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Michèle
Mouche naît à Paris le 21 juin 1930. Sa mère, Yvonne Fauconnier,
appartient aux groupes de femmes de 1900, issues de milieu modeste, qui
s’engagent dans les nouveaux métiers du siècle. Sa « feuille de
carrière » note qu’elle entre comme « dame télégraphiste » en
1937 et termine contrôleur en 1958. Son père, Raymond Mouche, est professeur de
mathématiques au lycée Janson de Sailly.
Michèle est leur fille unique et achève sa scolarité
au lycée Balzac de Tours. Elle rencontre un jeune homme plus âgé qu’elle de
deux ans ; c’est le grand amour et bientôt, Michèle est enceinte. Elle se
marie le 27 décembre 1947, alors qu’elle est en terminale, à 17 ans, avec celui
qui restera son époux toute sa vie. Il est d’origine corse, issu d’un milieu
populaire d’émigrés italiens, et devient professeur de sport.
Leur
premier enfant, un fils, décède prématurément. Le service militaire éloigne son mari, puis leur fille,
Dominique, née le 7 octobre 1951, atteinte de tuberculose, est placée pendant
une année à la montagne. Ces années sont difficiles pour le jeune couple qui
est en fragilité financière et est hébergé un
temps chez les parents de Michèle, rue
Broca, à Paris.
Pourtant,
courageusement, elle entame des études de droit à Assas. Une photographie montre la
promotion de 1952/1953 où la présence des femmes est déjà visible. Après avoir
obtenu une licence, elle se destine au concours d’intendante de lycée, mais en
1954, elle est reçue à un examen qui lui permet de devenir attachée stagiaire
auprès du parquet. Lorsqu’elle l’annonce à son père il s’exclame : « Si
ce n’est pas malheureux qu’on donne ça à des filles ! »
À 25?ans, elle débute au parquet de
Paris, et c’est la révélation : c’est ce métier qu’elle veut exercer. Elle
passe les épreuves d’entrée dans la magistrature où elle est admise. En 1958,
elle a 28?ans et est affectée comme juge suppléant au tribunal de grande
instance de Paris.
En mars
1959, elle est mutée au parquet de Fontainebleau, en qualité de substitut du
procureur. Elle est enceinte et met au monde une seconde fille, Agnès, le 7
septembre 1959. Une collègue (1) raconte : « Michèle Giannotti m’a
fait la confidence que son ascension était due au fait qu’elle avait été
repérée lorsqu’elle avait accepté de retourner travailler au tribunal une
semaine seulement après son accouchement. Cela avait été considéré comme un
engagement remarquable et remonté à la hiérarchie de l’époque. »
Après
dix années au parquet de Fontainebleau, elle est nommée juge des enfants à
Melun, où elle exerce du 8 janvier 1969 au 20 octobre 1970. Elle prend goût aux
affaires intéressant les mineurs, qu’elle retrouve quelques années plus tard.
Michèle
Giannotti vit des années plus sereines. Elle construit sa vie professionnelle
et familiale, achète une propriété à Fontainebleau, affectionne
particulièrement ses chiens et se passionne pour l’opéra. Mais les temps
changent. 1968 bouleverse la France. Le gouvernement souhaite donner des signes
d’adaptation aux mouvements de la société. René Pleven est garde des Sceaux et
pense qu’il est temps de nommer, pour la première fois, une femme présidente
d’un tribunal (2).
Première
femme présidente d’un tribunal de grande instance – 1970
Le
président du tribunal de Fontainebleau conserve des méthodes anciennes. Les
greffes viennent d’être fonctionnarisés. Il faut dynamiser la gestion, et les
qualités de Michèle Giannotti sont connues : élégante et énergique, elle
représente au mieux l’institution et exprime l’enthousiasme de ses 40 ans.
Le
20?octobre 1970, c’est décidé : elle sera la première femme présidente
d’un tribunal. Et pour marquer l’événement, elle est reçue place Vendôme dans
le bureau historique du ministre qui déclare : « J’ai pris cette
décision, Madame, dans l’intérêt de la magistrature ». Ce moment est immortalisé par une
photographie auprès de la
presse à sceau.
