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13 organisations représentant 800 000
soignants ont rendu public le 16 février un rapport qui se demande rhétoriquement
si « donner la mort peut être un soin ». Les signataires, qui craignent
un « glissement éthique majeur », déplorent également que « la
société, lorsqu'elle s'en remet aux médecins [dans le cadre de l'aide active à mourir], leur confie la tâche la plus lourde que l'on puisse concevoir »
et estiment prioritaire d’améliorer l’accompagnement des personnes en fin de
vie.
Alors que le Comité consultatif national d'éthique (CCNE) a
récemment et pour la première fois considéré que la loi pouvait être modifiée
afin d’introduire la possibilité d’une « aide active à mourir »
et que les citoyens de la Convention sur la fin de vie se sont prononcés à 75 %
en faveur de cette évolution le 19 février dernier, du côté des soignants, la
colère gronde. En effet, avec le rapport « Donner
la mort peut-il être considéré comme un soin ? » publié le 16 février sur
le site de la Société française d'accompagnement et de soins palliatifs, 13
organisations médicales s’interrogent quant aux perspectives qu'engendrerait
une forme de mort médicalisée, et se prononcent clairement en opposition avec
l’avis rendu par le CCNE fin 2022.
Les signataires appellent notamment
le législateur « à adopter une lecture systémique et de long
terme ». À ce titre, elles estiment prioritaire « d’améliorer
significativement le cadre d’accompagnement des personnes en fin de vie, tant
d’un point de vue qualitatif que quantitatif, sans en réduire la complexité à
une dialectique sociétale ou politique ». Le rapport précise notamment
que si les professionnels de santé sont régulièrement confrontés à des patients
qui demandent de mourir, dans certains cas, une prise en charge palliative « de
qualité » permet de constater chez le patient que la volonté de cesser
de vivre décroît.
Mort administrée, responsabilité
des soignants
Les 13 organisations demandent par
ailleurs au gouvernement et aux parlementaires, s’ils décident de faire évoluer
la loi, « de laisser le monde du soin à l’écart de toute implication
dans une forme de mort administrée », estimant que la question de la
fin de vie, de l’euthanasie et du suicide assisté, bien que relevant du débat
sociétal, a « des incidences principalement soignantes ». Elles
observent que tous les pays ayant légalisé la mort assistée incluent forcément
un soignant dans le processus, que ce soit pour réaliser l’acter lui-même dans
le cas de l’euthanasie ou bien pour prescrire un médicament létal, comme cela
est autorisé dans l’Oregon, ou, à l’instar de la Suisse, pour valider ou
réaliser une évaluation de la demande de mort assistée.
« Donner à une personne en
fin de vie la possibilité de se donner la mort pour respecter sa volonté reste
et demeurera toujours un acte d'une extrême gravité et la société, lorsqu'elle
s'en remet aux médecins de le faire, leur confie la tâche la plus lourde que
l'on puisse concevoir. Aucune réforme des textes, quelle qu'elle puisse être,
ne pourra jamais l'ignorer », précise le
rapport.
La déontologie médicale « ne
peut provoquer la mort »
Les signataires craignent « un
glissement éthique majeur » provoqué par la légalisation de la mise en
œuvre d’une mort médicalement assistée, qui pourrait avoir des conséquences sur
la notion de soin tel qu’elle est admise aujourd’hui. Les soignants invoquent sur
ce point la base de la déontologie médicale : le serment d’Hippocrate. Ce
dernier a été actualisé en 2012 par le Conseil national de l’Ordre des médecins.
Toutefois, il énonce toujours : « Je ne prolongerai pas
abusivement les agonies. Je ne provoquerai jamais la mort délibérément. » Un
engagement que l’on retrouve entériné dans le Code de la santé publique.
À lire aussi : EHPAD : la
Défenseure des droits tire la sonnette d’alarme
En parallèle, le rapport rappelle
que l’Académie de médecine définit le soin comme « l’ensemble des
mesures et actes visant à faire bénéficier une personne des moyens de
diagnostic et de traitement lui permettant d’améliorer et de maintenir sa santé
physique et mentale. » Par ailleurs, la définition établie par la
Haute autorité de santé en octobre 2007 retient de son côté qu’il s’agit d’un « acte
de soins : un acte de soins est un ensemble cohérent d'actions et de
pratiques mises en œuvre pour participer au rétablissement ou à l'entretien de
la santé d'une personne ».
Des textes régissent déjà la mort
dans la déontologie soignante
Le rapport en profite également
pour rappeler que tout un corpus législatif, composé de la loi du 9 juin 1999, de
la loi Kouchner du 4 mars 2002, de la loi Leonetti du 22 avril 2005 et de la
loi Claeys-Leonetti du 2 février 2016, garantit déjà les droits des patients.
Ces derniers imposent notamment de lutter contre l’obstination déraisonnable (l’acharnement
thérapeutique) : le texte souligne que la mission des soignants est
de se mettre au service du confort et du bien-être du patient grâce à leurs « connaissances
scientifiques et médicales », mais aussi grâce à « leur
créativité », « leur présence » et « leur empathie ».
Par ailleurs, les soignants
sont obligés de tout mettre en œuvre pour soulager la douleur, répètent les
organisations signataires : or, ces dernières années, le concept de soin
palliatif a été renforcé, notamment dans le cadre des maladies incurables, et
prévoit que « tout sera fait pour soulager la douleur en évitant
l’obstination déraisonnable, et sans jamais rechercher à provoquer délibérément
la mort ». Pour sa part, l’Organisation
mondiale de la santé (OMS) explique que les soins palliatifs « procurent
le soulagement de la douleur et des autres symptômes gênants, soutiennent la
vie et considèrent la mort comme un processus normal », et qu’ils « n’entendent
ni accélérer ni repousser la mort ».
Depuis 2016, il est également possible
de mettre en place une sédation complète, c’est-à-dire jusqu’au décès, si le
patient atteint
d'une maladie grave et incurable la demande, ajoutent les 13 organisations
médicales : « La sédation profonde et continue jusqu’au décès
ne vise pas le décès du patient, mais l’aménagement de ses derniers moments de
vie s’il ne souhaite plus être conscient. »
Un débat complexe dans un contexte
de système de santé dégradé
Si globalement, une majorité des
signataires se prononcent contre l’aide active à mourir, néanmoins, une
minorité estime que l’euthanasie et le suicide assisté doivent être autorisés a
minima dans certaines circonstances du fait du respect de la liberté des
individus, voire de permettre à des tiers ou des proches qui l’accepteraient « de
prêter assistance » aux personnes qui souhaitent mourir.
Le rapport souligne que « ce
désaccord illustre la complexité du sujet et la diversité des opinions qui
traverse aujourd’hui la société française, dans un contexte de fragilisation du
système de santé ». Aux yeux de tous les soignants signataires en tout
cas, l’urgence première est de « réparer un système de santé fortement
dégradé ».
Tina
Millet
THÉMATIQUES ASSOCIÉES
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