Maître Christiane Féral-Schuhl vous raconte… ses rencontres exceptionnelles


lundi 13 juin 20228 min
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« Je crois à la vertu de l’exemple et des symboles pour inspirer et porter des valeurs fortes »


 

Quand le JSS a demandé à Christiane Féral-Schuhl de participer à la rubrique "Chronique de robe" et de revenir sur un moment fort de sa carrière, difficile pour l’avocate, ancienne bâtonnière de Paris et ancienne présidente du CNB, de n’en citer qu’un. Croyant en l’exemple et à la force de l’inspiration, celle-ci a alors préféré nous faire partager quelques rencontres marquantes avec des personnalités qu’elle qualifie d’« exceptionnelles ».

 


Des moments forts ? J’ai du mal à choisir, car j’ai eu le privilège de faire de nombreuses rencontres avec des personnalités exceptionnelles.

Je ne peux pas toutes les citer, mais comme les projets sont souvent intimement liés à des rencontres, le rendez-vous pris avec Bertrand Delanoë, alors maire de Paris, en 2012, aura été déterminant. J’ai le souvenir intact de ce moment privilégié, dans son superbe bureau de l’Hôtel de Ville, par une belle journée ensoleillée. Il a fait preuve d’une grande écoute et a tout de suite adhéré au projet de l’Avocat dans la Cité. La signature du partenariat du barreau de Paris avec la mairie de Paris a été un moment intense. La première édition, en octobre 2012, nous a permis d’investir le parvis de l’Hôtel de Ville, cœur de cette manifestation, transformé en un véritable « village des avocats ». Depuis dix ans, chaque année, les avocats parisiens accueillent les citoyens pour leur offrir des consultations gratuites. Avec Bertrand Delanoë, nous avions voulu organiser, en marge de ces consultations, des initiations au droit sur des thèmes de la vie quotidienne, des manifestations culturelles dans des lieux inédits comme le Musée du Barreau de Paris ou encore le 104, avec des joutes oratoires, ou encore les Trophées Pro Bono pour mieux faire connaître les actions bénévoles des avocats. Il s’agit désormais d’un rendez-vous annuel important attendu des Parisiens ! Chaque année, lorsque le barreau de Paris appelle à la mobilisation des avocats autour de cet événement phare, j’ai une pensée reconnaissante pour Bertrand Delanoë… Cette belle histoire s’est poursuivie avec Anne Hidalgo qui a repris le flambeau.

De la même manière, ma rencontre avec le ministre Jean-Michel Blanquer a été déterminante. Les qualités sont les mêmes : une oreille attentive, des questions pertinentes, la définition d’un rétroplanning… bref, il fut enthousiaste et moteur, invitant ses équipes à mettre en œuvre la Journée du Droit.

Ce partenariat entre l’Éducation nationale et le Conseil national des barreaux s’est noué en quelques minutes, à l’issue de ce rendez-vous de travail. Depuis, chaque année, plus de 1 500 avocats vont à la rencontre des élèves de 5e pour débattre d’un sujet d’actualité : l’égalité, le harcèlement…

 

 

Ma rencontre avec le Pape François 1er (décembre 2013)

Le samedi 14 décembre a été l’occasion, en marge de la cérémonie des Toghe d’Ore (rentrée solennelle du barreau de Rome), d’une rencontre exceptionnelle avec le Pape François.

Le souvenir de cette journée incroyable est resté intact.

J’avais rendez-vous à 12 heures précises ce jour-là, pour une audience privée d’une durée d’une demi-heure. Inutile de préciser que j’étais parfaitement à l’heure, voire très en avance !

J’ai été accueillie par son secrétaire général qui m’a conduite à travers les magnifiques salons du Vatican. J’ai encore dans les oreilles le bruit de mes propres talons qui résonnaient étrangement sur le sol en marbre. À tel point que j’ai fini par avancer sur la pointe des pieds ! Il s’en est suivi un silence assourdissant qui a surpris mon guide qui s’est retourné brusquement… pour me trouver en équilibre sur la pointe des pieds !

