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Le livre VI du Code de commerce ne consacre que six
articles au mandat ad hoc, accompagnés de quelques articles communs
concernant la rémunération du mandataire dans la conciliation et l’article L. 642-2, 1,
relatif à la nouvelle mission du mandataire ad hoc qui a pour objet
l’organisation d’une cession de l’entreprise, ceci afin de laisser à cette
procédure contractuelle la plus grande souplesse et liberté entre le débiteur
et les créanciers.
Un mandat ad hoc peut-il être ouvert lors d’une cessation de paiement ? L’article L. 631-4 du Code de commerce, qui concerne l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire, dispose que « L’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire doit être demandée par le débiteur, au plus tard dans les 45 jours qui suivent la cessation des paiements… »
La loi accorde bien un délai de 45 jours après la cessation de paiement au débiteur. Passé ce délai, la déclaration de cessation de paiement devient obligatoire.
Il n’est donc pas interdit par la loi de solliciter un mandat ad hoc, dès lors que la cessation de paiement est récente et n’a pas dépassé le délai de 45 jours.
« Ce que la loi n’interdit pas est permis » déclarait Corinne Saint-Alary-Houin, professeure émerite à la Faculté de droit et science politique de Toulouse. Et « Le silence de la loi ne doit pas être interprété comme une interdiction », déclarait à son tour François-Xavier Lucas à professeur Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Dans ce cas, l’intervention rapide du mandataire ad hoc fera cesser la cessation de paiement par la négociation et l’obtention de délais et de moratoires auprès des créanciers, et ce dans le délai de 45 jours.
Le mandataire ad hoc a souvent pour mission :
• de réétaler les dettes ;
• d’aménager certains règlements ;
• d’obtenir des différés de paiement ;
• de solliciter des remises et délais, etc.
L’objet d’un mandat ad hoc est souvent :
• d’éviter la cessation de paiement ;
• et/ou de faire cesser une cessation de paiement très récente (dans tous les cas, en deçà de 45 jours).
COMMENTAIRES
« La cessation de paiement se produit fréquemment au cours de l’activité normale d’une entreprise, sans pour cela, constituer un danger pour sa survie…
On peut ajouter que la pratique des tribunaux de commerce est extrêmement pragmatique et qu’ils font sans être contredits, une appréciation de la cessation de paiement très souvent liée aux circonstances. »1
Dès lors que cette cessation de paiement est accidentelle, surtout dans le contexte économique actuel, celle-ci ne doit pas contraindre l’entreprise à se trouver prise systématiquement dans une procédure collective avec les conséquences que l’on connait pour l’entreprise et le dirigeant.
Là est bien le rôle de la procédure de mandat ad hoc, choisie et sollicitée dans le délai réglementaire impératif de 45 jours, afin de régler les difficultés temporaires de trésorerie.
Difficultés de trésorerie ne signifient pas toujours situation irrémédiablement compromise.
Une entreprise peut très bien connaître un accident ou panne de trésorerie dus aux « caprices » de son besoin en fonds de roulement, non prévus et mal financés, sans être pour cela en cessation de paiement. Encore faut-il que cette situation ne devienne pas habituelle.
Cette procédure amiable, confidentielle, est souvent préférée par les créanciers à une procédure collective où le débiteur est mis « sous main de justice ».
Les règles de l’article L. 631-1 du Code de commerce sont applicables au débiteur en mandat ad hoc dès l'intervention et les effets des négociations du mandataire ad hoc : dès lors que les actifs disponibles majorés des réserves de crédit couvrent les passifs exigibles diminués des moratoires et délais obtenus, il n’y a plus cessation de paiement.
Le mandataire ad hoc
Effectivement, dans cette situation, la rapidité du mandataire est primordiale afin de ne pas dépasser le délai fatidique de 45 jours.
La réussite de la mission dépendra de l’autorité et du savoir-faire du mandataire ad hoc, spécialiste du traitement des entreprises en difficulté qui « épaulera » le chef d’entreprise.
Son rôle sera d’éviter ou de faire disparaître très rapidement la cessation de paiement en négociant des délais différés, moratoires, etc., auprès des créanciers.
Un partenaire incontournable en mandat ad hoc : la Commission des chefs de services financiers du département (CCSF), commission auprès de laquelle le mandataire sollicitera des délais de paiement fiscaux et sociaux.
