Michèle Giannotti, la première femme présidente d’un tribunal


lundi 6 juin 20229 min
Écouter l'article

Michèle Mouche naît à Paris le 21 juin 1930. Sa mère, Yvonne Fauconnier, appartient aux groupes de femmes de 1900, issues de milieu modeste, qui s’engagent dans les nouveaux métiers du siècle. Sa « feuille de carrière » note qu’elle entre comme « dame télégraphiste » en 1937 et termine contrôleur en 1958. Son père, Raymond Mouche, est professeur de mathématiques au lycée Janson de Sailly.

Michèle est leur fille unique et achève sa scolarité au lycée Balzac de Tours. Elle rencontre un jeune homme plus âgé qu’elle de deux ans ; c’est le grand amour et bientôt, Michèle est enceinte. Elle se marie le 27 décembre 1947, alors qu’elle est en terminale, à 17 ans, avec celui qui restera son époux toute sa vie. Il est d’origine corse, issu d’un milieu populaire d’émigrés italiens, et devient professeur de sport.

Leur premier enfant, un fils, décède prématurément. Le service militaire éloigne son mari, puis leur fille, Dominique, née le 7 octobre 1951, atteinte de tuberculose, est placée pendant une année à la montagne. Ces années sont difficiles pour le jeune couple qui est en fragilité financière et est hébergé un temps chez les parents de Michèle, rue Broca, à Paris.

Pourtant, courageusement, elle entame des études de droit à Assas. Une photographie montre la promotion de 1952/1953 où la présence des femmes est déjà visible. Après avoir obtenu une licence, elle se destine au concours d’intendante de lycée, mais en 1954, elle est reçue à un examen qui lui permet de devenir attachée stagiaire auprès du parquet. Lorsqu’elle l’annonce à son père il s’exclame : « Si ce n’est pas malheureux qu’on donne ça à des filles ! »

À 25?ans, elle débute au parquet de Paris, et c’est la révélation : c’est ce métier qu’elle veut exercer. Elle passe les épreuves d’entrée dans la magistrature où elle est admise. En 1958, elle a 28?ans et est affectée comme juge suppléant au tribunal de grande instance de Paris.

En mars 1959, elle est mutée au parquet de Fontainebleau, en qualité de substitut du procureur. Elle est enceinte et met au monde une seconde fille, Agnès, le 7 septembre 1959. Une collègue (1) raconte : « Michèle Giannotti m’a fait la confidence que son ascension était due au fait qu’elle avait été repérée lorsqu’elle avait accepté de retourner travailler au tribunal une semaine seulement après son accouchement. Cela avait été considéré comme un engagement remarquable et remonté à la hiérarchie de l’époque. »

Après dix années au parquet de Fontainebleau, elle est nommée juge des enfants à Melun, où elle exerce du 8 janvier 1969 au 20 octobre 1970. Elle prend goût aux affaires intéressant les mineurs, qu’elle retrouve quelques années plus tard.

Michèle Giannotti vit des années plus sereines. Elle construit sa vie professionnelle et familiale, achète une propriété à Fontainebleau, affectionne particulièrement ses chiens et se passionne pour l’opéra. Mais les temps changent. 1968 bouleverse la France. Le gouvernement souhaite donner des signes d’adaptation aux mouvements de la société. René Pleven est garde des Sceaux et pense qu’il est temps de nommer, pour la première fois, une femme présidente d’un tribunal (2).

Première femme présidente d’un tribunal de grande instance – 1970

Le président du tribunal de Fontainebleau conserve des méthodes anciennes. Les greffes viennent d’être fonctionnarisés. Il faut dynamiser la gestion, et les qualités de Michèle Giannotti sont connues : élégante et énergique, elle représente au mieux l’institution et exprime l’enthousiasme de ses 40 ans.