France
Soir rend
compte de cette nouveauté (3) en la
restituant dans la féminisation
de la magistrature : « Depuis
1959, le nombre de magistrats femmes a presque doublé, il y en a 401
actuellement sur un total de 4 320 », soit moins de 10 .% Le journal note qu’une autre femme occupe un poste important : Simone Veil, qui vient
d'être nommée secrétaire générale du Conseil supérieur de la magistrature en mars 1970.
Son
audience d’installation a lieu à Fontainebleau discrètement, en raison du deuil
national décrété au lendemain du décès du général de Gaulle, le 9 novembre
1970. Cependant, le journal local (4) rend compte, quelques jours plus
tard, de « la
brillante réception
en l’honneur
de la nomination de Madame Giannotti ». « Nous
croyons pouvoir dire n’avoir
jamais vu autant de brillante élégance
lors d’un
cocktail. Le tout Fontainebleau était là ».
Interviewée
par La République de Seine et Marne, elle est ainsi
interpellée : « Vous voici la première, Madame, à présider un
tribunal. Que ressentez-vous à ce poste ? » Elle répond : « Lorsque je suis rentrée dans la
magistrature, j’avais naturellement un souci : étant une femme, vais-je
pouvoir exercer les mêmes fonctions qu’un homme ? Mes décisions n’ont
jamais été altérées du fait que j’étais une femme. Je ne me suis jamais
soustraite à aucun des actes de la profession sous ce prétexte. Je ne me suis
jamais aperçue d’une réaction quelconque anti-féministe. »
Elle
est consciente d’être une pionnière, et se dit satisfaite que « pour
les femmes en général, une voie se trouve ainsi être ouverte ».
Bien
sûr, une question essentielle se pose : faut-il l’appeler Madame la
présidente ? Elle tranche, ce sera Madame le président, car pour elle la
première, cette appellation concerne encore la femme du président.
Elle
est accueillie par un procureur de la République traditionnel, qui goûte peu
l’innovation, et par l’ancien président (5), qui reste exercer sous la nouvelle
férule en qualité de premier juge, ce qui n’est pas le plus confortable pour
elle.
Sa fille témoigne (6) : « Je l’ai toujours entendu dire qu’il fallait qu’elle en fasse trois fois
plus que les hommes pour être reconnue et qu’on ne lui passerait rien. Soutenue
par une relation fusionnelle avec mon père, elle échangeait beaucoup avec lui
sur les ennuis professionnels qu’elle pouvait rencontrer et les obstacles
qu’elle ressentait. »
En
1975, Jacqueline Baudrier, première PDG de Radio France, organise
une grande « journée de la femme » en invitant toutes les pionnières
de l’époque, de la première chauffeure de bus à la première présidente de
tribunal. Michèle Gionnotti est heureuse et fière d’y participer. La même
année, elle est décorée du grade d’officier de l’Ordre national du mérite.
Elle dirige le tribunal pendant six années, dans la perspective, selon son expression, d’une « justice ferme mais humaine ». Les collègues la décrivent comme tout à la fois souriante et autoritaire, bien coiffée et décidée. « Elle voulait que ça marche (7) », « elle avait un caractère très affirmé, et était toujours impeccablement apprêtée (8) ».
Elle
est soucieuse de communication et d’ouverture de l’institution. Ainsi, à
l’issue d’une audience solennelle de rentrée de janvier 1975 (9), elle décrit
dans la presse locale le fonctionnement et les attributions du tribunal de
Fontainebleau. Elle explique avoir créé un nouveau service, destiné à l’accueil
des justiciables : une fois par semaine le mercredi matin, un juge donne
des renseignements au public. Elle note que désormais, des affaires
correctionnelles peuvent être jugées à juge unique et se réjouit de la
nomination pour la première fois d’une juge d’application des peines à
Fontainebleau (10).