La visite avec le Pape François 1er s’est déroulée dans ses appartements privés. Notre échange fut d’une simplicité étonnante et sur un ton joyeux et même complice, loin du format protocolaire que l’on pourrait imaginer !

J’avais sollicité cette rencontre plusieurs mois auparavant, sous l’œil sceptique de Philippe Lucet, notre secrétaire général à l’Ordre et du président de l’association des avocats catholiques du Palais. J’avais dû m’y reprendre à plusieurs reprises (il paraît que je suis obstinée !), n’ayant pas eu non plus de réponse favorable via les circuits diplomatiques. Toutefois, mon courrier a fini par convaincre au Vatican !

Ce projet s’inscrivait dans ma volonté de rencontrer les grands chefs religieux pour évoquer avec eux des questions communes : la vocation, le secret, la valeur d’un serment, l’attention portée aux droits de l’homme et aux notions de Justice et de Paix.

Si le fait religieux n’a pas été au centre de notre échange, celui-ci a cependant mis en exergue une attention commune aux violences dont prêtres comme avocats sont souvent la cible, et aux valeurs universelles que nous défendons. Des actions concertées étaient envisageables et nous en avons dessiné les premiers contours.

Cette communion de vues s’est également concrétisée par un échange sur la figure de Clément IV – dont un portrait orne le bureau du bâtonnier de Paris –, pape français de 1265 à 1269, et qui fut aussi un grand avocat et conseiller de Saint Louis.

Je dois dire que cette journée fut d’autant plus singulière que le matin même, j’ai fait l’objet d’une agression. J’attendais devant mon immeuble l’arrivée du chauffeur qui devait me conduire à l’aéroport. Il faisait encore nuit à cette heure très matinale. Le nez dans mes courriels, j’ai vaguement entendu du bruit de l’autre côté de la rue, mais sans y prêter attention. Et d’un coup, devant moi, s’est dressé un jeune homme, me menaçant d’un couteau et me réclamant le téléphone que je tenais à la main. J’ai eu ce sentiment très curieux de flotter et, dans une parfaite inconscience, j’ai répondu très fermement « non », ajoutant à la parole le geste dérisoire de la main. C’est à ce moment-là que, à mon grand soulagement, la voiture est arrivée et, au bruit d’accélération de celle-ci, j’ai compris que la scène de l’agression devait se dessiner en ombres chinoises, dans la lumière des phares. Le chauffeur avait compris ce qu’il se passait. En une fraction de seconde, j’ai vu mon agresseur regarder en direction de la voiture, jeter un dernier coup d’œil à mon sac de voyage posé au sol et que j’avais repoussé derrière moi, bien décidée à lui en interdire l’accès. J’avais besoin de mon téléphone et de mon sac pour me rendre à Rome et rien ni personne ne ferait barrage.

Mais je suis consciente que l’histoire aurait pu s’écrire autrement ce jour-là. Le chauffeur qui avait un peu de retard aurait pu avoir quelques minutes de retard de plus !

 

 

Ma rencontre avec la Présidente de la République éthiopienne (février 2019)

En février 2019, accompagnée de la présidente de la Commission Égalité du Conseil national des barreaux, Aminata Niakaté, et de la Directrice de l’ÉRAGE1, Enke Kébédé, je me suis rendue en Éthiopie en vue de rencontrer Sahle-Work Zewde, présidente de la République d’Éthiopie.

Cette rencontre exclusive avec un chef d’État étranger était une première pour notre institution nationale. Elle avait pour objet d’observer de plus près l’exemple éthiopien en matière d’égalité femmes-hommes et les leçons à en tirer pour faire avancer la cause de l’égalité.








Il faut rappeler qu’après l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Abiy Ahmed en avril 2018, l’Éthiopie avait connu un bouleversement sans précédent qui a suscité l’intérêt du monde entier. En quelques mois, le pays avait libéré tous les prisonniers politiques, invité tous les opposants politiques exilés à l’étranger à rentrer en Éthiopie, et lancé des projets de privatisation des grandes entreprises publiques.

