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Alors que cette indemnisation pourrait bientôt connaître une amélioration, quatre associations demandent à la ministre du Travail de reprendre un certain nombre d’amendements approuvés par la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, après le rejet global du projet de loi de financement de la Sécurité sociale fin octobre, et ainsi apporter des « garanties indispensables aux victimes ». Explications.
L’indemnisation des victimes
d’accidents du travail et de maladies professionnelles pourrait bientôt connaître
une amélioration, via l’article 24 du projet de loi de financement de la
Sécurité sociale (PLFSS) pour 2025, qui pose le principe selon lequel
l’indemnisation de l’incapacité permanente est duale, à la fois au titre de
l’incapacité professionnelle et au titre de l’incapacité fonctionnelle.
Mais en prévision d’un débat
parlementaire houleux en séance plénière et du possible recours par le
gouvernement au fameux « 49-3 », le 28 octobre dernier, quatre
associations de victimes (l’Anadavi, l’Andeva, la Fnath et Phytho-Victimes) ont
adressé une lettre à la ministre du Travail Astrid Panosyan-Bouvet « dans
le cadre du débat parlementaire » concernant cet article.
Objectif, pour ces
associations qui indiquent avoir « œuvré en étroite concertation avec
les partenaires sociaux et les parlementaires afin d’apporter au texte des
améliorations substantielles au bénéfice des victimes et de leurs familles » :
obtenir de la ministre qu’elle reprenne « à son compte » les
amendements approuvés par la commission des affaires sociales de l’Assemblée
nationale.
En effet, si cette dernière a
rejeté, vendredi 25 octobre, le projet de loi de financement de la Sécurité
sociale (PLFSS) 2025, des amendements à l’article 24 « ont été adoptés
à l’unanimité sur avis favorable du rapporteur ». Pour les associations
signataires, ces amendements apportent « les garanties indispensables
pour assurer une réparation plus digne pour les victimes qui souffrent de
multiples inégalités ».
Historiquement, le déficit
fonctionnel permanent indemnisé par la rente forfaitaire
Pour bien comprendre d’où l’on
part, il convient d’opérer un zoom arrière, et de revenir sur la prise en
charge des accidents du travail et des maladies professionnelles, qui repose initialement
sur une logique instituée par la loi du 9 avril 1898 sur les accidents du
travail. Après deux décennies de débats sur les conséquences de
l’industrialisation, celle-ci fait avait notamment fait disparaître la notion
de faute du responsable de l’accident, issue du Code civil, au profit de celle
de risque. Une autre étape avait été franchie le 25 octobre 1919, avec une loi
étendant aux maladies professionnelles la responsabilité patronale, déjà
instituée par la loi de 1898.
Dans le régime actuel, la
prise en charge financière des victimes atteintes d’une incapacité permanente
est définie par l’article L434-1 du Code de la sécurité sociale. Celui-ci
précise qu’ « une indemnité en capital est attribuée à la victime d'un
accident du travail atteinte d'une incapacité permanente inférieure à un
pourcentage déterminé ». Mais le Code de la sécurité sociale précise
aussi, à son article L 452-3, qu’indépendamment d’une éventuelle majoration de
cette rente forfaitaire, « la victime a le droit de demander à
l'employeur devant la juridiction de sécurité sociale la réparation du
préjudice causé par les souffrances physiques et morales par elle endurées, de
ses préjudices esthétiques et d'agrément ainsi que celle du préjudice résultant
de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion
professionnelle ».
Il s’agit là de
l’indemnisation pour faute inexcusable de l’employeur, qui va au-delà de
l’indemnisation forfaitaire. Or, pendant une dizaine d’années, suivant une
interprétation du Conseil constitutionnel (Cons. const, 18 juin 2010, QPC n°
2010-8), les juridictions de sécurité sociale ont estimé que le déficit
fonctionnel permanent était indemnisé par la rente forfaitaire AT/MP. Ainsi,
dans une décision de septembre 2023, la Cour de cassation a constaté que depuis
2009, elle jugeait que la rente ou l'indemnité en capital versée à la victime
d'un accident du travail ou d'une maladie professionnelle indemnisait à la fois
les pertes de gains professionnels et l'incidence professionnelle de
l'incapacité, d'autre part, ainsi que le déficit fonctionnel permanent.