Un
parcours de présidente jusqu’à Première présidente
La
caractéristique de Michèle Giannotti est de réaliser un parcours professionnel
et de ne pas en rester à une seule nomination symbolique. En effet, après une
première expérience réussie aux yeux de tous, elle est nommée présidente du tribunal
de Melun en 1976, puis d’Évry en 1980. Elle a 50 ans. Toujours soucieuse de
communication, elle écrit en 1981, dans la revue Pouvoirs (11), un
article qu’elle titre « L’agenda
du magistrat », considérant
que l’activité quotidienne
du magistrat est ignorée.
Elle
prend le parti de décrire très simplement et hebdomadairement les activités
d’un juge ou d’un président d’un tribunal de grande instance.
Enfin,
elle achève son parcours juridictionnel en 1984, à l’âge de 54 ans, en étant
nommée Première présidente de la cour d’appel d’Angers. Elle est la première
femme à diriger cette Cour où elle ne reste que 18 mois.
Un
féminisme « sous l’égide des grandes dames
»
Michèle
Giannotti n’a pas beaucoup de pionnières auxquelles se référer. Ce n’est
qu’après elle que seront nommées la première Première présidente Suzanne Challe en 1978 ou première
procureure générale Nicole Pradain en 1981 (12).
Finalement,
la seule figure identificatoire qu’elle peut suivre tout au long de sa carrière
est Simone Rozès (13), née en 1920, dix ans
avant elle. Elle considère comme « une lanterne qui éclaire
l’avenir « ,«celle
qui sera nommée Première présidente
du TGI de Paris en 1976.
Michèle Giannotti dessine à sa manière un chemin dans
ces années 70. Elle dit à ses collègues
féminines qu’il ne faut pas cesser d’être des femmes « chemisiers à
pois » mais montrer qu’elles veulent leur
place car parfaitement capables « d’être
à la hauteur ».
Convaincue
de l’importance des modèles, elle pratique une forme de féminisme « sous
l’égide des grandes dames » . Ainsi, au cours de ses
années en responsabilité dans
les juridictions, elle encourage les femmes à penser à leur
carrière, elle les conseille et leur assure que
rien n’est
interdit mais qu’il faut
candidater. Elle les aide à remplir
les formulaires de demande de mutation en avancement et se réjouit de leur nomination.
Concernant
l’entrée des femmes dans le corps, bien des questions, largement lestées de
stéréotypes, agitent la magistrature des années 80.
Dans un
article intitulé « La guerre des robes (14) », une journaliste explique que le concours de l’ENM est désormais
dominé par les
femmes. Au nom de la mixité, le
grand oral serait l’occasion
de « rééquilibrer ». On cherche à piéger les filles en leur posant par exemple
des questions sur le sport. Une femme (15) membre du jury, justifie la
pratique : « On ne pas livrer au public des êtres craintifs,
timides et hésitants. » En 1983, en raison de cette timidité sans
doute, 64 % des filles
sont reçues après l’oral, alors que 89 % de garçons
sont considérés comme ayant passé avec
succès épreuve reine. Michèle Giannotti n’approuve
pas : «À ce jeu,
on risque de recruter des hommes de moins bonne qualité que les
femmes ».
Une magistrate syndiquée
Michèle Giannotti est très engagée dans son exercice
professionnel et s’interroge sur la place de la magistrature au sein de l’État.
Elle adhère au fort mouvement de syndicalisme judiciaire de l’époque. Elle est
membre du bureau de l’Union Syndicale des Magistrats en 1984.
En
1989, lors d’un congrès consacré à l’indépendance de la magistrature, elle
déplore dans la revue du syndicat Le nouveau pouvoir judiciaire (16) que
94 % des Français considèrent que la justice est utilisée à des fins
politiques (17).
