Les procédures d’émancipation des mineurs n’ont décidément plus la cote


mardi 27 mai4 min
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Depuis l’abaissement de la majorité en 1974, les dossiers ne sont pas légion. Un quart d’entre eux visent en réalité à permettre à un jeune de passer un examen professionnel. Les demandes formulées dans le cadre de conflits familiaux sont étonnamment peu courantes, et majoritairement rejetées par les juges.

L’émancipation des mineurs, une procédure assez rare ? C’est ce que révèle le rapport intitulé « Des adultes en mode mineurs : enquêtes sur les procédures d’émancipation judiciaire » que Baptiste Coulmont, professeur de sociologie et chercheur, a présenté, le 6 mai dernier, devant l’Institut des études et de la recherche sur le Droit et la Justice (IERDJ).

Entre 2016 et 2020, période ciblée pour mener les travaux, le nombre de dossiers en la matière s’établit à 1 450 par an en moyenne, à un niveau stable depuis les années 1980.

Un chiffre qui s’explique notamment par l’abaissement de la majorité de 21 à 18 ans en 1974, période avant laquelle ont pu être dénombrées près de 30 000 demandes annuelles au plus haut. À noter que les demandes ne peuvent être faites que sur prérogative de l’autorité parentale, les enfants ne pouvant « pas s’émanciper seuls », rappelle Baptiste Coulmont.

En plus de la baisse significative des dossiers à l’échelle nationale, certaines juridictions connaissent une vraie pénurie des demandes. C’est par exemple le cas à Lyon, indique Florence Neple, avocate spécialisée en droit de la famille et droit de l’enfant. Une réalité qui fait également écho aux propos de plusieurs juges interrogés dans le cadre de la recherche. L’une d’entre elle évoque ainsi n’avoir eu à traiter que deux dossiers d’émancipation durant sa carrière.

Un quart des dossiers pour travailler ou étudier

Si l’émancipation peut notamment être réclamée par des parents souhaitant se dégager de la responsabilité d’un mineur qui commet des infractions, l’étude présentée devant l’IERDJ montre que dans les faits, la procédure poursuit, la plupart du temps, des buts bien différents.   

Sur une base de 401 dossiers judiciaires issus de procédures d’émancipation collectés auprès de huit tribunaux*, il ressort qu’un quart des demandes ont été formulées par les parents pour permettre à leur enfant de passer un examen professionnel type brevet national de sécurité et de sauvetage aquatique – BNSSA.

Un diplôme qui peut être obtenu seulement en tant que mineur émancipé, précise Baptiste Coulmont, et qui peut lui permettre de travailler comme maître-nageur l’été, par exemple. L’émancipation permet aussi à un mineur de souscrire à un contrat de travail, chose impossible avant la majorité. Ces demandes « BNSSA » sont ainsi majoritairement formulées dans des tribunaux du littoral, avec un taux d’acceptation de l’ordre de 88 %.

Les demandes concernant la scolarité nationale de l’enfant mineur représentent quant à elles 24 % des dossiers. Typiquement, elles sont réclamées lorsqu’un jeune né en fin d’année ou ayant un an d’avance entre dans le supérieur et a besoin de s’émanciper afin de pouvoir louer un bail pour des études dans une autre ville ou pour entrer dans en pensionnat.

Certains d’entre eux, qui appliquent encore « de vieilles règles issues du 20e siècle », sont enclins à accepter des mineurs à condition qu’ils soient émancipés, détaille Baptiste Coulmont.

Ces deux demandes entrent respectivement dans le champ des affaires « répétitives et sans enjeux ». Elles sont plutôt formulées par les familles de classes supérieures et moyennes et acceptées dans une large majorité.

Comme l’explique le chercheur, l’émancipation dans ces cas permet à l’enfant de faire des « petits boulots », de gagner de l’argent et de suivre leurs études en métropole. « Cela ne change rien à leur vie, si ce n’est la capacité de travailler et d’être responsable de leurs actes. »

Conflits familiaux : 77 % des demandes rejetées

En revanche, du côté des demandes d’émancipation dans le cadre de conflits familiaux, les refus sont légion. Bien qu’elles représentent seulement 18 % des dossiers recueillis, ces affaires sont rejetées dans 77 % des cas par les juges des tutelles.

Car si les justiciables se saisissent de cette procédure « comme un instrument de régulation des relations et des conflits familiaux », les juges « refusent, le plus souvent, de donner ce rôle », est-il expliqué dans le rapport. Ils estiment en effet que les parents ont une responsabilité envers l’enfant et qu’ils ne peuvent pas s’y soustraire… même si un parent supplie le juge de placer l’enfant au motif qu’il « n’en veut plus », témoigne Florence Neple.

Ces dossiers engendrent des contentieux, au point que la présence de l’avocat s’avère plus fréquente, alors même que l’émancipation est une matière « où l’avocat n’est pas obligatoire », pointe Florence Neple. En cause : la nature « complexe » de la demande.

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