La présence d’un mandataire de justice est en général rassurante pour les créanciers…
Cessation de paiement de plus de 45 jours
Dès que le mandataire ad hoc constate une cessation de paiement manifeste et avérée, il doit inciter le débiteur à effectuer au plus vite une déclaration de cessation de paiement et demander l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire (ou de liquidation judiciaire).
Il rend compte également de la situation au président.
À défaut d’une demande d’ouverture d’une procédure par le débiteur, le président doit faire application de l’article L. 631-3-1 du Code de commerce : lorsqu’il est porté à la connaissance du président du tribunal des éléments faisant apparaître que le débiteur est en état de cessation des paiements, le président en informe le ministère public par une note exposant les faits de nature à motiver la saisine du tribunal. Le président ne peut siéger, à peine de nullité du jugement, dans la formation de jugement, ni participer aux délibérés si le ministère public demande l’ouverture d’une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation à l’égard de ce débiteur.
EXEMPLE REEL
Un débiteur en cessation de paiement depuis trois semaines a sollicité un mandat ad hoc.
Après l’acceptation du président, et la désignation d’un mandataire ad hoc, le débiteur a :
• obtenu un crédit spot de six mois auprès de la banque principale du débiteur (cautionné par le dirigeant). Ce crédit a permis de régler les retards de paiement et de stopper la cessation de paiement ;
• négocié l’étalement sur de nouvelles durées de certains crédits et crédits baux mobiliers ;
• obtenu des différés de paiement ;
• obtenu des délais auprès de la CCSF.
Après toutes ces actions qui ont restructuré le financement du fonds de roulement, cette entreprise a été remise sur les rails et roule bon train aujourd’hui…
Dans de nombreux cas d’espèce, le mandat ad hoc a permis d’éviter à des entreprises d’être « sous main de justice » (sauvegarde ou redressement judiciaire).
Rappelons que le taux de « réussite » du mandat ad hoc est en moyenne de 70 %, et même de 80 % dans certains tribunaux…
« La procédure de mandat ad hoc n’est pas inconciliable avec l’état de cessation de paiement du débiteur, dès lors que cet état n’existe pas depuis plus de 45?jours. » a affirmé Pierre-Michel Lecorre dans son ouvrage Droit et pratique des procédures collectives, (éditions Dalloz, 2019-2020. §123.114).
Pour reprendre les propos du professeur Lucas, « Le débiteur disposant de 45 jours, à compter de la cessation des paiements, pour demander l’ouverture d’un redressement ou d’une liquidation judiciaire, il ne commet aucune faute si, avant l’expiration de ce délai, il ne demande pas l’ouverture d’une procédure collective mais d’un mandat ad hoc. » (Manuel de droit de la faillite. PUF 2018 §46).
Nous savons que le mandat ad hoc (et la conciliation) ne font pas partie du règlement européen du 20 mai 2015, qui ne vise que les procédures dont l’ouverture est rendue publique.
Toutefois, cette procédure entrera parfaitement dans le cadre de la directive européenne du 20 décembre 2018, adoptée mais non encore publiée, relative aux opérations de restructuration préventive.
Cette procédure sera certainement confortée et consacrée par la loi PACTE du 22 mai 2019 qui permet au gouvernement de « revisiter », par ordonnance, le droit des entreprises en difficulté afin de l’harmoniser avec le droit européen de l’insolvabilité.
Des auteurs qui déclarent que la procédure de mandat ad hoc n’est pas incompatible avec l’état de cessation de paiement du débiteur, dès lors que celle-ci ne date pas depuis plus de 45 jours sont nombreux. Citons, par exemple, en comme sources bibliographiques :
• P-M. Le Corre, Droit et pratique des procédures collectives, Dalloz, 2019-2020, §123.114,
• A. Lienhard, Procédures collectives, Delmas, 2019-2020, §11.15,
• F-X. Lucas, Manuel de droit de la faillite, PUF, 2018, §46,
• T. Monteran, Le mandat pour tous !, Gaz. Pal. 18-19 janv. 2013, p. 13
• Jacquemont, Vabres, Mastrullo, Droit des entreprises en difficulté, LexisNexis, 2019, §82 (11° éd.),
• Ph. Roussel Galle, Mandat ad hoc et conciliation, LPA, 2 juil. 2006, numéro 9, p. 10,
• J. Vallansan, Guide des procédures collectives, LexisNexis, 2018, §48 (sous forme interrogatoire),
• J.-L. Vallens, (avec prudence…), Lamy Droit commercial 2019, §2776,
• D. Vidal et G. C. Giorgini, Cours de Droit des entreprises en difficulté, Gualino, 2016-2017, §372,
• S. Farhi, Les procédures collectives après la loi Pacte, Gualino, 2019, p. 2,
• D. Voinot, Procédures collectives, éd. Montchrestien, 2013, §59,
• M. Rakotovahiny, Fiches de procédures collectives, éd. Ellipses, 2016, p. 28,
• C. Le Gallou, Droit des sûretés, Droit
des entreprises en difficulté, 2° éd. Paradigme, 2015,
p. 242 §400,
• M. Di Martino, Procédures amiables et collectives, LexisNexis, 2018, chapitre 14,
• Guide pratique de procédure à l’usage de l’avocat, LGDJ-EFB, 2018 §547 (ouvrage collectif).