Elle
critique le caractère politique des nominations des magistrats et réclame une
réforme du Conseil supérieur de la magistrature afin de supprimer toute
possibilité d’immixtion du pouvoir politique dans le processus et garantir une
véritable indépendance. Elle affirme qu’« il est urgent de couper les
liens entre l’exécutif et la justice. »
Directions
d’administration centrale – directrice de l’éducation surveillée – 1986/1988
Le
parcours de Michèle Giannotti est très complet, puisqu’elle exerce aussi en
administration centrale. Elle est d’abord sous-directrice du personnel à la
Direction des services judiciaires entre 1978 et 1980, mais c’est surtout lors
de l’arrivée du Premier ministre Jacques Chirac, en période inédite de
cohabitation avec le président de la République François Mitterrand, qu’elle
est en situation de prendre la tête d’une direction, celle de l’éducation
surveillée.
A
partir de 1986, dix ans après
Simone Rozès (1973
à 1976), elle y mène un
mandat agité décrit en partie dans un article (18) : « L’éducation
surveillée est une pétaudière, se plaisait à dire Madame Giannotti, dont le
franc-parler lui causa quelques tracas. Madame Giannotti, exaspérée par des
éducateurs "gauchistes", avec qui elle n’a jamais réussi à dialoguer,
organisait une reprise en main des personnels et préconisait une gestion
rigoureuse. »
Interviewée
en 1986 (19), elle indique ses orientations sous l’égide d’Albin Chalandon,
nouveau garde des Sceaux. Estimant que l’éducation surveillée a oublié qu’elle
est un service public, elle ne ferait plus que de la pédagogie en ayant
délaissé le nécessaire caractère coercitif de la prise en charge des mineurs.
Diagnostiquant « une dégénérescence « de la
formation des éducateurs », elle souhaite la réformer pour éviter de passer trop de temps en réflexion qui ne mènent à rien,
pour privilégier
des choses concrètes, efficaces et
constructives ». En délicatesse avec les syndicats d'éducateurs,
elle est même « retenue dans son bureau » à l’occasion d’un
conflit social.
En
1988, après la réélection de François Mitterrand, elle devient conseillère à la
Cour de cassation. Après une carrière très riche,
Michèle Giannotti, première femme présidente d’un tribunal, décède le 4
novembre 2017 à Parentis-en-Born (Les Landes), à l’âge de 87 ans.
Gwenola Joly-Coz,
Première présidente de la cour d’appel de
Poitiers,
Membre de l’association « Femmes de
justice »
1) Entretien de l’autrice
avec Marie-Claude Calot le 14 mars 2021.
2) Il faut noter qu’une autre femme a été nommée avant
Michèle Giannotti : Renée Maguin, nommée présidente du TGI de Bourgoin le
15?octobre 1969, mais dont le décret fut rapporté sans que la raison en soit
connue.
3) France Soir - édition du 9
novembre 1970.
4) La République de Seine et Marne -
édition du 30 novembre 1970.
5) Monsieur Goguet.
6) Entretien de l’autrice avec Agnès Giannotti le 2
avril 2022.
7) Madame Sabine Couturier épouse Garban
– Entretien avec l’autrice le 17 janvier 2022.
8) Madame Eliane Chantepie – Entretien avec
l’autrice le 7 février 2022.
9) La République de Seine et Marne –
13 janvier 1975.
10) Madame Dintilhac.
11) Pouvoirs n° 16 - La justice
- janvier 1981.
12) Portraits publiés au JSS du 23
décembre 2020 et 11 juillet 2020.
13) Simone Rozès Première présidente de la Cour de cassation 1984/1988?-
voir portrait paru dans le JSS du 6 juillet 2019.
14) Article de Sylviane Stein publié dans l’Express le
11 avril 1986.
15) Suzanne Martzloff conseillère à la cour d’appel de
Paris.
16) L’indépendance des juges ! Le nouveau pouvoir
judiciaire, Spécial congrès de Paris 1989, n° 313,
novembre 1989.
17) Sondage réalisé le 14 décembre 1988.
18) Le Monde 30 juin 1988.
19) Par Bernard Vigier pour la revue Ancres n° 8
1986 p.14-21.
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