juin 2010, QPC n° 2010-8), les juridictions de sécurité sociale ont estimé que le déficit fonctionnel permanent était indemnisé par la rente forfaitaire AT/MP. Ainsi, dans une décision de septembre 2023, la Cour de cassation a constaté que depuis 2009, elle jugeait que la rente ou l'indemnité en capital versée à la victime d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnisait à la fois les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de l'incapacité, d'autre part, ainsi que le déficit fonctionnel permanent.

Un revirement favorable aux victimes en 2023

Une position qui a été attaquée sur le fondement que l’incapacité fonctionnelle doit se distinguer du préjudice professionnel, celui-ci renvoyant à la perte de capacités de gains et à l’incidence professionnelle, quand le déficit fonctionnel permanent englobe quant à lui les atteintes physiologiques et psychologiques, les troubles dans les conditions de l’existence et souffrances endurées.

Un angle d’attaque dans le combat judiciaire que mènent les victimes et leurs défenseurs, explique  François Desriaux, porte-parole de l’Andeva (Association nationale de défense des victimes de l’amiante) : « La position de la deuxième chambre civile, qui était de dire la rente AT/MP inclut les souffrances physiques et morales, revenait à dire que l'indemnisation des souffrances physiques et morales était dépendante du salaire. Ce qui veut dire que l'ouvrier était moins bien indemnisé que le cadre, puisqu’il a un salaire moindre. Donc cela était quand même très bancal. »

Le 20 janvier 2023, opérant un revirement de jurisprudence favorable aux victimes, l’assemblée plénière de la Cour de cassation a estimé que la rente AT-MP versée aux victimes en cas de faute inexcusable de l’employeur (FIE) ayant entraîné un accident du travail ne comprend que la part professionnelle des préjudices. La part fonctionnelle de l’incapacité professionnelle doit être indemnisée en sus.

L’article dédié dans le PLFSS 2024 finalement retiré

Dans le prolongement, le 15 mai 2023, les partenaires sociaux ont signé un accord national interprofessionnel qui appelait notamment « le législateur à prendre toutes les mesures nécessaires afin de garantir que la nature duale de la rente AT/ MP ne soit pas remise en cause ».

Une orientation qui s’est traduite dans un article du PLFSS 2024, qui intégrait la redéfinition des règles de calcul de la rente pour prendre en compte la réparation du préjudice fonctionnel… Article finalement retiré sous la pression des organisations syndicales de salariés, qui estimaient que la transposition de l’accord n’était « pas en conformité avec ce qui avait été signé ».

Selon François Desriaux, ce nouvel ANI abordait les réparations d’une manière « extrêmement ambiguë », « qui pouvait être parfaitement comprise comme le contournement de la décision de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 20 janvier 2023 ». En l’état, l’article aurait réduit les indemnisations versées aux victimes en cas de faute inexcusable de l’employeur.

PLFSS 2025 : l’enjeu de l’élaboration du barème fixant le taux d’incapacité

Aujourd’hui, re-belote, donc. Cette fois, l'article 24 du PLFSS 2025 prévoit que les victimes AT/MP de droit commun percevront une rente couvrant les deux types de préjudices, la mesure prévoyant de compléter l’indemnisation actuelle du préjudice professionnel par une indemnisation distincte du préjudice personnel. Il précise que les indemnités en capital et la rente viagère indemniseraient le préjudice économique correspondant à la perte de gains professionnels et le préjudice non-économique correspondant aux dommages corporels et psychologiques qui perdurent dans le temps.

Toutefois, dans leur lettre, les quatre associations attirent l’attention de la ministre du Travail sur trois points, notamment la clarification de la rédaction à propos de l’indemnisation des préjudices complémentaires pouvant être alloués aux victimes et la possibilité d’opter pour le versement d’une indemnisation d’un versement en capital, « comme toute victime d’un dommage corporel et spécialement lorsque son espérance de vie est réduite comme dans le cas de cancers professionnels ».

Enfin, sur l’élargissement de la composition de la Commission des garanties chargée du suivi de l’application de la réforme de l’indemnisation de l’incapacité permanente. Au JSS, François Desriaux explique : « Nous, les associations de victimes, nous n’y sommes pas. Et nous craignons beaucoup que ce soit surtout le MEDEF qui travaille à l’élaboration du barème indicatif devant servir à calculer l’indemnisation, au sein de la branche AT/MP de la Sécurité sociale. La Fédération de conseil des assurances, notamment, une branche importante du MEDEF, qui a l'habitude de manier ce genre de barèmes. D’autant plus que [cette organisation patronale a] intérêt à faire le barème le plus mauvais possible, car au final, c’est elle qui paie la faute inexcusable de l’employeur ».

Depuis, le texte du PLFSS a été transmis au Sénat, sans avoir été adopté par l’Assemblée nationale.  Affaire à suivre, d’abord lors de la discussion du texte au Sénat.

Etienne Antelme

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