Le 20?octobre 1970, c’est décidé : elle sera la première femme présidente d’un tribunal. Et pour marquer l’événement, elle est reçue place Vendôme dans le bureau historique du ministre qui déclare : « J’ai pris cette décision, Madame, dans l’intérêt de la magistrature ». Ce moment est immortalisé par une photographie auprès de la presse à sceau.

France Soir rend compte de cette nouveauté (3) en la restituant dans la féminisation de la magistrature : « Depuis 1959, le nombre de magistrats femmes a presque doublé, il y en a 401 actuellement sur un total de 4 320 », soit moins de 10 .% Le journal note quune autre femme occupe un poste important : Simone Veil, qui vient d'être nommée secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature en mars 1970.

Son audience d’installation a lieu à Fontainebleau discrètement, en raison du deuil national décrété au lendemain du décès du général de Gaulle, le 9 novembre 1970. Cependant, le journal local (4) rend compte, quelques jours plus tard, de « la brillante réception en lhonneur de la nomination de Madame Giannotti »« Nous croyons pouvoir dire navoir jamais vu autant de brillante élégance lors dun cocktail. Le tout Fontainebleau   était là »

Interviewée par La République de Seine et Marne, elle est ainsi interpellée : « Vous voici la première, Madame, à présider un tribunal. Que ressentez-vous à ce poste ? » Elle répond : « Lorsque je suis rentrée dans la magistrature, j’avais naturellement un souci : étant une femme, vais-je pouvoir exercer les mêmes fonctions qu’un homme ? Mes décisions n’ont jamais été altérées du fait que j’étais une femme. Je ne me suis jamais soustraite à aucun des actes de la profession sous ce prétexte. Je ne me suis jamais aperçue d’une réaction quelconque anti-féministe. »

Elle est consciente d’être une pionnière, et se dit satisfaite que « pour les femmes en général, une voie se trouve ainsi être ouverte ».

Bien sûr, une question essentielle se pose : faut-il l’appeler Madame la présidente ? Elle tranche, ce sera Madame le président, car pour elle la première, cette appellation concerne encore la femme du président.

Elle est accueillie par un procureur de la République traditionnel, qui goûte peu l’innovation, et par l’ancien président (5), qui reste exercer sous la nouvelle férule en qualité de premier juge, ce qui n’est pas le plus confortable pour elle.

Sa fille témoigne (6) : « Je l’ai toujours entendu dire qu’il fallait qu’elle en fasse trois fois plus que les hommes pour être reconnue et qu’on ne lui passerait rien. Soutenue par une relation fusionnelle avec mon père, elle échangeait beaucoup avec lui sur les ennuis professionnels qu’elle pouvait rencontrer et les obstacles qu’elle ressentait. »

En 1975, Jacqueline Baudrier, première PDG de Radio France, organise une grande « journée de la femme » en invitant toutes les pionnières de l’époque, de la première chauffeure de bus à la première présidente de tribunal. Michèle Gionnotti est heureuse et fière d’y participer. La même année, elle est décorée du grade d’officier de l’Ordre national du mérite.

Elle dirige le tribunal pendant six années, dans la perspective, selon son expression, d’une « justice ferme mais humaine ». Les collègues la décrivent comme tout à la fois souriante et autoritaire, bien coiffée et décidée. « Elle voulait que ça marche (7) », « elle avait un caractère très affirmé, et était toujours impeccablement apprêtée (8) ».

Elle est soucieuse de communication et d’ouverture de l’institution. Ainsi, à l’issue d’une audience solennelle de rentrée de janvier 1975 (9), elle décrit dans la presse locale le fonctionnement et les attributions du tribunal de Fontainebleau. Elle explique avoir créé un nouveau service, destiné à l’accueil des justiciables : une fois par semaine le mercredi matin, un juge donne des renseignements au public. Elle note que désormais, des affaires correctionnelles peuvent être jugées à juge unique et se réjouit de la nomination pour la première fois d’une juge d’application des peines à Fontainebleau (10).

