Justice

Michel Peslier, nouveau président de la Conférence générale des juges consulaires de France


vendredi 24 février 20235 min
Écouter l'article
24/02/2023 16:04:00 1 10 3418 29 0 1957 3169 3281 Pourquoi 13 organisations de soignants refusent de « donner la mort »

13 organisations représentant 800 000 soignants ont rendu public le 16 février un rapport qui se demande rhétoriquement si « donner la mort peut être un soin ». Les signataires, qui craignent un « glissement éthique majeur », déplorent également que « la société, lorsqu'elle s'en remet aux médecins [dans le cadre de l'aide active à mourir], leur confie la tâche la plus lourde que l'on puisse concevoir » et estiment prioritaire d’améliorer l’accompagnement des personnes en fin de vie.

Alors que le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a récemment et pour la première fois considéré que la loi pouvait être modifiée afin d’introduire la possibilité d’une « aide active à mourir » et que les citoyens de la Convention sur la fin de vie se sont prononcés à 75 % en faveur de cette évolution le 19 février dernier, du côté des soignants, la colère gronde. En effet, avec le rapport « Donner la mort peut-il être considéré comme un soin ? » publié le 16 février sur le site de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, 13 organisations médicales s’interrogent quant aux perspectives qu'engendrerait une forme de mort médicalisée, et se prononcent clairement en opposition avec l’avis rendu par le CCNE fin 2022.

Les signataires appellent notamment le législateur « à adopter une lecture systémique et de long terme ». À ce titre, elles estiment prioritaire « d’améliorer significativement le cadre d’accompagnement des personnes en fin de vie, tant d’un point de vue qualitatif que quantitatif, sans en réduire la complexité à une dialectique sociétale ou politique ». Le rapport précise notamment que si les professionnels de santé sont régulièrement confrontés à des patients qui demandent de mourir, dans certains cas, une prise en charge palliative « de qualité » permet de constater chez le patient que la volonté de cesser de vivre décroît.

Mort administrée, responsabilité des soignants

Les 13 organisations demandent par ailleurs au gouvernement et aux parlementaires, s’ils décident de faire évoluer la loi, « de laisser le monde du soin à l’écart de toute implication dans une forme de mort administrée », estimant que la question de la fin de vie, de l’euthanasie et du suicide assisté, bien que relevant du débat sociétal, a « des incidences principalement soignantes ». Elles observent que tous les pays ayant légalisé la mort assistée incluent forcément un soignant dans le processus, que ce soit pour réaliser l’acter lui-même dans le cas de l’euthanasie ou bien pour prescrire un médicament létal, comme cela est autorisé dans l’Oregon, ou, à l’instar de la Suisse, pour valider ou réaliser une évaluation de la demande de mort assistée.

« Donner à une personne en fin de vie la possibilité de se donner la mort pour respecter sa volonté reste et demeurera toujours un acte d'une extrême gravité et la société, lorsqu'elle s'en remet aux médecins de le faire, leur confie la tâche la plus lourde que l'on puisse concevoir. Aucune réforme des textes, quelle qu'elle puisse être, ne pourra jamais l'ignorer », précise le rapport.

La déontologie médicale « ne peut provoquer la mort »

Les signataires craignent « un glissement éthique majeur » provoqué par la légalisation de la mise en œuvre d’une mort médicalement assistée, qui pourrait avoir des conséquences sur la notion de soin tel qu’elle est admise aujourd’hui. Les soignants invoquent sur ce point la base de la déontologie médicale : le serment d’Hippocrate. Ce dernier a été actualisé en 2012 par le Conseil national de l’Ordre des médecins. Toutefois, il énonce toujours : « Je ne prolongerai pas abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. » Un engagement que l’on retrouve entériné dans le Code de la santé publique.

En parallèle, le rapport rappelle que l’Académie de médecine définit le soin comme « l’ensemble des mesures et actes visant à faire bénéficier une personne des moyens de diagnostic et de traitement lui permettant d’améliorer et de maintenir sa santé physique et mentale. » Par ailleurs, la définition établie par la Haute autorité de santé en octobre 2007 retient de son côté qu’il s’agit d’un « acte de soins : un acte de soins est un ensemble cohérent d'actions et de pratiques mises en œuvre pour participer au rétablissement ou à l'entretien de la santé d'une personne ».

Des textes régissent déjà la mort dans la déontologie soignante

Le rapport en profite également pour rappeler que tout un corpus législatif, composé de la loi du 9 juin 1999, de la loi Kouchner du 4 mars 2002, de la loi Leonetti du 22 avril 2005 et de la loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016, garantit déjà les droits des patients. Ces derniers imposent notamment de lutter contre l’obstination déraisonnable (l’acharnement thérapeutique) : le texte souligne que la mission des soignants est de se mettre au service du confort et du bien-être du patient grâce à leurs « connaissances scientifiques et médicales », mais aussi grâce à « leur créativité », « leur présence » et « leur empathie ».

Par ailleurs, les soignants sont obligés de tout mettre en œuvre pour soulager la douleur, répètent les organisations signataires : or, ces dernières années, le concept de soin palliatif a été renforcé, notamment dans le cadre des maladies incurables, et prévoit que « tout sera fait pour soulager la douleur en évitant l’obstination déraisonnable, et sans jamais rechercher à provoquer délibérément la mort ». Pour sa part, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) explique que les soins palliatifs « procurent le soulagement de la douleur et des autres symptômes gênants, soutiennent la vie et considèrent la mort comme un processus normal », et qu’ils « n’entendent ni accélérer ni repousser la mort ».

Depuis 2016, il est également possible de mettre en place une sédation complète, c’est-à-dire jusqu’au décès, si le patient atteint d'une maladie grave et incurable la demande, ajoutent les 13 organisations médicales : « La sédation profonde et continue jusqu’au décès ne vise pas le décès du patient, mais l’aménagement de ses derniers moments de vie s’il ne souhaite plus être conscient. »

Un débat complexe dans un contexte de système de santé dégradé

Si globalement, une majorité des signataires se prononcent contre l’aide active à mourir, néanmoins, une minorité estime que l’euthanasie et le suicide assisté doivent être autorisés a minima dans certaines circonstances du fait du respect de la liberté des individus, voire de permettre à des tiers ou des proches qui l’accepteraient « de prêter assistance » aux personnes qui souhaitent mourir.

Le rapport souligne que « ce désaccord illustre la complexité du sujet et la diversité des opinions qui traverse aujourd’hui la société française, dans un contexte de fragilisation du système de santé ». Aux yeux de tous les soignants signataires en tout cas, l’urgence première est de « réparer un système de santé fortement dégradé ».

 Tina Millet

Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.