• Laetitia Antoni-Cochin et Laurence Caroline Henry, Droit des entreprises en difficulté, Gualino 2019, p. 51- §1.
« Certains chefs de juridiction demandent au débiteur de déclarer de ne pas être en cessation des paiements… » Cette mention ne répond pas à une condition légale spécifique (J.L. Vallens, Lamy Commercial, 2019. §2776)
Effectivement, la demande faite par certaines juridictions ne correspond à aucune obligation légale.
Une jurisprudence de la chambre commerciale de la Cour de cassation, ou un texte seraient les bienvenus.
Attention :
Un arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation a bien précisé qu’un mandat ad hoc n’était pas la solution lorsque la situation financière de l’entreprise était compromise et que le mandat n’avait pas de chance d’aboutir (Cass. Com. 03/11/2015).
Rappelons que le mandat ad hoc est une procédure amiable purement contractuelle et qu’un créancier, dans un mandat ad hoc, peut refuser les propositions du mandataire ad hoc, sans pour cela être fautif (Cass. Com. 22/09/2015).
REFLEXION
Le mandat ad hoc a ses limites. Il convient de ne pas l’utiliser pour faire de « l’acharnement préventif » et abusif. Il n’a d’efficacité que pour résoudre certaines difficultés financières. Si les difficultés ne peuvent être solutionnées, il ne faut pas hésiter à demander (rapidement) :
• l’ouverture d’une procédure de sauvegarde si l’entreprise n’est pas en cessation de paiement ;
• ou le redressement judiciaire si la cessation de paiement est nettement déclarée (+45 jours).
En clair, le mandat ad hoc n’est pas la solution lorsqu’une restructuration de dettes nécessite les délais prévus par une sauvegarde ou un redressement judiciaire. Bien que parfois des mandataires ad hoc arrivent à restructurer les dettes et les fonds propres d’une entreprise en mandat ad hoc ou en conciliation…
Le Tribunal de commerce de Paris reprécise sa position relative au mandat ad hoc et à la cessation des paiements :
Comme expliqué, pour le mandat ad hoc, c’est l’article L. 611-3 du Code de commerce qui laisse une grande liberté contractuelle et une place à l’initiative entre les parties. Il n’y a pas de limite de durée, la loi est taisante sur un certain nombre de conditions d’application, notamment sur la solvabilité du débiteur à son ouverture. Traditionnellement, l’accès à cette procédure était interdite aux entreprises en difficultés qui étaient en cessation des paiements avérée. Toutefois, dans la pratique actuelle du Tribunal de commerce de Paris, vu que l’objectif du mandat ad hoc est d’éviter ou de faire disparaître très rapidement l’état de cessation des paiements, l’ouverture d’une telle procédure n’est plus considérée comme inconciliable avec un état de cessation des paiements depuis moins de 45 jours, mais un dirigeant en cessation des paiements depuis plus de 45 jours est invité à aller au plus vite déposer sa dispositif de cessation de paiement . Par contre, pas d’hésitation pour la conciliation, car l’article L. 611-4 du Code de commerce qui en constituent le cadre juridique, précise bien que la procédure ne s’adresse qu’aux débiteurs qui « ne se trouvent pas en cessation des paiements depuis plus de 45 jours ».
Dominique-Paul Vallée, juge consulaire et délégué général à la prévention à Paris, devrait l’annoncer à l’occasion de la Nuit du Droit du Tribunal de commerce de Paris, que les tragiques évènements survenus à la Préfecture de police de Paris, le 3 octobre dernier, ont obligé de reporter au 20 novembre prochain.
Michel Di Martino,
Expert-comptable – Commissaire aux comptes,
Président du Tribunal de Commerce de Lons-le-Saunier
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