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« Je crois à la vertu de l’exemple et des symboles pour inspirer et porter des valeurs fortes »
Quand le JSS a demandé à Christiane Féral-Schuhl de
participer à la rubrique "Chronique de robe" et de revenir sur un moment fort de
sa carrière, difficile pour l’avocate, ancienne bâtonnière de Paris et ancienne
présidente du CNB, de n’en citer qu’un. Croyant en l’exemple et à la force de
l’inspiration, celle-ci a alors préféré nous faire partager quelques rencontres
marquantes avec des personnalités qu’elle qualifie d’« exceptionnelles ».
Des moments forts ? J’ai du mal à
choisir, car j’ai eu le privilège de faire de nombreuses rencontres avec des
personnalités exceptionnelles.
Je ne peux pas toutes les citer, mais
comme les projets sont souvent intimement liés à des rencontres, le rendez-vous
pris avec Bertrand Delanoë, alors maire de Paris, en 2012, aura été
déterminant. J’ai le souvenir intact de ce moment privilégié, dans son superbe
bureau de l’Hôtel de Ville, par une belle journée ensoleillée. Il a fait preuve
d’une grande écoute et a tout de suite adhéré au projet de l’Avocat dans la
Cité. La signature du partenariat du barreau de Paris avec la mairie de Paris a
été un moment intense. La première édition, en octobre 2012, nous a permis
d’investir le parvis de l’Hôtel de Ville, cœur de cette manifestation,
transformé en un véritable « village des avocats ». Depuis dix ans,
chaque année, les avocats parisiens accueillent les citoyens pour leur offrir
des consultations gratuites. Avec Bertrand Delanoë, nous avions voulu
organiser, en marge de ces consultations, des initiations au droit sur des
thèmes de la vie quotidienne, des manifestations culturelles dans des lieux
inédits comme le Musée du Barreau de Paris ou encore le 104, avec des joutes
oratoires, ou encore les Trophées Pro Bono pour mieux faire connaître les
actions bénévoles des avocats. Il s’agit désormais d’un rendez-vous annuel
important attendu des Parisiens ! Chaque année, lorsque le barreau de
Paris appelle à la mobilisation des avocats autour de cet événement phare, j’ai
une pensée reconnaissante pour Bertrand Delanoë… Cette belle histoire s’est
poursuivie avec Anne Hidalgo qui a repris le flambeau.
De la même manière, ma rencontre avec
le ministre Jean-Michel Blanquer a été déterminante. Les qualités sont les
mêmes : une oreille attentive, des questions pertinentes, la définition
d’un rétroplanning… bref, il fut enthousiaste et moteur, invitant ses équipes à
mettre en œuvre la Journée du Droit.
Ce partenariat entre l’Éducation
nationale et le Conseil national des barreaux s’est noué en quelques minutes, à
l’issue de ce rendez-vous de travail. Depuis, chaque année, plus de
1 500 avocats vont à la rencontre des élèves de 5e pour débattre
d’un sujet d’actualité : l’égalité, le harcèlement…
Ma rencontre avec le Pape François 1er
(décembre 2013)
Le samedi 14 décembre a été l’occasion, en marge de la
cérémonie des Toghe d’Ore (rentrée solennelle du barreau de Rome), d’une
rencontre exceptionnelle avec le Pape François.
Le souvenir de cette journée incroyable est resté intact.
J’avais rendez-vous à 12 heures précises ce jour-là,
pour une audience privée d’une durée d’une demi-heure. Inutile de préciser que
j’étais parfaitement à l’heure, voire très en avance !
J’ai été accueillie par son secrétaire général qui m’a
conduite à travers les magnifiques salons du Vatican. J’ai encore dans les
oreilles le bruit de mes propres talons qui résonnaient étrangement sur le sol
en marbre. À tel point que j’ai fini par avancer sur la pointe des pieds !
Il s’en est suivi un silence assourdissant qui a surpris mon guide qui s’est
retourné brusquement… pour me trouver en équilibre sur la pointe des
pieds !
La visite avec le Pape François 1er s’est
déroulée dans ses appartements privés. Notre échange fut d’une simplicité
étonnante et sur un ton joyeux et même complice, loin du format protocolaire
que l’on pourrait imaginer !