Un parcours de présidente jusqu’à Première présidente

La caractéristique de Michèle Giannotti est de réaliser un parcours professionnel et de ne pas en rester à une seule nomination symbolique. En effet, après une première expérience réussie aux yeux de tous, elle est nommée présidente du tribunal de Melun en 1976, puis d’Évry en 1980. Elle a 50 ans. Toujours soucieuse de communication, elle écrit en 1981, dans la revue Pouvoirs (11), un article qu’elle titre « Lagenda du magistrat », considérant que lactivité quotidienne du magistrat est ignorée.

Elle prend le parti de décrire très simplement et hebdomadairement les activités d’un juge ou d’un président d’un tribunal de grande instance.

Enfin, elle achève son parcours juridictionnel en 1984, à l’âge de 54 ans, en étant nommée Première présidente de la cour d’appel d’Angers. Elle est la première femme à diriger cette Cour où elle ne reste que 18 mois.

Un féminisme « sous l’égide des grandes dames  »

Michèle Giannotti n’a pas beaucoup de pionnières auxquelles se référer. Ce n’est qu’après elle que seront nommées la première Première présidente Suzanne Challe en 1978 ou première procureure générale Nicole Pradain en 1981 (12).

Finalement, la seule figure identificatoire qu’elle peut suivre tout au long de sa carrière est Simone Rozès (13), née en 1920, dix ans avant elle. Elle considère comme « une lanterne qui éclaire l’avenir « ,«celle qui sera nommée Première présidente du TGI de Paris en 1976.

Michèle Giannotti dessine à sa manière un chemin dans ces années 70. Elle dit à ses collègues féminines qu’il ne faut pas cesser d’être des femmes « chemisiers à pois » mais montrer quelles veulent leur place car parfaitement capables « d’être à la hauteur ».

Convaincue de l’importance des modèles, elle pratique une forme de féminisme « sous l’égide des grandes dames » . Ainsi, au cours de ses années en responsabilité dans les juridictions, elle encourage les femmes à penser à leur carrière, elle les conseille et leur assure que rien nest interdit mais quil faut candidater. Elle les aide à remplir les formulaires de demande de mutation en avancement et se réjouit de leur nomination.

Concernant l’entrée des femmes dans le corps, bien des questions, largement lestées de stéréotypes, agitent la magistrature des années 80.

Dans un article intitulé « La guerre des robes (14) », une journaliste explique que le concours de lENM est désormais dominé par les femmes. Au nom de la mixitéle grand oral serait loccasion de « rééquilibrer ». On cherche à piéger les filles en leur posant par exemple des questions sur le sport. Une femme (15) membre du jury, justifie la pratique : « On ne pas livrer au public des êtres craintifs, timides et hésitants. » En 1983, en raison de cette timidité sans doute, 64 % des filles sont reçues après loral, alors que 89 % de garçons sont considérés comme ayant passé avec succès épreuve reine. Michèle Giannotti n’approuve pas :  «À  ce jeu, on risque de recruter des hommes de moins bonne qualité que les femmes ».

Une magistrate syndiquée

Michèle Giannotti est très engagée dans son exercice professionnel et s’interroge sur la place de la magistrature au sein de l’État. Elle adhère au fort mouvement de syndicalisme judiciaire de l’époque. Elle est membre du bureau de l’Union Syndicale des Magistrats en 1984.

En 1989, lors d’un congrès consacré à l’indépendance de la magistrature, elle déplore dans la revue du syndicat Le nouveau pouvoir judiciaire (16) que 94 % des Français considèrent que la justice est utilisée à des fins politiques (17).

