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Les nouveaux aménagements, dont les plus courants sont les snowparks (pour reprendre cet anglicisme connu des pratiquants de ski), ont conduit les juridictions à s’interroger sur l’étendue de la responsabilité de l’exploitant, en cas d’accident.
En effet, de nouvelles questions se posent au regard de pratiques toujours plus innovantes, qui tendent à répondre à une demande de sensations originales de la part de la clientèle des stations, qu’il s’agisse de boardercross ou même du tout nouveau water slide.
Que se cache-t-il derrière de telles pratiques sur le plan juridique ?
Tout d’abord, il n’y aura plus de doute à avoir sur la nature de la responsabilité applicable sur le plan civil, contrairement aux hésitations de la jurisprudence s’agissant de la descente d’une piste. Rappelons qu’après s’être orientée vers la notion de responsabilité délictuelle, c’est-à-dire celle dégagée de tout lien contractuel, la jurisprudence s’est désormais attachée à la responsabilité contractuelle. La Cour de cassation a retenu peu à peu l’existence d’un seul régime, celui concrétisé par l’acquisition d’un forfait de ski qui fait naître, à l’égard de l’exploitant des pistes, une obligation de sécurité.
Cette obligation résulte désormais de l’article 1231 – 1 du Code civil (ancien article 1147 du même Code avant le 1er octobre 2016).
L’intensité de cette obligation de sécurité a été définie comme une obligation de moyens, c’est-à-dire celle qui consiste à apporter les soins et les diligences normalement nécessaires pour atteindre un certain niveau d’absence de danger. Il est déjà tenu compte du rôle actif de l’usager qui emprunte une piste « ordinaire », adaptée à son niveau, et répertoriée selon un code couleur bien connu – noire, rouge, bleue, verte. Dans une zone spécifiquement aménagée, il convient de s’attacher certainement davantage au comportement particulier de celui qui vient réaliser des sauts, ou diverses figures acrobatiques dans cette zone.
Dans l’avant-projet CATALA, sur la réforme du droit des contrats, il était rappelé que la responsabilité du titulaire d’une obligation de sécurité était subordonnée à la preuve que ce dernier a manqué de prudence ou de diligence.
Cet aspect juridique, somme toute assez théorique et abstrait, se trouve confronté à une réalité pratique et concrète analysée par les juridictions qui sont amenées à statuer sur les accidents qui se sont déroulés dans des zones spécifiquement aménagées, ou en bordure de celles-ci.
Une responsabilité accrue en cas d’aménagements particuliers ?
Dans un arrêt du 27 février 2014, la juridiction savoyarde posait un principe essentiel :
« L’espace Easy Park ne saurait être assimilé à une attraction de parcs de loisirs, avec un itinéraire obligatoire et totalement sécurisé, ce qui reviendrait à faire peser sur l’exploitant une obligation de résultat, alors que cet espace aménagé demeure une piste de ski, à l’intérieur de laquelle chaque skieur peut évoluer librement » (voir Carnet juridique du ski, n° 6. 36, page 226).
Cette analyse met en parallèle un élément fondamental de la pratique du ski, à savoir une évolution libre et responsable du pratiquant (adaptée à son niveau et à ses capacités techniques) avec le niveau exigé de l’obligation de sécurité du service des pistes.
Les magistrats pouvaient être tentés d’établir l’existence d’une obligation de résultat, c’est-à-dire assurant finalement une garantie totale aux usagers de parcourir la zone aménagée sans la moindre difficulté et en l’absence de tout risque. Cette exigence conduirait inévitablement à assimiler une telle zone à un véritable parc d’attraction. La rédaction de la décision précitée ne se prive d’ailleurs pas de cette référence pour l’écarter.
En effet, plus raisonnablement, la cour d’appel de Chambéry a considéré que le rôle actif de celui qui pénétrait à l’intérieur d’une telle zone nécessite de retenir uniquement l’existence d’une obligation de moyens.
En revanche, et à juste titre, les magistrats deviennent de plus en plus exigeants sur deux questions fondamentales lorsqu’un accident grave survient :
• Le pratiquant était-il bien informé du fait qu’il pénétrait dans une zone aménagée, avec de ce fait, des niveaux de difficultés différents dans ce secteur ?