J’avais sollicité cette rencontre
plusieurs mois auparavant, sous l’œil sceptique de Philippe Lucet, notre
secrétaire général à l’Ordre et du président de l’association des avocats
catholiques du Palais. J’avais dû m’y reprendre à plusieurs reprises (il paraît
que je suis obstinée !), n’ayant pas eu non plus de réponse favorable via
les circuits diplomatiques. Toutefois, mon courrier a fini par convaincre au
Vatican !
Ce projet s’inscrivait dans ma
volonté de rencontrer les grands chefs religieux pour évoquer avec eux des
questions communes : la vocation, le secret, la valeur d’un serment,
l’attention portée aux droits de l’homme et aux notions de Justice et de Paix.
Si le fait religieux n’a pas été au
centre de notre échange, celui-ci a cependant mis en exergue une attention
commune aux violences dont prêtres comme avocats sont souvent la cible, et aux
valeurs universelles que nous défendons. Des actions concertées étaient
envisageables et nous en avons dessiné les premiers contours.
Cette communion de vues s’est également
concrétisée par un échange sur la figure de Clément IV – dont un portrait orne
le bureau du bâtonnier de Paris –, pape français de 1265 à 1269, et qui fut
aussi un grand avocat et conseiller de Saint Louis.
Je dois dire que cette journée fut
d’autant plus singulière que le matin même, j’ai fait l’objet d’une agression.
J’attendais devant mon immeuble l’arrivée du chauffeur qui devait me conduire à
l’aéroport. Il faisait encore nuit à cette heure très matinale. Le nez dans mes
courriels, j’ai vaguement entendu du bruit de l’autre côté de la rue, mais sans
y prêter attention. Et d’un coup, devant moi, s’est dressé un jeune homme, me
menaçant d’un couteau et me réclamant le téléphone que je tenais à la main.
J’ai eu ce sentiment très curieux de flotter et, dans une parfaite
inconscience, j’ai répondu très fermement « non », ajoutant à la
parole le geste dérisoire de la main. C’est à ce moment-là que, à mon grand
soulagement, la voiture est arrivée et, au bruit d’accélération de celle-ci, j’ai
compris que la scène de l’agression devait se dessiner en ombres chinoises,
dans la lumière des phares. Le chauffeur avait compris ce qu’il se passait. En
une fraction de seconde, j’ai vu mon agresseur regarder en direction de la
voiture, jeter un dernier coup d’œil à mon sac de voyage posé au sol et que
j’avais repoussé derrière moi, bien décidée à lui en interdire l’accès. J’avais
besoin de mon téléphone et de mon sac pour me rendre à Rome et rien ni personne
ne ferait barrage.
Mais je suis consciente que l’histoire
aurait pu s’écrire autrement ce jour-là. Le chauffeur qui avait un peu de
retard aurait pu avoir quelques minutes de retard de plus !
Ma rencontre avec la Présidente de
la République éthiopienne (février 2019)
En février 2019, accompagnée de la
présidente de la Commission Égalité du Conseil national des barreaux, Aminata
Niakaté, et de la Directrice de l’ÉRAGE1, Enke Kébédé, je me suis
rendue en Éthiopie en vue de rencontrer Sahle-Work Zewde, présidente de la
République d’Éthiopie.
Cette rencontre exclusive avec un
chef d’État étranger était une première pour notre institution nationale. Elle
avait pour objet d’observer de plus près l’exemple éthiopien en matière
d’égalité femmes-hommes et les leçons à en tirer pour faire avancer la cause de
l’égalité.
Il faut rappeler qu’après l’arrivée
au pouvoir du Premier ministre Abiy Ahmed en avril 2018, l’Éthiopie avait connu
un bouleversement sans précédent qui a suscité l’intérêt du monde entier. En
quelques mois, le pays avait libéré tous les prisonniers politiques, invité
tous les opposants politiques exilés à l’étranger à rentrer en Éthiopie, et
lancé des projets de privatisation des grandes entreprises publiques.
