Pourquoi l’Ange de Nagasaki est-il à Paris ?


jeudi 25 juillet 20194 min
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Son œil droit est intact. Il n’est point aptère puisqu’il a encore ses ailes. Sa narine ne respire plus guère. Un quart de son visage a disparu. Sauvagement délardé par le horion d’un champignon, le soleil du diable, l’éclair de Lucifer, le plutonium bombardé d’une guerre mondiale qui s’est placardée sur ses traits. Il lui reste quelques longs cheveux.


Au pays du soleil levant, cet ange contemplait Dieu, son Dieu. Loin de l’Empyrée, lointaine contrée céleste peuplée de personnages ailés, il veillait sur l’Empire, lointaine contrée terrestre de guerriers aux yeux bridés. Jusqu’à ce que la situation empire.


Taillé dans la pierre dans une sorte de corporéité spirituelle, au cœur d’une monarchie terrestre, il représentait le royaume des cieux. Il a vu la mort en face. Et même en pire !


Il a été brutalement et soudainement atomisé. Les humains qui l’entouraient ont tous péri.


Les chrétiens et les autres. 35 000 tout de suite, 100 000 par la suite. Par la volonté d’un seul homme, président des États-Unis d’Amérique.


1945. Le président s’appelle Truman. Sa bombe se nomme Fat Man. Elle vient de parvenir aux Mariannes. Dans une île nommée Tinian. Elle doit punir le Japon et son empereur mégalomane.


En tombant sur une ville océane. Pour contraindre un dieu vivant, Hiro Hito, souverain belliqueux et conquérant dont le règne, « Showa », mot prédestiné, signifie « paix rayonnante », à faire cesser les combats.


Le 28 juillet, le Japon rejette l’ultimatum que lui adressent Truman et Churchill. Le 6 août, à 8h14, une bombe américaine de 15 kilotonnes à base d’uranium détruit Hiroshima. Le monarque divin s’entête. Le 9 août au matin, le pilote Charles Swennez fait décoller son B-29 Bockscar construit dans le Nebraska, appartenant au 393e escadron de bombardement, emportant Fat Man. Il est très entraîné et a déjà largué des armes conventionnelles, appelées bombes citrouilles.


Il ne doit larguer son arme de destruction massive que sur une ville visible, par un ciel sans nuages. Ce sera Nagasaki et son port. La ville fondée au XVIe siècle par les Portugais, en partie christianisée par les missionnaires, développée par les Hollandais, la cité florissante où l’on tortura, crucifia et persécuta à plusieurs reprises les chrétiens, nombreux dans cette partie du pays, la ville où Pierre Loti, l’auteur des « Japoneries d’automne », contracta en 1885 un mariage temporaire, est désormais la cible.


À 11h02, le pilote de l’US Air Forces appuie sur le bouton fatidique. La bombe au plutonium de 23 kilotonnes tombe au-dessus de Nagasaki, dont le nom signifie « longue pointe » en japonais. Elle explose à 580 mètres d’altitude, à la verticale de la cathédrale dUrakami, la plus grande église d’Asie, construite en briques rouges, dédiée à L’immaculée Conception, édifiée en 1895 par des prêtres des Missions étrangères de Paris à l’intention des milliers de chrétiens vivant clandestinement. À ce moment-là, de nombreux fidèles assistent à la messe. Ils meurent pendant la prière. De mort violente ! Les murs s’effondrent. La cloche de l’Angélus tombe et se fracasse. Deux statues sont miraculeusement épargnées : la Vierge et Sainte Agnès. Agnès, la Sainte romaine martyrisée au IVe siècle dans les attributs de laquelle il y a parfois une épée et un bûcher en flammes !


L’ange, lui, est mutilé. Outragé, fracturé, fragmenté, balafré. Il n’a plus qu’un demi-regard, dont la lueur semble refléter l’éclair nucléaire. Dans Les Misérables, Victor Hugo avait écrit, au chapitre IV du Tome I : « L’âme ange est là, sans cesse là ; si elle s’éloigne, c’est pour revenir ; elle s’efface comme le rêve et reparaît comme la réalité. On sent de la chaleur qui approche, la voilà. On déborde de sérénité, de gaîté et d’extase ; on est un rayonnement dans la nuit. ». L’ange de Nagasaki est toujours là. Malgré le rayonnement ! Pugnace, il survit, malgré la chaleur.


Le 15 août 1945, l’empereur Hiro Hito, qui règne sur un territoire bombardé, incendié, carbonisé, calciné, ouvre les yeux, accablé, et capitule sans conditions. Pour ne pas être définitivement foudroyé.


En janvier 1976, l’UNESCO (Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture) fête à Paris son trentième anniversaire et prépare la création du Comité du patrimoine mondial. Le maire de Nagasaki décide alors d’offrir à cette Organisation internationale l’ange préservé, sculpture miraculée, en signe de paix universelle.


L’ange de Nagasaki quitte ainsi le pays du soleil levant pour veiller définitivement sur la ville-lumière… et sur la paix !


Si, un jour, n’ayant pas l’occasion d’aller voir le bombardier Bockscar exposé au musée national de l’armée de l’air des États-Unis à Dayton dans l’Ohio, ou n’ayant pas l’opportunité d’aller découvrir la Cathédrale Sainte-Marie reconstruite à l’endroit même de l’église détruite à Nagasaki, cité nippone inscrite au patrimoine mondial de l’Humanité, vous préférez vous rendre à l’UNESCO dans la capitale française pour admirer les œuvres de Giacometti, Le Corbusier, Picasso, Henry Moore, Takis, Tadao Ando ou Guinovart, faites un tour par le jardin de la Paix. Vous pourrez y saluer cet ange mystérieux à l’histoire émouvante, véritable figure anagogique qui mène du visible à l’invisible, qui semble chuchoter pour parler d’éternité, ange éprouvé au témoignage éprouvant, résistant et bienveillant, qui nous rappelle la phrase de Saint Augustin : « c’est dans l’ange que la sagesse a été créée avant tout ».


Étienne Madranges,

Avocat à la cour,

Magistrat honoraire


 


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