• Les lieux, tels qu’ils étaient aménagés, présentaient-ils un danger anormal ou excessif ?
C’est dire que, peu à peu, l’obligation de moyens « simple » semble se transformer malgré tout, en une obligation de moyens « renforcée », car l’aménagement mis en place réclame une information et une vigilance particulière.
L’exemple des snowparks
Le 2 mars 2004, un jeune homme était victime d’un accident de snowboard, en chutant sur le dos à la réception d’un saut sur une bosse aménagée dans un snowpark. Les blessures subies ont malheureusement entraîné sa paraplégie.
Après
différentes étapes judiciaires, c’est la Cour de cassation qui a été amenée à
statuer définitivement, par un arrêt du 8 février 2017 (Carnet
juridique du ski n° 6. 35 page 227-
1. ci-dessous).
La haute juridiction a d’abord relevé que les témoignages produits par le demandeur étaient trop imprécis, pour caractériser un danger anormal ou excessif, de sorte qu’à ce titre, il n’était pas démontré une faute de l’exploitant du domaine skiable.
Rappelant ensuite que compte tenu de la date des faits (2004), il n’existait pas alors de normes de références, les magistrats de la Cour de cassation insistent sur la présence d’un panneau entouré de deux triangles, contenant un point d’exclamation pour signaler le danger, la mention « attention » et les mots suivants : « l’utilisation du snowpark présente des risques/sachez évaluer votre niveau », ce qui constituait pour les magistrats une signalisation suffisante.
La responsabilité de l’exploitant n’était donc pas retenue.
C’est sensiblement la même analyse qui a conduit le tribunal de grande instance de Grenoble dans son jugement rendu le 9 février 2017 (2. ci-dessous). Il s’agit d’un jeune homme, skieur expérimenté, qui s’est grièvement blessé après avoir sauté un « big-air » situé dans un snowpark. Une enquête pénale classée sans suite, a permis d’établir les faits de manière précise.
Après s’être élancée à très grande vitesse, à tel point que l’un de ses amis a tenté vainement de lui faire signe de ralentir, la jeune victime « s’est envolée » à hauteur de plusieurs mètres mais malheureusement s’est retrouvée trop en arrière et s’est mal réceptionnée, de sorte que ses skis se sont trouvés à la perpendiculaire par rapport à l’axe de progression.
Le tribunal rappelait la jurisprudence constante qui retient que l’exploitant de ce type d’espace aménagé est tenu d’une obligation de sécurité de moyens, eu égard au rôle actif des pratiquants dans cette zone : il convenait donc pour la victime d’établir l’existence d’une faute contractuelle.
Cependant, ni le défaut d’information, ni l’absence de dispositif de sécurité n’ont été retenus par les premiers juges qui ont considéré que l’obligation de sécurité de moyens avait été respectée par le service des pistes dans cette zone.
Les magistrats prenaient soin d’indiquer – sans dénuer ainsi leur décision de toute considération compréhensible pour la victime – que « sans minimiser l’importance des blessures subies », il convenait de dire que l’accident n’était pas imputable à l’exploitant de la zone spécifiquement aménagée. Cette décision sera soumise prochainement à l’appréciation de la cour d’appel de Grenoble.
Un accident de Boarder cross
Au sens strict, le boarder cross désigne en réalité une compétition de snowboard dans laquelle quatre ou six snowboardeurs évoluent en parallèle sur un parcours : de ce fait, les zones d’évolution sont assez étroites et comprennent des virages cambrés, avec divers types de sauts mettant ainsi au défi le coureur de garder le contrôle de sa trajectoire, tout en maintenant une vitesse maximale. Il n’est évidemment pas rare, dans ces conditions, que les coureurs entrent en collision les uns avec les autres, très souvent à mi-course.
Les stations ont pris l’habitude de mettre en place des parcours utilisant la même terminologie, indifféremment destinés au skieur et au surfeur évoluant l’un après l’autre, mais toujours avec une idée d’un parcours comprenant des virages cambrés et des bosses spécialement aménagées. Là encore, il est impératif qu’une signalisation correcte soit mise en place afin que le pratiquant sache, en toute connaissance de cause, qu’il va emprunter un parcours spécifique qui n’est pas une piste habituelle.