Mais c’est surtout dans le domaine de
l’égalité femmes hommes que l’Éthiopie s’est distinguée. Le Premier ministre a
institué la parité au sein de son gouvernement en accordant des ministères
régaliens à des femmes, comme le ministère du Commerce et de l’Industrie, le
ministère de la Défense ou le ministère de l’Intérieur dénommé ministère de la
Paix. La mise en avant des femmes à des postes à haute responsabilité s’est
poursuivie avec la désignation de la présidente de la République, de la
présidente de la Cour suprême et de la présidente de la Commission électorale
en charge d’organiser les élections en 2020.
En ce jour de février, il faisait un
temps magnifique, beau et sec. Nous avions rendez-vous au Palais présidentiel
où nous avons été accueillies chaleureusement. Madame Sahle-Work Zewde est
venue elle-même à notre rencontre. J’ai été immédiatement séduite par sa
simplicité.
Elle nous a conduites jusqu’à son
bureau, ce qui nous a permis, l’espace d’une dizaine de minutes, de revenir sur
son parcours : sa scolarité au Lycée français Guebré-Mariam, son séjour à
Paris où elle avait été ambassadrice d’Éthiopie, sa carrière de diplomate à
Djibouti puis au Sénégal, sa carrière internationale comme directrice générale
de l’office des Nations unies au Kenya et première femme représentante spéciale
du Secrétaire général des Nations unies auprès de l’Union africaine… bref, une
carrière époustouflante !
J’ai été saisie d’une grande émotion
dans son bureau, en découvrant que nous nous trouvions dans un lieu qui,
cinquante ans auparavant, avait été occupé par l’empereur Hailé Sélassié
lui-même. La décoration n’avait pratiquement pas changé, nous a-t-elle précisé,
notamment l’immense tableau représentant une carte géographique qui occupe la
quasi-totalité d’un mur. Il s’agit d’un cadeau de la France au Négus. Nous
étions ainsi passés, en quelques décennies et plusieurs révolutions, de
l’empire à la République !
Et c’est précisément en ce lieu tellement chargé d’histoire que nous avions prévu d’évoquer la question des femmes.
De quoi donner le vertige !
Sur ce thème central, la présidente
nous a fait part de sa détermination à profiter de son mandat pour faire
avancer les droits des femmes. Pour elle, d’une part, le combat du droit des
femmes n’a pas de frontières et nécessite une solidarité et des actions
internationales et, d’autre part, la désignation de femmes à des postes de haut
rang politiques ne doit pas être une fin en soi, mais doit être utilisée à bon
escient pour inspirer les autres et mettre en place des actions concrètes dans
tous les domaines.
La vidéo2 qui traduit ce
moment d’échange est forcément réductrice de la richesse de notre discussion
qui a duré au moins deux heures, dans un climat exceptionnel de complicité et
de bienveillance !
Je ne peux pas évoquer cette
rencontre avec la Présidente de l’Éthiopie sans immédiatement penser à la
présidente de la Cour suprême, Meaza Ashenafi, première femme à occuper cette
fonction.
Elle arrivait tout droit de
l’aéroport pour son rendez-vous avec nous, un peu fatiguée mais très élégante !
Son parcours force l’admiration.
Ancienne avocate, fondatrice de l’association des femmes avocates (EWLA –
Ethiopian Women Lawyers Association) et d’une banque éthiopienne pour les
femmes (ENAT Bank), elle a également travaillé à la Commission économique des
Nations unies pour l’Afrique, notamment sur les droits et libertés des femmes
en Afrique.
Quant à son parcours personnel, on a
découvert qu’elle est issue d’une famille modeste vivant dans une zone rurale,
cinquième d’une fratrie de neuf enfants. Elle nous a expliqué qu’elle tenait sa
réussite à la volonté de sa mère qui avait scolarisé ses filles et les avait
poussées à réaliser des études universitaires. Donc, elle ne connaissait qu’une
seule recette : « l’éducation, l’éducation, l’éducation ».
Je crois beaucoup à la vertu de l’exemple
et des symboles pour inspirer et porter des valeurs fortes !
2) Voir le reportage : « Sahle-Work Zewde, un espoir pour tout le continent » : https://youtu.be/32knHlJ3KYw
Christiane
Féral-Schuh
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