Un revirement favorable aux victimes
en 2023
Une position qui a été
attaquée sur le fondement que l’incapacité fonctionnelle doit se distinguer du
préjudice professionnel, celui-ci renvoyant à la perte de capacités de gains et
à l’incidence professionnelle, quand le déficit fonctionnel permanent englobe
quant à lui les atteintes physiologiques et psychologiques, les troubles dans
les conditions de l’existence et souffrances endurées.
Un angle d’attaque dans le
combat judiciaire que mènent les victimes et leurs défenseurs, explique François Desriaux, porte-parole de l’Andeva
(Association nationale de défense des victimes de l’amiante) : « La
position de la deuxième chambre civile, qui était de dire la rente AT/MP inclut
les souffrances physiques et morales, revenait à dire que l'indemnisation des
souffrances physiques et morales était dépendante du salaire. Ce qui veut dire
que l'ouvrier était moins bien indemnisé que le cadre, puisqu’il a un salaire
moindre. Donc cela était quand même très bancal. »
Le 20 janvier 2023, opérant
un revirement de jurisprudence favorable aux victimes, l’assemblée plénière de
la Cour de cassation a estimé que la rente AT-MP versée aux victimes en cas de
faute inexcusable de l’employeur (FIE) ayant entraîné un accident du travail ne
comprend que la part professionnelle des préjudices. La part fonctionnelle de
l’incapacité professionnelle doit être indemnisée en sus.
L’article dédié dans le PLFSS
2024 finalement retiré
Dans le prolongement, le 15
mai 2023, les partenaires sociaux ont signé un accord national
interprofessionnel qui appelait notamment « le législateur à prendre
toutes les mesures nécessaires afin de garantir que la nature duale de la rente
AT/ MP ne soit pas remise en cause ».
Une orientation qui s’est
traduite dans un article du PLFSS 2024, qui intégrait la redéfinition des
règles de calcul de la rente pour prendre en compte la réparation du préjudice
fonctionnel… Article finalement retiré sous la pression des organisations
syndicales de salariés, qui estimaient que la transposition de l’accord n’était
« pas en conformité avec ce qui avait été signé ».
Selon François Desriaux, ce
nouvel ANI abordait les réparations d’une manière « extrêmement ambiguë »,
« qui pouvait être parfaitement comprise comme le contournement de la
décision de l'Assemblée plénière de la Cour de cassation du 20 janvier 2023 ».
En l’état, l’article aurait réduit les indemnisations versées aux victimes en
cas de faute inexcusable de l’employeur.
PLFSS 2025 : l’enjeu de
l’élaboration du barème fixant le taux d’incapacité
Aujourd’hui, re-belote, donc.
Cette fois, l'article 24 du PLFSS 2025 prévoit que les victimes AT/MP de droit
commun percevront une rente couvrant les deux types de préjudices, la mesure
prévoyant de compléter l’indemnisation actuelle du préjudice professionnel par
une indemnisation distincte du préjudice personnel. Il précise que les
indemnités en capital et la rente viagère indemniseraient le préjudice
économique correspondant à la perte de gains professionnels et le préjudice
non-économique correspondant aux dommages corporels et psychologiques qui
perdurent dans le temps.
Toutefois, dans leur lettre,
les quatre associations attirent l’attention de la ministre du Travail sur trois
points, notamment la clarification de la rédaction à propos de l’indemnisation
des préjudices complémentaires pouvant être alloués aux victimes et la
possibilité d’opter pour le versement d’une indemnisation d’un versement en
capital, « comme toute victime d’un dommage corporel et spécialement
lorsque son espérance de vie est réduite comme dans le cas de cancers
professionnels ».
Enfin, sur l’élargissement de
la composition de la Commission des garanties chargée du suivi de l’application
de la réforme de l’indemnisation de l’incapacité permanente. Au JSS, François
Desriaux explique : « Nous, les associations de victimes, nous n’y
sommes pas. Et nous craignons beaucoup que ce soit surtout le MEDEF qui
travaille à l’élaboration du barème indicatif devant servir à calculer
l’indemnisation, au sein de la branche AT/MP de la Sécurité sociale. La Fédération
de conseil des assurances, notamment, une branche importante du MEDEF, qui a
l'habitude de manier ce genre de barèmes. D’autant plus que [cette organisation
patronale a] intérêt à faire le barème le plus mauvais possible, car au final, c’est
elle qui paie la faute inexcusable de l’employeur ».
Depuis, le texte du PLFSS a
été transmis au Sénat, sans avoir été adopté par l’Assemblée nationale. Affaire à suivre, d’abord lors de la
discussion du texte au Sénat.
Etienne
Antelme
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