Un accident survenu le 14 mars 2010 a conduit le tribunal de grande instance de Thonon-les-Bains à s’interroger sur une double faute à l’origine du dommage : après avoir emprunté un boardercross, ouvert à tous les skieurs, et avoir chuté suite au passage d’une bosse aménagée sur ce parcours, le skieur qui se trouvait au sol était heurté par un autre pratiquant venant de l’amont.
Les
compagnies d’assurances avaient vainement tenté une répartition des
responsabilités à titre amiable. Les magistrats hauts-savoyards saisis du
litige ont dès lors été amenés à statuer le 6 juillet 2017
(3. ci-dessous).
Sur la responsabilité principale, extérieure aux présents développements, le tribunal retenait la responsabilité du skieur amont, considérant qu’il ne démontrait aucune faute de la victime située en aval, précisant que « le manque de rapidité (du skieur aval) pour se dégager du creux de la bosse à la réception de laquelle il avait chuté, ne pouvait lui être reproché ».
En revanche, l’auteur du dommage soutenait que la piste de boardercross ne comportait pas de délimitation ni de signalétique informant les usagers du niveau de difficulté au regard des sauts et des virages.
Il est assez curieux de constater que, dans cette décision, les magistrats procèdent à un véritable retournement de la charge de la preuve : en effet, il est reproché à l’exploitant de ne pas justifier de la présence d’un balisage en prévention des risques, alors qu’il appartient précisément au demandeur d’apporter les éléments de preuve de l’existence de la faute qu’il évoque.
Pour les premiers juges, « la piste en cause était particulièrement dangereuse au regard de ses virages et de la hauteur des buttes la composant », alors que précisément c’est la définition même d’un parcours de boardercross et que la notion de « danger excédant ceux contre lesquels un usager doit se prémunir par une attitude adaptée » n’est pas réellement prise en compte : il aurait fallu démontrer que les lieux n’étaient pas correctement entretenus, et/ou qu’ils comportaient un danger excessif.
Mais pour les magistrats, l’exploitant aurait omis de mettre en place un dispositif adéquat de protection, suggérant la présence de filets, lesquels auraient pu permettre d’éviter toute entrée d’un skieur à mi-parcours. La juridiction de première instance n’avait toutefois pas vérifié de manière précise, l’existence ou non de ces éléments de fait.
En définitive, le tribunal se déterminait sur un partage de responsabilité à hauteur de 50 %, c’est-à-dire que l’auteur principal – à savoir le skieur amont – se trouvait ainsi exonéré, en définitive, de la moitié des conséquences du dommage.
L’analyse d’une chute dans un water slide
Encore une nouvelle terminologie pour décrire une étendue d’eau artificielle, installée dans un espace aménagé, généralement au pied des pistes, longue de quelques mètres et profonde d’environ 40 cm que le skieur va parcourir à l’aide de son engin de glisse, après une prise d’élan sur une piste aménagée.
Le but du jeu est de traverser cette étendue d’eau sans chuter, en évitant ainsi de se mouiller.
Cette nouvelle discipline a été adoptée dans nombre de stations, considérant que cette activité sportive est accessible à tous, y compris aux enfants : la pratique est libre et non encadrée.
À la suite d’un accident du 12 mars 2014, le tribunal de grande instance d’Albertville rendait le 15 décembre 2017 (4. ci-dessous) une décision à la fois novatrice par le sujet, et intéressante sur le plan juridique.
En fin d’après-midi, vers 16 h 50, une skieuse adulte chute en évoluant sur le water slide aménagé dans la station : cette chute provoque une flexion de la colonne vertébrale ainsi qu’un traumatisme du rachis, fort heureusement sans conséquences graves.
Elle décide de mettre en cause la responsabilité de la station, demandant que celle-ci soit condamnée à réparer son préjudice.
Avant d’examiner la discussion au fond sur la responsabilité, la juridiction pose un principe extrêmement intéressant : elle indique que s’agissant d’une zone spécifiquement aménagée, si la responsabilité ne change pas de nature (entendons par là une obligation contractuelle de moyens), elle est d’autant plus renforcé
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