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Depuis l’abaissement de la majorité en 1974, les dossiers ne sont pas légion. Un quart d’entre eux visent en réalité à permettre à un jeune de passer un examen professionnel. Les demandes formulées dans le cadre de conflits familiaux sont étonnamment peu courantes, et majoritairement rejetées par les juges.
L’émancipation des mineurs, une
procédure assez rare ? C’est ce que révèle le rapport intitulé « Des
adultes en mode mineurs : enquêtes sur les procédures d’émancipation
judiciaire » que Baptiste Coulmont, professeur de sociologie et
chercheur, a présenté, le 6 mai dernier, devant l’Institut des études et de la
recherche sur le Droit et la Justice (IERDJ).
Entre 2016 et 2020, période
ciblée pour mener les travaux, le nombre de dossiers en la matière s’établit à
1 450 par an en moyenne, à un niveau stable depuis les années 1980.
Un chiffre qui s’explique
notamment par l’abaissement de la majorité de 21 à 18 ans en 1974, période
avant laquelle ont pu être dénombrées près de 30 000 demandes annuelles au
plus haut. À noter que les demandes ne peuvent être faites que sur prérogative
de l’autorité parentale, les enfants ne pouvant « pas s’émanciper seuls »,
rappelle Baptiste Coulmont.
En plus de la baisse significative
des dossiers à l’échelle nationale, certaines juridictions connaissent une
vraie pénurie des demandes. C’est par exemple le cas à Lyon, indique Florence
Neple, avocate spécialisée en droit de la famille et droit de l’enfant. Une
réalité qui fait également écho aux propos de plusieurs juges interrogés dans
le cadre de la recherche. L’une d’entre elle évoque ainsi n’avoir eu à traiter
que deux dossiers d’émancipation durant sa carrière.
Un quart des dossiers pour
travailler ou étudier
Si l’émancipation peut notamment
être réclamée par des parents souhaitant se dégager de la responsabilité d’un
mineur qui commet des infractions, l’étude présentée devant l’IERDJ montre que
dans les faits, la procédure poursuit, la plupart du temps, des buts bien
différents.
Sur une base de 401 dossiers
judiciaires issus de procédures d’émancipation collectés auprès de huit
tribunaux*, il ressort qu’un quart des demandes ont été formulées par les
parents pour permettre à leur enfant de passer un examen professionnel type brevet
national de sécurité et de sauvetage aquatique – BNSSA.
Un diplôme qui peut être
obtenu seulement en tant que mineur émancipé, précise Baptiste Coulmont, et qui
peut lui permettre de travailler comme maître-nageur l’été, par exemple. L’émancipation
permet aussi à un mineur de souscrire à un contrat de travail, chose impossible
avant la majorité. Ces demandes « BNSSA » sont ainsi majoritairement
formulées dans des tribunaux du littoral, avec un taux d’acceptation de l’ordre
de 88 %.
À lire aussi : La justice et
l’éducation en peine face aux rixes : « La réponse pénale est
toujours en constat d’échec »
Les demandes concernant la
scolarité nationale de l’enfant mineur représentent quant à elles 24 % des
dossiers. Typiquement, elles sont réclamées lorsqu’un jeune né en fin d’année
ou ayant un an d’avance entre dans le supérieur et a besoin de s’émanciper afin
de pouvoir louer un bail pour des études dans une autre ville ou pour entrer
dans en pensionnat.
Certains d’entre eux, qui
appliquent encore « de vieilles règles issues du 20e
siècle », sont enclins à accepter des mineurs à condition qu’ils
soient émancipés, détaille Baptiste Coulmont.
Ces deux demandes entrent respectivement
dans le champ des affaires « répétitives et sans enjeux ».
Elles sont plutôt formulées par les familles de classes supérieures et moyennes
et acceptées dans une large majorité.
Comme l’explique le
chercheur, l’émancipation dans ces cas permet à l’enfant de faire des « petits
boulots », de gagner de l’argent et de suivre leurs études en métropole. « Cela
ne change rien à leur vie, si ce n’est la capacité de travailler et d’être
responsable de leurs actes. »
Conflits familiaux : 77 %
des demandes rejetées
En revanche, du côté des
demandes d’émancipation dans le cadre de conflits familiaux, les refus sont
légion. Bien qu’elles représentent seulement 18 % des dossiers recueillis,
ces affaires sont rejetées dans 77 % des cas par les juges des tutelles.
Car si les justiciables se
saisissent de cette procédure « comme un instrument de régulation des
relations et des conflits familiaux », les juges « refusent,
le plus souvent, de donner ce rôle », est-il expliqué dans le rapport.
Ils estiment en effet que les parents ont une responsabilité envers l’enfant et
qu’ils ne peuvent pas s’y soustraire… même si un parent supplie le juge de
placer l’enfant au motif qu’il « n’en veut plus », témoigne
Florence Neple.
Ces dossiers engendrent des
contentieux, au point que la présence de l’avocat s’avère plus fréquente, alors
même que l’émancipation est une matière « où l’avocat n’est pas
obligatoire », pointe Florence Neple. En cause : la nature « complexe »
de la demande.
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