Elle critique le caractère politique des nominations des magistrats et réclame une réforme du Conseil supérieur de la magistrature afin de supprimer toute possibilité d’immixtion du pouvoir politique dans le processus et garantir une véritable indépendance. Elle affirme qu’« il est urgent de couper les liens entre l’exécutif et la justice. » 

Directions d’administration centrale – directrice de l’éducation surveillée – 1986/1988

Le parcours de Michèle Giannotti est très complet, puisqu’elle exerce aussi en administration centrale. Elle est d’abord sous-directrice du personnel à la Direction des services judiciaires entre 1978 et 1980, mais c’est surtout lors de l’arrivée du Premier ministre Jacques Chirac, en période inédite de cohabitation avec le président de la République François Mitterrand, qu’elle est en situation de prendre la tête d’une direction, celle de l’éducation surveillée.

A partir de  1986, dix ans après Simone Rozès (1973 à 1976), elle y mène un mandat agité décrit en partie dans un article (18) :  « L’éducation surveillée est une pétaudière, se plaisait à dire Madame Giannotti, dont le franc-parler lui causa quelques tracas. Madame Giannotti, exaspérée par des éducateurs "gauchistes", avec qui elle n’a jamais réussi à dialoguer, organisait une reprise en main des personnels et préconisait une gestion rigoureuse. » 

Interviewée en 1986 (19), elle indique ses orientations sous l’égide d’Albin Chalandon, nouveau garde des Sceaux. Estimant que l’éducation surveillée a oublié qu’elle est un service public, elle ne ferait plus que de la pédagogie en ayant délaissé le nécessaire caractère coercitif de la prise en charge des mineurs. Diagnostiquant « une dégénérescence  « de la formation des éducateurs », elle souhaite la réformer pour éviter de  passer trop de temps en réflexion qui ne mènent à rien, pour privilégier des choses concrètes, efficaces et constructives ». En délicatesse avec les syndicats d'éducateurs, elle est même « retenue dans son bureau » à l’occasion d’un conflit social.

En 1988, après la réélection de François Mitterrand, elle devient conseillère à la Cour de cassation. Après une carrière très riche, Michèle Giannotti, première femme présidente d’un tribunal, décède le 4 novembre 2017 à Parentis-en-Born (Les Landes), à l’âge de 87 ans.  

 

Gwenola Joly-Coz,

Première présidente de la cour d’appel de Poitiers,

Membre de l’association « Femmes de justice »

 

 

1) Entretien de l’autrice avec Marie-Claude Calot le 14 mars 2021.

2) Il faut noter qu’une autre femme a été nommée avant Michèle Giannotti : Renée Maguin, nommée présidente du TGI de Bourgoin le 15?octobre 1969, mais dont le décret fut rapporté sans que la raison en soit connue.

3) France Soir - édition du 9 novembre 1970.

4) La République de Seine et Marne - édition du 30 novembre 1970.

5) Monsieur Goguet.

6) Entretien de l’autrice avec Agnès Giannotti le 2 avril 2022.

7) Madame Sabine Couturier épouse Garban –  Entretien avec l’autrice le 17 janvier 2022.

8) Madame Eliane Chantepie –  Entretien avec l’autrice le 7 février 2022.

9) La République de Seine et Marne – 13 janvier 1975.

10) Madame Dintilhac.

11) Pouvoirs n° 16 - La justice - janvier 1981.

12) Portraits publiés au JSS du 23 décembre 2020 et 11 juillet 2020.

13) Simone Rozès Première présidente de la Cour de cassation 1984/1988?- voir portrait paru dans le JSS du 6 juillet 2019.

14) Article de Sylviane Stein publié dans l’Express le 11 avril 1986.

15) Suzanne Martzloff conseillère à la cour d’appel de Paris.

16) L’indépendance des juges ! Le nouveau pouvoir judiciaire, Spécial congrès de Paris 1989, n° 313, novembre 1989.

17) Sondage réalisé le 14 décembre 1988.

18) Le Monde 30 juin 1988.

19) Par Bernard Vigier pour la revue Ancres n° 8 1986 p.14-21.

 


Partager l'article


0 Commentaire

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Abonnez-vous à la Newsletter !

Recevez gratuitement un concentré d’actualité chaque semaine.