Mais c’est surtout dans le domaine de l’égalité femmes hommes que l’Éthiopie s’est distinguée. Le Premier ministre a institué la parité au sein de son gouvernement en accordant des ministères régaliens à des femmes, comme le ministère du Commerce et de l’Industrie, le ministère de la Défense ou le ministère de l’Intérieur dénommé ministère de la Paix. La mise en avant des femmes à des postes à haute responsabilité s’est poursuivie avec la désignation de la présidente de la République, de la présidente de la Cour suprême et de la présidente de la Commission électorale en charge d’organiser les élections en 2020.

En ce jour de février, il faisait un temps magnifique, beau et sec. Nous avions rendez-vous au Palais présidentiel où nous avons été accueillies chaleureusement. Madame Sahle-Work Zewde est venue elle-même à notre rencontre. J’ai été immédiatement séduite par sa simplicité.

Elle nous a conduites jusqu’à son bureau, ce qui nous a permis, l’espace d’une dizaine de minutes, de revenir sur son parcours : sa scolarité au Lycée français Guebré-Mariam, son séjour à Paris où elle avait été ambassadrice d’Éthiopie, sa carrière de diplomate à Djibouti puis au Sénégal, sa carrière internationale comme directrice générale de l’office des Nations unies au Kenya et première femme représentante spéciale du Secrétaire général des Nations unies auprès de l’Union africaine… bref, une carrière époustouflante !

J’ai été saisie d’une grande émotion dans son bureau, en découvrant que nous nous trouvions dans un lieu qui, cinquante ans auparavant, avait été occupé par l’empereur Hailé Sélassié lui-même. La décoration n’avait pratiquement pas changé, nous a-t-elle précisé, notamment l’immense tableau représentant une carte géographique qui occupe la quasi-totalité d’un mur. Il s’agit d’un cadeau de la France au Négus. Nous étions ainsi passés, en quelques décennies et plusieurs révolutions, de l’empire à la République !

Et c’est précisément en ce lieu tellement chargé d’histoire que nous avions prévu d’évoquer la question des femmes.

De quoi donner le vertige !

Sur ce thème central, la présidente nous a fait part de sa détermination à profiter de son mandat pour faire avancer les droits des femmes. Pour elle, d’une part, le combat du droit des femmes n’a pas de frontières et nécessite une solidarité et des actions internationales et, d’autre part, la désignation de femmes à des postes de haut rang politiques ne doit pas être une fin en soi, mais doit être utilisée à bon escient pour inspirer les autres et mettre en place des actions concrètes dans tous les domaines.

La vidéo2 qui traduit ce moment d’échange est forcément réductrice de la richesse de notre discussion qui a duré au moins deux heures, dans un climat exceptionnel de complicité et de bienveillance !

Je ne peux pas évoquer cette rencontre avec la Présidente de l’Éthiopie sans immédiatement penser à la présidente de la Cour suprême, Meaza Ashenafi, première femme à occuper cette fonction.

Elle arrivait tout droit de l’aéroport pour son rendez-vous avec nous, un peu fatiguée mais très élégante !

Son parcours force l’admiration. Ancienne avocate, fondatrice de l’association des femmes avocates (EWLA – Ethiopian Women Lawyers Association) et d’une banque éthiopienne pour les femmes (ENAT Bank), elle a également travaillé à la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique, notamment sur les droits et libertés des femmes en Afrique.

Quant à son parcours personnel, on a découvert qu’elle est issue d’une famille modeste vivant dans une zone rurale, cinquième d’une fratrie de neuf enfants. Elle nous a expliqué qu’elle tenait sa réussite à la volonté de sa mère qui avait scolarisé ses filles et les avait poussées à réaliser des études universitaires. Donc, elle ne connaissait qu’une seule recette : « l’éducation, l’éducation, l’éducation ».

 

Je crois beaucoup à la vertu de l’exemple et des symboles pour inspirer et porter des valeurs fortes !




1) Ecole des Avocats du Grand-Es 

2) Voir le reportage : « Sahle-Work Zewde, un espoir pour tout le continent » : https://youtu.be/32knHlJ3KYw



Christiane Féral-Schuh




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